Les principales causes de mortalité au XIXe siècle

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K-2011- HYGIENE ET SANTE
Sources diverses, dont UN dossier proposé par L’Histoire par l’image (copyright)
Les principales causes de mortalité au XIXe siècle
1. LA MISERE
La grande vague d'urbanisation et d'industrialisation du XIX correspond à un
durcissement de la pauvreté. La misère urbaine, synonyme de de malnutrition,
d'insalubrité et de conditions d'hygiènes déplorables, est la première cause de
mortalité.
Aspects de la misère urbaine au XIXème siècle
Norbert GOENEUTTE - La soupe du matin. Alexandre ANTIGNA - L'éclair. (1848)
Sénat
Musée d'Orsay
Contexte
Plusieurs événements, sous la monarchie de Juillet, ont éveillé la réflexion de la
bourgeoisie au sujet de la misère populaire : la révolution de 1830 à Paris, les
insurrections des canuts de Lyon en 1831 et en 1834, la crise de subsistance de 1846.
C’est donc entre 1830 et 1840 que l’opinion prend conscience de la misère urbaine et
ouvrière. Diverses réalités sont alors décrites : la pauvreté, la misère (manque de biens
extrême), le paupérisme (pauvreté comme phénomène économique en rapport avec
l’industrialisation) . Cette révélation est l’œuvre d’opposants au régime comme le
docteur Guépin. Mais la très officielle Académie des Sciences morales et politiques a
également incité à l’étude du paupérisme. C’est elle qui a poussé Villermé à enquêter,
dans les années 1830, sur les conditions de vie et de travail des ouvriers du textile à
Lille et à Rouen. Son ouvrage, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers, publié
en 1840, n’a pas peu contribué à la prise de conscience.
Analyse
Selon Buret, un tiers de la population en 1840 est assistée par la charité publique. Celleci est à la fois un moyen de soulager les pauvres et de les enserrer dans un système de
sujétion paternaliste. Le baron de Gérando, grand philanthrope et spécialiste de la
charité, écrit en 1820 : pauvre ou enfant, " le faible appartient au fort à titre d’adoption
"C’est une scène de bienfaisance que Goeneutte, actif dans le dernier quart du XIXe
siècle, représente La Soupe du matin. A l’arrière-plan, des pauvres – hommes, femmes
en haillons, enfants et vieillards – se pressent dans le froid du matin à une distribution
de soupe populaire. Au premier plan de cette cour d’immeuble, occupés à boire le
breuvage bien chaud, ils ressemblent à des particules éparses. Les pauvres que L’Eclair
terrorise sont au contraire serrés les uns contre les autres. Dans un grenier, une mère
indigente et seule (où est le père ?) tente de rassurer ses enfants réveillés en pleine nuit.
La scène est traitée avec force : les puissants contrastes de lumière et l’expressivité des
personnages, issus du peuple et représentés grandeur nature, constituent les traits d’un
caravagisme à portée sociale. L’éclair et l’effroi qu’il suscite, en revanche, sont un
thème romantique (ou biblique, comme dans les scènes du Déluge). Tout semble
opposer les deux tableaux, repas matinal plutôt serein et scène dramatique de nuit. Le
premier offre une description fidèle de la réalité, le deuxième est une métaphore de la
pauvreté ; l’un éparpille les éléments, l’autre résume de manière saisissante. Mais les
indigents qui se bousculent pour la soupe et la " Mère courage " protégeant ses enfants
sont tous des pauvres, des malheureux qui, avec les prolétaires de l’industrie, sont les "
misérables " du XIXe siècle.
Interprétation
Les deux peintres entendent montrer le vrai visage de la pauvreté, mais avec des styles
différents. Si La Soupe du matin cherche plutôt à sensibiliser le spectateur avec sa
précision naturaliste, L’Eclair sonne comme un avertissement. Le premier est un
documentaire sans prétention, le second un symbole, une œuvre à plusieurs degrés de
lecture. Présenté en 1848 au premier Salon de la IIe République, ce tableau exhibe la
misère du peuple avec le même souffle visionnaire que Millet et Courbet dans Les
Glaneuses et Les Casseurs de pierre. Les personnages sont convulsionnés par la peur –
peur de la foudre, du ciel noir, c’est-à-dire peur de la misère et de la guerre civile qui
appauvrit les humbles. Mais cet effroi en évoque un autre : la grande peur de la
bourgeoisie après les journées de Juin, peur du peuple et de sa violence supposée, peur
du sang qu’il pourrait verser. Menace des révolutions à venir, l’éclair pourrait bien finir
par épouvanter aussi la bourgeoisie. Trois ou quatre décennies plus tard les pauvres de
La Soupe du matin semblent bien paisibles : sous la IIIe République, la misère est un
peu dédramatisée et atténuée.
La Part des pauvres
Marius ROY - La Part des pauvres. (1886)
Musée des Beaux-Arts de Rennes
Contexte
La pauvreté et la malnutrition dans la France de la IIIe République
Dans la société française du XIXe siècle, les inégalités sont encore criantes alors
que les classes supérieures représentent seulement 15 % environ de la population
urbaine. Souvent touchées par la précarité, les classes populaires sont attirées par
les villes, dont la physionomie témoigne des disparités sociales. Dans les quartiers
les plus pauvres, les revenus sont insuffisants et irréguliers, les logements
insalubres, l’alimentation carencée et le travail fatigant. La condition des
travailleurs manuels est celle du dénuement et des lendemains incertains.
L’existence y est pour bon nombre difficile, tributaire d’un rythme irrégulier de
travail, d’une embauche au coup par coup et d’un chômage récurrent.
Analyse
Une vision sociale de l’armée
La population urbaine touchée par la pauvreté se rassemblait fréquemment à la porte
des casernes militaires situées dans les villes. Le tableau représente une scène
authentique : le dimanche, des cuirassiers à la porte de leur quartier, situé
vraisemblablement dans la région de Rennes, donnent un reste de soupe à des
mendiants. Le peintre Marius Roy, nommé maître de dessin à l’Ecole polytechnique, se
spécialisa dans la représentation de la vie militaire dans ses aspects les plus simples.
Plusieurs cuirassiers à l’intérieur de leur quartier semblent être des appelés, dont
certains sont de corvée. Ce tableau, exposé au Salon de 1886 et à l’Exposition nationale
et régionale de Rennes en 1887, dans lequel se fait sentir l’influence du naturalisme,
illustre le lien de solidarité qui unissait l’armée et la population sous la IIIe République.
En assurant la défense de la nation, l’armée n’est plus coupée du peuple comme
auparavant, elle se veut aussi éducatrice, sociale, voire charitable comme ici.
Interprétation
Le renouvellement de l’iconographie militaire
Ce tableau de propagande cherche à renouveler l’iconographie militaire. Cette vision
sociale de l’armée, très rare en peinture, illustre l’idéologie égalitaire de la IIIe
République. Tenue pour responsable de la défaite de 1870-1871, l’institution incarne
par la suite le salut social et représente un rempart contre la guerre civile. Le
redressement moral de la nation lui incombe.
Au cours des années 1880, le service militaire, obligatoire pour tous les citoyens depuis
1872, bouleverse la société française par le mélange des classes sociales qui s’opère
dans les casernes. Pour pallier le manque de bâtiments nécessaires à l’accueil des
conscrits, l’armée réquisitionne parfois des monuments anciens comme c’est le cas
dans le tableau de Roy où apparaît un pont-levis. Une instruction ministérielle du 20
mars 1875 améliore le confort des bâtiments à usage militaire, introduisant l’hygiène
dans les quartiers.
Au cours des années 1880, les quartiers suscitent curiosité et sympathie. La peinture
militaire s’écarte des conventions précédemment en vigueur au profit d’un réalisme
documentaire, genre inauguré par Edouard Detaille. La représentation militaire évolue
de l’épique vers l’anecdotique et privilégie la vie quotidienne du soldat. Les rituels du
quartier ou de la caserne, lieu de passage obligé de la majorité des jeunes Français, sont
au cœur d’un nouveau folklore illustré par le comique troupier. La vie de garnison
rythme la vie des cités provinciales par les manœuvres des régiments et surtout la revue
du 14-Juillet.
Toutefois, dès les années 1890, l’opinion publique se lasse de ces représentations
banales de la vie quotidienne d’une armée de temps de paix et reste nostalgique d’une
peinture militaire évoquant les glorieuses victoires d’un passé prestigieux. La Part des
pauvres témoigne ainsi de l’épuisement du sujet militaire en peinture, qui n’a plus rien
à offrir à la curiosité du public. De manière générale, la peinture militaire continue
d’entretenir la nostalgie des provinces perdues, bientôt reconquises par les « poilus ». Il
faut attendre la Première Guerre mondiale et la vie dans les tranchées pour voir les
artistes renouveler entièrement le sujet et l’intérêt du public.
2. LES EPIDEMIES ET LES MALADIES
Avant la révolution pasteurienne, on ne dispose que de peu de moyens pour lutter
contre la propagation des épidémies. Ainsi, dans la première moitié du XIX, plusieurs
épidémies frappent encore durement la France, la fièvre jaune en 1821, le choléra en
1866. Par ailleurs, malgré l'existence d'un courant hygiéniste qui fait appel à la
responsabilité individuelle et collective pour améliorer les conditions d'hygiène, des
maladies dites populaires telle que la syphilis, ou sociales comme la tuberculose (ou
phtisie) se développent dans les milieux ouvriers mais aussi dans les milieux plus aisés.
Maladie emblématique du XIX mais véritable fléau social , la tuberculose est
responsable de pus de 10 % des décès à la fin du XIX .
Le choléra à Amiens (1866)
Auguste FERAGU - L'impératrice Eugénie
visitant les cholériques à Amiens. (1878)
Musée national du Château de Compiègne
Paul-Félix GUERIE - L'impératrice Eugénie
visitant les cholériques de l'Hôtel-Dieu à
Amiens, le 4 juillet 1866. (1866)
Musée national du Château de Compiègne
Antoine-Léon BRUNEL-ROCQUE - L'impératrice Eugénie protégeant du choléra les villes
d'Amiens et de Paris. (1866)
Musée national du Château de Compiègne
Contexte
Entre l’été 1865 et l’hiver 1866, le choléra fit son apparition dans de nombreuses
régions de France. Ce fut l’épidémie la plus grave depuis 1832. Le 30 juin 1866,
l’empereur envoya le ministre de l’Agriculture et du Commerce et l’inspecteur des
services sanitaires à Amiens où l’épidémie avait revêtu une exceptionnelle gravité. Il fit
don de 5 000 francs en son nom personnel et de 1 000 francs au nom du prince impérial
pour secourir les victimes (Le Moniteur, 4 juillet 1866). Quatre jours plus tard,
l’impératrice fit une visite de bienfaisance à Amiens, visitant les hôpitaux et autres
institutions. A propos de cette visite, Prosper Mérimée écrivait à Panizzi, le 5 juillet
1866 : “ Je ne suis pas sûr que ce soit très raisonnable, mais c’est très beau. ” En
décembre 1865, l’impératrice avait rendu visite aux cholériques de l’hôpital Beaujon, à
Paris. En 1866, le conseil municipal de la capitale fit frapper une médaille de bronze
commémorative.
Analyse
La toile d’Auguste Feragu représente l’impératrice Eugénie sortant de l’hôtel-Dieu
d’Amiens, le 4 juillet 1866. Derrière l’impératrice se tiennent les autorités civiles et
religieuses : le docteur Connau, conseiller d’Etat et préfet de la Somme, accompagné de
son épouse, monsieur Dhavernat, maire de la ville, l’évêque d’Amiens ; derrière ces
notabilités, le personnel de santé, médecins et religieuses. L’impératrice est sobrement
vêtue de noir ; elle est coiffée d’un petit bonnet noir fixé à l’aide d’un ruban noué sous
le menton. Elle est accompagnée de la comtesse de Lourmel, dame du palais.
Devant l’hôtel-Dieu, quelques Amiénois l’attendent. Un petit garçon s’avance vers elle
et lui tend une supplique.
L’hôtel-Dieu est situé dans le quartier Saint-Leu, quartier populaire dominé par la
masse imposante de la cathédrale qui se dresse à l’arrière-plan. On aperçoit la foule
grouillante et, à gauche, l’entrée de l’église Saint-Leu.
La toile de Paul-Félix Guérie représente l’impératrice Eugénie à l’intérieur même de
l’Hôtel-Dieu. La grande salle commune, dont le haut plafond est soutenu par des piliers
de bois, est divisée en deux par une cloison de planches. On aperçoit le tuyau du poêle
qui permet de chauffer la salle. Les lits sont répartis sur trois rangées. Au centre de la
toile, l’impératrice est penchée sur un lit où repose un malade. Comme dans le tableau
d’Auguste Feragu, elle est très simplement vêtue de noir. Une sœur de charité se tient
de l’autre côté du lit. Derrière l’impératrice se trouvent les autorités civiles, militaires et
religieuses, notamment le préfet de la Somme et l’évêque d’Amiens. La salle est
remplie d’une foule nombreuse. A droite, au pied d’un lit, un homme agenouillé nettoie
le parquet.
La peinture sur toile d’Antoine-Léon Brunel-Rocque a la forme d’un médaillon ovale.
Il s’agit de la composition originale, préparatoire à la décoration d’un vase commandé à
la manufacture de Sèvres pour commémorer la visite de l’impératrice à Amiens le 4
juillet 1866. Il fut livré “ au nom de S.M. l’Empereur, au Musée Napoléon de la ville
d’Amiens ” en mai 1870.
Le thème traité par Brunel-Rocque est une allégorie. Au centre de la composition,
l’impératrice Eugénie, debout, tend les bras vers deux femmes agenouillées, tourelées,
qui symbolisent les villes de Paris et d’Amiens éprouvées par l’épidémie. Aux pieds de
la souveraine, deux dragons agonisants, lançant flammes et fumées, incarnent le choléra
vaincu par l’intercession de l’impératrice.
Interprétation
Auguste Feragu et Paul-Félix Guérie ont représenté le même événement, mais ils l’ont
mis en scène de façon totalement différente.
Le choléra est pratiquement absent du tableau d’Auguste Feragu. L’impératrice est
représentée sortant de l’hôtel-Dieu et le peintre insiste davantage sur le caractère
officiel de sa visite à Amiens. L’œil est attiré par ce petit garçon présentant une
supplique à la souveraine, qui tend majestueusement la main pour la recevoir et montre
ainsi que le pouvoir impérial est à l’écoute des problèmes et des aspirations du peuple.
A l’inverse, le choléra est au centre du tableau de Paul-Félix Guérie. Méprisant la
mortelle contagion, l’impératrice se penche sur le lit d’un malade qu’elle réconforte.
L’œuvre a une portée beaucoup plus sociale. L’univers hospitalier est représenté ici
dans toute sa laideur : bâtiments vétustes aux murs lépreux, promiscuité, hygiène
sommaire… L’impératrice est présentée comme un personnage proche de la misère du
peuple.
Néanmoins, dans les deux cas, l’artiste se fait le propagandiste du régime impérial. Il
met en évidence la volonté ostentatoire du pouvoir de partager les épreuves du peuple
et de lui apporter aide et réconfort, une démarche teintée de paternalisme et qui n’est
pas exempte de démagogie à un moment où les souverains sont en quête de popularité.
La composition d’Antoine-Léon Brunel-Rocque va beaucoup plus loin que les deux
œuvres précédentes dans la propagande démagogique. Bien connu comme peintre de
sujets religieux, Brunel-Rocque s’est délibérément inspiré de l’iconographie chrétienne
pour représenter l’impératrice dans l’attitude d’une sainte victorieuse terrassant
l’épidémie, lui prêtant ainsi le pouvoir thaumaturgique autrefois dévolu à certains
souverains de la dynastie capétienne.
Le fléau de la tuberculose
F. GALAIS - Un grand fléau la
tuberculose. (1917)
Musée d'histoire contemporaine /
BDIC
Auguste
Auguste LEROUX - La visiteuse d'hygiène vous
montrera le chemin de la santé. (1918)
Musée d'histoire contemporaine / BDIC
- - Ecrasez la tuberculose et sauvez l’enfance. (1917)
Musée d'histoire contemporaine / BDIC
Contexte
Un fléau social
La Grande Guerre s’accompagne d’une recrudescence de la mortalité tuberculeuse. De
1906 à 1918, la France passe du cinquième au deuxième rang des pays les plus exposés
d’Europe. Le taux de mortalité provoqué par ce fléau atteint 2 pour 1000 en 1917 pour
fléchir ensuite. Cette maladie constitue la cible majeure des courants hygiénistes qui se
sont multipliés au tournant du siècle. Les pouvoirs publics se dotent de nouveaux
moyens d’action : vote de la loi Léon Bourgeois sur les dispensaires antituberculeux en
1916 et de la loi Honnorat sur les sanatoriums en 1919. La mission Rockefeller,
financée par la fondation du même nom, et pénétrée des principes de l’hygiénisme
américain, très en avance sur ses homologues européens, s’installe en France en 1917 et
s’assigne pour objectif de stimuler cet effort public. Elle met fin à ses activités en
janvier 1923 pour passer la main au Comité national de défense de la tuberculose.
Durant six années, elle encourage financièrement la construction des dispensaires
prévus par la loi et est à l’initiative des « visiteuses d’hygiène », infirmières exerçant
les fonctions d’une assistante sociale avant l’heure et chargées de « montrer le chemin
de la santé aux malades et de préserver la santé des bien-portants ». Elle s’attaque
encore au mur de silence qui entourait, avant guerre, une maladie tenue pour honteuse à
bien des égards et se lance dans une grande campagne de propagande qui mobilise les
techniques et savoir-faire publicitaires américains. Ces affiches en sont une modalité.
Analyse
Une campagne de prévention
Une première affiche représente une scène de rue de la ville ordinaire. Des immeubles
pressés le long d’artères exiguës interdisent d’entrevoir le ciel et créent une atmosphère
étouffante et fétide signifiée par la palette qui emprunte uniformément à l’ocre et à ses
dégradés. Depuis la fenêtre d’un immeuble, une femme secoue un linge sans égard pour
des enfants qui passent avec leur pot à lait. Derrière une sombre devanture, des «
parents boivent ». Au premier plan, une mère de famille trop lourdement chargée
discute avec un homme presque en haillons (son mari, sorti du café ?). Derrière eux,
une bouche d’égout, des ordures jonchant la rue. A leurs côtés, un tas d’ordure où
fouillent de concert, dans des postures parallèles, un chien et un gamin. A l’arrière-plan,
un autre gamin, invalide, et des groupes en majorité constitués de femmes et d’enfants,
recevant à leur tour des ordures depuis une fenêtre. « La France, patrie de la
bactériologie est aussi la patrie des bactéries », écrit alors le Chicago Tribune (juillet
1917). Par l’unique interstice qui pourrait laisser pénétrer le soleil et l’air, s’introduit la
Faucheuse, image d’une mort popularisée par les danses macabres qui durent aux
grandes pestes médiévales de se multiplier.
Sur une seconde affiche (Auguste Leroux, 1918), une visiteuse d’hygiène portant sur sa
manche la double croix, symbole de la lutte internationale contre la tuberculose,
protège une fillette coiffée du bonnet phrygien. Elle lui « montre le chemin de la santé »
et s’engage dans cette voie d’un pas résolu, traduit par la diagonale de la construction et
par l’esthétique à l’œuvre. A l’horizon, le Paris de l’Ouest, dégagé et signifié par ses
monuments prestigieux et surtout par son plein ciel.
La dernière affiche laisse deviner la victoire prochaine puisqu’un personnage qui
participe de l’infirmière (en tenue blanche) et d’une déesse ailée (le drapeau tricolore)
écrase le mal, figuré par la pieuvre. Elle peut dès à présent brandir victorieusement
l’enfant qu’elle a arraché à la mort, dans un mouvement général d’ascension qui
emprunte aux représentations liturgiques du XVIIe siècle.
Interprétation
Hygiénisme et nationalisme
Ces affiches empruntent à des styles très divers pour diffuser un même message : la
nécessaire protection de l’enfance, au cœur de chacune des représentations. Elles
mobilisent le naturalisme, des allégories et toute une série de codes convenus et
largement réactivés durant la guerre ; ainsi la pieuvre, cette incarnation du mal, le
bonnet phrygien qui doit à sa cocarde tricolore de signifier la patrie plus que la
République. Quant à l’affiche qui accuse la ville insalubre, elle mobilise tous les
poncifs hygiénistes, graphiquement codifiés dès avant la guerre.
Deux de ces affiches sont un appel à la mobilisation, comme l'indique l'usage de
l’impératif. Cette mobilisation participe du combat patriotique. A preuve, le terme de «
croisade », l’air martial de cette infirmière qui peut tout aussi bien signifier l’allié
américain, protégeant sur ce front comme elle le fait sur d’autres la France, figurée par
son bonnet phrygien ; pour une victoire que la troisième affiche, dit assez bien
nationale. (deux affiches de même provenance l’expriment plus nettement encore : «
L’aigle boche sera vaincu, la tuberculose aussi », « L’aigle boche est vaincu, la
tuberculose doit l’être aussi »). Ces affiches donnent à voir les armes à mettre en œuvre
pour l’emporter : un urbanisme redéfini dont le Paris de l’Ouest (où la mortalité
tuberculeuse est sensiblement plus faible) se veut l’expression. Un contrôle social, ici
symbolisé par la rigueur et l’uniforme de cette femme-soldat d’une juste cause, se
donne pour son indispensable auxiliaire.
3. L'ALCOOLISME
La consommation d'alcool a augmenté tout au long du XIX , culminant à la Belle
Epoque. Très présent dans toute l'imagerie du XIX , l'alcoolisme social s'est peu à peu
insinué dans les habitudes populaires comme dans les milieux bourgeois ( il existe un
alcoolisme mondain). Cependant, au même titre que la syphilis ou la tuberculose,
l'alcoolisme est un fléau social. Ce n'est pourtant que dans la deuxième moitié du XIX
que les milieux médicaux , puis politiques et sociaux ont pris conscience des ravages
liés à l'abus de consommations alcoolisées.
Regard sur l'alcoolisme
Edgar DEGAS - Dans un Café. (1876)
Musée d'Orsay
Contexte
L'œuvre fut probablement montrée lors de la deuxième exposition impressionniste sous
le titre Dans un café.
A partir de 1876, une partie des impressionnistes délaissent le café Guerbois, trop
bruyant, pour se réunir à la Nouvelle Athènes, place Pigalle. C'est dans ce cadre que
Degas peint L'Absinthe, pour laquelle il fait poser deux amis, l'actrice Ellen Andrée et
le graveur Marcellin Desboutin.
Cette peinture de mœurs de la vie parisienne évoque le problème de l'alcoolisme,
illustré par d’autres artistes et écrivains, notamment Zola.
Analyse
L'œuvre représente un homme et une femme sur la banquette d'un café, l'air morne, les
vêtements usés, le regard triste. Elle, les épaules tombantes, le regard absent, a le visage
pâle dû à l'abus d'absinthe. Lui détourne son regard d'elle et a la face ravagée par le vin.
Image probable de la bohème parisienne, ces personnages frappent par la solitude
extrême qu'ils expriment.
Solitude accentuée par la composition qui est d'une grande audace : les personnages
sont placés sur une oblique montante, selon une perspective fuyante, isolés du
spectateur par une série de tables se coupant à angle droit. Cette composition est
marquée par le japonisme alors en vogue, du fait de l'arrivée massive d'estampes
japonaises en Europe. Degas s'en inspire dans sa construction de l'espace pour
accentuer l'étude psychologique des personnages ainsi que l'impression d'instantané
donnant au spectateur le sentiment de voler un moment d'intimité aux deux buveurs.
Sur les tables, quelques objets épars dont un verre d'absinthe, liqueur à 72 °, à base
d'absinthe, plante neurotoxique et aromatisée avec de la menthe et de l'anis. Cet alcool
apparu au XVIIIe siècle est d'abord consommé dans les milieux ouvriers avant de
gagner l'ensemble de la population sous le Second Empire. Il fut interdit en 1915, à
cause de l'accoutumance et des crises d'épilepsie qu'il provoquait chez les grands
consommateurs.
Interprétation
Exposée pour la première fois à Londres en 1876, l'œuvre de Degas provoque un grand
scandale auprès du public victorien. Pourtant ce thème du café n'a rien de novateur : il
remonte à la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Ce qui choque à l'époque, c'est le
traitement même du sujet, son réalisme outré et son caractère trivial. Degas analyse la
scène sans aucune complaisance avec un regard pénétrant, lucide et critique sur les
mœurs de son temps. Ce qui rapproche L'Absinthe du naturalisme de Zola, qui devait
également influencer Manet et Toulouse-Lautrec.
4. LES GUERRES
Les guerres du XIX ème ont été particulièrement meurtrières et ont été une cause de
mortalité importante. A travers l'étude de deux oeuvres picturales nous nous pencherons
sur les champs de batailles des guerres napoléoniennes qui s'étirèrent dans le temps (de
1792 à1815) et firent plusieurs millions de morts et sur la guerre de 1870 qui fut plus
courte mais aussi meurtrière dans ses combats.
La bataille d'Eylau
Antoine-Jean GROS - Napoléon sur le champ de bataille d'Eylau, 9 Février 1807. (1808)
Musée du Louvre
Contexte
Après la création de la Confédération du Rhin (12 juillet 1806) qui réunit seize princes
allemands sous la présidence de Murat, grand-duc de Berg, archichancelier de
l’Empire, et la dissolution du Saint Empire romain germanique, l’Empereur se trouva
confronté à un ultimatum de la Prusse (1er octobre) et à une quatrième coalition des
puissances étrangères qui réunit l’Angleterre, la Prusse, la Russie et la Suède. La «
marche vers l’Est », jalonnée de victoires – batailles d’Iéna et d'Auerstaedt (14
octobre), prise de Berlin (25 octobre), armistice franco-prussien (9 novembre), prise de
Varsovie (28 décembre), bataille d’Eylau (8 février 1807), armistice franco-suédois (18
avril), capitulation de Dantzig (26 mai), bataille de Friedland (14 juin), armistice
franco-russe (21 juin) – s’achève par la paix de Tilsit (7 juillet).
Analyse
Le sujet du tableau avait fait l’objet, malgré la réticence des artistes pour ce genre
d’exercice, d’un concours lancé en mars-avril 1807 par Dominique Vivant Denon,
directeur du musée du Louvre, sur l’ordre de l’Empereur. Denon rédigea pour les
concurrents une notice détaillée accompagnée d’un croquis numéroté qui précisait le
point d’observation, les éléments du paysage, la position des armées, la place, les
attitudes et les costumes des différents personnages. Ce programme iconographique, en
vérité trop riche pour tenir en un seul tableau, éclaire parfaitement les intentions qui
présidaient à cette commande officielle. Il s’agissait de représenter « le lendemain
d’Eylau, et le moment où l’Empereur visitant le champ de bataille vient porter
indistinctement [cet adverbe doit être souligné] des secours et des consolations aux
honorables victimes des combats ». La notice de Denon, si elle évoque bien un « vaste
champ de carnage », escamote en fait complètement les lourdes pertes françaises
(notamment celles d’Augereau) et ne désigne explicitement que les corps ensanglantés
des Russes. Il convenait en revanche de mettre en valeur la magnanimité et la
compassion de l’Empereur, représenté entouré de ses généraux, s’inquiétant des soins
médicaux apportés aux blessés – ce qui ne constituait pas réellement pour lui une
priorité –, et suscitant ainsi la gratitude et le dévouement des soldats, même vaincus.
Interprétation
Le projet de Gros qui respectait dans ses grandes lignes le programme de Denon, fut
choisi parmi les vingt-six esquisses remises le 15 mai 1807 au musée Napoléon. La
beauté du paysage enneigé à l’arrière-plan, le réalisme sans concession avec lequel sont
traitées les victimes du premier plan, identifiables pour la plupart avec des soldats
russes, la noblesse de l’attitude du jeune hussard lituanien jurant fidélité à l’Empereur
(figure prévue dans le programme de Denon), la majestueuse bonté dont est empreinte
la figure de Napoléon, sont autant de traits qui distinguent cet exceptionnel morceau de
propagande, conçu dès l’origine comme un pendant aux Pestiférés de Jaffa dont il
reprend la thématique de la compassion souveraine.
1870-1871 ; armée de l’Est
Alphonse CHIGOT - 1870-1871 ; armée de l’Est. (1888)
Musée d'Orsay
Contexte
En novembre 1870, Gambetta et son entourage décidèrent de mener une diversion
offensive dans l’est de la France, afin de menacer les communications des Allemands
sur leurs arrières et de tenter de desserrer l’étau qui bloquait Paris. L’action visait la
place forte de Belfort, encore tenue par le colonel Denfert. On y envoya la portion de
l’armée de la Loire refoulée sur Bourges qui, jointe aux troupes lyonnaises, prit le nom
d’armée de l’Est et réunissait 120 000 hommes sous le commandement du général
Bourbaki (1816-1897). Mais l’opération qui devait être rapide et secrète fut éventée par
un article du Moniteur. Elle échoua définitivement lors de la bataille d’Héricourt, du 15
au 17 janvier 1871, et coûta la vie à plusieurs milliers de soldats. Encerclées par
l’armée allemande de l’Est que dirigeait Manteuffel (1809-1885), les troupes de
Bourbaki perdirent encore 15 000 hommes dans une série de combats autour de
Pontarlier, alors que l’armistice était déjà signé. Les 92 000 survivants se réfugièrent en
ordre dispersé en Suisse, par le passage des Verrières, et ils furent désarmés le 1er
février.
Analyse
Sur cette immense toile, d’une composition synthétique et d’une gamme de couleurs
limitée, où la terre recouverte de neige occupe la majeure partie de la surface,
dissimulant tout repère topographique, Chigot isole deux personnages qui se
soutiennent mutuellement. Un commentaire d’Eugène Montrosier publié dans le Salon
de 1888 (Paris, L. Baschet, 1888, p. 82-83) évoque le contenu de ce tableau et sa
réception : « Dès qu’on touche au genre militaire, on est bien près de tomber dans la
sentimentalité. C’est ce que n’a pu éviter M. Chigot rappelant un souvenir de l’Armée
de l’Est, de douloureuse mémoire et qui, après des exploits glorieux, se vit amenée à se
réfugier en Suisse. La scène est lugubre. Dans une plaine couverte de neige, le soleil se
couche sinistrement jaune, à droite. Un dominicain décoré soutient la marche d’un
turco [tirailleur algérien] blessé, et porte le fusil du soldat, prêt à en faire usage pour
sauver l’enfant noir de Mahomet. »
Interprétation
Dès la fin de la guerre de 1870 et en réaction contre la Commune, de nombreux textes,
souvent accompagnés d’estampes, ont été publiés, illustrant les actes d’héroïsme,
individuels ou collectifs, des différents corps d’armée. Ces symboles de la résistance à
la défaite de Sedan du 1er septembre 1870, réunissaient un consensus national et
alimentaient le souvenir de l’amputation de l’Alsace et de la Lorraine. Dès le Salon de
1872, les artistes s’unirent à ce mouvement de célébration qui perdura jusqu’à la fin du
siècle. Des peintres comme Alphonse de Neuville (1835-1885) ou Edouard Detaille
(1848-1912) contribuèrent activement à ce souvenir, avec d’immenses toiles d’un
réalisme appliqué telles que le Panorama de la bataille de Champigny dont la gravure
diffusa largement le message. Image pacifiste, le tableau de Chigot ajoute à la
dénonciation de la guerre, l’idée renouvelée d’une concorde humaine et religieuse.
Image pacifiste, le tableau de Chigot ajoute à la dénonciation de la guerre l’idée
renouvelée d’une concorde humaine et religieuse, anticipant "l’Union sacrée" de 1914.
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La soupe du matin.
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La Part des pauvres.
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L'impératrice Eugénie visitant les cholériques à Amiens.
D. R.
Un grand fléau la tuberculose.
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contemporaine
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Dans un Café.
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Napoléon sur le champ de bataille d'Eylau, 9 Février 1807.
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1870-1871 ; armée de l’Est.
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