cheminée une magnifique coupe d’argent aux armes de la famille, l’idée lui vint de faire de
ses soixante-douze soldats un seul lingot de plomb, afin, sans doute, de peser
philosophiquement et d’un seul coup, dans sa main, la cendre de six douzaines de héros.
C’était, comme on le comprend bien, une trop grande idée pour qu’elle ne reçût pas son
exécution. L’apprenti chimiste connaissait la différence de fusibilité des deux métaux ; il ne
douta donc pas un instant de la réussite de son expérience, et, plaçant la coupe sur un feu
ardent, il y porta ses soixante-douze soldats, depuis le tambour jusqu’au général.
Tout alla d’abord au gré de ses désirs ; les soldats fondirent sans distinction d’armes, sans
aristocratie de grades ; et l’expérimentateur s’apprêtait déjà à tirer du feu, à l’aide des
pincettes, le précieux récipient, lorsqu’il s’aperçut, avec un étonnement profond, que le plomb
filtrait à travers l’argent. En quelques secondes, l’armée fut dans les cendres jusqu’à sa
dernière goutte, laissant la coupe trouée comme un crible.
Il y avait dans cet événement inattendu deux choses graves : la première, c’était la dévastation
d’un objet précieux ; la seconde, c’était un problème à résoudre.
Je me hâte de dire que mon ami ne se préoccupa de la dévastation de l’objet précieux qu’en
tant qu’elle se rattachait au problème.
Ce problème était grave pour un enfant de douze ans.
« Comment ce métal, moins fusible qu’un autre métal, n’avait-il pu contenir ce métal en
fusion ? »
Mon ami y pensa trois jours et trois nuits ; enfin, il arriva tout seul à cette solution : que le
plomb, en s’oxydant à l’air, avait tout naturellement percé la coupe, qui contenait cinq pour
cent d’alliage.
Mon ami fut si content et si fier d’avoir trouvé cette solution, qu’il pensa que ce n’était pas
avoir payé trop cher une pareille expérience de la perte d’une coupe de trois ou quatre-cents
francs.
D’ailleurs la coupe n’était pas tout à fait perdue ; elle valait encore son poids.
Ce pas fait sans lisière dans la science des Dumas (ne pas confondre avec l’auteur de cet
article) et des Thénard (ne pas confondre avec l’artiste de l’Opéra-Comique), donna la plus
grande envie à mon ami de marcher tout seul ; d’ailleurs la mère de mon ami, femme d’un
esprit tout à fait supérieur, aimait mieux voir son fils s’amuser à cela qu’à jouer aux billes ou
au cerf-volant. À partir de ce jour, le jeune chimiste eut donc un laboratoire, avec fourneaux,
creusets, cornues, ballons, alambics et autres ingrédients, de toutes formes et de toute espèce,
dans lequel il passa tout le temps des récréations qu’il ne donnait pas à la musique.
Car la musique allait aussi son train ; le contrepoint et la fugue balançaient presque la
décomposition et la volatilisation, de sorte que les prophètes de famille les plus hardis
n’osaient encore dire si mon ami serait un Rossini ou un Gay-Lussac.
On atteignit ainsi l’année 1824 déjà relatée plus haut, l’enfant était devenu jeune homme,
l’écolier devint étudiant ; il suivit successivement et avec cette sérieuse habitude du travail
qu’il avait prise, ses cours d’anatomie et de physiologie, de chimie et de physique, passa ses
examens de bachelier ès-lettres et de bachelier ès-sciences, fut reçu docteur en droit et en
médecine. »
Il convient d’intercaler dans le récit du grand Alexandre une sorte de « mi-début » musical
vécu par le comte de Ruolz dès 1830, année qui vit la création d’Attendre et courir, opéra-
comique en un acte composé en collaboration avec Halévy, sur un livret de Fulgence et Henri,
donné le 27 (ou 28 ?) mai au théâtre du même nom (alors basé à la Salle Ventadour). La
Revue encyclopédique en donne un jugement négatif en même temps qu’elle nous apprend
l’heureux accueil du public… (« faible et commun sous tous les rapports […] a été représenté
avec succès ») mais le fait qu’on déforme le nom de notre ami en « Druoltz » (!), semble