L`aberration sphérique : multi focalité et profondeur de champ

publicité
Mise au point
L’aberration sphérique : multi­
focalité et profondeur de champ
Implications pratiques en chirurgie de la cataracte
Dr Yannick Nochez et Pr Pierre-Jean Pisella*
Introduction
Les résultats de la chirurgie de la cataracte ne cessent de s’améliorer ces dernières années grâce notamment aux progrès des implants et de la technologie
d’analyse du front d’onde lumineux (aberrométrie). L’analyse d’un front d’onde
lumineux traversant le système visuel est de mieux en mieux comprise et la
chirurgie de la cataracte bénéficie des avancées communes de la contactologie
et de la chirurgie réfractive.
Nous verrons dans un premier temps ce qu’est une aberration optique, et plus
précisément l’une d’entre elles : l’aberration sphérique. Puis, nous analyserons
les conséquences théoriques de cette aberration sphérique sur la qualité de
vision subjective et objective des patients pseudophaques. Enfin, nous présenterons comment utiliser en pratique cette aberration sphérique pour restaurer
qualité de vision, profondeur de champ et multifocalité.
Les aberrations
optiques : une réalité
à ne pas ignorer
lysées et décomposées en unités
élémentaires : les polynômes de
Zernike (Fig. 1).
* Service d’Ophtalmologie, CHU Bretonneau, Faculté de Médecine François Rabelais, Tours
Les aberrations optiques géométriques de l’œil humain sont réparties :
• pour 90 % d’entre elles en
aberrations dites de bas ordre
(d’ordre 2) : Z2-0 ou défocus correspondant à l’anomalie de défocalisation (en avant de la rétine :
myopie ou en arrière de la rétine :
hypermétropie), et Z2-2 ou astigmatisme correspondant à la correction cylindrique.
• pour 10 % d’entre elles, en aberrations de haut ordre (3e, 4e et au-delà).
Les plus influentes sur la qualité de
vision sont la coma ou Z3-1, le tréfoil
ou Z3-3 (toutes deux, aberrations
asymétriques) et enfin l’aberration
sphérique ou Z4-0 (Fig. 2).
Les différents milieux traversés
par la lumière avant d’atteindre
les photorécepteurs sont inhomogènes, imparfaits et mobiles.
Un système optique dit “parfait”
est caractérisé par la convergence
des rayons lumineux en un seul
et même point. Les différents milieux optiques (cornée et cristallin
surtout) déforment le front d’onde
lumineux. L’image d’un point
lumineux, formée sur la rétine
comporte des distorsions : c’est
la fonction d’étalement du point
ou PSF (Point Spread Function).
Ces déformations, appelées aussi
“aberrations optiques”, sont ana-
Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50
L’analyse de la PSF et la décomposition des aberrations optiques est
essentielle car elle est directement
reliée à la qualité de vision et à la
notion de pouvoir de résolution
(acuité visuelle et sensibilité aux
contrastes) (Fig. 3).
Comprenons dès à présent que les
aberrations optiques d’un système
visuel sont :
• potentiellement changeantes
(avec l’accommodation) ;
• dépendantes du diamètre pupillaire (plus le diaphragme pupillaire augmente, plus la quantité
d’aberrations optiques générées
par l’œil augmente) ;
• et surtout sont nécessaires à l’intégration cérébrale.
Toutes les aberrations optiques
n’ont pas la même conséquence
sur le pouvoir de résolution de
l’œil et ne sont pas toutes péjoratives : elles conditionnent non
seulement le réflexe de l’accommodation par le flou qu’elles peuvent induire mais elles permettent
également de stimuler efficacement les photorécepteurs (1, 2).
L’aberration
sphérique :
description
L’aberration sphérique concerne
tout dioptre (cornée, cristallin,
lentille, ou même objectif d’un
appareil photographique ou téléscope). On parlera d’aberration
15
Mise au point
sphérique positive lorsqu’à travers la surface optique, les rayons
périphériques sont plus réfractés
et sont focalisés en avant de ceux
passant par le centre : la cornée en
est l’exemple parfait (Fig. 4).
L’aberration sphérique dépend de
deux principaux dioptres oculaires
qui se compensent mutuellement :
la cornée et le cristallin. La cornée est dite prolate car elle génère
une aberration sphérique positive
(d’une moyenne de 0,27 µm). Le
cristallin du sujet jeune, génère
une aberration sphérique négative, car son indice de réfraction
diminue du centre vers la périphérie.
La représentation de face et en
3D de l’aberration sphérique est
illustrée sur la figure 5. Les points
passant par le centre de la surface
sphérique sont focalisés distinctement au centre (point rouge central sur l’image en 3D). Les points
passant par la périphérie de la surface sphérique sont défocalisés en
avant (anneau bleu sur l’image en
3D). On comprend aisément que
l’aberration sphérique dégrade
l’image d’un point, en générant notamment des halos concentriques.
Ceci a deux conséquences.
• L’aberration sphérique dégrade la qualité d’une image en
étalant la PSF de ce point et en
diminuant l’énergie lumineuse du
point central. Les contrastes de
l’image en ressortent amoindris
(Fig. 5).
• L’aberration sphérique est
une déformation symétrique
du front d’onde. Elle est responsable d’une défocalisation en
avant des rayons passant par la
périphérie de la surface optique
sphérique. Cette seconde “focale”
peut être perçue par l’œil du sujet : l’aberration sphérique est un
16
Figure 1 - L’ensemble des déformations (image de gauche) est décomposée en défor­
mations élémentaires ou polynômes de Zernike (images de droite).
Figure 2 - Répartition des aberrations optiques géométriques. On décrit l’aberration
de 1er ordre (tilt ou effet prismatique), de 2nd ordre (défocus et astigmatisme), de 3e
ordre (coma et tréfoil) et de 4e ordre (aberration sphérique, astigmatisme secondaire
et tétrafoil).
Figure 3 - Une image parfaite (E) qui traverse un système optique sera déformée par
les aberrations optiques de ce système : l’image obtenue est dégradée en termes de
qualité de vision. La fonction d’étalement d’un point ou PSF caractérise donc la “qua­
lité optique” d’un système visuel.
Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50
L’aberration sphérique : multi­focalité et profondeur de champ
des moyens de générer de la multifocalité. En effet, le point central
n’est nullement myopisé, il assure
une vision de loin parfaite alors
que les anneaux périphériques de
l’aberration sphérique peuvent
être capables d’assurer une profondeur de champ suffisante pour
une vision intermédiaire et une vision de près.
L’aberration sphérique constitue
donc un compromis entre dégradation de la qualité de vision (halos, flou et baisse de la sensibilité
aux contrastes) et confort visuel
en augmentant la profondeur de
champ : une aberration sphérique
nulle donne une focalisation précise mais sans aucune tolérance au
défocus, sans aucune profondeur
de champ.
Figure 4 - Surface optique générant une aberration sphérique positive.
Figure 5 - Représentation spatiale en 3D de l’aberration sphérique. Représentation
spatiale de face de la fonction de dispersion d’un point lumineux. Image dégradée par
L’aberration
sphérique (AS) : son
intérêt en pratique
dans la chirurgie de
la cataracte
Depuis une dizaine d’années, Artal
et al. (3) ont comparé, chez des patients phakes, la valeur de l’AS cornéenne mesurée “directement” à
l’aide d’un cornéotopographe avec
celle calculée par l’équation mathématique (AS totale mesurée
par un aberromètre – AS interne
mesurée par un aberromètre
après immersion de la cornée
dans un bain de sérum physiologique de manière à annuler les
aberrations cornéennes). Il s’agit
d’une approximation inhérente à
la mesure puisque le système de
mesure est en transformées de
Fourier. Cependant, elle est suffisante pour l’exercice clinique et
rendue possible par la conversion
en polynômes de Zernike. On peut
donc considérer en pratique clinique, que l’AS totale est égale
à la somme de l’AS cornéenne
de l’aberration sphérique.
et celle générée par le cristallin ou l’implant. Bien sûr, il s’agit
d’effectuer les mesures à diamètre
pupillaire égal.
cornéenne est nécessaire dès lors
que l’on prétend pouvoir compenser celle-ci avec des implants intraoculaires asphériques.
Par ailleurs, Wang et al. ont démontré que l’AS cornéenne est une
aberration dont la valeur possède
En effet, trois conditions sont
nécessaires à une sélection optimale de l’asphéricité de l’im-
Une mesure de l’aberration sphérique
cornéenne est nécessaire dès lors que l’on
prétend pouvoir compenser celle-ci avec des
implants intraoculaires asphériques.
une distribution statistique gaussienne centrée sur une valeur de
0,27 µm en moyenne (4). Néanmoins, 15,4 % de la population présente une AS cornéenne inférieure
à 0,20 µm alors que 43 % seulement
de la population présente une AS
cornéenne comprise entre 0,20 et
0,30 µm et 40 % au-delà. Ainsi, une
mesure de l’aberration sphérique
Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50
plant lors de la chirurgie de la
cataracte.
• La mesure pré-opératoire de l’AS
cornéenne doit être comparable
à celle mesurée en post-opératoire. Ceci est rendu possible par
l’utilisation de la micro-incision
(< 2,2 mm), modifiant peu la répartition des aberrations optiques
cornéennes centrales (5).
17
Mise au point
• L’analyse mathématique (AS
cornéenne + AS interne = AS totale) doit être possible en pratique
clinique courante (6).
• Enfin, une modification de l’AS
totale doit être utile et pertinente
en termes de qualité subjective et
objective de vision. En effet, à acuité visuelle identique, un œil dont
l’aberration sphérique finale sera
proche de 0 présentera des qualités optiques objectives meilleures
(moindre fonction de dispersion
du point et meilleure sensibilité
aux contrastes) (7).
Figure 6 - Compromis entre sensibilité aux contrastes (courbe bleue) et profondeur de
champ (courbe rouge) en fonction de l’aberration sphérique totale chez des patients
pseudophaques porteurs d’implants asphériques.
Ainsi, en raison d’une AS cornéenne moyenne positive de
0,27 µm, implanter un implant asphérique négatif (visant à compenser 0,18 µm d’AS cornéenne) ou un
implant asphérique neutre (ne générant aucune AS) améliore significativement la qualité de vision et
la sensibilité aux constrastes des
patients pseudophaques par rapport à un implant sphérique (8).
Quelle aberration
sphérique cible viser
en post-opératoire ?
Comme nous l’avons vu précédemment, minimiser l’aberration sphérique totale d’un système visuel
revient à maximiser la qualité objective de vision, mais en diminuant la
profondeur de champ (Fig. 6).
Par ailleurs, l’aberration sphérique est comprise dans un profil
complexe d’autres aberrations optiques. La coma, ou le tréfoil sont
des aberrations optiques capables
également d’augmenter la profondeur de champ subjective des patients pseudophaques (Fig. 7).
En pratique, les besoins visuels sont
différents d’un patient à l’autre. Il
n’existe donc pas une AS cible mais
plusieurs options en fonction de la
multifocalité que l’on veut obtenir.
18
Figure 7 - Profondeur de champ subjective calculée comme l’écart en dioptries au
cours de laquelle l’image est perçue comme acceptable par le patient.
Si la qualité de vision
veut être privilégiée
au détriment
d’une profondeur de champ
Il conviendra de cibler 0 µm d’AS
finale :
• préférable chez les patients avec
large diamètre pupillaire ;
• chez les patients demandeurs
d’une vision mésopique très
bonne ;
• lors de l’utilisation d’implants de
puissance réfractive élevée ;
• en l’absence de rupture capsulaire, de risque de tilt ou décentrement d’implant.
Ainsi, en cas d’AS cornéenne préopératoire comprise entre 0,15 et
0,30 µm, un implant asphérique
négatif sera privilégié. En cas d’AS
cornéenne comprise entre 0 et
0,10 µm, un implant asphérique
neutre sera proposé. Enfin, en cas
d’AS cornéenne négative (kératocone, post-chirurgie réfractive hypermétropique), un implant sphérique sera conseillé.
Si la profondeur de
champ subjective et l’effet
multifocal est recherché
Il conviendra de cibler une AS finale soit faiblement positive (0,10
à 0,15 µm) soit faiblement négative
(-0,10 à -0,15 µm). Des études cliniques sont encore en cours pour
déterminer le meilleur compromis restaurant le maximum d’effet
multifocal sans dégrader la qualité
de vision subjective ou objective.
Une étude récente a été effectuée
dans le service d’ophtalmologie
du CHU de Tours, visant à analyser l’intérêt d’une bascule d’AS
optimisée en fonction de la dominance oculaire afin d’obtenir une
meilleure profondeur de champ
binoculaire. Le groupe “optimisé”
bénéficiait d’un implant asphérique négatif sur l’œil dominant
afin d’obtenir une AS finale proche
de 0 µm alors que l’œil dominé
recevait un implant asphérique
neutre.
Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50
L’aberration sphérique : multi­focalité et profondeur de champ
A acuité visuelle de loin non différente (supérieure à 10/10e) et à
équivalent sphérique identique,
le groupe porteur d’implants asphériques négatifs aux deux yeux
semble présenter une profondeur
de champ binoculaire inférieure
au groupe “optimisé”. La capacité
de lecture de près sans correction
optique du groupe “optimisé”
était supérieure de deux lignes au
groupe témoin porteur d’implants
asphériques négatifs bilatéraux
(Fig. 8).
n
Figure 8 - Courbe de défocus binoculaire présentant l’évolution de l’acuité visuelle
Mots-clés :
Aberration sphérique, Multifocalité,
Profondeur de champ, Implant
chez le groupe témoin (porteur d’implants asphériques négatifs Acrismart 36A®
bilatéraux) et chez le groupe “optimisé” (porteur d’implant asphérique négatif sur l’œil
dominant et d’implant asphérique neutre AcriSmart 46LC® sur l’œil dominé).
Bibliographie
1. Applegate RA, Sarver EJ, Khemsara V. Are all aberrations equal? J Refract
Surg 2002 ; 18 : 556-62.
2. Applegate RA, Ballentine C, Gross H et al. Visual acuity as a function of
Zernike mode and level of root mean square error. Optom Vis Sci 2003 ;
80 : 97-105.
3. Artal P, Guirao A, Berrio E, Williams DR. Compensation of corneal aberrations by the internal optics of the human eye. J Vis 2001 ; 1 : 1-8.
4. Wang L, Dai E, Koch DD, Nathoo A. Optical aberrations of the human
anterior cornea. J Cataract Refract Surg 2003 ; 29 : 1514-21.
5. Nochez Y, Majzoub S, Pisella PJ. Corneal aberrations integrity after microincision cataract surgery: prerequisite condition for prediction of total
ocular aberrations. Br J Ophthalmol 2010 ; 94 : 661-3.
6. Nochez Y, Favard A, Majzoub S, Pisella PJ. Measurement of corneal aberrations for customization of intraocular lens asphericity: impact on quality
of vision after microincision cataract surgery. Br J Ophthalmol 2010 ; 94 :
440-4.
7. Nochez Y, Majzoub S, Pisella PJ. Analyse objective de la qualité de vision
en fonction de l’asphéricité postopératoire d’une chirurgie micro-incisionnelle de la cataracte. J Fr Ophtalmol 2010 ; 33 : 16-22.
8. Montes-Mico R, Ferrer-Blasco T, Cervino A. Analysis of the possible
benefits of aspheric intraocular lenses: review of the literature. J Cataract
Refract Surg 2009 ; 35 : 172-81.
kiosque
Motricité et sensorialité
oculaire : l’examen
Martine SANTALLIER
S - éditions
320 pages - 20 x 26 cm
Date de parution : 25 novembre 2011
Prix public : 79.00 € TTC - Collection : Orthoptie
Sommaire
Partie 1 • Physique du prisme et ses actions oculaires
Rappels de cours de physique appliqués à l’oculomotricité.
Partie 2 • Rappels de physiologie et de pathologie sur la vision
binoculaire
Rappels de cours de physiopathologie de la vision binoculaire.
Partie 3 • Bilan oculomoteur et son intérêt pour l’ophtalmologiste
Détails des étapes du bilan oculomoteur selon les attentes de l’ophtalmologiste.
Partie 4 • Instruments classiques
Description des instruments incontournables et mise en application
par de nombreux cas cliniques.
Partie 5 • Autres instruments
Description des instruments complémentaires et mise en application
par de nombreux cas cliniques.
Pratiques en Ophtalmologie • Janvier 2012 • vol. 6 • numéro 50
19
Téléchargement