Physique quantique
M. Serge haroche, membre de l’Institut
(Académie des sciences), professeur
cours : Le contrôLe des partIcuLes quantIques IsoLées (II).
atomes de ryberg froIds en InteractIon
Le cours de l’année 2012-2013, capitulant les recherches reconnues par le prix
Nobel de physique 2012, avait porté sur l’électrodynamique quantique en cavité et
décrit des expériences de mesure et de manipulation, à l’aide d’atomes de Rydberg,
de photons piégés dans une cavité. Dans ces études, les atomes très excités servent
de sondes et d’outils pour étudier le champ. Le couplage des atomes à la cavité est
exploité pour manipuler le champ qu’elle contient, mais aussi pour intriquer les
atomes qui la traversent successivement. Les ordres de grandeur inhabituels des
atomes de Rydberg (grande taille et grands dipôles électriques induits notamment)
jouent un rôle essentiel dans ces expériences.
Les atomes de Rydberg sont, depuis une dizaine d’années, étudiés dans un autre
contexte pour aliser des expériences de physique fondamentale sur l’interaction
atome-atome ou atome-photons. Il ne s’agit plus de coupler ces atomes à des
cavités, mais d’exploiter directement le très fort couplage de type «van der Waals »
entre atomes de Rydberg pour aliser des expériences fondamentales sur
l’interaction atome-atome ou atome-photons et pour démontrer des opérations
élémentaires d’information quantique (réalisation de portes logiques couplant des
atomes entre eux). Ces expériences utilisent des méthodes laser de contrôle de la
position et de la vitesse atomique (refroidissement et piégeage optique des atomes).
Le cours de cette année, intitulé «Contrôle de particules quantiques isolées II :
atomes de Rydberg froids en interaction »,s’est proposé de décrire ces expériences
sur les «atomes de Rydberg froids »qui constituent un chapitre nouveau et très
prometteur dans la physique de la manipulation des particules quantiques. Comme
les années précédentes, le cours était immédiatement disponible sous forme de
présentation par diapositives sur le site internet du Collège de France et, après
quelques jours, sous forme de document vidéo téléchargeable ou disponible en
«streaming », en version française ou avec un doublage en anglais a.
a. Voir http://www.college-de-france.fr/site/serge-haroche/course-2013-2014.htm [NdÉ].
148 SERGE HAROCHE
Des atomesauxpropriétés exagérées
La première leçon a constitué une introduction à la physique des atomes de
Rydberg, espèces atomiques dans lesquelles un électron est porté dans un état très
excité, ce qui leur confère des propriétés «exagérées », très différentes de celles
d’atomes ordinaires. Ces états se manifestent par l’existence de séries de raies
d’absorption et d’émission dont les longueurs d’onde (et les fréquences) sont
définies par la formule que le physicien suédois Rydberg avait empiriquement
établie à la fin du xixesiècle – d’où le nom donné à ces états. Ils sont caractérisés,
entre autres paramètres, par un nombre quantique principal n, apparaissant dans la
formule de Rydberg et repérant le niveau d’excitation énertique de l’atome. La
taille de ces atomes, mesurant les dimensions de l’orbite de l’électron excité ou
encore l’extension de sa fonction d’onde, augmente comme le cardu nombre
quantique principal et devient de l’ordre de mille à dix mille fois celle d’un atome
dans son état fondamental pour nde l’ordre de 50 à 100, ce quiexplique pour une
bonne part les propriétés exagérées de ces atomes.
La leçon a commencé par un bref exposé historique rappelant que ces états ont
joué un rôle important dans les flexions qui ont mené en 1913 Niels Bohr à établir
son fameux modèle de l’atome, précurseur de la description qu’en donne la physique
quantique moderne. Les atomes de Rydberg sont ensuite apparus en physique dans
les années 1930 avec l’étude du déplacement des raies atomiques des séries de
Rydberg lorsque les atomes sont excités en présence d’atomes de gaz rare (argon,
non ou hélium). Fermiet ses collaborateurs ont étudié ce problème dans les
années 1930, à la fois expérimentalement et théoriquement, et interprété le
déplacement des raies par l’effet des collisions de l’électron excité des atomes de
Rydberg, décrit par sa fonction d’onde de particule quasi libre, sur les atomes de gaz
rare pénétrant dans l’orbite de Rydberg. Fermi a introduit pour la première fois dans
cette étude la notion de longueur de diffusion (scattering length)qui devait jouer par
la suite un rôle important dans la théorie, en physique nucléaire puis en physique
atomique des gaz froids. Les atomes de Rydberg se sont ensuite manifestés dans les
années 1960 en astrophysique, avec leur détection dans le spectre des ondes
millimétriques émises par le gaz interstellaire provenant de la recombinaison d’ions
et d’électrons. L’excitation transitoire d’atomes de Rydberg dont le nombre quantique
principal atteignait plusieurs centaines a été observée. Mais ce n’est que dans les
années 1970 que l’étude expérimentale de ces atomes a pu ellement commencer
au laboratoire, avec l’avènement des lasers accordables en fréquence, indispensables
pour pouvoir les préparer de façon efficace et sélective dans un jet atomique.
La leçon a rappelé le rôle que ces atomes ont alors joué dans l’étude du couplage
des atomes avec le rayonnement, et comment leur interaction très forte avec les
micro-ondes a conduit au développement dans les années 1980, 1990 et 2000 de
l’électrodynamique en cavité, sujet qui a fait l’objet de plusieurs cours des années
antérieures. Ce rappel historique s’est conclu par l’évocation du renouveau de
l’étude des atomes de Rydberg, au début des années 2000, avec les propositions
théoriques d’exploiter leurs très fortes interactions mutuelles, de type dipôle-dipôle,
soit pour aliser des opérations de logique quantique entre atomes considérés
comme qubits, soit pour étudier le comportement quantique d’ensemble d’atomes
partageant une ou plusieurs excitations de Rydberg. Ces propositions ont été vite
suivies d’expériences démontrant les possibilités offertes par ces atomes en
information quantique notamment. La possibilité de manipuler des gaz d’atomes
PHYSIQUE QUANTIQUE 149
ultra-froids, dans lesquels les degs de liberté externes des atomes, position et
vitesse, sont bien contrôlés, a grandement facilité ces expériences qui étaient
impossibles à aliser dans les années antérieures. C’est à la description de ces
expériences que l’essentiel du cours de cette année est consacré.
Après cette introduction historiquenérale, la leçon a rappelé le principe de la
alisation de portes quantiques entre atomes. Pour cela, une interaction contrôe
entre deux atomes peut être alisée, soit par l’intermédiaire de leur couplage avec
des phonons (cas de l’information quantique avec des ions piégés), soit par
l’intermédiaire de leur interaction avec des photons dans une cavité (cas de
l’électrodynamique en cavité). La physique des atomes de Rydberg permet de mettre
en œuvre une autre méthode. Les deux atomes, portant chacun un qubit codé dans
un sous-espace à deux états du niveau fondamental de chaque atome, interagissent
directement et àgrande distance par leur interaction dipôle-dipôle lorsqu’ils sont
excités par un laser dans un état de Rydberg. Cette excitation conduit au phénomène
de blocage Rydberg : une fois qu’un atome est excité, le laser ne peut en exciter un
second dans son voisinage car la fréquence de cette seconde excitation est déplacée
par l’interaction entre atomes d’une quantité supérieure à la largeur de l’excitation
(proportionnelle à l’amplitude du champ laser, ou encore à sa fréquence de Rabi).
C’est le caractère conditionnel de l’excitation d’un atome «cible »en présence d’un
atome «contrôle », suivant que le contrôle est ou non excité, qui permet de mettre en
œuvre le mécanisme d’une porte quantique. La leçon a présenté le principe d’une
telle porte, sans entrer dans les détails de sa alisation. Elle a ensuite montré
comment le blocage Rydberg pouvait être utilisé sur un ensemble d’atomes de
Rydberg pour aliser une intrication collective de ces atomes. Les ordres de grandeur
de ces effets ont été présentés, quiexpliquent pourquoi il est en néral nécessaire de
aliser ces exriences avec des atomes quasi à l’arrêt, fortement refroidis par lasers.
Après cette présentation qualitative nérale des effets qui seront décrits plus en
détail dans les cours suivants, la suite de la première leçon a rappelé de façon plus
approfondie les principales propriétés des atomes de Rydberg isolés, en en donnant
une description semi-classique suivant les modèles de Bohr et de Sommerfeld, puis
une analyse entièrement quantique, en rappelant la forme des fonctions d’onde
électroniques de atomes de Rydberg, d’abord dans le cas de l’hydrogène, puis dans
celui des atomes alcalins, qui sont ceux néralement utilisés dans les expériences.
La symétrie dynamique de l’atome d’hydrogène (correspondant à la conservation
du vecteur de Runge-Lenz) fait que les orbites électroniques semi-classiques sont
fermées et les états quantiques d’une énergie donnée fortement dégénérés. Dans les
atomes alcalins, cette symétrie est brisée, les orbites ouvertes et la dégénérescence
des états de moments angulaires différents correspondant au même nombre
quantique principal est lee. Ces effets sont dus à l’effet perturbatif du cœur
ionique non ponctuel des atomes de Rydberg alcalins et se manifestent surtout pour
les états de faible moment angulaire pour lesquels l’électron excité a une forte
probabilité de pénétrer dans le cœur. Ces effets perturbatifs sont décrits par un
paramètre, le défaut quantique, qui dépend essentiellement du moment angulaire de
l’électron excité, et très peu de son nombre quantique principal. Malgla correction
apportée par le défaut quantique, les propriétés des états de Rydberg des alcalins
sont très voisines de celles des états correspondants de l’hydrogène et un modèle
hydrogénoïde suffit néralement à expliquer qualitativement les propriétés des
atomes de Rydberg, à quelques notables exceptions près qui sont mentionnées dans
les leçons suivantes.
150 SERGE HAROCHE
Des atomestrès sensibles auxchamps extérieurs
La seconde leçon a décrit l’effet de champs extérieurs, dynamiques ou statiques,
sur les atomes portés dans un état de Rydberg. On s’est d’abord intéressé à
l’interaction de ces atomes avec le rayonnement. L’interaction entre l’état
fondamental (ou un état peu excité) avec un état de Rydberg de nombre quantique
nest décrit par un élément de matrice du dipôle électrique entre ces deux états
proportionnel à n-3/2, ce qui indique la décroissance très rapide du couplage avec n
et la nécessité de disposer de lasers très intenses pour assurer un couplage efficace
et une fréquence de Rabi suffisamment grande pour l’excitation des atomes de
Rydberg. La durée de vie radiative des atomes de Rydberg, inversement
proportionnelle au carde l’élément de matrice dipolaire électrique, croît comme
n3et devient de l’ordre de la centaine de microsecondes pour nde l’ordre de 50.
Si les éléments du dipôle entre état fondamental et état très excité sont très petits,
par contre ceux entre états très excités de nombres quantiques principaux voisins
sont énormes, variant comme n2. C’est ce quiexplique l’extrême sensibilité des
atomes de Rydberg aux ondes millimétriques, sonnantes ou quasi sonnantes
avec les transitions entre niveaux de Rydberg adjacents. Cette extrême sensibilité
au rayonnement millimétrique ne s’accompagne pas d’une émission spontanée
importante sur ces transitions. La durée de vie associée à ces transitions varie en
effet comme n5,et devient extrêmement longue, de l’ordre de 30 ms, pour n= 50.
Ce faible taux d’émission spontanée partielle sur les transitions millimétrique
(n2fois plus faible que le taux de transition optique vers les niveaux profonds de
l’atome) est dû au fait que la densité d’états du rayonnement, proportionnelle au
cube de la fréquence, varie comme n–9 et devient extrêmement faible pour des états
de ngrands. Les états de Rydberg circulaires, de moment angulaire maximum égal
à (n-1)h/2π, ne peuvent rayonner que sur les transitions millimétriques entre niveaux
voisins et ont donc, malgun très fort couplage au rayonnement, une durée de vie
radiative très longue. C’est cette combinaison remarquable de propriétés – très fort
couplage aux ondes millimétriques associé à une très longue durée de vie radiative –
qui est exploitée dans les expériences d’électrodynamique en cavité avec des atomes
de Rydberg 1.Toutes ces propriétés radiatives ont été décrites en détail dans la leçon
et justifiées par des calculs très simples dans le cadre du modèle semi-classique de
l’atome de Rydberg.
La leçon s’est poursuivie par un bref rappel sur la superradiance des ensembles
d’atome de Rydberg initialement portés dans un état excité. Cette émission
collective, liée à la mise en phase spontanée des dipôles des atomes contenus dans
un volume proportionnel à Lλ2(où L est la longueur de l’échantillon et λ la longueur
d’onde de l’émission), se produit de préférence sur des transitions micro-onde qui
bénéficient d’un facteur d’amplification collectif proportionnel à λ2(ou encore à
n6), contrebalançant le facteur défavorable à l’émission spontanée aux grandes
longueurs d’onde de ces atomes (n2fois moins probable que l’émission spontanée
optique vers les niveaux profonds 2). Le seuil de superradiance correspond à
quelques dizaines de milliers d’atomes dans l’échantillon pour nde l’ordre de 20
à 30. Ce seuil peut être abaissé à l’unité lorsque les atomes rayonnent dans une
1. Voir cours antérieurs.
2. Voir plus haut.
PHYSIQUE QUANTIQUE 151
cavité de surtension assez grande (on peut dire que l’atome «superradie »avec ses
images dans les parois de la cavité). On est alors dans le gime de Purcell
d’amplification de l’émission spontanée d’un atome isolé. Pour des cavités encore
meilleures, on atteint le gime où le photon émis par l’atome peut être ensuite
absorbé par celui-ci, correspondant au gime d’oscillation de Rabi dans le champ
du vide (régime dit «de couplage fort »de l’électrodynamique en cavité 3).
On s’est intéressé ensuite au couplage des atomes de Rydberg avec un champ
électrique statique (effet Stark). Les sous-niveaux d’une même multiplicité
hydrogénoïde voient leur dégénérescence lee au premier ordre du champ électrique,
formant un éventail d’états dont les énergies varient linéairement avec le champ. La
pente des niveaux est proportionnelle à leur dipôle électrique. Les niveaux de pente
positive correspondent à des atomes attisvers les champs faibles et ceux à pente
négative vers les champs forts (low field seekers et high field seekers). Ces «sous-
niveaux Stark »sont repérés par un nombre quantique «parabolique »et par la
projection mde leur moment angulaire sur la direction du champ électrique (qui reste
un bon nombre quantique). Un état de nombre quantique parabolique donné (état
propre du dipôle électrique) et de mdonné est une combinaison linéaire des états n,
l, m de la base sphérique de même net met de valeurs de lcomprises entre met
n-1. Il subsiste une dégénérescence des états de même nombre paraboliqueet de
valeurs de mdifférentes. Lorsque le champ devient suffisamment grand, les états
Stark issus de multiplicités de ndifférentes se rejoignent. La conservation du vecteur
de Runge Lenz fait que l’hamiltonien Stark ne couple pas, dans l’hydrogène, les
niveaux de pentes et de multiplicités différentes. Ces niveaux se croisent donc dans
l’hydrogène. Il n’en est pas de même pour les atomes alcalins. Les défauts quantiques,
quireflètent la non-conservation du vecteur de Runge-Lenz, ont pour effet de
transformer les croisements de niveaux de l’hydrogène en anticroisements, modifiant
ainsi qualitativement les spectres Stark des alcalins par rapport à ceux de l’hydrogène.
La leçon a analysé ces effets en détail et décrit les fonctions d’onde des différents
niveaux Stark dont la distribution électronique est associée aux valeurs non-nulles
des dipôles électriques des différents états. Des expériences de spectroscopie laser
d’états Stark de l’hydrogène alisées dans les années 1970 et 1980 ont été décrites
ainsi que des expériences plus centes de freinage et de piégeage d’atomes de
Rydberg dans des champs électriques. Ces expériences tirent profit des dipôles
électriques ants de ces états pour manipuler leurs degs de liberexternes (position
et vitesse) dans des distributions de champs électriques convenablement agencées.
La dernière partie de la leçon a étudié le processus d’ionisation des atomes de
Rydberg dans un champ électrique. Si le champ devient assez grand, l’électron
excité est arraché au cœur atomique. La valeur du champ électrique pour laquelle
cette ionisation se produit dépend du niveau, ce qui fait du processus un moyen très
commode de détection sélective des états de Rydberg, largement utilisé dans de très
nombreuses expériences. La compréhension du mécanisme d’ionisation est donc
essentielle. En fait, le mécanisme est assez complexe : il dépend du temps pendant
lequel le champ est appliqué et du caractère, hydrogénoïde ou non, de l’atome de
Rydberg. Classiquement, on peut comprendre l’ionisation comme sultant de
l’abaissement du potentiel coulombien de l’atome par l’addition du potentiel du
champ électrique, variant linéairement avec la position de l’électron excité le long
3. Voir les cours des années précédentes.
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