De la phrase nominale en bamanankan
Mohamed Larabi Diallo,
Maître assistant, FLASH, DER Langues, section allemand, Université de Bamako
Résumé :
Le but de cette contribution est de décrire la phrase nominale en bamanankan de Ségou. C'est
une structure qui remplit la fonction de sujet. Nous tenterons de décrire les éléments qui
peuvent constituer une phrase nominale et la possibilité pour eux de se combiner en phase
nominale. Nous verrons dans cet exposé que le rôle de la phrase nominale peut être assuré par
des mots de diverses natures, qui peuvent être simples ou complexes.
Abstract
The aim of this contribution is to describe the nominal phrase (NP) in bamanankan from
Ségou. The NP is the part of the speech which fulfils the function of the subject.
We will try to describe the elements which can constitute an NP and the possibility for them
to combine themselves into the NP. We will see in this article that the function of NP can be
assumed by words of other categories and that it can be the most simple and most complex.
1. Introduction
Le but de cet article est de décrire la phrase nominale en bamanankan de Ségou. Dans la
description de la syntaxe du bamanankan en néral les phrases simples ont été divisées par
les linguistes en phrases verbales et en phrases non verbales (cf. Bird 1966; Touré 1975;
Creissels 1980, 1981, 1983).
Cette division bipartite est basée sur le fait que Creissels par exemple admet quil y a deux
types de phrases qui se distinguent seulement par le prédicat. Pour le premier type le prédicat
est formé par un mot appartenant à une catégorie particulière qui peut avoir des modifications
morphologiques selon le temps et le mode, donc un verbe, et le morphème (ou sa
contrepartie négative ). Dans le deuxième type nous navons pas un tel prédicat, mais lun
des morphèmes , , , .
Exemples :
(1) à bè nà súkû lá. il vient au marché.
(2) à bè súkû lá. il est au marché.
La phrase (1) serait une phrase verbale, parce que le prédicat est formé par le verbe et le
morphème qui marque les changements morphologiques selon le temps et le mode et qui
serait alors "un prédicatif verbal". La phrase (2) serait une phrase non verbale parce que le
prédicat est formé par une unité indivisible, , mais qui est léquivalent syntaxique du noyau
du prédicat dans la phrase quil appelle verbale, donc de ; serait par conséquent un
"prédicatif non verbal". Il faut signaler que le sens être pour peut voiler le fait quen
bamanankan et táá peuvent à cause de leur comportement syntaxique appartenir à la même
classe.
Nous pensons que nous pouvons dire quil ny a en bamanankan quune catégorie "verbe"
dans laquelle nous trouverons des verbes défectifs qui sont par exemple ce que Creissels
appelle "prédicatifs non verbaux" (cf. Diallo 1989).
2. La structure des phrases simples en bamanankan
Nous dirons quil ny a à notre avis en bamanankan quun seul type de phrases simples que
lon peut schématiser comme suit : NP + VP
la NP est la partie qui assume la fonction syntaxique de sujet et la VP celle du prédicat (cf.
Diallo 1989).
Comme cest la phrase nominale (NP) qui nous intéresse ici, nous nous proposons de la
décrire dans cette contribution.
3. La phrase nominale
La phrase nominale, la NP, a déjà fait lobjet de description chez Touré (1975). Mais sa
description a été faite sans tons, ce qui pose problème quant à lanalyse de sa description dans
la perspective de la variante de Ségou décrite ici.
Nous avons nous-mêmes fait une description mais pas assez détaillée de la NP (Diallo 1989).
Dans ce qui suit, il sagirait pour nous de décrire les éléments pouvant constituer une NP, et la
possibilité pour eux de se combiner entre eux à lintérieur de cette NP.
Aussi pensons-nous pouvoir faire au cours de cet exposé une étude beaucoup plus détaillée
que les précédentes, où nous analyserons aussi des cas, qui jusquici navaient pas été décrits.
3.1. La NP simple
La forme la plus simple de la NP est le nom ou le substantif seul qui peut être un nom propre
ou la forme indéterminée du substantif, cest à dire sans lélément de la détermination ou la
marque du pluriel. Mais elle peut être aussi formée par des éléments dautres catégories
grammaticales, comme nous pourrons le constater dans les exemples qui suivent.
3.1.1. Les noms propres
Les noms propres sont aptes à assumer la fonction de sujet, donc à former la NP. On comptera
aussi parmi les noms propres les noms de ville et de pays.
(3) sékù bí nà. Sékou vient.
(4) Màlî ká bòn. Le Mali est grand.
(5) Gíné yé jàmànà yé. La Guinée est un pays.
Force est de souligner ici que la structure tonale de Màlî nous rappelle celle dun substantif
pourvu de lélément de détermination dont le ton bas, de nature flottant, fait abaisser de son
niveau normal un ton haut suivant et disparaît totalement, sans laisser de trace, devant un ton
bas suivant. En fait, il y a en bamanankan des noms propres de personnes ou de pays qui
présentent cette structure tonale dont le comportement est identique à celui de lélément de
détermination. Nous ne pouvons pas examiner ces cas ici, car cela dépasserait le cadre de
cette étude. Mais ils mériteraient une attention particulière dans les futurs projets.
3.1.2. Le substantif simple
Le substantif simple est celui sans lélément de détermination ou le morphème du pluriel u:
(6) dúnánnà. Un étranger est venu
(7) só tí à bóló. Il na pas de maison.
(8) sòkò má r¨. On na pas trouvé de viande.
Ces exemples nous permettent de remarquer que le substantif simple, cest à dire sans
lélément de détermination ou celui du pluriel, peut bel et bien constituer la NP aussi bien
dans des constructions négatives que dans des constructions positives. Mais la forme
générique du substantif apparaît le plus souvent dans des constructions négatives.
Dumestre (1987) parlant du nominal pense quil est inapte à figurer seul. Il écrit
(1987:170) :
"Il sagit ici dune construction régressive dont le connectif, cas unique, est lui-même un
élément nominal. Cet élément, susceptible de sadjoindre les modalités, est cependant un
nominal dun type très particulier, puisque, à la différence de tous les autres nominaux non-
dépendants, il est inapte à figurer seul :
61. à tá` tùn yé dàfé` yé. AM "Le sien était un cheval blanc."
62. ... à táw` dòn. "... ce sont les siens."
/lui ceux-de m4
63. *tá dòn"
Tous les exemples de Dumestre sont corrects. Si on sen tient seulement à ces exemples ci-
dessus indiqués, et si on reste dans son cadre de description, on serait obligé de partager son
opinion. Mais en regardant un peu dans la variante décrite ici, nous avons des exemples qui
prouvent, à notre avis, le contraire de ce que Dumestre affirme. Voici ces exemples :
(9) tá bí ê fè? Est ce que tu as une propriété ?
(10) tá tí à fè. Il na pas de propriété.
On pourrait dire ceci du nominal : Les exemples (9) et (10) sont des constructions
grammaticalement correctes pour tout locuteur du bamanankan. Le nominal est en
bamanankan bel et bien apte à figurer seul en fonction de sujet, donc apte à constituer à lui
seul une NP. Son aptitude à figurer seul, il faut le dire, est très limitée par rapport aux autres
nominaux non dépendants.
3.1.3. Les pronoms
Les pronoms peuvent être des pronoms personnels ou démonstratifs.
(11) í bí mùn ná. Quest ce que tu entrain de faire ?
(12) à lá. Il est entrain de courir.
(13) ò tí fo yàn. Cela ne se dit pas ici
Il ny a en bamanankan quune série de pronoms personnels qui peuvent apparaître aussi sous
la forme emphatique. Ces formes emphatiques ne seront pas prises ici en compte, car elles
sont de toute évidence des formes composées. Quant aux pronoms démonstratifs, ils sont au
nombre de deux qui sont à distinguer des particules monstratives dont lemploi exige la
détermination du substantif.
3.1.4. La NP = 0
Dans certaines constructions, transitives ou intransitives, la NP peut se réaliser zéro. Un
exemple de ces types de constructions nous est livpar limpératif qui, structurellement, doit
apparaître comme suit:
(14) 01 02 kúmá! Parle!
(15) 01 02 jèkè dún! Mange du poisson!
(14) correspond à la construction intransitive et (15) à la construction transitive. Dans les deux
cas et dans la structure sous-jacente 01 représente la NP et 02 le morphème de conjugaison qui
est obligatoire dans les autres constructions. Mais comme dans le cas de limpératif les deux
éléments se réalisent zéro la structure de surface se représente comme suit :
(14a) kúmá! Parle!
(15a) jèkè dún! Mange du poisson!
On notera que la NP et le morphème de conjugaison apparaissent à la deuxième personne du
pluriel :
(14b) á yé kúmá! Parlez!
(15b) á yé jèkè dún! Mangez du poisson!
3.1.5. Les numéraux
Normalement les numéraux cardinaux entrent dans une construction syntaxique avec un
substantif pour former un syntagme attributif qualifié en fonction de NP. Mais quand le
substantif dont ils sont attributs est connu, on peut le taire et on aura seulement le numéral
cardinal seul en fonction de NP.
(16) sàbà dírá ù mà. On leur a donné trois.
(17) wooro tàrà à fè. Il en a pris six.
Mais contrairement à ces numéraux cardinaux en fonction dattribut, les numéraux désignant
la monnaie peuvent former à eux seul (de 5 à 50F, les autres étant formés par addition, par
conséquent complexes) la NP, car le substantif, doromè unité de monnaie 5F, qui peut se les
adjoindre est le plus souvent absent.
(18) doromè má soro à kùn. On na pas trouvé 5 francs sur lui.
(19) mùkàn tí mùrû ìn soro. 100 francs ne suffisent pas pour avoir ce couteau là.
(20) kèmè tí ù bóló. Je nai pas 500 francs.
3.1.6. Les adverbes
Il sagit des adverbes non composés de temps , sínín, et de lieu yàn, yèn. Ils ne sont pas en
fait des nominaux, mais ils le deviennent par transfert, pour la simple raison quils remplissent
les fonctions syntaxiques propres aux nominaux.
(21) mán dí. Aujourdhui nest pas bon.
(22) nín ká jàn. Demain, cest loin.
En outre et sínín peuvent, dans de rares cas, apparaître dans une construction syntaxique où
ils peuvent sadjoindre tout comme les nominaux ordinaires lélément détermination, ce qui
les rapproche des nominaux. Voici un exemple:
(23) à bï` ní à sínîn joro án ná. On a peur pour son présent et son avenir
3.2. La NP simple élargie
On vient de voir plus haut que le substantif ou des mots dune autre catégorie grammaticale
qui se comportent syntaxiquement comme lui et qui, à notre avis, sont dépourvus de toute
caractéristique de composés ou de dérivés, forment une NP quon peut qualifier de simple.
Nous essayerons ici de décrire les expansions ou selon Dumestre (1994) les périphéries de la
NP simple. La NP simple peut être élargie par:
3.2.1. Lélément de la détermination
Lélément de la détermination est une voyelle de ton haut toujours identique à la voyelle
finale du substantif suivie dun ton bas flottant (Diallo 1989). Mais dans la graphie, il est
réduit ici à une voyelle avec un accent circonflexe.
(24) s bí wòtórô sàmà. La vache tire la charrette.
(25) nono sànnà. Le lait a été acheté.
(26) sòkô má jènì. La viande na pas été grillée.
Le comportement tonal de lélément de détermination est, comme il a été indiqué plus haut,
quil abaisse un ton haut suivant de son niveau normal. En un mot, il provoque chez un ton
haut suivant le phénomène du downstep, pendant quil ne se manifeste pas du tout devant un
ton bas suivant.
3.2.2. Le morphème du pluriel
Le morphème du pluriel est représenté phonologiquement par la voyelle u de ton bas. Aussi
bien les substantifs à la forme indéterminée que déterminée peuvent sadjoindre le morphème
du pluriel. Déjà, on a vu que lélément de la détermination constitue une expansion pour la
NP. Le morphème du pluriel sera représenté ici orthographiquement par lapproximant w.
(27) sàmàw nànà. Des éléphants sont venus.
(28) sàmâw nànà. Les éléphants sont venus.
Ainsi, nous ne partagerons pas, en ce qui concerne la variante décrite ici, lavis de Creissels
qui pense que ladjonction du morphème du pluriel à un substantif suppose la présence de
lélément de détermination chez ce substantif. Il écrit (1978:44):
En effet, on peut admettre avec M. Houis que la suffixation de la marque du pluriel à un nom
présuppose que ce nom soit affecté de la modalité "défini".
Selon nos informations sur la variante de Bamako sur laquelle lassertion a été faite, il semble
être aussi possible de suffixer le morphème du pluriel à un nom dépourvu de la marque du
défini.
Force est de constater que, lorsque le substantif màà homme reçoit le morphème du pluriel,
il se passe un phénomène dassimilation où la séquence aa devient oo. Tel est aussi le cas si le
substantif est déjà pourvu de lélément de détermination. Voici des exemples:
(29) mààw yàn, ... Il y a des gens ici, ...
(30) màâw yàn. Les gens sont ici.
Il est intéressant de remarquer que ladjonction du morphème du pluriel aux noms propres de
personne est toujours accompagnée dune nasalisation qui sétend et sur la voyelle finale du
nom propre et sur le morphème du pluriel lui-même, sans pour autant que nous puissions dire
exactement lorigine de ce pnomène phonologique. Mais, nous pensons quil pourrait sagir
là simplement dune question deuphonie.
(31) ámádúw táárá fòrô lá. Les Amadou sont allés au champs.
(32) háwàw yé mùnbì. Quest ce que les Hawa ont fait aujourdhui ?
En fait, on met un nom propre au pluriel pour désigner par exemple un groupe de personnes
dont on ne veut pas énumérer les membres nom par nom, soit parce quils sont (trop)
nombreux, soit parce quon ne les connait pas tous.
Dans (31) la NP ámádúw peut être paraphrasée par exemple comme suit :
(31a) [ámádú ná: !tér´kè:]
ou
(31b) [ámádú ná: !tér´kè:ù]
ou
(31c) [ámádú ná: te:ù]
ou
(31d) [ámádúù Sã:kà, ànilífu`, àù sèjidù, ...]
On notera aussi que, daprès les enquêtes que nous avons menées, ce phénomène de
nasalisation ne concerne pas seulement les noms propres, mais aussi les noms de villes et de
pays.
3.2.3. Les pronoms
Les pronoms personnels et les pronomsmonstratifs peuvent jouer le le dexpansion dune
NP simple. Ils précèdent les noms.
(33) à sèn má bànà. Il na pas de pied blessé.
(34) ù sèn má kárí. Ils nont pas de pied cassé.
(35) á mùsorolà à lá wà. Est-ce quune de vos femmes sétait trouvée impliquées ?
(36) nìn sèn má bànà. Celui-ci na pas de pied blessé.
(37) ò dén má soro à lá. Un enfant de ce dernier ne se trouvait pas impliqué.
Les exemples ci-dessus nous permettent de faire le constat suivant : Quand un substantif de
ton bas, dune ou plusieurs syllabes, est précédé de tout autre pronom que à, on remarque
quil change de comportement tonal. Sil est monosyllabique, le ton bas de sa voyelle se
réalise haut descendant. Sil a plus dune syllabe, la première voyelle de la première syllabe
devient un ton haut et le reste est sans changement. Quand le substantif est de ton haut, force
est de constater quil ne montre pas de changement tonal.
On remarquera ici que tous les substantifs formant le noyau de la NP sont à la forme
indéterminée, quils désignent des parties du corps humain ou expriment des rapports de
parenté. Ces constructions correspondent, dans le cas des pronoms personnels, bien à la
notion quon appelle "possession inaliénable".
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