La souffrance des accompagnants a-t-elle été
entendue ?
Le patient n'est pas seul à souffrir, mais il
concentre de manière bien légitime sur sa
personne l'entièreté de l'attention de l'équipe
soignante. Il est celui dont l'existence a été
compromise par une pathologie, épicentre de
l'éternel combat de la médecine contre la
maladie. Il souffre, et cela suffit pour justifier
l'affection qu'on lui porte et le temps qu'on lui
consacre. Mais il n'est pas seul à souffrir.
Autour de lui, dans le silence et parfois avec
une anxiété indicible, un conjoint, des parents,
des proches portent une souffrance réelle
inexprimée. La peur de l'inconnu que
représente la maladie se double fréquemment
d'une angoisse face au départ proche qu'on
pressent, et de ses conséquences pour sa
propre existence. Inquiétude de se retrouver
seul, de devoir déménager pour des raisons
matérielles, de ne pas pouvoir assumer ses
besoins financiers, ou simplement de perdre un
confident pour les bons et mauvais jours. Le
souci de venir en aide à son proche malade
amène bon nombre d'accompagnants du
premier cercle à éluder les questions les plus
importantes pour n'aborder que les sujets sans
importance, voire à utiliser la dérision de
manière systématique. Visionnez, si ce n'est
déjà fait, Vita è bella de Bellini où, afin de
protéger son enfant, un libraire italien juif lui
fait croire que le camp de concentration où ils
sont internés est en fait un jeu. Que de familles
n'ont-elles pas, consciemment ou non, adopté
une attitude semblable afin de conjurer leur
angoisse en même temps que celle – supposée
- de leur patient?
La peur rend les animaux agressifs. Pourquoi
en irait-il différemmment chez l'être humain,
surtout si la crainte de l'avenir de
l'accompagnant se conjugue à une souffrance
inavouée, méconnue par l'équipe soignante. De
simples phrases comme « que vous devez
avoir mal », « et vous, comment allez-vous
dans ces jours difficiles? », « puis-je vous
aider de quelque manière? » posées au bon
moment font miracle pour désamorcer des
confrontations qui s 'annoncent orageuses:
elles permettent à l'équipe médicale de
recentrer l'accompagnement sur l'entièreté de
la famille, en leur reconnaissant simplement
une existene qui leur a quelquefois été déniée
jusqu'alors.
Les rôles de chacun sont-ils respectés?
La proximité des accompagnants et du
personnel soignant, pour bénéfique qu'elle soit,
ne solutionne pour autant pas tous les
problèmes. Au contraire, elle peut parfois les
potentialiser si de trop fréquents échanges
d'expériences essentielles, une empathie
professionnelle évoluant insensiblement vers
une réelle affection, la longueur du trajet
commun parcouru au chevet du malade
débouchent sur une confusion des rôles
préjudiciable à la prise correcte de décisions. Il
sera veillé prioritairement à bien distinguer les
décisions de nature médicale, de nursing, voire
éthiques à fort contenu socio-culturel – qui
nécessitent toujours une compétence
professionnelle spécifique – des décisions
impliquant l'organisation familiale ou des
décisions parentales. Indifférencier ces
domaines débouche toujours sur des situations
complexes, anxiogènes et peu propices à la
sérénité des derniers moments. On ne demande
pas au pilote d'un Airbus en difficulté de
consulter les passagers, ni au personnel
navigant de téléphoner en vol aux familles
pour leur demander de bien s'occuper des
gosses après la catastrophe. Respecter les rôles
de chacun simplifie les prises de décision et
responsabilise les uns et les autres. La décision
d'entamer des soins palliatifs repose sur un
ensemble de paramètres objectifs prenant en
compte les souhaits personnels du patient,
mais ne constitue pas une thérapie du stress
émotionnel de familiers amenés à faire
pression pour arrêter une chimiothérapie ou
une radiothérapie jugée inutilement lourde ou
dégradante (« il va perdre ses cheveux », « les
trajets sont si fatigants », « ce n'est plus la
peine de faire tout cela à son âge »). La
décision d'entamer un traitement antalgique
majeur relève d'une démarche clinique
professionnelle et ne gagne rien à être débattue
longuement avec un conjoint dont le seul
argument sera « faites quelque chose, je ne
peux plus le voir souffrir. » Par contre,