Date : MAI 15
Pays : France
Périodicité : Mensuel
OJD : 120716
Page de l'article : p.52-54
Journaliste : Isabelle Hennebelle
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CANCER8 7272283400508
Tous droits réservés à l'éditeur
ENQUETES SANTE
Cancer
L'entreprise s'attaque
enfin au tabou
Tous les ans, la maladie touche 100 000 actifs parmi lesquels beaucoup
continuent à travailler. Du coup, de plus en plus d'employeurs s'efforcent d'adapter
leur politique de ressources humaines à cette réalité. Initiatives à suivre.
L
^ M MATIN DE
MARS 2011,
Anne-Sophie
Tuszynski,
39 ans se
passe du lait
sur Ie corps
et sent une boule au sem
Consultante auprès de diri-
geants, cette workahohc annule
un rendez-vous de travail pour
faire une mammographie Le
verdict est sans appel tumeur
maligne Prise en charge en
urgence a l'institut Gustave-
Roussy a Villejuif, cette maman
de trois jeunes enfants s'arrête
pendant huit mois et subit
12 chimiothérapies, une mas-
tectomie, 35 séances de radio-
therapies de l'hormonothera-
pie puis un an plus tard, une
reconstruction mammaire Au
travail, pas question de cacher
sa situation « J'ai averti mon
boss juste apres avoir annonce
la nouvelle a mon man se sou
vient Anne-Sophie Tuszynski
Pour moi, c'était normal d'être
transparente vis-a vis de mon
employeur » Maîs lorsqu'elle
rencontre d'autres malades dans
8
les salles d'attente d'hôpitaux,
cette quadra réalise que sa fran
cluse est lom d être la norme
Des collaborateurs qui se
sentent seuls et démunis
« Quand ils découvrent leur
maladie, les cadres, en pai ticu-
lier, ont peur de se retrouver au
placard », relevé Céline Lis
Raoux, fondatrice du semestriel
gratuit Rose Magazine Une
crainte qui ne relevé pas seule-
ment du fantasme Si, au moment
du diagnostic, huit personnes
sur dix sont en emploi, deux ans
plus tard, cette proportion
tombe a six sur dix seulement
selon une enquete récente de
l'Institut national du cancer
(Inca) Et ce n'est pas forcement
parce que la maladie les em-
pêche de travailler C'est le syn
« En parler est une décision très
personnelle. J'ai constaté que celles
et ceux qui communiquent sur
leur maladie s'en sortent mieux. »
Valerie Lagon, ex cadre devenue coach
personnes
sur dix travaillaient
au moment du diag-
nostic de leur cancer
contre six sur dix
deux ans plus tard
Sou cè 11 itiri/f wnc nil
du cancer Inca)
drome de la double peine non
seulement le salarie doit subir
les affres de la maladie maîs en
plus il risque de perdre sonjob
« Dans l'entreprise, le cancer
reste tabou même si avec l'ame-
horation des soins, nombre
de collaborateurs reprennent
rapidement le travail voire ne
s'arrêtent pas du tout », selon
Michael Goetz, directeur en
Aquitaine de l'Agence nationale
poui Pamehoi ation des condi-
tions de travail (Anact) Pour-
tant, les salaries se sentent sou-
vent seuls et démunis d'autant
que nombre d entre eux hesi
tent a se confier a la medecine
du travail, aux ressources
humaines et a leur superieur
hiérarchique craignant que cela
ne fragilise leur emploi
Leurs questionnements sont
multiples Faut-il en parler?
« G est une decision tres per-
sonnelle , j ai constate que celles
et ceux qui communiquent
sur leur maladie s'en sortent
mieux », estime Valerie Lugon,
ex cadre dans une grande enti e
prise, atteinte d'un cancer a
43 ans, en 2007 Peut on conti
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ASSUMER. Atteinte d'un cancer, Pascale, directrice artistique, a envoyé à ses collègues des autoportraits racontant avec humour
sa maladie et sa chimiothérapie, tout au long de son arrêt de travail. Guérie, elle a, depuis, retrouvé son emploi.
nuer à travailler pendant les trai-
tements ? « Là encore, c'est du
cas par cas. Pour ma part, j'ai
voulu travailler, mais à la qua-
trième séance de chimio, j'étais
épuisée. Du coup, je me concen-
trais sur l'essentiel. Mon prési-
dent et les actionnaires n'ont
pas apprécié ce manque de sens
"politique" », se souvient Valé-
rie Hinaux, directrice générale
de trois PME dans l'édition.
« L'entreprise a justifié mon
licenciement pour non-atteinte
d'objectifs, et par l'obligation de
me trouver un remplaçant »,
ajoute cette mère de deux
jeunes enfants. « Aujourd'hui,
la plupart des salariés s'arrêtent
le temps du traitement et
reprennent de façon progres-
sive grâce à un temps partiel
thérapeutique ; il est important
de bien accompagner ce retour
89%
C'est le taux de
maintien en emploi
deux ans apres
le diagnostic pour
les métiers d'encadre-
ment pour un cancer
de « bon pronostic »,
et de 74 % pour les
metiers d'exécution.
Pour les cancers
de« mauvais
pronostic », les chif-
fres sont respective-
ment de 48% et 28%.
Source' Inca
au travail », constate Christel
Fabre, médecin du travail.
D'autres malades veulent don-
ner un sens à leur vie profes-
sionnelle. Valérie Hinaux a
fondé Intermède cancer, une
PME spécialisée dans la vente
à domicile de prothèses capil-
laires, mammaires et de linge-
rie post-mastectomie, com-
mercialisée par des femmes qui
ont été touchées par la maladie.
La recherche évolue plus
vite que les mentalités
Pour sa part, Anne-Sophie Tus-
zynski s'est séparée de son
ex-employeur d'un commun
accord. « Depuis, j'ai développé
mon activité de conseil à titre
personnel. J'ai également créé
Cancer@work, qui propose à
des grandes entreprises des
programmes sur trois ans
pour mieux intégrer le cancer
dans leur politique RH. »
Alors que 100 DOO actifs sont
touchés chaque année par le
cancer, la plupart des entre-
prises n'ont pas réellement réflé-
chi à la question de la gestion
de carrière du malade. « La
recherche a évolué plus vite que
les mentalités », constate Muriel
Varenne, directrice de l'Efec,
école de formation de cancéro-
logie du groupe Unicancer, qui
lance une formation, « Accom-
pagner le maintien et le retour
professionnel après un cancer »,
afin de sensibiliser les diri-
geants, managers et DRH.
Si des guides pratiques servent
de référence, comme « Prépa-
rer, anticiper et accompagner
le retour au travail après un can-
cer », coordonné par Monique
Sevellec, psychosociologue à
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INTERVIEW
« Un salarié n'est pas obligé de dire
à son employeur qu'il est malade »
Quel est l'impact du cancer sur
la rémunération des cadres?
* Dominique Thirry. Les cadres
bénéficient d'une prévoyance
minimale obligatoire, d'un main-
tien de salaire ou d'un comple-
ment d'indemnités journalières
(U) en fonction de leur ancien-
neté des accords de branches ou
des conventions collectives Selon
les cas, les U pourront être com-
plétées pour atteindre 50 a 100 %
du salaire brut Souvent, celui-ci
est au-dessus du plafond de la
Securite sociale, qui ne rembourse
que SO % du salaire a concur-
rence de 42,38 euros par jour
Sans la protection du maintien
partiel ou total de leur salaire, cela
DOIvMNK
THIRRY, directrice
de Juris Santé,
association
qui conseille
les malades et
leurs proches.
ne représenterait souvent que
20 ou 40 % de ce qu'ils gagnent
Le temps partiel thérapeutique
est-il systématiquement accor-
dé en cas de demande?
* Conçu pour favoriser la reprise
du travail dans de bonnes condi-
tions, le temps partiel thérapeu-
tique intervient après un arrêt de
travail pour maladie ll est accorde
en général par période de deux a
trois mois, renouvelable, et pour
douze mois au maximum Les
horaires sont modulables ll est
prescrit par le medecin traitant,
maîs peut être refusé par le
médecin-conseil, le service
administratif de la CPAM et
l'employeur Le cas échéant, le
salarié reste en arrêt de travail
ou reprend a temps complet
Lors d'un entretien d'embauché
ou d'évaluation, est-on obligé
de répondre à la question:
êtes-vous en bonne santé?
* Le Code du travail établit qu'au-
cun salarie ne peut être sanc-
tionné, licencie ou faire l'objet
d'une mesure discriminatoire pour
avoir refusé de répondre à une
question sur son état de santé ou
son handicap L'employeur peut
demander un certificat ou un exa-
men afin de savoir si le salarie est
apte ou non au poste de travail,
maîs n'aura accès à aucun autre
détail, en raison du secret médi-
cal ©PROPOS RECUEILLIS PAR LH.
l'institut Curie de Saint-Cloud
(téléchargeable sur Curie fr), le
sujet est absent des réflexions
managériales. « Malgré la bonne
volonté, la prise de conscience
et les actions sont encore limi-
tées. Dans les représentations,
le cancer relève trop souvent
de la seule vie privée », recon-
naît Olivier .lecteur-Monrozier,
responsable diversité et vie
au travail d'Ehor Concessions
autoroutes.
Le «droit à l'oubli» pour
les personnes soignées
Changer l'échelle des actions en
entreprise au niveau national
est une urgence. Dans la société,
les lignes bougent, comme le
montre la récente signature
d'une convention pour le « droit
à l'oubli » afin de pouvoir em-
prunter et accéder à la propriété
sans avoir à mentionner son
ancienne maladie.
Le plan Cancer 3 annonce en
février 2014 par François Hol-
lande comporte un axe « main-
tien et retour dans l'emploi ».
Pilote de l'ensemble des actions,
l'Institut national du cancer s'est
rapproche de l'Anact sur ce
volet « D'ici à la fin de l'été, cinq
ou six régions seront en ordre
de marche afin d'accompagner
des PME et des TPE dans la
prise en compte du cancer dans
leur politique RH », explique
Thierry Breton, directeur géné-
ral de l'Inca.
« L'un des défis les plus impor-
tants est d'arriver à faire fonc-
tionner ensemble entreprises,
directions régionales du travail
et de l'emploi, médecins-inspec-
teurs et médecins du travail »,
ajoute Michael Goetz, à l'ori-
gine d'un programme pionnier
« La prise de conscience et les
actions sont encore limitées. Dans
les représentations, le cancer relève
trop souvent de la vie privée. »
Olivier Jocteur-Monrozier, Elior Concessions autoroutes.
9%
des malades interro-
ges disent que, dans
leur entourage, il leur
est déjà arrive d'être
l'objet d'attitudes de
rejet ou de discrimina-
tion liées directement
a leur maladie
Source « Le» cancers en
France en 2014 », Institut
national liu cancer
de l'Anact en Aquitaine. Un
« club » de grandes entreprises
et d'universitaires sera lancé en
septembre afin d'élargir la mobi-
lisation et d'échanger des bonnes
pratiques. Des assises nationales
pourraient avoir lieu fin 2016.
« Notre démarche vise à ce
que le salarié touche par une
maladie chronique soit le-
clencheur d'une démarche
d'amélioration collective des
conditions de travail », relève
Michael Goetz. Ainsi, dans une
entreprise d'agroalimentaire,
l'employée d'un atelier stérile
devait souvent prendre des ca-
chets avec beaucoup d'eau, et
donc quitter son poste, se chan-
ger, avaler ses comprimés, re-
mettre son uniforme... Une tren-
taine de minutes d'absence qui
créait des conflits avec ses col-
lègues, jaloux de sa « liberté »
Jusqu'au jour où une fontaine
a eau a été installée dans l'ate-
lier Les solutions sont parfois
toutes simples. Encore faut-il les
chercher.
®
ISABELLE HENNEBELLE
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