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Le problème philosophique de la politique selon Eric Weil
Conférence donnée à l’Université Grenoble II, en mars 1994
.:r
)
i
LB
PROBLEMB
PHILOSOPHIQUE
DE
LA
POLITIQUE
SELON
ERIC
WEIL
Le
th~me
du
travail
paratt
susciter,
dans
le
aonde aoderne, deux
grands types de
discours
antagonistes
:
d'un
cOté,il
y a
le
point
de
vue
de tous ceux pour qui
le
travail
est
ce qui
confère
son
sens
à
l'existence
de
l'hoaae
aoderne.
Dans
cette
perspective,
la
question
décisive
est
la
question
de
la
rationalité,
de
l'organisation
rationnelle
du
travail
et
de
la
vie
sociale
qui
serait
à
mêae
de résoudre
de
manière réellement
satisfaisante
tous
les
problèaes que pose
la
vie
en coaaun des hoaaes.
Que
cette
préoccupation
essentielle
de
la
conscience
commune
de
notre
époque
fournisse
un
horizon
ultiae
à
nombre
de
réflexions
contemporaines,
les
propos
courants
des
techniciens,
des
ingénieurs,
des
hommes
poli
tiques,
etc.
.
ou
encore
les
analyses
des
spécialistes
des
sciences
sociales,
au sens
large
du
terae,
sont
pour
l'attester;
pour tous
une
seule
chose importe:
rationaliser
davantage
l'enseable
de
la
vie
éconoaique
et
sociale.
Reaarquons
siapleaent
que
lorsqu'on
en
vient
aux
propositions
concrètes,
cette
unanimité
se
transforae
rapideaent
en cacophonie :
entre
les
conceptions
aarxistes
orthodoxes,
d'un
cOté,
et
de
l'autre,
l'optlaisae
naïf
de tous ceux qui
assurent
que
le
libre
jeu
du
aarché
suffira
à
faire
disparattre
cette
irrationalité
que
sont
les
crises
économiques
et
les
tensions
qui
en
résultent,
on trouve
toute
la
gaaae des
différentes
solutions
intermédiaires,
entre
lesquelles
seable
exister
un
débat
aussi
coaplexe
qu'intera1nable.
Sur
le
versant
opposé, que
rencontre-t-on
?
Tous
les
2
discours
qui
entendent
précisément
réagir
contre
pareil
scientisme,
en
lui
opposant
le
sentiment
d'absurdité
que
fait
nattre
chez
l'individu
la
rationalité
d'une
organisation
exclusivement
centrée
sur
le
travail.
Ce
qui,
pour
les
tenants
du
point
de vue
précédent,
constitue
le
sens
véritable
de
l'existence,
devient
ici
son non-sens
même
:
l'univers
du
travail
moderne
se
caractérise
bien
par
sa
rationalité
; mais
cette
rationalité,
destructrice
de
toutes
les
valeurs
capables
de
conférer
une
signification
à
l'existence,
ne
fait
que
plonger
les
individus
dans
l'abtme
de
l'insensé
;
loin
de
contribuer
au
bonheur de l'homme moderne,
le
progrès
technique
fait
planer
sur
son
existence
une ombre,
l'ombre
la
plus
menaçante
qui
soit
:
celle
de
la
désorientation
totale
et
du
nihilisme.
On
peut
noter
qu'
il
y
a,
aussi,
accord
sur
le
problème
décisif,
et
désaccord
radical
lorsqu'il
s'agit
de
définir
la
nature
de
ce
sens
menacé
par
l'existence
de
la
société
moderne : à cOté de
,.
'
toutes
les
attitudes
traditionnalistes
ou
nostalgiques
d'un
passé
idéalisé,
c'est
ici
que
l'on
trouvera
tous
les
discours
philosophiques
pour
lesquels
l'importance
du
travail
et
de
la
technique
dans
le
monde
moderne
dérive
du
privilège
indu accordé
1
au
ÂDyos
et
à
la
raison
dans
l'histoire
de
la
pensée
occidentale
; une
histoire
qui
sera
interprétée
par
les
uns
comme
le
lieu
du
triomphe des
forces
réactives,
mues
par
le
ressentiment
et
la
volonté
de vengeance,
tandis
que
d'autres
y
verront
la
marque
d'un
oubli
originaire,
celui
de
la
question
de
l'Btre,
ou encore
celui
du
sens
du
politique.
Que
conclure
de
ce
bref
rappel?
Il
semble que,
sur
la
question
du
travail,
le
philosophe
se
trouve
confronté
à
un
choix
3
: ou
se
rallier
au
point
de vue de
la
rationalité
technicienne
~
ou
embotter
le
pas
aux
angoisses
de
l'individu
en
quête
d'un
sens
authentique
de
l'existence
qu'il
sent
menacé
par
cette
même
rationalité.
Pourtant
ce
choix,
et
la
décision
qu'il
paratt
impliquer,
ne
résultent-ils
pas
d'une
mauvaise
position
du
problème ?
Telle
est
la
question
qui
guide
les
analyses
que
la
Philosophie
politique
d'Eric
Weil (1)
consacre
à
la
société
moderne:
ce
dilemme
n'est-il
pas
un
pseudo-dilemme ? Sommes-nous
vraiment
obligés
de
choisir
entre
sens
et
rationalité,
ou,
si
l'on
préfère,
entre
entendement
et
raison
? Notre
monde
est-il
réellement
déchiré
entre
le
travail
et
la
technique
d'un
cOté,
et
de
l'autre
toutes
les
valeurs
sans
lesquelles
la
vie
ne
vaudrait
plus
la
peine
d'être
vécue ?
Ne
s'agit-il
pas
d'une
formulation
abstraite,
qui
oppose
des
termes en
vérité
complémentaires,
dont
l'antagonisme,
certes
présent
et
agissant
dans
la
réalité
concrète
du
monde
mode~
y
est
aussi
essentiellement
dépassé
? A
supposer
en
ejfet
que
le
conflit
qui
paratt
caractériser
cette
réalité
n'y
soit
pas
en
même
temps,
sinon
résolu,
du
moins
toujours
en
voie
de
résolution,
le
philosophe
de
la
politique,
lui
qui
ne
parle
pas
de
la
réalité
du
dehors,
mais
qui
se
tient
en
elle
pour
la
saisir,
parviendrait-il
encore
à comprendre
le
fait
de son
propre
discours?
Et
la
réalité,
quant
à
elle,
pourrait-elle
apparaître
à
ce
même
discours
comme
la
réalité
d'un
monde,
un
et
compréhensible
?
C'est
à
la
lumière
de
cette
question
du
dépassement du
conflit
entre
sens
et
rationalité
tel
qu'il
se
présente
dans
la
!Z~k
Ztk
a "
..
a
!LU
··
4
réalité
du
monde
moderne, que nous voudrions
tenter
d'exposer
les
grandes
lignes
des développements que
la
Philosophie
politique
consacre
à
la
société
moderne.
Dans
un
premier temps, nous
examinerons
la
question
de
savoir
comaent
cette
société
fait
nattre
chez
l'individu
un
sentiment
d'insatisfaction
essentielle.
Puis,
nous nous demanderons pourquoi
le
philosophe
voit
émerger
dans
ce
sentiment
ce
qui
est
à
ses
yeux
le
problème fondamental
du
aonde aoderne ;
enfin,
nous
essaierons
d'indiquer
dans
quelle
direction
la
solution
de
ce problème
est
pensée
par
un
discours
philosophique
qui
n'interroge
pas seulement
le
monde
moderne pour
le
comprendre,
aais
aussi
pour
se
comprendre en
lui.
***
1.
A quoi
tient,
tout
d'abord,
la
modernité de
la
société
moderne ?
On
est
tenté
d'alléguer
le
fait
que
celle-ci
constitue
une comaunauté de
travail.
Sans
être
fausse,
la
réponse
est
cependant
insuffisante;
car
une
telle
communauté
se
rencontre
à
toute
époque,
et
en
tout
groupe humain, y coœprif
les
plus
..
1
archalques.
En
réalité,
plus
qu'au
travail~ême,
la
modernité
de
notre
société
tient
à
la
forme de
celui-ci
: dans
le
monde
moderne,
le
travail
a
cessé
d'être
une
lutte
statique
et
défensive,
fondée
sur
une
conception
de
la
nature
que
l'on
pourrait
qualifier
de
magico-religieuse.
Il
est
devenu une
lutte
active
et
transforaatrice,
un
lutte
agressive
dirigée
contre
une
nature
qui
n'est
plus
un
ordre
sensé
et
harmonieux avec
lequel
il
s'agit
de
s'accorder,
mais une
violence
qu'il
faut
combattre
et
dominer.
A
cela
s'ajoute
un
fait
décisif
la
société
ne
se
contente
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