Ann. Soc. entomol. Fr. (n.s.), 2004, 40 (2) : 000-000. ARTICLE Contribution à la connaissance des Odonates de Guyane française. Les larves de Macrothemis pumila Karsch, 1889 et de Brechmorhoga praedatrix Calvert, 1909. Notes biologiques et conséquences taxonomiques (Anisoptera : Libellulidae) Günther FLECK Zoologisches Forschungsinstitut und Museum Alexander Koenig, Adenauerallee 160, D-53113 Bonn Laboratoire d’Entomologie du Muséum National d’Histoire Naturelle, 45, rue Buffon, F-75005 Paris Résumé – Les larves de Macrothemis pumila Karsch, 1889 et de Brechmorhoga praedatrix Calvert, 1909 sont décrites et illustrées pour la première fois. La larve de M. pumila est très différente des autres larves connues du genre et nombre de ses caractères échappent à la diagnose générique telle qu’énoncée par Ramirez & Novelo-Gutiérrez (1999). Son statut au sein du genre est discuté. La larve de B. praedatrix se distingue des autres larves connues du genre, entre autres par des épines dorsales très prononcées et aiguës sur les segments abdominaux 2 à 9. Elle semble inféodée à une plante des sauts, Mourera fluviatilis Aublet, 1775. Abstract – Contribution to the knowledge of the Odonata of French Guyana. The larvae of Macrothemis pumila Karsch, 1889 and Brechmorhoga praedatrix Calvert, 1909. Biological notes and taxonomic consequences. (Anisoptera: Libellulidae). – The larvae of Macrothemis pumila Karsch, 1889 and Brechmorhoga praedatrix Calvert, 1909 are described and illustrated for the first time. The larva of M. pumila greatly differs from any other known larvae of the genus, with numerous characters not listed in the diagnosis of Ramirez & Novelo-Gutiérrez (1999). Its position within the genus is discussed. The larva of B. praedatrix is easily recognised from other known larvae of the genus through its prominently developed and acute dorsal hooks on abdominal segments 2 to 9. Its seems to be dependent on a waterplant of fast running water, Mourera fluviatilis Aublet, 1775. L es larves d’Odonates sont généralement très mal connues, pourtant elles peuvent s’avérer d’un grand intérêt dans des domaines aussi différents que la taxonomie, la phylogénie ou l’écologie. Aussi, ce travail fait partie d’une série de notes consacrées principalement aux larves d’Odonates de Guyane française (voir Fleck, 2002, sous presse a,b). Au cours d’une mission sur le fleuve Sinnamary en novembre 2001, aux niveaux des sites de Petit Saut et du saut Takari Tenté, j’ai pu récolter et élever un certain nombre de larves d’Odonates. Parmi elles, les larves de Macrothemis pumila Karsch, 1889 et de Brechmorhoga praedatrix Calvert, 1909, remarquables dans leur genre respectif. * Corresponding author. E-mail. Accepté le 30/04/2004. Macrothemis pumila Karsch, 1889 (fig. 1-9) Matériel – 2 larves de dernier stade conservées dans de l’éthanol à 95°, 1 exuvie de dernier stade (élevage, 1 ?). Zone marécageuse (2 spécimens) et mare attenante (1 spécimen) non loin du barrage de Petit Saut. 22 et 25 novembre 2001, Fleck réc. Description du dernier stade larvaire – Larve d’aspect gracile (fig. 1), brune sans marques sombres nettes sur le côté dorsal, de petite taille avec une tête proportionnellement très grosse ; corps dépourvu de grandes soies mais recouvert de petites soies épineuses, chacune implantée sur une tache sombre, donnant ainsi un aspect granuleux au tégument. Tête. Énorme relativement à la taille de l’insecte, transverse, deux fois plus large que longue et nettement plus large que l’abdomen ; quelques courtes soies faiblement spatulées sur les marges latérales et la partie ventrale de l’occiput ; antennes relativement courtes, troisième antennomère de taille comparable aux trois derniers antennomères (fig. 2) ; partie fonctionnelle des yeux excessivement bien développée latéralement, débordant large- 177 G. FLECK Figure 1 Macrothemis pumila. – habitus de la larve de dernier stade (soies non représentées). ment des marges occipitales mais aussi très prononcée antérieurement ; en vue de face, partie fonctionnelle des yeux grossièrement ogivale, de forme tout à fait comparable à ce qui existe chez les Leucorrhinia Brittinger, 1850 ; partie fonctionnelle des yeux parcourue de lignes sombres verticales dans la partie la plus intérieure, se transformant en ponctuations sombres dans la partie la plus latérale ; occiput moyennement développé, avec des marges latérales convergentes dans le sens antéro-postérieur, la marge postérieure longue très légèrement concave (fig. 1) ; masque très étroit et très allongé (fig. 3), l’articulation submentum-mentum atteignant juste le niveau des metacoxae ; face dorsale du mentum avec deux séries de 6 soies (« mental setae ») ; marges latérales du mentum bordées de nombreuses et courtes soies, marge distale très fortement projetée antérieurement (rapport longueur/largeur à la base : entre 0,39 et 0,41), avec d’abondantes soies tronquées dans la partie la plus apicale, souvent avec une alternance de petites et de grandes soies (fig. 4) ; palpes avec 5 soies palpales et quelques très fortes soies peu effilées sur la moitié basale de la marge externe, marge distale des palpi formée de 9 dents, les échancrures étant très peu marquées, chacune de ces dents portant (dans la partie la plus supérieure) de 2 à 4 soies tronquées (setae raptores) (fig. 5 et 6). Figures 2-9 Macrothemis pumila – 2, antenne droite. – 3, masque en vue ventrale ; a, exuvie (légère déformation) ; b, larve de dernier stade ne montrant aucune régression des muscles du labium. – 4, mentum en vue dorsale. – 5, palpe labial gauche en vue interne. – 6, palpe labial gauche en vue de face. – 7, propleuron droit en vue dorsale. – 8, abdomen en vue latérale gauche. – 9, derniers segments abdominaux montrant les épines latérales et la pyramide anale ; a, exuvie ; b, larve de dernier stade (à noter les épines latérales moins incurvées et les cerci plus grands) 178 Les larves de Macrothemis et de Brechmorhoga Thorax. Prothorax sans tache en forme de V inversé, tout au plus quelques taches sombres dans la partie la plus antérieure ; bouclier du prothorax quadrangulaire ; propleuron dépourvu de grandes soies, mais présence de soies courtes et robustes sur les marges antérieure et inférieure du proepisternum (fig. 7) ; pattes presque glabres, avec seulement quelques soies relativement longues et fines sur les fémurs et tibias ; pattes jaunâtres avec des dessins plus sombres peu marqués : profémur avec deux anneaux dans la partie distale et quelques taches brunâtres dans la partie proximale, méso- et métafémur avec les mêmes dessins mais la bande la plus distale encore moins marquée ; pattes relativement grandes, la patte postérieure étant aussi longue que le corps hors pattes et l’extrémité de son fémur au même niveau que l’extrémité postérieure du segment 8 ; griffes longues et fines ; ptérothèques très longues, les postérieures dépassant la marge antérieure du segment 8 ; ptérothèques aux marges costales parallèles. Abdomen. Petit, de forme ogivale en section transverse ; face ventrale sombre ; une petite protubérance dorsale parfois très peu visible sur le segment 2 ; épines dorsales bien développées sur les segments 3 à 9, celle du segment 7 la plus forte, bien dressées des segments 4 à 7 (fig. 8) ; épines latérales moyennement développées sur les segments 8 et 9, de taille sensiblement égale et légèrement incurvées vers l’intérieur (fig. 1 et 9) ; pyramide anale assez courte, paraproctes et épiprocte de taille comparable ; cerci relativement grands, leur longueur atteignant 75 à 85 % de celle de l’épiprocte (fig. 9). Mensurations. Longueur totale hors pattes, hors antennes, pyramide incluse : 10 mm (exuvie), 9 mm (larves en éthanol) ; largeur maximale de la tête : 3,6 mm (larves en éthanol) ; largeur maximale de l’abdomen : 3,2 mm (larves en éthanol) ; longueur de l’abdomen, pyramide anale incluse : 5,6 mm (exuvie), 5 mm (larves en éthanol) ; longueur de la patte postérieure : 9 mm ; longueur du métafémur : 3,3 mm. Brechmorhoga praedatrix Calvert, 1909 (Fig. 10-17) Matériel – 10 larves de dernier stade (F-0) + 2 larves d’avant dernier stade (F-1) conservées dans de l’éthanol à 95°, 5 + 2 exuvies de dernier stade (élevage, 2 ??). Saut Takari Tenté (fleuve Sinnamary), 26 novembre 2001, Fleck réc. 6 F-0 + 1 F-1 conservées dans de l’éthanol à 95°, 2 exuvies de dernier stade. Saut Emérillon (fleuve Grand Inini), novembre 1997, Fleck réc. Description du dernier stade larvaire – Larve d’aspect massif et épineux (fig. 10), brun clair à brun sombre aux motifs colorés variables côté dorsal, par contre presque uniformément blanchâtre côté ventral ; corps recouvert de petites soies épineuses, chacune implantée sur une tache sombre, donnant ainsi un aspect granuleux au tégument, mais aussi présence de soies longues et fines sur certaines zones. Tête. Trapézoïdale, transverse, plus de deux fois plus large que longue ; quelques courtes soies émoussées sur les marges latérales et la partie ventrale de l’occiput ; antennes courtes, troisième antennomère de taille nettement supérieure aux trois derniers antennomères (plus du double pour le dernier) (fig. 11) ; partie fonctionnelle des yeux bien développée latéralement, débordant des marges occipitales, et parcourue de lignes sombres verti- Figure 10 Brechmorhoga praedatrix. – habitus de la larve de dernier stade (soies non représentées). cales mieux définies ventralement ; occiput moyennement développé, aux marges latérales fortement convergentes dans le sens antéro-postérieur ; forte protubérance à chaque angle postérieur de l’occiput, variable d’un individu à l’autre ; marge postérieure de l’occiput très légèrement concave à rectiligne suivant l’importance des deux protubérances (fig. 10) ; masque très large et très court (fig. 12), l’articulation submentum-mentum atteignant juste le niveau des mesocoxae ; mentum un peu plus large que long, sa face dorsale avec deux séries de 9 ou 10 soies («mental setae ») organisées généralement comme suit : un groupe externe de deux longues soies bien séparé d’un groupe interne constitué de quatre longues soies externes et de quatre courtes soies internes; marges latérales du mentum bordées de soies filiformes dans la partie la plus basale et de courtes soies épineuses dans la partie la plus distale ; marge distale du mentum très fortement projetée antérieurement, avec des soies spatulées de longueurs hétérogènes, plus abondantes dans la partie la plus apicale (fig. 13) ; palpes avec 7 soies palpales et quelques très fortes soies plus ou moins émoussées sur la moitié basale de la marge externe, marge distale des palpes formée de 7 ou 8 dents, les échancrures étant très peu marquées dans la partie supérieure, presque indiscernables dans la partie inférieure, chacune de ces dents portant de 3 (dans la partie la plus supérieure) à 6 (dans la zone médiane) soies fortement spatulées (setae raptores) ; crochets articulés relativement courts et forts (fig. 13 et 14). Thorax. Prothorax très large ; marge postérieure du bouclier en arc de cercle ; propleuron avec de grandes soies filiformes principalement concentrées sur l’episternum et de robustes soies épineuses principalement concentrées sur l’epimeron (fig. 15) ; 179 G. FLECK pattes avec des soies courtes et épineuses sur les carènes des fémurs et des tibias, et avec des soies relativement longues et fines au niveau des coxae sur la partie basale des fémurs (côté dorsal) et sur la partie distale des tibias (côté dorsal), ces longues soies étant rares sur la première paire de pattes, abondantes sur les pattes médianes et pouvant occuper toute la longueur des fémurs sur les pattes postérieures ; motifs de couleur variables sur les fémurs, tibias annelés de deux bandes sombres, quelquefois peu nettes sur les métatibias ; généralement les deux premiers articles tarsaux sombres ou avec une bande sombre distale et le dernier article tarsal avec une tache sombre subapicale ; griffes très fortes et très courbées ; pattes courtes et robustes, la patte postérieure atteignant l’extrémité de l’abdomen ; ptérothèques divergentes, les postérieures atteignant le milieu du segment 6 ou du segment 7 pour les larves en alcool, la marge antérieure du segment 6 pour les exuvies. Abdomen. Très large, long, aux marges latérales plus ou moins parallèles, relativement déprimé et de forme ogivale à arrondie en section transverse ; quelques longues soies sur les marges latérales des segments 7 à 9 ; face ventrale très claire, avec deux traits perpendiculaires à l’axe du corps au milieu du sternite, de part et d’autre de l’axe sagittal, toujours présents au moins sur les segments 6 et 7 et pouvant aller des segments 3 à 8 ; chez les individus les plus mélanisés, pleurites du neuvième segment et marges latérales du dixième segment brunâtres ; épines dorsales très bien développées sur les segments 2 à 9, d’abord dressées puis de plus en plus couchées vers les derniers segments (fig. 16) ; épines latérales assez longues et effilées sur les segments 8 et 9, presque toujours divergentes à légèrement divergentes, très rarement parallèles, subégales, celles du segment 9 légèrement plus grandes et dépassant la marge postérieure du segment 10 (fig. 10, 16 et 17) ; pyramide anale bien développée, paraproctes et épiprocte de taille comparable, très longs et très effilés, cerci relativement courts, mais très effilés, leur longueur atteignant 30 à 40 % de celle de l’épiprocte (fig. 10 et 16) ; ensemble des épines dorsales des segments 6 à 9, des épines latérales, des pointes des cerci, épiprocte et paraproctes présentant la même coloration : marron à la base, blanchâtre au milieu et brunrougeâtre et très sclérifié à l’extrémité renforçant ainsi l’impression d’acuité. Mensurations. Larves du saut Takari Tenté : longueur totale hors pattes, hors antennes, pyramide incluse : 17,5-18,5 mm (exuvies), 16,5-18 mm (larves en éthanol ; un individu à 15 mm, majoritairement 17 mm) ; largeur maximale de la tête : 5,2-5,5 mm (larves en éthanol) ; largeur maximale de l’abdomen : 6-6,5 mm (larves en éthanol) ; longueur de l’abdomen, pyramide anale incluse : 11,3-11,8 mm (exuvies), 10-11,8 mm (larves en éthanol ; un individu à 9,2 mm, majoritairement Figures 11-17 Brechmorhoga praedatrix. – 11 antenne droite. – 12, masque en vue ventrale. – 13, mentum et palpes labiaux en vue dorsale. – 14, palpe labial droit en vue interne. – 15, propleuron gauche en vue dorsale. – 16, abdomen en vue latérale gauche. – 17, épines latérales des segments abdominaux 8 et 9 en vue ventrale. 180 Les larves de Macrothemis et de Brechmorhoga 11 mm) ; longueur de la patte postérieure : 12,5-13,5 mm ; longueur du métafémur : 4-4,4 mm. Larves du saut Emérillon : longueur totale hors pattes, hors antennes, pyramide incluse : 16-17,2 mm (larves en éthanol) ; largeur maximale de la tête : 5,2-5,4 mm (larves en éthanol) ; largeur maximale de l’abdomen : 6-6,3 mm (larves en éthanol) ; longueur de l’abdomen, pyramide anale incluse : 10-11,1 mm (larves en éthanol) ; longueur de la patte postérieure : 12-13 mm ; longueur du métafémur : 4-4,3 mm. Considérations écologiques Les larves de M. pumila ont été récoltées dans deux biotopes attenants à un ruisseau : une mare de quelques mètres de diamètre et, proche de celle-ci, une zone marécageuse. Comme je n’ai pas trouvé de larve de cette espèce dans le ruisseau malgré une prospection intense, il semblerait que M. pumila affectionne les eaux stagnantes. Malheureusement le trop faible échantillon ne permet pas de conclure si l’espèce dénigre réellement les milieux lotiques. Larves et exuvies de B. praedatrix ont été récoltées sur deux sauts, l’un sur le fleuve Sinnamary, l’autre sur le fleuve Grand Inini. Sur ce dernier fleuve, sur deux autres sauts de moindre importance, j’ai également pu observer quelques exuvies et une larve de stade avancé lors de l’expédition retour vers Saül, expédition laissant malheureusement très peu de place à la récolte et à l’observation. Toutes les larves et les exuvies ont été observées au niveau de zones d’eaux rapides et tumultueuses, zones où se développe l’herbe à koumarou (Mourera fluviatilis Aublet, 1775, Podostemaceae). Les larves ont été systématiquement trouvées en présence de cette plante, la majorité des exuvies ont été récoltées ou vues sur les rochers mêmes où croît M. fluviatilis, seules quelques exuvies ont été observées peu de mètres en aval, sur de gros blocs granitiques dont M. fluviatilis semble absente (peut-être certaines larves matures ontelles été balayées par la force du courant). En deux jours passés au saut Takari Tenté (Sinnamary) et surtout en huit semaines passées sur le saut Emerillon (Grand Inini), les larves de B. praedatrix ont toujours été rencontrées sous les ‘feuilles’ de M. fluviatilis et jamais ailleurs, malgré une prospection assidue de différents biotopes. Les feuilles thalloïdes de M. fluviatilis, la plupart du temps immergées sous de forts courants, sont assez coriaces et peuvent avoir des dimensions assez importantes. Les plus grandes sont gaufrées et créent des loges entre leur face inférieure et le substrat. Plaquées sur les rochers, éventuellement en se chevauchant, elles doivent apporter une certaine protection aux invertébrés vivant sous leur face inférieure. Ainsi, les larves de B. praedatrix se trouvent non seulement protégées de prédateurs comme les poissons ou les oiseaux, mais aussi des trop forts courants d’eau qui pourraient les blesser par les divers débris charriés, ou les arracher à leur support et les emporter vers d’autres lieux moins favorables. En outre, le grand nombre de larves d’Ephemeroptera, de Trichoptera et dans une moindre mesure d’Odonata et de Megaloptera vivant aussi sous ces « feuilles », constitue sans nul doute une source de nourriture abondante pour B. praedatrix. Le développement de B. praedatrix est très vraisemblablement lié à celui de M. fluviatilis, la période de vol de la libellule correspondant à la période de floraison de la plante. Cela se passe en fin de saison sèche, lorsque le niveau des eaux est très bas, l’herbe à koumarou est alors émergée et meurt assez rapidement par dessiccation. Le macrobenthos inféodé à M. fluviatilis se trouve alors progressivement privé d’humidité et de protection avec la baisse des eaux et la disparition de la plante. M. fluviatilis entre comme composant essentiel de certains cosmétiques et fait l’objet d’une pratique commerciale de plus en plus marquée. L’arrachage abusif des plants, peu avant leur émersion, pourrait avoir des conséquences néfastes sur B. praedatrix et plus généralement sur la faune des sauts. Considérations taxonomiques La larve de Brechmorhoga praedatrix diffère assez nettement des autres larves du genre (voir Santos, 1969 mais surtout les excellents travaux de De Marmels, 1982 et de Novelo-Gutiérrez, 1995a, 1995b) par : (1) une épine dorsale du segment 9 remarquablement bien développée, très effilée, surplombant tout le segment 10 et une partie de la pyramide anale ; (2) les épines dorsales des segments 2 à 9 très bien développées et très effilées ; (3) les épines latérales du segment 9 très longues, dépassant la marge postérieure du segment 10 ; (4) une pyramide anale très longue, plus grande que la longueur des deux derniers segments abdominaux réunis ; (5) les grandes soies spatulées sur les palpi et sur la marge distale du mentum. Remarque – Santos & Costa (1999) décrivent la larve de B. travassosi Santos, 1946 et tentent de la comparer avec toutes les autres larves connues du genre. Ils ne tiennent aucun compte du travail de Novelo-Gutiérrez (1995a) où est décrite la larve de B. Pertinax (Hagen, 1861) et surtout de Novelo-Gutiérrez (1995b) qui présente une synthèse concernant les larves connues, avec la description de la larve de B. praecox (Hagen, 1861). Dans le travail de Santos & Costa (1999), la description est laconique et les dessins trop schématiques 181 G. FLECK (approximatifs ?). Par exemple, les derniers segments abdominaux et la pyramide anale semblent plus trapus sur la figure 1, plus effilés sur la figure 5 ; la marge postérieure du segment 9 apparaît très différente entre ces deux figures ; les épines latérales du segment 9 apparaissent courtes sur les figures 1 et 5, mais remarquablement longues, dépassant la marge postérieure du segment 10 sur la figure 6 ; les figures 1 et 5 ainsi que le texte indiquent un épiprocte plus long que les paraproctes, en désaccord avec la figure 6 qui montre une vue de profil de l’abdomen (erreur de perspective ?) ; sur la figure 2, la partie la plus proximale du mentum au niveau de l’articulation avec le submentum est étrangement représentée. À retenir toutefois que la larve de B. travassosi possède des épines dorsales effilées tout comme B. praedatrix. Elle s’en différencie par : (1) une épine dorsale sur le segment 9 beaucoup plus courte ; (2) des épines latérales sur les segments 8 et 9 également nettement plus courtes (la figure 6 de Santos & Costa (1999) est probablement fausse puisqu’en contradiction avec le texte et les figures 1 et 5) ; (3) une pyramide anale de longueur inférieure à la longueur des segments 9 et 10 réunis ; (4) des ptérothèques aux marges costales parallèles. Il semblerait que la larve de B. travassosi se distingue nettement des autres larves du genre par l’absence de soies sur la marge distale du mentum (voir fig. 2, Santos & Costa, loc. cit.), mais surtout par l’unique et très remarquable forme de la tête. En effet Santos & Costa (loc. cit.) la décrivent comme « globoid », et leur figure 1 montre nettement une tête presque aussi large que longue (deux fois plus large que longue chez toutes les autres espèces connues), un occiput très faible (prépondérant chez les autres larves) et des yeux non saillants latéralement, aussi longs que larges (nettement saillants et plus larges que longs chez les autres larves). La larve de Macrothemis pumila diffère largement des autres larves du genre (voir Santos, 1970, Limongi, 1989 et les remarquables travaux de Novelo-Gutiérrez & Ramirez, 1998 et de Ramirez & Novelo-Gutiérrez, 1999) par : (1) son aspect général beaucoup plus gracile (partie postérieure de l’abdomen plus fuselée, pattes plus longues et fines) ; (2) la largeur maximale du corps au niveau de la tête et non de l’abdomen ; (3) les fourreaux alaires très longs, les postérieurs dépassant la marge antérieure du segment 8 ; (4) le masque apparemment plus long et plus étroit, l’articulation submentum-mentum atteignant le niveau des metacoxae ; (5) les dents des palpi et marge distale du mentum (ligula) pourvues de soies tronquées ; (6) la marge distale du mentum très fortement projetée antérieurement; (7) le mentum avec des palpes à la crénelure très peu marquée; (8) les épines latérales des segments 8 et 9 fortement incurvées vers l’intérieur ; (9) le tégu- 182 ment d’aspect granuleux corrélé à l’absence presque complète de soies filiformes ; (10) pas de V sombre sur le prothorax ; (11) le proepimeron complètement dépourvu de longues soies filiformes et portant au contraire de courtes soies épineuses ; (12) en vue latérale, le segment 10 et la pyramide anale non cachés par les épines latérales du segment 9 ; (13) les marges latérales de l’occiput non longuement convergentes corrélées à une marge occipitale postérieure assez longue. Les caractères (9) à (12), et dans une moindre mesure les caractères (6) et (13), ne correspondent pas à la diagnose du genre comme il est défini par Ramirez & Novelo-Gutiérrez (1999). Le caractère (7) échappe à la diagnose du genre comme il est défini par Needham et al. (2000). Pire, ces caractères correspondent à la diagnose de la larve du genre frère Brechmorhoga, comme elle est définie par Novelo-Gutiérrez & Ramirez (1998) et Ramirez & Novelo-Gutiérrez (1999). Toutefois, la larve de Macrothemis pumila diffère nettement des larves du genre Brechmorhoga par les autres caractères du genre Macrothemis qu’elle possède (voir Ramirez & NoveloGutiérrez, 1999), ainsi que par les caractères (1) à (5) et (8). Il semblerait aussi que les larves de Macrothemis se distinguent de la plupart des larves de Brechmorhoga par des ptérothèques aux marges costales parallèles. Malheureusement trop peu d’informations concernant ce caractère sont accessibles dans la littérature. En fin de compte, la larve de M. pumila possède des caractères appartenant au genre Macrothemis, d’autres au genre Brechmorhoga, mais aussi des caractères qui lui sont propres, la distinguant nettement des deux genres. Au vu de cette originalité de caractères de M. pumila, trois possibilités sont offertes : – Soit Macrothemis pumila est toujours considérée comme appartenant au genre Macrothemis. Dans ce cas, l’espèce apparaît en ‘limite’ du genre. Il conviendrait alors peut-être de modifier la diagnose larvaire du genre Macrothemis et par conséquent aussi celle du genre Brechmorhoga pour y intégrer parfaitement l’espèce. À défaut, il faudrait au moins signaler l’originalité de M. pumila pour les caractères (6), (7) et (9) à (12), ce qui représente pas moins de la moitié des caractères de la définition larvaire actuelle du genre. – Soit Macrothemis pumila est considérée comme appartenant à un nouveau genre. Ceci est parfaitement envisageable, car en prenant en considération les caractères adultes et surtout les caractères larvaires, M. pumila apparaît comme la plus atypique des espèces du genre. Ne se basant que sur l’adulte, Ris (1913) la tenait déjà comme une espèce assez remarquable, notamment par les nombreuses denticules du fémur 3, chacune trian- Les larves de Macrothemis et de Brechmorhoga gulaire et inclinée du coté distal (à cet égard, elle diffère aussi du genre Brechmorhoga). Pour cette raison, il crée trois groupes pour le genre Macrothemis, le dernier ne contenant que M. pumila. Ris (loc. cit.) considère M. inequiunguis (Calvert, 1906) (regardée alors comme sous-espèce de M. Tessellata (Burmeister, 1839)) comme également très particulière, l’épine de la griffe tarsale étant plus petite que l’extrémité de la griffe, à la différence des autres Macrothemis. Pour cette raison le premier groupe ne contient que l’espèce M. Tessellata avec ses deux sous-espèces. Donnely (1984) pense également qu’une épine de la griffe hypertrophiée est un très bon critère générique, mais que M. inequiunguis est une espèce exceptionnelle. Cependant, Ramirez & Novelo-Gutiérrez (1999) décrivent la larve de cette espèce et notent qu’elle ne diffère pas sensiblement des autres larves du genre (à noter tout de même un corps recouvert de petites soies écailleuses, une marge distale du mentum bien développée antérieurement et surtout une épine dorsale bien visible sur le segment abdominal 2). Donnely (1984) décrit l’adulte de Macrothemis aurimaculata. Il considère cette espèce proche de M. inequiunguis et la juge tout aussi exceptionnelle par l’absence de dent hypertrophiée sur la griffe tarsale. Ramirez & Novelo-Gutiérrez (loc. cit.) décrivent la larve de M. aurimaculata. Ils la considèrent comme la plus dissemblable du genre, et même plus proche du genre Brechmorhoga que de Macrothemis en raison de : (a) son allure générale ; (b) l’absence de longues soies recouvrant le corps ; (c) une tête peu rétrécie postérieurement ; (d) une marge occipitale presque droite ; (e) une marge distale du mentum (ligula) très développée antérieurement ; (f ) un abdomen presque deux fois plus long que large ; (g) le segment abdominal 2 avec une épine dorsale bien développée ; (h) les segments abdominaux 6 à 9 avec des épines dorsales peu développées. Il convient de discuter certains de ces caractères. Le caractère (a) est relativement subjectif, et la larve de Macrothemis aurimaculata diffère nettement dans son allure générale du genre Brechmorhoga par son aspect moins massif, avec une tête moins allongée transversalement et moins rectangulaire, des pattes moins trapues, un abdomen fusiforme aux marges latérales jamais parallèles et une pyramide anale légèrement plus courte. En ce sens, elle est plus proche de l’habitus général des autres larves de Macrothemis, et se rapproche le plus de la larve de M. inequiunguis (Ramirez & Novelo-Gutiérrez, loc. cit., fig. 5) et dans une moindre mesure de celle de M. pseudimitans Calvert, 1895 (Limongi, 1989, fig. 57). Pour le caractère (c), cette larve est “intermédiaire” entre une larve “classique” du genre Macrothemis et une du genre Brechmorhoga. Le caractère (d) semble aussi exister chez M. pseudimitans (Limongi, 1989, fig. 57 et texte : ‘occipucio casi recto’). Le caractère (e) n’est pas aussi prononcé que dans le genre Brechmorhoga, de plus on retrouve ce caractère au moins aussi bien marqué chez M. pseudimitans (Limongi, 1989, fig. 61) et à peine moins marqué chez M. celeno (Sélys, 1857), voire chez M. inequiunguis : dans les figures 3A et 7A (Ramirez & NoveloGutiérrez, loc. cit.) les marges distales semblent presque identiques, et le ratio « longueur/largeur à la base » à partir des très bons dessins de Novelo-Gutiérrez sont respectivement de 0,28 (au lieu de 0,32 dans le texte) et de 0,26 (au lieu de 0,25) (mais cela est peut être dû à une légère inclinaison du masque lors du dessin). Il semble que pour le caractère (f ), le rapport « longueur / largeur » de M. aurimaculata, très proche de 1,6 (mesuré à partir du dessin de Ramirez & Novelo-Gutiérrez, loc. cit.) ne soit pas très différent de ceux de M. inacuta (sensiblement égal à 1,6), M. pseudimitans (sensiblement égal à 1,6), M. celeno (sensiblement égal à 1,6), ou même M. inequiunguis (sensiblement égal à 1,5) [valeurs respectivement tirées des figures de : NoveloGutiérrez & Ramirez (1998), Limongi (1989), Needham et al. (2000), Ramirez & Novelo-Gutiérrez (1999)]. Le caractère (h) perd beaucoup de sa valeur car au moins une espèce du genre Brechmorhoga possède des épines dorsales très bien marquées sur les segments abdominaux 6 à 9 (voir fig. 16). La larve de M. aurimaculata apparaît donc comme moins atypique et pas aussi éloignée du genre Macrothemis que ce que le supposaient Ramirez & Novelo-Gutiérrez (loc. cit.). Seul le remarquable caractère (g) est non équivoque, les autres caractères étant partagés avec d’autres Macrothemis, ou ambigus. Le caractère (b) mais aussi le caractère (h) sont également intéressants car ils semblent être très peu fréquents dans le genre Macrothemis. La larve de M. pumila apparaît donc comme la plus dissemblable du genre Macrothemis (mais aussi radicalement différente du genre Brechmorhoga). Viennent ensuite les intéressantes larves de M. aurimaculata puis de M. inequiunguis, cette dernière faisant un lien entre M. aurimaculata et les autres larves connues du genre (groupe tessellata non monophylétique ?). La connaissance des larves d’espèces particulières comme M. ultima Gonzalez-Soriano, 1992, M. absimile Costa, 1991 ou M. tessellata pourrait contribuer à mieux cerner le genre. La présence d’une dent hypertrophiée sur la griffe tarsale de l’adulte n’est pas unique au genre Macrothemis. On retrouve ce caractère dans le genre Scapanea Kirby, 1889, un genre très proche de Brechmorhoga et Macrothemis, de plus il est absent de certaines espèces de Macrothemis (groupe tessellata ?). Ce seul caractère ne devrait donc pas être un obstacle à la création d’un nouveau genre. 183 G. FLECK – Soit Brechmorhoga est considéré comme un synonyme de Macrothemis. La larve de Macrothemis inequiunguis, et surtout celles de M. aurimaculata et de M. pumila, présentent beaucoup de caractères en commun avec le genre Brechmorhoga. D’autre part Brechmorhoga praedatrix possède des épines dorsales très bien développées sur les segments abdominaux 6 à 9, caractéristique normalement du genre Macrothemis. Il serait alors tentant de voir là un grade et de considérer un seul genre polymorphe. Mais il serait alors dommage de réunir au sein d’un même genre des espèces aussi différentes que Macrothemis inacuta et Brechmorhoga praecox, par exemple. En effet leur dissemblance est telle qu’il est tout naturel d’admettre (et de créer) entre ces deux espèces une différence générique. Enfin, un champ postdiscoïdal élargi ou non à l’aile antérieure, une Mspl présente ou absente à l’aile antérieure, des cerci larvaires inférieurs ou supérieurs à la moitié des paraproctes, ou encore un abdomen larvaire aux marges latérales longuement parallèles ou non semblent être des caractères fiables pour séparer les deux genres. Pour se prononcer sur une des solutions à apporter à ce problème, il est préférable d’attendre la connaisRÉFÉRENCES DE MARMELS J., 1982 – Cuatro náyades nuevas de la familia Libellulidae (Odonata : Anisoptera). – Boletín de Entomología Venezolana (N. S.), 2 : 94-101. DONNELY T., 1984 – A new species of Macrothemis from Central America with notes on the distinction between Brechmorhoga and Macrothemis (Odonata : Libellulidae). – Florida Entomologist, 67 : 169-174. FLECK G., 2002 – Une larve d’Odonate remarquable de la Guyane française, probablement Lauromacromia dubitalis (Fraser, 1939) (Odonata, Anisoptera, « Corduliidae »). – Bulletin de la Société Entomologique de France, 107 : 223-230. FLECK G. (sous presse a) – Contribution à la connaissance des Odonates de Guyane française. Notes sur les genres Epigomphus Hagen, 1854 et Phyllocycla Calvert, 1948 (Anisoptera, Gomphidae). – Bulletin de la Société Entomologique de France, 107. FLECK G. (sous presse b) – Contribution à la connaissance des Odonates de Guyane française. Les larves des genres Argyrothemis Ris, 1911 et Oligoclada Karsch, 1889 (Insecta, Odonata, Anisoptera, Libellulidae). – Annalen des Naturhistorischen Museums in Wien (Série B). LIMONGI J., 1989 – Estudio morfo-taxónomico de nayádes de algunas especies de Odonata (Insecta) en Venezuela (II). – Memoria Sociedad de Ciencias Naturales La Salle, 49 (131-132) : 405-420. NEEDHAM J., WESTFALL M. & MAY M., 2000 – Dragonflies of North America. Gainesville, USA : Scientific Publishers, 939 p. 184 sances de nouvelles larves, tant du genre Macrothemis dont à peine sept larves sont connues sur les quelques trente-huit espèces répertoriées, que du genre Brechmorhoga dont seulement huit larves sont décrites sur les quinze espèces répertoriées. Remerciements – Bassin du Sinnamary. Cette étude entre dans le cadre du programme « Pluriformation Guyane ». Je suis donc reconnaissant à toutes les personnes qui ont permis la réalisation du projet, et à ce titre, je remercie tout particulièrement le prof. Jean-Marie Betsch (Institut d’Écologie et de Gestion de la Biodiversité, MNHN). Je remercie aussi toute l’équipe du laboratoire HYDRECO du barrage de Petit Saut (Guyane) pour son hospitalité et le Dr Véronique Horeau pour son aide et sa gentillesse, enfin Sébastien Lacau, myrmécologue, pour son aide sur le terrain. Bassin du Grand Inini. Je remercie deux amis, Kami et Olivier, qui m’ont beaucoup appris, et sur qui j’ai toujours pu compter pendant les semaines passées en forêt profonde malgré des conditions quelquefois difficiles ; la Ville Rose – Toulouse – et l’université Paul-Sabatier de Toulouse pour leur aide financière. Enfin, Catherine Brunet, le Dr Kenneth Tennessen et le Dr Bernhard Misof (Museum de Bonn) pour leur aide précieuse et leurs remarques constructives et le Dr Alain Thomas (faculté de Toulouse) pour son aide bibliographique. N OVELO -G UTIÉRREZ R., 1995a – Náyade de Brechmorhoga pertinax (Odonata : Libellulidae). – Anales del Instituto de Biología, Universidad Nacional Autónoma de México, Serie Zoología, 66 (2) : 181-187. NOVELO-GUTIÉRREZ R., 1995b – La náyade de Brechmorhoga praecox (Hagen, 1861), y notas sobre las náyades de B. rapax Calvert, 1898, B. vivax Calvert, 1906 y B. mendax (Hagen, 1861) (Odonata : Libellulidae). – Folia Entomológica Mexicana, 94 : 33-40. 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