Formation
Jardin des sciences
Comment les expériences du jardin des sciences sont-elles
construites?
Avant Nice, je suis passée par les IUFM de Besançon et de Nevers, avec
une parenthèse en Asie. Au Viet-Nam, j’ai découvert de petites libellules
en bambou qui tenaient sur le bout du doigt, ou encore une machine
toute simple à écraser le riz. J’ai tout de suite senti que je pouvais adapter
ces «outils», éminemment ludiques, à l’apprentissage de concepts. Par
exemple, le dernier appareil cité est devenu «l’écrase-biscotte». Les en-
fants fabriquent une machine à levier avec des tiges en bois et des bou-
teilles en plastique. Ils l’actionnent avec de l’eau et découvrent comment
écraser des biscottes sans les toucher. Ils apprennent, grâce à des essais/
erreurs, comment ça marche et comment démonter/remonter la machine.
Après, tout dépend du public. Entre 5 et 11 ans, la démarche peut varier.
Notamment, on ne peut pas anticiper les réponses de la même manière.
Typiquement, un enfant de maternelle aura plus de diffi cultés à extrapo-
ler qu’un élève de CM2. Comme il est beaucoup moins dans la planifi -
cation, il a besoin très vite de «mettre les mains dedans». Plus tard, on
pourra demander aux élèves de dessiner ou d’écrire, de discuter entre
eux avant de mettre les idées à l’épreuve.
Comment se fait le choix des concepts abordés?
Dans le désordre : je regarde le programme, ce qui m’amuse et ce qui
est accessible aux enfants. Pour cela, il me semble incontournable d’aller
dans les classes, de tester des choses sur le terrain. Il est essentiel de
croiser les compétences scientifi ques avec celles, pédagogiques, des
professeurs. Si je veux, en tant que formatrice, être crédible, il faut que
ce que je raconte ait été testé et approuvé. Ensuite, dans le domaine,
beaucoup de choses existent déjà. Il ne faut pas hésiter à s’appuyer
dessus.
Face à l’ampleur de l’offre de culture scientifi que (ouvrages, ac-
cueils associatifs, centres de loisirs, musées spécialisés, Fonda-
tion Main à la Pâte), comment faire son tri?
Je ne sais pas. Chaque enfant a son développement propre. Person-
nellement, avec le jardin des sciences, j’instaure, dans la tradition d’ap-
prentissage de l’école, une routine intellectuelle. Je choisis d’intervenir
très tôt parce que les petits sont de vraies éponges! Donc, plus vite on
commence à intervenir auprès d’eux, plus on régularise les interventions,
mieux c’est. Le jardin des sciences s’inscrit dans une chronologie de
l’apprentissage. Car la maîtrise de la démarche d’investigation facilite
l’apprentissage des sciences tout au long de la formation. Il y est d’ail-
leurs fait référence explicitement dans les programmes offi ciels, à tous
les niveaux.
Dans quel contexte est-il possible d’assister à un jardin des
sciences?
Mon module de formation à l’ESPE de Nice est réservé aux étudiants qui
se destinent au métier de professeurs des écoles. Aujourd’hui, il existe
ainsi deux versions des jardins: une qui se déroule le temps de la Fête
de la Science, dans le parc Valrose de l’Université. Elle mobilise les étu-
diants de Licence parcours «Sciences et Culture». L’autre entre dans le
cadre de la formation continue des enseignants en poste. À son issue, au
mois de mai, se monte un jardin des sciences réalisé par et pour les en-
fants. Par exemple, cette année à Mouans-Sartoux, près de mille élèves
ont visité et animé des ateliers.
Ce principe d’enfant-animateur rappelle les Exposciences, d’origine
québécoise, exportées depuis 1985 en France. Est-il opportun de
faire ce rapprochement?
Il me semble qu’à la différence d’une Exposciences, ici, justement, rien
ne s’expose, tout se découvre. La méthodologie consiste à placer les
enfants face à un problème à résoudre. Dans un premier temps, leur
professeur les guide au moyen de questions/défi s de plus en plus précis,
Par exemple, comment réaliser différents équilibres horizontaux avec du
matériel présenté en classe. S’il s’agit de primaires, les élèves imagine-
ront des dispositifs à construire et les représenteront sur papier. Puis,
ils les compareront les uns aux autres, tenteront de dégager des règles.
Ils testeront alors leurs idées avec du matériel très simple. Pas à pas,
à force d’extrapoler et d’expérimenter des variantes, ils découvriront le
principe du levier (1). En fi n d’année, les enfants sont en mesure de faire
la même chose que ce que l’enseignant a lui-même réalisé en classe. Ils
le réalisent évidemment à leur niveau, mais tout en ayant dépassé leurs
représentations du monde initiales, naïves. Ils se trouvent alors dans la
posture de transmettre cela même à des plus grands.
Quels sont les perspectives de développement du jardin des
sciences?
L’université organisera en juin un jardin des sciences européen qui inté-
grera le travail des étudiants en formation et celui des classes. Il se dé-
roulera à la faculté des sciences de Valrose à Nice. Si cela fonctionne, à
terme, pourquoi ne pas alors imaginer un réseau de jardins des sciences
européen?
Sur un plan plus pragmatique, des études réalisées en Écosse estiment
à une centaine d’heures le temps nécessaire pour aborder la démarche
d’investigation. Il faut en effet dépasser ses propres représentations er-
ronées. Or, en ESPE, je suis loin du compte. Il y aurait donc un déve-
loppement à espérer en ce sens. Enfi n, j’achève cette année une thèse
en didactique des sciences. Ceci m’amène à conduire des interviews
auprès des enfants impliqués dans un jardin des sciences. Je sais que
les bons réfl exes rentrent. Mais l’idéal serait de pouvoir réaliser de véri-
tables études longitudinales, par exemple là où les jardins des sciences
existent depuis 5 ans en primaire. Et pour cela, il faut plus que deux bras
et une tête...
(1) Estelle Blanquet est l’auteur de Sciences à l’école, côté jardin - Le
guide pratique de l’enseignant paru en 2010 chez Somnium. Pour
retrouver l’expérience citée dans l’article : p.173, activité E-13).
Entre sciences de l’éducation et culture
scientifi que, Estelle Blanquet, agrégée de
physique et formatrice ESPE (Écoles Supérieures
du Professorat et de l’Éducation), a eu l’idée de
jardins des sciences. Ces ateliers, destinés aux
enfants de 5 à 11 ans et aux professeurs du
premier degré, ont pour objet l’acquisition de la
démarche d’investigation.