D O S S I E R Accoucher après 40 ans " C. Trastour*, S. Fayad*, A. Bongain* D e nos jours, désirer un enfant après 40 ans est de plus en plus fréquent. En effet, beaucoup de femmes privilégient leur vie professionnelle et reportent le projet de concevoir un enfant à un âge plus avancé, grâce à l’amélioration de la contraception. En outre, les femmes qui souhaitent être enceintes à cet âge sont souvent engagées dans un nouveau couple, après une séparation ou un divorce, qui manifeste le souhait d’avoir un enfant. C’est ainsi que l’âge moyen de la première grossesse s’est considérablement élevé ces dernières années (1). Il est actuellement de 28 ans (contre 24 en 1970). Le nombre d’accouchements entre 40 et 44 ans est passé, à l’hôpital Antoine-Béclère, de 1,25 % à 3,15 % de 1982 à 1988. On individualise deux populations de femmes de plus de 40 ans : les primipares âgées et les grandes multipares. Dans la plupart des publications anglo-saxonnes avant 1990, les grossesses tardives (âge supérieur à 35 ans à l’époque) faisaient courir un risque très élevé à la mère et au fœtus (2). Les études plus récentes sont plus optimistes. Cependant, entreprendre une grossesse après 40 ans peut poser certains problèmes. GÉNÉRALITÉS (1) ! Tout d’abord, la fécondité baisse progressivement dès l’âge de 20 ans, pour devenir quasi nulle après 45 ans. La femme court un plus grand risque d’avoir une pathologie gynécologique qui s’aggrave, comme l’endométriose, des fibromes ou une stérilité tubaire liée à une salpingite ou à des antécédents chirurgicaux. La fertilité du mari diminue aussi significativement avec l’âge. ! De plus, il y a une augmentation du nombre de fausses couches (34 % après 40 ans et 53 % après 45 ans) qui s’explique en partie par des malformations et des anomalies chromosomiques plus fréquentes. * Service de gynécologie obstétrique-reproduction et de médecine fœtale, CHU de Nice, hôpital l’Archet 2, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3. La Lettre du Gynécologue - n° 279 - février 2003 ! La morbidité au cours de la grossesse augmente avec l’âge, notamment les toxémies et les diabètes gestationnels, surtout chez les primipares. Cela entraîne une élévation du taux de retard de croissance et de prématurité. ! Ces grossesses pathologiques ou à risque élevé, ainsi que l’allongement de la durée du travail, font tripler le taux de césariennes (30 % contre 11 % en moyenne nationale). Or la mortalité maternelle est multipliée par cinq par rapport à un accouchement par voie basse. ! Enfin, la mortalité périnatale est 2,5 fois plus élevée (prématurité et hypotrophie plus fréquentes). VOIES D’ACCOUCHEMENT Le taux de césariennes chez la femme de plus de 40 ans est de 30 % (1), voire 43 % (3, 4), contre 11 % pour la moyenne nationale. Ce taux serait plus élevé chez les primipares [58,8 % versus 20,8 % chez les multipares dans l’étude de Chan et Lao (5) étudiant l’influence de la parité chez 205 femmes de plus de 40 ans]. De même, Gilbert (6) retrouve la nulliparité comme un facteur de risque important. Augmentation du nombre de césariennes en dehors du travail Une étude réalisée à Boston en 1998 et portant sur 3 715 patientes (3) retrouve après 40 ans 21,1 % de césariennes programmées, contre 3,6 % avant 25 ans. Cela s’explique par une augmentation : – Des présentations dystociques après 40 ans : 2,7 % avant 25 ans versus 5,9 % après 40 ans (3). Cela pourrait être lié à un taux de prématurité plus important (4) et à une mauvaise contractibilité du myomètre (7), qui augmente le taux de sièges. – Des antécédents de myomectomies : 0,1 % avant 25 ans versus 8,1 % après 40 ans (3). Les fibromes peuvent être euxmêmes à l’origine d’un passé d’infertilité, qui explique une grossesse tardive. – Des macrosomies (3) notamment avec l’incidence élevée des diabètes gestationnels. Près de 7 % des primipares âgées présentent un diabète gestationnel (4), contre moins de 3 % des primipares de 25-29 ans. Les études récentes (5, 6) ne retrouvent pas de d’influence de la parité. En effet, la fonction sécrétrice des cellules pancréa17 D O S S I E R tiques et la sensibilité à l’insuline diminuent avec l’âge (7). En outre, les macrosomies sont plus fréquentes chez les patientes obèses (7) par intolérance au glucose. – Des hémorragies pré-partum et surtout des placentas praevia (3). Gilbert (6) note huit fois plus de placentas praevia chez les nullipares âgées que chez les nullipares de 20-29 ans. Bianco (8) retrouve cette augmentation quelle que soit la parité, alors que Chan (5) compte 5,8 % d’hémorragies chez les multipares versus 17,6 % chez les primipares âgées. – Des prééclampsies quelle que soit la parité, mais plus marquée chez les primipares (2, 3, 6, 8). Chan (5) note 17,6 % d’hypertensions artérielles (HTA) chez les primipares âgées contre 5,2 % chez les multipares. En moyenne, le taux d’HTA double après 40 ans : 8,5 % avant 35 ans et 15,3 % après 40 ans (1). – Des grossesses obtenues après traitement d’infertilité, selon l’étude de Sheiner (9) comportant 115 nullipares de plus de 40 ans. Le risque d’avoir une césarienne après traitement de la stérilité est 3,6 fois plus important que pour une grossesse spontanée, indépendamment des autres facteurs. Il y a 71,4 % de césariennes dans le groupe traité contre 41,3 % pour les grossesses spontanées. De plus, 64 % de ces césariennes n’avaient pas de raison médicale, contre 21 % pour les grossesses spontanées. Cela reflète l’anxiété qui domine dans la prise en charge de ces grossesses “précieuses”. – Des antécédents médicaux après 40 ans (3). Il y a significativement plus d’HTA chronique, d’obésité, de diabète, d’asthme, de pathologies cardiaques et de fibromes (4). Spellacy (10) retient comme facteur de risque l’obésité avec, chez les patientes âgées et pesant moins de 67,5 kg, une moindre augmentation de l’incidence d’hypertension, de macrosomie, de décès périnataux et de scores d’Apgar bas. Tableau I. Taux de césariennes selon l’âge et la parité. Auteurs Nullipares (%) âgées jeunes Multipares (%) âgées jeunes Gilbert (6) Chan (5) Prysack (4) Bianco (8) Ecker (3) 47 58,8 43,7 38,9 43,1 29,6 20,8 17,8 12,4 24,7 8,9 22,5 15,6 27,5 18,3 11,6 Prysak (4), en 1995, a retrouvé 25 % d’extractions instrumentales chez les nullipares de plus de 35 ans ayant accouché par voie basse contre 17 % chez les nullipares de 25-29 ans. Gilbert (6), lui, note un risque augmenté, surtout chez les nullipares (14,2 % versus 6,3 % chez les multipares). ÉTATS DES ENFANTS À LA NAISSANCE Prématurité Le nombre de mises en travail prématuré est plus important chez les primipares âgées, ce qui justifie une surveillance accrue en deuxième partie de grossesse. En ce qui concerne les multipares, les études divergent (2) (tableau II). Tableau II. Taux de prématurité selon l’âge et la parité (2, 4, 5, 6, 8). Auteurs Prysak (1995) Bianco (1996) Gilbert (1999) (étude sur 24 032 femmes) Chan et Lao (1999) Nullipares (%) > 40 ans < 30 ans Multipares (%) > 40 ans < 30 ans 12,5 (> 35 ans) 6,1 6,1 7,2 8,7 9,3 14,1 9,1 13,7 10,3 11,8 10 7,8 9,6 Le taux de césariennes pendant le travail est aussi élevé Il semble que la qualité de l’activité myométriale soit altérée avec l’âge (3), avec peut-être un manque des gap-jonctions intéressées dans le travail (8). Classiquement, la durée du travail (2) est allongée chez les primipares âgées, surtout la première phase (11). Chez les multipares, l’âge ne semble pas modifier la durée du travail. En outre, la proportion de déclenchements du travail augmente avec l’âge : 28 % avant 25 ans contre 50 % après 40 ans (3), avec notamment beaucoup d’indications pour terme dépassé, ce qui augmente le risque de césariennes pour échec de déclenchement. Les déclenchements sont plus fréquents chez les primipares (33 %) que chez les multipares (14 %) selon Chan (5). Les souffrances fœtales aiguës et les arrêts de la dilatation sont aussi plus fréquents à un âge avancé (3, 11). L’utilisation d’ocytociques ne semble pas corrélée à l’âge (3, 11) (tableau I). Belaïsch-Allart (2) et Bianco (8) observent une augmentation des Apgar inférieurs à 7 à la naissance, parallèlement au transfert en USI chez les nullipares âgées. Il semble que les Apgar inférieurs à 7 soient plus fréquents après un déclenchement (3). À noter que les transferts concernent aussi des enfants porteurs de malformations congénitales, qui sont plus fréquentes avec une mère plus âgée (1, 2). Extractions instrumentales Le taux d’extractions instrumentales est aussi augmenté dans toutes les études (2), quelle que soit la parité. Poids de naissance (tableau III) La plupart des études observent des poids moyens identiques quel que soit l’âge de la mère (2), mais avec une proportion 18 Apgar et transfert en soins intensifs Les études divergent à ce sujet. Prysak (4) et Berkowitz (in 2) ne retrouvent pas de différence significative des scores d’Apgar à une et cinq minutes, mais une augmentation des transferts en unités de soins intensifs (USI) dans le groupe des primipares âgées (tableau II). La Lettre du Gynécologue - n° 279 - février 2003 D Tableau III. Caractéristiques des enfants chez 1 944 nullipares selon l’âge (4). Paramètres 25-29 ans (%) > 40 ans (%) 6,4 6,1 4,9 6,7 0,9 10,9 12,5 7,2 10,6 1,5 Petit poids de naissance Prématuré Hypotrophe Transfert en USI Mortalité périnatale USI : unité de soins intensifs. élevée d’enfants de petit poids de naissance (notamment en cas d’HTA, de prématurité) et de macrosomes (liés au diabète gestationnel) pour les femmes de plus de 40 ans. Gilbert (6), sur 24 032 grossesses, retrouve des petits poids chez les nullipares âgées, mais pas de différences dans le groupe des multipares. Chan (5) ne retrouve pas de différences significatives selon la parité. Sheiner (9) note davantage de nouveau-nés de poids inférieur à 2 500 g dans le groupe de primipares âgées traitées pour stérilité (34 % contre 10 % dans le groupe des grossesses spontanées), de même que pour les poids supérieurs à 4 kg (8,6 % dans le groupe traité versus 2,5 % pour les grossesses spontanées). Ces hypotrophies pourraient être expliquées par une mauvaise perfusion placentaire (7) de l’utérus âgé. O S S I E R GROSSESSE APRÈS 50 ANS (2) Des grossesses spontanées peuvent être observées après 50 ans. En 1993, l’Institut national d’études démographiques estimait qu’il y avait 30 naissances, 45 IVG et 25 fausses couches par an chez des femmes de plus de 50 ans. De plus, les grossesses par don d’ovocytes permettent même aux femmes ménopausées d’avoir un enfant, avec tous les problèmes qui en découlent, à la fois médicaux pour la mère et l’enfant, mais aussi éthiques avec, entre autres, un risque d’être orphelin très jeune. Avant d’envisager une grossesse tardive, la femme doit être consciente des risques possibles qu’elle encourt ainsi que son bébé. Cependant, les résultats de nos jours sont loin d’être catastrophiques, et si une femme désire un enfant après 40 ans, avec un suivi attentif, elle peut tout à fait mener à bien son projet. # R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Lansac J. Fertilité et infertilité. Faire des enfants tôt. Éditorial paru dans Mortalité néonatale La majorité des auteurs retrouvent une augmentation des morts in utero et de la mortalité périnatale (2), jusqu’à 2,5 fois plus élevées dans les grossesses tardives, surtout chez les multipares. Les études plus récentes (4, 6, 11) ne retrouvent pas cette augmentation des décès néonatals après 40 ans, vraisemblablement grâce à une meilleure prise en charge obstétricale (2). Bianco (8) conclut que, malgré une morbidité maternelle accrue, les conséquences néonatales globales ne sont pas affectées. MORTALITÉ MATERNELLE Le taux de mortalité maternelle, malgré sa nette diminution, augmente parallèlement à l’âge (2). Un article du dossier est consacré à ce sujet. Comme nous l’avons vu précédemment, il y a plus de césariennes (notamment pour morbidité maternelle), et donc d’anesthésies. En outre, il y a plus d’hémorragies post-partum chez les primipares âgées [1,1 % après 35 ans contre 0,2 % avant 30 ans (4)], surtout par une mauvaise contractilité utérine augmentant le risque d’atonies (7). La Lettre du Gynécologue 1994 ; 196 ; 3-6. 2. Belaïsch-Allart J. Grossesse et accouchement après 40 ans. Encycl Med Chir (éditions scientifiques et médicales, Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Gynécologie/Obstétrique 2000 ; 5-016-B-10 : 6. 3. Ecker JL, Chen KT, Cohen AP et al. Increased risk of cesarean delivery with advancing maternal age : indications and associated factors in nulliparous women. Am J Obstet Gynecol 2001 ;185 : 883-7. 4. Prysak M, Lorenz RP, Kisly A. Pregnancy outcome in nulliparous women 35 years and older. Obstet Gynecol 1995 ; 85 : 65-70. 5. Chan BC, Lao TTL. Influence of parity on the obstetric performance of mothers aged 40 years and above. Hum Reprod 1999 ; 14 : 833-7. 6. Gilbert W, Nesbitt T, Danielsen B. Childbearing beyond age 40 pregnancy outcome in 24 032 cases. Obstet Gynecol 1999 ; 93 : 9-14. 7. Joly M, Sebire N, Harris J et al. The risks associated with pregnancy in women aged 35 years or older. Human Reprod 2000 ; 15 : 2433-7. 8. Bianco A, Stone J, Lynch L et al. Pregnancy outcome at age 40 and older. Obstet Gynecol 1996 ; 87 : 917-22. 9. Sheiner E, Shoham-Vardi I, Hershkovitz R et al. Infertility treament is an independent risk factor for cesarean section among nulliparous women aged 40 and above. Am J Obstet Gynecol 2001 ; 185 : 888-92. 10. Spellacy WN, Miller SJ, Winegar A. Pregnancy after 40 years of age. Obstet Gynecol 1986 ; 68 : 452-4. 11. Wong SF, Ho LC. Labour outcome of low-risk multiparas of 40 years and older. A case-control study. Aust N Z J Obstet Gynecol 1998 ; 38 : 388-90. Les articles publiés dans “La Lettre du Gynécologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © janvier 1984 - EDIMARK S.A. Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois - Dépôt légal à parution La Lettre du Gynécologue - n° 279 - février 2003 19