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Sécurité Nationale et la liberté
d’Information
Présenté par
Aly Thiam Fall
Professeur des Universités
Faculté des Sciences Juridiques
de Nouakchott
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Comme la liberté de l’enseignement, la liberté de la presse est une liberté à double
visage. Elle n’est pas seulement, un respect de la liberté d’entreprendre, elle a aussi et surtout
pour signification de permettre à chacun d’utiliser librement la presse pour communiquer
en tant qu’auteur – sa pensée à autrui, on peut accéder en tant que lecteur à l’expression de
la pensée d’autrui.
Sous ce second angle, la liberté de la presse constitue une forme particulièrement
importante de la liberté d’expression, car en établissant une libre communication entre des
milliers voire des millions de personnes, elle concourt directement à la formation de
l’opinion publique.
C’est d’ailleurs ce second aspect qui lui vaut d’être combattue par les dictatures du
monde. En favorisant les échanges d’idées et en développant l’esprit critiques la liberté de la
presse conduit en effet nécessairement tôt ou tard à remettre en cause le pouvoir politique en
place Or cet effet déstabilisant est inacceptable pour un dictateur, dont l’objectif essentiel,
sinon exclusif, est de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible Significatif est à
cet égard l’aveu par lequel Napoléon reconnaissait qu’il ne se maintiendrait pas trois mois au
pouvoir s’il libérait la presse.
Par comparaison, les démocraties n’ont rien à craindre de la liberté de la presse dont
l’existence est au contraire nécessaire à leur épanouissement, - Elles ont en effet besoin d’elle
pour entretenir le pluralisme des courants de pensée sur lequel elles reposent. Son effet
déstabilisateur lui-même contribue à la alisation de cette mission, en favorisant l’alternance.
Cependant, la presse ne doit pas être considérée pour autant comme un « quatrième
pouvoir », car son rôle se borne, dans un régime de liberté , à éclairer l’opinion publique,
laquelle détient seule le pouvoir de décision lorsqu’elle se transmet, à l’occasion des
consultations électorales et référendaires, en peuple souverain.
C’est donc logiquement que la liberté de l’information se confond avec l’histoire de la
démocratie. On comprend alors pourquoi, dans bien des Etats cette liberté est soumise au
régime de l’autorisation préalable, autrement dit la censure.
Le droit à l’information concernant l’information répond à deux objectifs de base :
- Premier Objectif :garantir la liberté de l’information d’une part, cela exige la protection
de ceux qui transmettent cette information. Ce droit recouvré deux aspects
complémentaires : Celui, pour une communauté humaine, d’être informé et de l’autre,
le droit pour chacun à s’exprimer librement.
De nos jours, la liberté de la presse est trop souvent comprise au seul sens de la liberté
de s’exprimer, et trop rarement comme le droit au public à savoir la liberté de la presse en
est un instrument indispensable.
- Deuxième Objectif : protéger les personnes et les institutions contre d’éventuels excès
de la liberté d’information, la liberté peut en effet porter atteinte à d’autres valeurs elles
aussi respectables. Pour l’éviter, certaines limites à cette liberté peuvent donc être
considérées comme légitimes.
Le premier principe (la liberté de presse) est généralement affirmé dans les textes qui
proclament les droits humains et les libertés politiques : constitutions nationales, traités
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internationaux Dans la plupart des pays, des lois précisent comment mettre en œuvre ces
textes de base (lois sur la presse, etc….). Parfois, des règles plus spécifiques encore
complètent les premières : statut des journalistes, conventions collectives entre entreprises de
presse et rédacteurs. ect…
De son coté, le second objectif (protéger les personnes et les institutions) se traduit
dans divers types de règles :
- des lois prévoient explicitement des infractions (diffamation, atteinte à la sécurité de
l’Etat…) qui constituent des restrictions à la liberté d’expression ;
- Certaines sources d’information sont rendues légalement inaccessibles (documents
confidentiels rendus publics après tant d’années seulement…).
- Les journalistes eux-mêmes se fixent des normes de conduites dans des chartes
professionnelles ou des codes de déontologie ;
- Le simple bon sens et des pratiques professionnelles responsables imposent certains
comportements : vérifications des sources, prudence spéciale envers les rumeurs….
On voit ainsi que la liberté de la presse d’une part et protection, des personnes et des
institutions de l’autre s’inscrivent donc dans une relation dynamique entre elles : privilégier
l’une c’est risquer de réduire l’autre. La liberté, pour ne pas dire aucune liberté, ne peut être
illimitée. Valeur fondamentale, l’autonomie de la presse se heurte régulièrement à d’autres
principes eux aussi respectables. Mais tout est évidement question de mesure : Quelles
limites ? Qui peut les fixer ?
Peut on penser au journaliste lui-même ? Mais dans ce cas, aucune profession n’est à
l’abri d’erreurs commises de bonne foi ou comme le disait l’autre de «brebis galeuses»
dépourvus du sens de responsabilités. Et les journalistes comme n’importe qui, ont tendance à
accroître leur propre liberté au détriment de celle des autres. Il faut donc un pouvoir politique
pour sauvegarder l’intérêt général et fixer des limites à la liberté de chacun. Ce n’est donc pas
l’existence de limites qui pose problème, mais leur ampleur et leur interprétation.
A partir de quel moment l’ingérence de la presse dans les affaires publiques devient
elle injustifiée et capable d’engendrer un type de relation antagoniste inacceptable ? Les
frontières sont souvent floues, car elles dépendent de la légitimité des assertions présentées
par les autorités pour qui une information devrait rester secrète au bénéfice de la sécurité et du
bien-être collectifs.
Le chroniqueur Jack Anderson, a reçu le prix Pulitzer en 1970 pour avoir révélé des
détails confidentiels sur des réunions du conseil national de sécurité à Washington. Alors que
l’administration du président Nixon se prétendait neutre dans le conflit délicat qui opposait
l’Inde au Pakistan, le secrétaire d’Etat Henry Kissinger poussait en secret le département
d’Etat à « pencher » du coté du Pakistan. On critiqua Anderson pour avoir fait tort à la
sécurité nationale en publiant ce renseignement.
A tous les niveaux, les autorités cherchent à empêcher certaines informations de
parvenir à la connaissance du public. Le journaliste qui réussit à obtenir ces données se trouve
devant un dilemme : la rétention de l’information est-elle vraiment dans l’intérêt national,
comme on l’affirme en haut lieu, ou bien le public serait il mieux servi par la révélation de
la nouvelle ? Jusqu’où peut-on-aller ?
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I- Du Principe de la liberté de l’information : l’évolution des
restrictions, des contraintes au regard de la législation
(1) La réalité des contraintes
La claration universelle des droits de l’homme prévoit que les limites aux droits
qu’elle énonce doivent être « établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la
reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes
exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société
démocratique ».
En Mauritanie, l’ordonnance 2006-017 sur la liberté de la presse reprend l’esprit de
la disposition de la déclaration universelle des droits de l’homme en d’autres termes : le droit
à l’information et la liberté de la presse, corollaires de la liberté d’expression, sont des droits
inaliénables du citoyen. Ces libertés sont exercées conformément aux principes
constitutionnels, aux dispositions légales et à la déontologie de la profession. Elles ne peuvent
être limitées que par la loi et dans la mesure strictement nécessaire, à la sauvegarde de la
société démocratique ».
Néanmoins, ce n’est pas parce que certaines restrictions sont légitimes qu’elles le sont
toutes. Certaines posent problème par leur existence même. Par le passé, l’ordonnance du 25
Juillet 1991 (abrogée par la 2006-017) interdisait les publications « portant atteinte ou
prestant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la haine, les
préjugés ethniques, régionalistes ou tous les actes qualifiés de crimes ou délits » De telles
restrictions reflètent généralement des particularités culturelles. Les notions de
« mensonges », de « paresse » sont elles-mêmes des notions très relatives : aux autorités
publiques d’en défendre la publication, ou, aux parents d’en interdire la lecture à leurs
enfants ? S’attaquant à des principes fondamentaux de la démocratie, les motifs d’interdiction
devraient toujours être extrêmement précis dans leur définition.
De plus la même ordonnance du 25 Juillet 1991 interdisait « la détention en vue de la
distribution, de la vente ou de l’exposition dans un but de propagande, de tracts, bulletins et
papillons de toute origine de nature à nuire à l’intérêt national ». Aussi peu définie, la notion
de sédition est pernicieuse car elle peut être très facilement utilisée de façon abusive.
L’intérêt national regroupe ce que l’on veut bien y mettre !
Paradoxalement, l’article 30 de l’ordonnance 2006-017 reprend pratiquement de façon
identique cette disposition : « sont interdits la distribution, la mise en vente, l’exposition au
regard du public et la détention en vue de la distribution, de la vente ou de l’exposition de
tracts, bulletins et papillons de toute origine, de nature à nuire à l’intérêt général et à l’ordre
public….L’infraction à l’interdiction édictée à l’alinéa ci-dessus est punie d’une amande de
150.000 à 400.000 UM et d’un emprisonnement d’un à trois mois ou de l’une de ces deux
peines seulement ».
Du fait de la politisation croissante de la société Mauritanienne avec la prolifération
des parties politiques, les journalistes ont porté de plus en plus leur intérêt professionnel sur
d’une part, l’information produite par l’administration en raison de l’imbrication extrême
entre, la politique et la bureaucratie administrative et d’autre part, la primauté la politique et la
bureaucratie administrative et d’autre part, la primauté du politique sur l’économie, la culture
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et le sport. Certains journalistes en conformité avec leur ligne politique (pour ne pas dire leur
obédience), répondent aux soucis du public en fonction de leur parti-pris politique.
De ce fait, il est intéressant, et ce, par rapport au droit à l’information, de jeter un
regard sur le chapitre VI de l’ordonnance 2006-017 relatif aux crimes et délits pouvant être
commis par voie de presse ou tout autre moyen de publication.
Les articles 32 et suivants sont à cet égard très démonstratifs de la volonté de
décadenasser la liberté d’information. L’article 34 stipule : « Toute provocation par l’un des
moyens énoncés à l’article 32 adressée à des militaires ou des agents de la force publique,
dans le but de les détourner de leurs devoirs et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs sera
punie d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amande de 100.000 à 1.000.000 UM »
En règle Générale, toute incitation publique à commettre un crime ou un délit est
punissable. Mais cela ouvre la porte à des interprétations contradictoires, d’autant plus que
l’incitation peut être directe ou indirecte. On peut par exemple se réjouir de voir condamner
toute incitation de la haine raciale (xénophobie ou «média de la haine » invendus, l’inégalité
des races dans bien des cas). Mais à l’inverses, appeler à la désobéissance civile ou à se
révolter contre un régime autoritaire est il aussi inciter à commettre un délit pour la cause de
la démocratie ?
L’interprétation par les cours et tribunaux est donc capitale et doit permettre de trouver
un équilibre entre principes de valeurs égales : la liberté d’information, d’opinion et le respect
de la loi. La crainte des professionnels semble découler des tentations répressives des
pouvoirs publics qui risquent de réduire la liberté de l’information sous prétextes de
déontologie. Il faut se féliciter à ce sujet de la suppression de l’Article 11 de l’ordonnance de
1991 relative à liberté de la presse qui attribuait au Ministre de l’intérieur, le droit de
sanctionner un journal, sans avoir à se justifier.
Sur simple décision, celui-ci pouvait savoir le dernier numéro d’un journal ou bien
prononcer sa suppression pour trois mois renouvelables, ou bien encore procéder à
l’arrestation temporaire d’un journaliste ou d’une rédaction.
Il faut dire que dans les faits, le pérenne n’y connait que lorsque la presse ou les
journalistes s’aventuraient sur des sujets dits sensibles qu’il n’était pas bon de commenter
(l’esclavage, certains sujets de société….)
Bien des journaux ont fait les frais de la censure de la toute puissance du fameux
article 11 de l’ordonnance du 25 Juillet 1991(le Calame, l’Eveil – Mauritanie nouvelle,
Nouakchott Infos et son édition en arabe Akbar Nouakchott).
Un Etat démocratique doit protéger la presse et à travers elle, la liberté d’information.
Mais de nos jours, les Etats sont tentés de se protéger eux mêmes contre la presse en limitant
sa liberté d’action. De l’autre coté, la dispose d’un puissant pouvoir d’influence sur la vie
sociale, par les faits et les gestes qu’elle répercute. Mais elle vit en permanence sous la
menace, surtout dans les Etats qui n’ont pas une longue tradition démocratique ou réelle si on
veut tout simplement, de tradition d’Etat de droit.
Le droit de la presse, pas plus que le droit en général, n’est neutre : un certain nombre
de questions relevant de choix politiques. Il est don normal que, lorsqu’il s’agit de fixer des
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