Le Courrier des addictions (12) – n ° 2 – avril-mai-juin 2010 16
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manderait une "mise à jour" de la mémoire de
travail (une sorte de "reset") et entraînerait une
augmentation de son amplitude. Cette hypo-
thèse reste très discutée. Pour N. Birbaumer
et al., l’onde P300 traduirait une désactivation
de certains réseaux corticaux permettant la
réalisation d’une opération cognitive comme
l’accès à la mémoire de travail. Enfin, elle tra-
duirait une opération volontaire et un traite-
ment contrôlé de l’information, par opposition
à un traitement automatique de l’information
(8). En se référant à cette conception, certains
auteurs ont émis l’hypothèse que cette onde
représenterait "le transfert de l’information
vers la conscience" (9).
Des études psychopharmacologiques ont dé-
montré l’implication de différents systèmes
de neurotransmission dans sa génération et
sa modulation (dopaminergiques, choliner-
giques, sérotoninergiques et gabaergiques)
sans parvenir à en préciser les rôles respectifs
(6), ce qui en rend difficile l’interprétation au
plan pharmacologique.
Variations chez le patient
alcoolique
Les caractéristiques de l’onde P300 des pa-
tients alcooliques ont été comparées à celles
de sujets témoins dans différentes conditions.
Ainsi, l’intoxication alcoolique aiguë diminue
l’amplitude et augmente la latence d’appari-
tion de l’onde P300 visuelle et auditive (10).
Chez les patients alcooliques chroniques, les
études de potentiels évoqués cognitifs avec
stimulus visuel ont montré une diminution
de l’amplitude de l’onde P300 visuelle compa-
rativement aux sujets témoins (11, 12). Il n’a
pas été mis en évidence de modification de la
latence de l’onde P300 visuelle chez les sujets
alcooliques.
En utilisant un paradigme auditif, une diminu-
tion de l’amplitude de l’onde P300 auditive est
également mise en évidence chez les patients
alcooliques comparativement aux sujets té-
moins (11, 13). La latence de l’onde P300 audi-
tive est allongée chez les patients alcooliques
dans certaines études (12, 14) mais ce résultat
est fortement contesté en raison d’une grande
variabilité de l’onde P300, en fonction notam-
ment de facteurs comme l’âge, le sexe ou les
comorbidités psychiatriques.
Les trois premières semaines de sevrage aigu
d’alcool semblent marquées par une hyper-
excitabilité avec une diminution des latences
et une augmentation de l’amplitude de l’onde
P300 (15). Une étude de cas cliniques (16) tend
à mettre en évidence un raccourcissement de
la latence de survenue de son pic chez les pa-
tients alcooliques en début de sevrage, com-
paré à celui qui précède le sevrage.
Une étude a montré une persistance de la di-
minution d’amplitude et de l’augmentation
des latences à distance des alcoolisations, mal-
gré une période de sevrage durable (13). Il ne
semble pas exister de récupération des para-
mètres de l’onde P300 avec le temps.
Enfin, devant la stabilité dans le temps de ces
modifications d’amplitude chez les patients
alcooliques sevrés, certains auteurs ont émis
l’hypothèse que celles-ci ne seraient pas une
conséquence directe de la consommation d’al-
cool mais un marqueur génétique de risque de
développer un alcoolisme (12, 17, 18). Cette
hypothèse reste discutée par d’autres auteurs
(19-21).
Intérêts en pratique
clinique
L’un des intérêts de la mesure électrophysiolo-
gique de l’onde P300 chez le patient alcoolique
est de préciser la nature et l’intensité des al-
térations cognitives liées à la consommation.
Pour la pratique quotidienne, il réside dans
son potentiel prédictif des complications du
sevrage.
L’alcool est connu pour provoquer des troubles
du comportement et du jugement (22), mais
les altérations attentionnelles, de vitesse de
traitement de l’information et de planification,
sont moins bien explorées.
L’intérêt en pratique courante d’une mesure
des paramètres électrophysiologiques de
l’onde P300 paraît résider dans son utilisation
comme critère prédictif de sevrage ou de re-
chute. Les résultats dans le domaine restent
très discutés, mais certains résultats méri-
tent d’être cités et encouragent à poursuivre
les travaux : parmi ceux-ci, ceux de W. Haas
et B. Nickel qui utilisent les potentiels audi-
tifs évoqués du tronc cérébral comme critère
de diagnostic différentiel précoce entre une
encéphalopathie de Gayet Wernicke et un deli-
rium tremens dit "simple", sans hallucinations
(23). N. Kathmann et al. retrouvent, quant à
eux, des résultats similaires chez ses patients
en sevrage alcoolique, avec des différences de
caractéristiques de l’onde P300 auditive et vi-
suelle entre patients ayant présenté un sevrage
"simple" et ceux présentant des hallucinations
(11). Enfin, G. Juckel et al. établissent une
corrélation prédictive des modifications pré-
coces des potentiels évoqués avec la sévérité
du sevrage, à l’exception des crises convulsives
de sevrage (24).
Perspectives de recherche
À partir des données électrophysiologiques
disponibles concernant les caractéristiques
de l’onde P300 chez le patient alcoolique, des
perspectives de recherche existent pour per-
mettre une meilleure connaissance de cette
pathologie. En particulier, l’étude des mo-
difications précoces de l’onde P300 dans le
sevrage alcoolique pourrait fournir des élé-
ments prédictifs du risque de rechute. La la-
tence de sa survenue semble raccourcie dans
les premiers jours du sevrage alcoolique (16),
pouvant témoigner d’une excitabilité céré-
brale majeure en début de sevrage. Outre une
meilleure compréhension de cette période
critique, l’étude de ses modifications précoces
lors de la phase aiguë de sevrage pourrait ap-
porter des éléments physiologiques précoces
prédictifs du risque de rechute à distance, et
ainsi permettre de personnaliser les proposi-
tions d’accompagnement thérapeutique des
patients et optimiser leur prise en charge.
En conclusion, la consommation d’alcool,
comme son arrêt, entraînent des modifica-
tions fonctionnelles et cognitives. La mesure
électrophysiologique des potentiels évoqués
cognitifs, en particulier de l’onde P300, per-
met de les aborder. L’étude des patterns, de
ses variations à différents temps de la consom-
mation ou du sevrage en alcool, a permis de
développer des hypothèses cognitives de com-
préhension des répercussions fonctionnelles
de la prise d’alcool. Ses paramètres électro-
physiologiques (amplitude et latence), sous ré-
serve d’une prudence dans l’interprétation de
leurs variations (qui peuvent être liées à divers
facteurs indépendants de l’alcool), ouvrent des
perspectives de recherche pour mener à une
meilleure compréhension et une meilleure
prise en charge de l’alcoolisme avec des béné-
fices pour le patient et sur le plan de la santé
publique.
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