PARTICIPANTES À LA RÉSURRECTION
Marthe et Marie
selon Jean 11, 1-45 et 12, 1-11 dans l’exégèse de
Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste et Cyrille d’Alexandrie
Thèse présentée à la Faculté de théologie
de l’Université de Neuchâtel
pour l’obtention du doctorat en théologie
par
Sylvie Hauser-Borel
Acceptée sur proposition du jury :
Prof. Willy Rordorf, Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel, directeur de thèse
Prof. Rudolf Brändle, Faculté de théologie de l’Université de Bâle
Prof. Anne Jensen, Faculté de théologie de l’Université de Graz
Soutenue le 18 mai 2006
Université de Neuchâtel
2006
1
INTRODUCTION
Un étonnement
L’étonnement est au départ de cette recherche : C’est d’abord l’étonnement
devant ces témoignages de l’Évangile qui nous font découvrir comment
l’amour de Jésus pour toute personne humaine la fait naître à sa véritable
identité, et comment toute rencontre entre Jésus et les êtres humains est
créatrice ou re-créatrice. C’est aussi l’étonnement, à la lecture des textes
patristiques, de découvrir toujours à nouveau comment les Pères, premiers
interprètes de l’Évangile, ont su discerner et exprimer cet amour créateur et
sauveur. L’Évangile de Jean, dès les premiers versets du premier chapitre,
pose un fondement théologique sur la base duquel pourra se développer
toute une anthropologie étonnante : « Et le Verbe fut chair et il a habité
parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de
grâce et de vérité, il tient du Père. (…). De sa plénitude, tous nous avons
reçu et grâce sur grâce ». Dans ces versets 14 et 16 du Prologue, il y a en
germe tout l’Évangile de Jean ; ils sont comme la source à partir de laquelle
vont se révéler et se déployer, au cours de l’Évangile, en allant à la
rencontre l’une de l’autre, l’identité du Christ et celle de l’être humain. Jean
nous émerveille en nous rapportant ces différentes rencontres où des
personnes accueillent le Christ et, dans sa lumière, découvrent qui elles sont
pour lui et qui il est pour elles. Il nous fait découvrir toujours à nouveau
comment tout être humain peut être profondément transformé en s’ouvrant à
cette plénitude qui vient du Christ.
Comme à dessein, comme s’il voulait démontrer à quel point tout être
humain a reçu la grâce en plénitude, Jean met un accent tout particulier sur
la relation entre Jésus et cette personne humaine qu’est la femme.1 Par
exemple, au début de son Évangile, aux chapitres 3 et 4, se succèdent les
récits de deux rencontres bien différentes : Le contraste est frappant entre la
rencontre de Jésus avec Nicodème (Jean 3) et celle avec la Samaritaine
(Jean 4) : Pour Nicodème, l’homme important de l’institution, l’entrevue
avec Jésus a lieu de nuit, et elle reste privée, sans suite manifeste; par
1 Au sujet de l’importance de la femme dans le quatrième évangile, j’ai fait les mêmes
constatations que SCHÜSSLER FIORENZA, Elisabeth, En mémoire d’elle, Essai de
reconstruction des origines chrétiennes selon la théologie féministe, Paris 1986, 453 :
« (…), il est néanmoins stupéfiant que l’évangéliste donne aux femmes une place aussi
importante dans le récit. ». Cf. aussi les remarques de ZUMSTEIN, Jean, « Pourquoi
s’intéresser à l’exégèse féministe ? », Foi et Vie LXXXVIII, 5, 1989, 5 : « L’évangile de
Jean est certainement l’évangile qui accorde le statut le plus important aux femmes dans le
Nouveau Testament. »
2
contre, avec la femme de Samarie, marginale à plus d’un titre,2 Jésus
cherche le dialogue en plein jour,3 un dialogue qui provoquera l’étonnement
des disciples (hommes), conduira la femme à découvrir sa véritable identité
et à s’interroger sur celle de Jésus : « Ne serait-il pas le Christ ? ».4
Finalement, la rencontre entre Jésus et cette femme suscitera une grande
rencontre des gens de Samarie avec Jésus. Bien des siècles avant nous,5 les
premiers commentateurs de l’Évangile avaient déjà remarqué comment
Jésus parle différemment avec Nicodème et avec la Samaritaine. Théodore
de Mopsueste, par exemple, observe qu’avec l’homme trop assuré de
l’institution et du savoir, la pédagogie de Jésus se fait ironique, alors
qu’avec la femme sans arrogance, il est d’une proximité inattendue.6 Quant
à Cyrille d’Alexandrie, il insistera sur le fait que Jésus, en dialoguant avec la
femme de Samarie, a instauré des relations nouvelles entre l’homme et la
femme.7
À la fin de l’Évangile, relatant les événements du matin de Pâques, Jean
compare encore des disciples (hommes) qui courent au tombeau, sans
toutefois trouver le Ressuscité (Jean 20, 2-10), avec une femme, Marie de
Magdala, dont la recherche persévérante de son Seigneur aboutira à la
première rencontre et au premier dialogue avec le Ressuscité qui fera d’elle
la première annonciatrice de la résurrection (Jean 20, 1-18). Elle est
transformée par le Christ dans son identité profonde. En relatant cette
rencontre du matin de Pâques, Jean voulait-il faire entrevoir l’aube d’une
création nouvelle pour tout être humain ? L’importance de cette rencontre
entre Marie de Magdala et le Ressuscité n’a pas échappé à l’exégèse
patristique : Ce n’est pas uniquement Marie, mais avec elle, ce sont aussi
toutes les femmes qui reçoivent du Christ une dignité nouvelle : « En elle, la
première, je dis bien en Marie, il honore pour ainsi dire tout le genre
féminin », insiste Cyrille d’Alexandrie dans son commentaire sur Jean 20, se
faisant le porte-parole de toute cette exégèse patristique.8
Au cœur de l’Évangile, Jean a encore placé deux femmes, Marthe et Marie
de Béthanie, qui courent à la rencontre de Jésus (Jean 11, 20 et 29) et qui ont
avec lui une relation débordante de vie. Elles contrastent vivement avec leur
frère, figure masculine et centrale du récit, remarquable par sa passivité tout
au long des événements de Béthanie.9 Jean met dans la bouche de Marthe
2 Cf. Jean 4, 9, 18 et 27.
3 MOURLON BEERNAERT, Pierre, Marthe, Marie et les autres, Bruxelles 1992, 147, fait
la même observation sur ces deux rencontres : « Tout ce dialogue est ainsi un récit de
révélation dans la lumière de midi, en net contraste avec la ‘nuit’ de la visite de
Nicodème ».
4 Cf. Jean 4, 29.
5 Cf. par exemple, SCHÜSSLER FIORENZA, E., En mémoire d’elle, 454.
6 Cf. par exemple THÉODORE DE MOPSUESTE, Commentarius in evangelium Johannis,
CSCO 115, 116, Louvain 1940, 49 et 65.
7 Cf. CYRILLE D’ALEXANDRIE, in PUSEY, Philip Edward, Sancti Patris nostri Cyrilli
archiepiscopi alexandrini in D. Joannis evangelium, Bruxelles 1965, I, 286-288.
8 CYRILLE D’ALEXANDRIE, in Joannis evangelium, PUSEY, III, 120-121.
9 MARCHADOUR, Alain, Lazare – Histoire d’un récit, récits d’une histoire, Paris 1988,
126 : « Lorsqu’on considère la figure de Lazare dans le récit actuel, on en retire
3
une étonnante confession de foi christocentrique, « Moi, je crois que tu es le
Christ » (Jean 11, 27), qui exprime une foi plus élaborée que celle
prononcée par Pierre au nom des Douze, « Nous croyons que tu es le Saint
de Dieu » (Jean 6, 69).10 Dans le récit de l’onction de Jésus par Marie, un
homme et une femme sont encore confrontés : Selon l’Évangéliste, Judas est
un voleur (Jean 12, 6) qui ne manifeste aucune compréhension des
événements et des personnes, alors qu’avec les paroles que Jésus prononce
pour expliquer l’acte de Marie (Jean 12, 7-8), l’Évangéliste situe la relation
entre la femme et le Christ au cœur du mystère du salut. Cette confrontation
entre l’attitude d’une femme disciple et celle d’un homme disciple à l’égard
de Jésus n’a pas non plus échappé aux premiers exégètes de Jean, et nous
constaterons comment Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste et Cyrille
d’Alexandrie l’ont mise en évidence. L’importance du comportement tout
“christocentrique” de Marthe et de Marie ressort de manière étonnante de
leurs exégèses ; poursuivant sur la lancée de Jean lui-même11, tous trois
insistent, par exemple, sur le fait que la foi et l’amour des deux femmes
envers Jésus conduiront une foule de personnes à rencontrer à leur suite le
Seigneur.
Étonnante est aussi la manière dont Jean évoque la relation toute personnelle
qui unit Jésus à Marthe, Marie et Lazare de Béthanie : Alors que, jusqu’au
chapitre 11, l’Évangéliste a utilisé le verbe aimer12 pour signifier l’amour de
Dieu pour le monde en général ou encore l’amour qui est entre le Père et le
Fils,13 au chapitre 11, pour la première fois, il va l’employer pour dire la
relation qui lie Jésus à trois personnes humaines qu’il va situer avec
précision et appeler par leur nom, comme pour mieux exprimer le caractère
personnel de cette relation : « Or Jésus aimait Marthe et sa sœur et
Lazare. »14 C’est donc ce même amour qui unit le Père et le Fils qui unit
également Jésus et ces trois personnes. C’est encore l’amour que Dieu a
pour le cosmos tout entier que Jésus a aussi pour ce « microcosmos » de
Béthanie, pour cette micro-humanité. Jean Chrysostome, Théodore de
Mopsueste et Cyrille d’Alexandrie mettront ce verset 5 de Jean 11 en
exergue de toute leur exégèse de Jean 11, 1-45 et Jean 12, 1-11, et ils
s’accorderont pour dire qu’un tel amour est créateur : Il éveille les personnes
humaines à leur vocation et il les invite non seulement à une communion de
vie avec Jésus, mais encore avec d’autres personnes, qui, à leur tour,
peuvent rencontrer le Seigneur et vivre avec lui dans une relation
personnelle. Cet amour, à partir d’une petite communauté de personnes
unies à Jésus, comme celle de Béthanie, peut s’étendre, de personne à
personne, à toute l’humanité.
l’impression d’un personnage assez inconsistant, n’ayant d’existence que par rapport aux
autres protagonistes du récit. »
10 Cf. aussi le développement de ZUMSTEIN, J., « Pourquoi s’intéresser à l’exégèse
féministe ? », 6.
11 Cf. Jean 11, 45 et Jean 12, 9-11.
12 En grec : « αγαπαν ».
13 Jean 3, 16 et 35.
14 Jean 11, 5.
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