Séminaire du CHSE, « Sciences, Techniques, Politiques (XVI
e
-XIX
e
) siècle», Jeudi 14 juin 2012 de 17h à 18h30
Lille 1 UFR de Physique – bâtiment P5 bis Salle du Conseil – 2
ème
étage
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soleil sont immobiles ; que la terre tourne autour du soleil comme centre ; et que la grandeur
de la sphère des étoiles fixes dont le centre est celui du soleil, est telle que la circonférence du
cercle qu’il suppose décrite par la terre est à la distance des étoiles fixes comme le centre de
la sphère est à la surface » (1807, p. 348 – 349).
Si Aristarque n’a eu que peu de partisans et de disciples, c’est que ses hypothèses (la
Terre décrit une orbite circulaire autour du Soleil ; la Terre tourne sur elle-même autour de
son axe) heurtaient les conceptions religieuses et physiques des anciens grecs et des penseurs
qui lui ont succédé. Sur le premier plan, la révolution de la terre autour du soleil revenait à la
décentrer et donc à la rabaisser. Sur le plan de la physique, les penseurs anciens et médiévaux
considéraient la rotation de la terre, sur elle-même et a fortiori autour du soleil comme
incompatible avec les phénomènes naturels qu’ils observaient. Le mouvement de la terre
générait deux problèmes majeurs. Premièrement, sa rotation produirait une force centrifuge
qui projetterait dans le ciel les corps qui ne sont pas solidement reliés au sol. Deuxièmement,
le mouvement de rotation ferait que les corps situés dans l’atmosphère seraient
systématiquement laissés en arrière par rapport au sol ; l’exemple classique étant celui de la
pierre qui tombant du haut d’une tour n’arriverait pas au pied de celle-ci
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. La théorie
d’Aristarque était incompatible avec l’expérience quotidienne et donc était indéfendable.
Nous le voyons la conception de l’univers est aussi une question de mouvement : Ptolémée
et les aristotéliciens ont une physique qui ne peut accepter le mouvement de la terre, donc il
faut la situer au centre et la considérer comme immobile. L’astronomie d’Aristarque se
heurtait à une autre objection d’ordre physique ; la dimension de son univers, qui intègre une
rotation de la terre autour du soleil, devient tellement grande qu’elle n’est pas imaginable.
Si l’astronomie ptoléméenne postule le non mouvement de la terre, parce qu’incompatible
avec l’expérience, elle doit quand même expliquer le mouvement des astres. Et sur ce point,
l’astronomie ptoléméenne est d’un raffinement impressionnant. Elle repose sur les
mouvements épicycliques. Sans entrer dans les détails, disons que les épicycles permettent de
décrire des trajectoires astrales irrégulières, c’est-à-dire non parfaitement cycliques. En effet,
la distance entre les planètes et la terre n’est pas constante et donc le mouvement des astres ne
peut se réduire à une rotation circulaire parfaite. L’épicycle qui consiste à jouer sur
l’articulation de plusieurs cercles résout le problème au moins sur le plan mathématique ou
géométrique ; l’épicycle permet de se représenter les trajectoires des corps célestes et donc de
prévoir leur position dans le ciel, ce qui n’est pas rien. Mais cela revenait aussi à prendre ses
distances par rapport au mouvement circulaire uniforme - avec pour centre la terre - qui restait
pour le philosophe et le physicien, l’image même de la perfection. Concrètement, le
mathématicien ne se pose pas la question du mécanisme qui pourrait expliquer comment les
planètes se meuvent et comment elles arrivent à tel endroit, mais il peut « prédire » quand
elles y arriveront. L’astronomie ptoléméenne s’installe durablement dans le paysage
intellectuel au prix d’une distinction entre l’astronomie mathématique (explication du
positionnement des astres) et l’astronomie physique (explication du mouvement des astres).
Le prix payé pour la solution au problème posé est donc conséquent et la difficulté,
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« Si donc, la terre tournait, du moins en une révolution quotidienne, il devrait arriver le contraire de ce qui
vient d’être dit. En effet, ce mouvement qui, en vingt-quatre heures franchit tout le circuit de la terre, devrait être
extrêmement véhément et d’une vitesse insurpassable. Or les choses mues par une rotation violente semblent
être totalement inaptes à se réunir, mais plutôt devoir se disperser, à moins qu’elles ne soient maintenues en
liaison par quelque force. Et depuis longtemps déjà, la terre dispersée aurait dépassé le ciel même (rien n’est
plus ridicule) : à plus forte raison les êtres animés, et toutes les autres masses séparées qui ne pourraient
aucunement demeurer stables. Mais en outre les choses tombant librement n’arriveraient pas, non plus, en
perpendiculaire, au lieu qui leur fut destiné, lieu entre temps retiré avec une telle rapidité de dessous d’elles. Et
nous verrions aussi toujours se porter vers l’occident les nuages et toutes les choses qui flottent dans l’air »
Ptolémée, Almageste I,7 cité par Alexandre Koyré (2001, p. 167).