La théorie X-barre :
notions de base
Au sein de la GGT, le module X-barre s'intéresse à la manière dont les mots
s'organisent dans la phrase - on dit aussi : aux relations structurales ou syntaxiques entre les
mots. En effet, la syntaxe postule que les mots ne sont pas juste mis les uns à la suite des
autres, mais que certains entretiennent avec d’autres des relations syntaxiques. Chaque langue
dispose de règles pour faire apparaître ces relations. Si l’on excepte la coordination, qui est
une relation d’un type particulier (égalitaire), les mots entretiennent essentiellement entre eux
des relations de subordination : il y a, dans une phrase, des “chefs” qui peuvent avoir sous
leurs ordres des subordonnés, appelés “compléments” (au sens large). Comme dans
l’organigramme d’une entreprise ou d’une institution, une équipe formée d’un chef et de ses
subordonnés peut elle-même recevoir ses ordres d’un chef “au-dessus”, et sera une
composante d’un groupe plus large. Pour prendre une image : l’équipe du Département de
Lettres modernes (“dirigée” par le Chef de Département) est une composante de l’UFR de
Lettres, philosophie, Musique, elle-même “dirigée” par un Directeur d’UFR. La dépendance
syntaxique (le fait qu’un groupe est sous les “ordres” d’un chef) peut se manifester de
diverses manières : le subordonné peut avoir une place imposée dans la phrase (par exemple,
juste après son “chef”) ; ou bien il peut se voir imposer des marques d’accord par son “chef” ;
ou encore, il peut avoir une marque matérielle indiquant sa dépendance (préposition par
exemple, ou dans certaines langues, marque de cas). Dans certains cas, aucun indice ne met en
évidence la relation de dépendance, si ce n’est le sens des divers intéressés, et la cohérence du
groupe “chef + compléments” (cf. tests sur la cohérence des constituants).
L’essentiel de l’analyse syntaxique sera donc de déterminer ces relations : qui
complète quoi et comment ? Mais avant de creuser ces points, puisque que nous avons dit que
l’objet de la syntaxe est d’étudier comment les mots s’organisent dans la phrase, il nous faut
d’abord définir ce qu'on entend ici par phrase et par mot.
Qu'est-ce qu'une phrase ?
Pour la grammaire générative, une phrase se définit d’abord par l'association d'un sujet (qui
représente en général ce dont on parle, le thème - mais pas toujours) et d’un prédicat (ce
qu’on en dit) ; c'est donc l'équivalent de ce que l’approche traditionnelle appelle une
proposition. Dans les phrases les plus courantes (disons, dans les phrases prototypiques), le
sujet correspond à un syntagme nominal (ou ses équivalents syntaxiques : pronom,
complétive) et le prédicat à un syntagme verbal (verbe accompagné de ses éventuels
compléments). Donc, rien de neuf par rapport à des approches assez classiques.
En français, le verbe se reconnaît par son comportement morphologique, c’est-à-dire
ses variations de forme : il porte des flexions (ou désinences) de mode et, selon les modes, de
temps et de personne. Le sujet est, sauf cas particulier, l'élément qui impose l'accord en
personne du verbe, et qui peut s'extraire entre C'est....qui ou qui répond à la question Qui/Qu'
est-ce...qui.
D'un point de vue sémantique et logique, la phrase de base constitue une assertion : on
peut porter sur elle un jugement en termes de vrai et de faux. Dire Paul dort, c'est dire "il est
vrai de dire de Paul qu'il dort".
La structure minimale de toute phrase de base sera donc :
P
SN SV
C'est en tout cas celle que nous utiliserons pour l'instant : on verra dans la suite du
cours que cette hypothèse sur la structure de la phrase a émodifiée au fur et à mesure de
l'évolution de la théorie.
Certains compléments, dits compléments de phrase (v. la session sur le
structuralisme), nuancent le lien entre le sujet et le prédicat : ils commentent l'assertion, soit
en disant dans quelles circonstances (pour quel moment, lieu, intensité, etc.) le lien sujet/
prédicat est vrai, soit en donnant un commentaire du locuteur sur ce lien (probable ou pas,
souhaitable ou pas) ou sur sa propre énonciation (Franchement, Paul est idiot = "je suis franc
en disant que Paul est idiot"). Pour l'instant, nous représenterons ainsi ces compléments; nous
verrons plus tard les inconvénients de ce type de représentation:
 
              
!"#$ %&'()*(
&
Ce type de représentation s’appelle un indicateur syntagmatique (il indique visuellement les
syntagmes et leurs liens de dépendance) ; dans la pratique, on utilise plus couramment le
terme « d’arbre ».
NB : les propositions subordonnées sont appelées "phrases enchâssées" ; on considère
qu'elles sont composées d'un élément qui opère la subordination ("complémenteur" en GGT),
complété par une phrase de structure normale. Le complémenteur, ou subordonnant, peut être
un pronom relatif ou interrogatif, ou une conjonction de subordination. Nous y reviendrons
plus loin. La subordonnée munie de son complémenteur remplit dans la phrase où elle s'insère
le même type de fonctions que les syntagmes. (On pourrait dire que c'est une phrase qui, grâce
à un complémenteur, peut se comporter comme un syntagme vis-à-vis de l'extérieur).
La définiton que nous retenons de la phrase est restrictive. Elle suppose que, parmi les
diverses organisations de mots possibles lorsqu’on parle ou qu’on écrit effectivement (les
énoncés), seuls certains correspondent à une phrase, c’est-à-dire une organisation syntaxique
particulière. Ainsi, Délicieux, ce café!, bien que constituant un énoncé, n’est pas une phrase
d’un point de vue syntaxique, dans notre définition. Nous ne l’étudierons pas dans ce cours,
P
SN SV (SX)
Fonctions : (sujet) (Prédicat) (cplts de phrase)
donc. Autre précision : nous restreindons notre étude à des phrases (“principales” ou
“matrices”) qui constituent aussi, du point de vue logique, une proposition : elles présentent
un jugement de vérité qui peut être évalué en termes de vrai ou de faux, c’est-à-dire une
assertion. D’autres types de phrases existent (et sont exclusifs l’un de l’autre) ; dans leur
grandes lignes (ou à première vue), ils servent à coder des énoncés qui relèvent d’autres
objectifs que l’assertion :
- type de phrase interrogatif (but déclaré : obtenir une information) : Es-tu là ?
- type de phrase jussif (but déclaré : obtenir une action de l’interlocuteur) : Viens ici !
- type de phrase exclamatif (but déclaré : exprimer une émotion forte) : Qu’il est bête !
On considèrera que ces types de phrases sont des variations, codées syntaxiquement, sur le
schéma de la phrase assertive, et l’on ne les abordera pas dans ce cours.
La réponse à cette question n'est pas évidente. Vous l'aborderez probablement en cours de
morphologie. Pour ce cours, on se contentera d'une définition simpliste et intuitive du mot,
qui plus est basée sur l'écrit : c'est le signe désigné par une suite de lettres entre deux blancs...
RQ : Les mots composés et les locutions fonctionnent du point de vue de la syntaxe comme
un seul mot (et pourraient donc tous s'écrire avec un trait d'union, qui "annule" le blanc - ou,
s'il en existe un, être remplacés par un élément simple de rôle équivalent). encore, comme
on ne peut pas tout traiter en un seul cours, on s'en remettra au dictionnaire et à l'intuition
pour les repérer. En cas de doute, essayez de voir si leurs composants peuvent commuter avec
autre chose de sémantiquement "équivalent". Par exemple :
pour que n'est pas une locution, on peut la décomposer en pour préposition et que
conjonction de subordination ; en effet dans pour que Léa vienne on peut remplacer "que Léa
vienne" par cela.
parce que en revanche est une locution : on peut faire commuter parce que avec une
conjonction simple, comme puisque, et, dans parce que Léa est venue, on ne peut pas
remplacer que Léa est venue par cela. (* parce cela)
On distinguera dans la suite de ce cours deux types de mots :
- les mots lexicaux ; ils correspondent aux Noms, Adjectifs, Adverbes, Verbes et Prépositions
;
- les mots grammaticaux ; ils correspondent aux déterminants, conjonctions, pronoms.
Pour former une phrase, les mots commencent par se regrouper entre eux, en général autour
d’un mot lexical. Ils forment ainsi des constituants intermédiaires : les syntagmes. La phrase
est formée au moins de deux syntagmes, celui qui remplit la fonction de sujet, et celui qui
remplit la fonction de prédicat. Dans la phrase de base, le premier est un syntagme nominal :
il s'organise autour d'un nom ; le second est un syntagme verbal : il s'organise autour d'un
verbe. Le syntagme nominal peut être remplacé par un élément synthétique (pronom), ou par
une subordonnée.
Le syntagme est une unité intermédiaire entre le mot et la phrase. En GGT, on
considère que les mots lexicaux ne remplissent pas de fonction syntaxique ; seuls les
syntagmes construits autour d’eux y sont aptes.
Toute la question est de savoir comment certains mots s'organisent autour d’un mot
lexical (appelé tête ou noyau du syntagme) pour former avec lui ce syntagme. Le module X-
Qu'est-ce qu'un mot ?
Il existe des constituants intermédiaires : les syntagmes
barre est une hypothèse sur cette organisation, un peu différente de celle que vous avez vue
dans NGF.
Dans la suite du cours, NGF désigne La Nouvelle Grammaire du français, de Dubois et Lagane (v. bibliographie)
Au collège, ou sinon au cours de vos révisions, vous avez déjà vu que les mots
s’organisent en groupes. Dans NGF, cela a été affirmé plus que démontré, sauf par un rapide
appel à la commutation. Mais on peut argumenter un peu plus cette affirmation. L'existence
de constituants intermédiaires entre le mot et la phrase est en effet mis en évidence par des
tests syntaxiques aussi bien que par l'intuition sémantique.
1) Intuition
Intuitivement, on perçoit que certains mots "vont ensemble" et pas avec le voisin. Si
vous voulez faire apparaître les divers sens des phrases ambiguës suivantes juste en lisant la
phrase, votre intonation va insister sur la séparation ou au contraire la cohérence des groupes
de mots concernés (les barres obliques tentent de noter les pauses, les tirets une prononciation
enchaînée) :
(4) J'ai frappé un homme avec un parapluie
J'ai frappé /// un-homme-avec-un-parapluie = un homme avec un parapluie est le COD;
avec un parapluie complète homme et forme avec lui un constituant. La phrase signifie à peu
près “ j’ai frappé un homme qui avait un parapluie”: avec un parapluie “va avec” homme.
J'ai frappé // un homme /// avec un parapluie = avec un parapluie ne complète pas homme
(ce n'est pas lui qui a un parapluie) et ne forme donc pas avec lui un constituant. Il complète
frapper, c'est un cplt de manière. Il fait donc directement partie du syntagme verbal et non du
COD. La phrase signifie à peu près “j’ai frappé un homme à l’aide d’un parapluie”.
Donc, intuitivement, selon votre interprétation de cette phrase, vous allez regrouper «
avec un parapluie » avec « homme » ou pas : dans un cas vous considèrerez que « ils vont
ensemble », c’est à dire qu’ils forment un constituant, dans l’autre pas. Dans le premier cas
“avec un parapluie”, qui complète “homme”, indique l’aspect de cet homme ; dans l’autre cas,
il indique la manière de frapper et complète le verbe.
2) Compétence « innée »
La notion de « dépendance structurelle » semble être une donnée innée du langage,
d’après les générativistes. C’est l’idée que certains groupes de mots dépendent d’autres. Pour
eux, le caractère inné de ce principe se révèle dans le fait suivant : quelle que soit leur langue
maternelle, les enfants en cours d’apprentissage du langage vont instinctivement manipuler
certains mots « en bloc ». Ainsi, pour le français, un jeune enfant découvrant le passif ne dira
jamais, pour exprimer « le chat a mangé la souris de Loulou » :
1. Existence de regroupements intermédiaires de mots
J’ai frappé un homme [ avec un parapluie ]
J’ai frappé un homme avec un parapluie
*souris a été mangée par le chat la – de Loulou
Pour former le passif, c’est l’ensemble « la souris de Loulou » qu’il va transférer de la
position objet à la position sujet, et pas seulement « souris ». Il tient donc compte de façon
spontanée du fait que « la » et « de Loulou » sont solidaires de « souris » (ils complètent
souris) et que c’est l’ensemble qui est sujet.
Rq : ce jeune enfant n’a pas suivi de cours de grammaire, contrairement à de nombreux
étudiants qui continuent à dire que le sujet de manger est « souris » au lieu du syntagme « la
souris de Loulou ». Comme quoi, on peut utiliser de façon innée et insconsciente des notions
que l’on a du mal à reconnaître consciemment.... peut-être à cause d’un certain
conditionnement scolaire ?
3) Tests
Un certain nombre de tests montrent que des groupes de mots forment des
constituants : ils sont ciblés " en bloc " par des opérations syntaxiques. Par exemple, on peut
remplacer un groupe par un pronom de même fonction, alors qu’on ne peut pas faire la même
chose avec le seul noyau. Cela montre que c’est bien le groupe, et non le seul noyau, qui
remplit la fonction en question. C'est ce que montrent les pronominalisations et les
dislocations ci-dessous :
Ceci montre que le COD représenté par le pronom le est bien le groupe "le chocolat" et non le
seul nom "chocolat" : la fonction COD est remplie par le syntagme nominal "le chocolat".
(b) Je parle à la voisine
Je lui parle
* Je lui parle à / *Je lui parle à la
c'est « à la voisine » le constituant qui remplit la fonction COI
(c) J'écris à la soeur de Paul
A la soeur de Paul, je lui écris
*A la soeur, je lui écris de Paul
* A la soeur de, je lui écris Paul
*Soeur, je lui écris à la de Paul
la soeur de Paul" est un syntagme : c’est le constituant, représenté par lui, qui remplit la
fonction COI.
En revanche, (d) est possible, aussi bien que (d') :
(d) Ce gâteau est délicieux
Délicieux, ce gâteau l'est (le = attribut = délicieux)
(d') Paul est content de lui
Content de lui, Paul l'est (le = attribut = content de lui)
L'attribut est un constituant, c'est un syntagme adjectival. Mais en (d), ce syntagme ne
contient que son noyau, l'adjectif, alors qu'en (d') il contient le noyau adjectival accompagné
de son complément.
(a) J'aime le chocolat
Je l'aime
(l' = le chocolat)
(a') J'aime le chocolat
*Je l'aime le
(l'
chocolat)
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