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L’islam, une religion à lire à la lumière de l’histoire,
de l’anthropologie et de l’analyse géopolitique
L’islam fait peur. Les faits de violence liés à cette religion défraient
quotidiennement la chronique, engendrant incompréhension, terreur et rejet.
Mais, à côté de ces réactions qui vont des plus modérées aux plus extrêmes,
fleurissent des questions, nombreuses et variées. C’est pour répondre à
celles-ci que le CRILUX (Centre Régional d’Intégration de la province de
Luxembourg) a récemment inauguré un cycle de conférences par un très
prometteur « Islam, islamisme : mythes ou réalités », orchestré par le
professeur Alain Grignard.
Alain Grignard possède un profil atypique au sein des observateurs avisés du monde
musulman. Commissaire à la division anti-terroriste de la Police dérale belge de
profession, il est également professeur à l’Université de Liège il assure des cours
et séminaire d’introduction à l’islam politique et de géopolitique du monde arabo-
musulman. Sa vision sur l’évolution de l’islam et ses dérives croise, dès lors,
différents prismes qu’il énonce lui-même : le prisme anthropologique, le prisme
économique (avec toute la question du pétrole), le prisme religieux (et
l’instrumentalisation de la religion) et le prisme de la langue arabe (à comprendre, ce
qui n’est pas une généralité chez les musulmans eux-mêmes).
Un livre à la fois religieux et politique
Pour le professeur de l’ULg, comprendre l’islam implique de remonter à ses sources
historiques. Celle d’une époque les religions s’appuyaient sur un tronc commun
au niveau des révélations et de l’existence d’un dieu, mais auquel l’islam ajoute un
prophète « complémentaire » envoyé pour achever et clôturer la révélation.
L’existence de ce dernier, Mahomet, donne, selon lui, au musulman la sensation
que sa religion est la meilleure car elle a un prophète supplémentaire. De plus,
historiquement, la naissance de l’islam s’inscrit dans un temps et un lieu à la frontière
entre deux empires qui s’effondrent : l’empire romain et l’empire d’Alexandre. Dans
ce contexte sans structure politique affirmée, dans ce territoire qui n’est qu’un lieu de
passage et d’échange de marchandises, la société vit sur un modèle tribal. Le
groupe (la tribu, le clan) prime sur l’individu et est maître de son territoire sur lequel
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ne règne aucune autorité supranationale et qu’il vise à étendre en permanence. À
cette absence d’unité politique s’ajoute une absence d’unité religieuse, puisque s’y
côtoient des tribus arabes, juives et hindouistes.
C’est dans ce paysage général que s’inscrit le Coran. Et, selon Alain Grignard, pour
se pencher sur le Coran, il faut tenir compte des circonstances précises dans
lesquelles les versets ont été révélés. La prise de la Mecque en 630 va notamment
amener le prophète Mahomet à faire de la politique en plus du message religieux,
entérinant une absence de séparation entre la religion et la politique, et donc entre le
spirituel et le temporel. Le Coran est, dès lors, un livre à la fois religieux et politique
qui a, de plus, pour effet de réunir les individus qui deviennent tous frères, alors qu’ils
ne se reconnaissaient jusque que comme appartenant à une tribu. L’islam a, par
ce fait, été révolutionnaire à son époque mais le tribalisme reste, aujourd’hui encore,
un des grands fléaux du monde musulman.
Deux axes d’interprétation politique
Comment l’islam s’inscrit-il dans le monde actuel, au départ de ces caractéristiques ?
Alain Grignard associe l’émergence de l’islam en Europe au changement de société
induit par les mutations consécutives aux mouvements gravitant autour de mai 68.
En détricotant les piliers du fonctionnement sociétal, ces mouvements ont généré
une difficulté croissante pour les individus d’être seul. Et il s’avère que, plus les gens
ont des problèmes sociaux, plus ils sont tentés par des sociétés où la solidarité prime
et l’individu n’a pas une place prépondérante… comme l’islam. Sur ce glissement
se greffe un glissement d’interprétation de la notion de djihad. De conception de
l’effort sur soi (un combat permanent avec soi-même pour être sur la « bonne
voie »), elle se double d’une vision armée, défensive pour les uns (réplique
uniquement quand on est attaqué)… mais offensive pour d’autres (conversion ou
destruction de l’autre, « pour le bien de tout le monde »).
Pour Alain Grignard, l’islamisme est clairement une lecture politique d’une religion,
d’un texte religieux. De nombreux penseurs musulmans estiment, selon lui, que les
difficultés de l’islam dans le monde (et, pour certains, son déclin) proviennent de ce
que celui-ci n’a pas été géré, les plus sévères affirmant « nous n’avons pas arrêté de
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nous battre entre nous ». Dans ce cadre éclaté, deux axes se dégagent : celui d’un
projet politique conforme à la modernité et celui de la fabrication de systèmes
politiques conformes à leurs racines religieuses.
Pour le professeur de l’ULg, dans l’islam, se côtoient une multitude de sensibilités qui
s’étalent entre un pôle dit « réformiste » selon lequel l’islam doit s’adapter à la
modernité et un pôle « fondamentaliste » qui refuse le changement et le risque d’une
réflexion sur le passé en prônant l’adaptation du monde moderne à l’islam du passé.
À ces visions diamétralement opposées sont associés des moyens et des méthodes
tout aussi divergents : d’un côté, une islamisation par le bas et par la persuasion et,
de l’autre, une islamisation par le haut (théocratique) et par la force, y compris par la
violence.
Entre ces deux axes, toutes les sensibilités coexistent. On peut, par exemple, être
fondamentaliste et non violent, comme fondamentaliste et violent (c’est le cas de
Daesh). Sur un plan historique, Alain Grignard analyse l’islamisme comme le
mouvement qui a remplacé le marxisme en Europe. La différence est, selon lui, que
l’islamisme est basé sur un dieu et qu’elle offre, par ce fait, toujours une réponse à
tout.
Une instrumentalisation du fait religieux
Pour l’islamologue, le grand problème de l’islam, ce sont les sources. où le
christianisme s’est appuyé sur une génération de gardiens du texte (les apôtres,
etc.), l’islam ne s’est développé avec l’aide d’aucun clergé. Chez les musulmans, les
gens sont en contact direct avec Dieu et, quand ils sont désorientés ou en
questionnement, ils cherchent des « savants », et les avis juridiques sont différents
suivant les interlocuteurs consultés. De plus, on assiste, d’après lui, dans le monde
musulman, à une instrumentalisation du fait religieux (par essence, irrationnel) à des
fins politiques. Le Hamas, mouvement islamiste, a, par exemple, été créé pour
affaiblir l’OLP de Yasser Arafat.
Plus récemment, les jeunes partis en Syrie n’enracinent pas, à ses yeux, leur combat
dans l’islam qu’ils ne connaissent généralement pas, pas plus que très souvent le
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Coran et la langue arabe. Leur choix est celui d’une culture de la haine, analyse-t-il,
celui d’un super-gang, concrétisant leur attirance pour la bande qui fait le plus peur,
choisissant comme guides, suivant un principe très classique, les gens qui justifient
leurs propres « turpitudes ». Reste, ajoute-t-il sous forme d’alerte, que l’état
islamique n’est pas une fatalité. C’est un groupe qui a un projet politique et qui
pratique l’horreur, poussé par une logique.
Dominique Watrin
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