L’évolution de la structure par catégories socioprofessionnelles entraîne une certaine mobilité ascendante. Les principales évolutions
intervenues depuis la création de la nomenclature des CSP en 1954 (devenue celle des professions et catégories socioprofessionnelles, ou
PCS, en 1982) sont la diminution de la proportion d’indépendants, en particulier des agriculteurs, ainsi que celle des ouvriers, qui intervient
plus tardivement. En contrepartie, la part des « cols blancs » augmente fortement et ce d’autant plus que le niveau de formation nécessaire pour
accéder à ces professions est élevé.
Les documents ne fournissent malheureusement pas la composition de la population active par CSP détaillée, mais uniquement les six grands
groupes socioprofessionnels (document 1). Les marges du tableau illustrent les évolutions mentionnées ci-dessus : entre la génération des
pères et celle des fils, c’est-à-dire en trente ans environ, la proportion d’agriculteurs a été divisée par quatre, passant de 16 % à 4 % de la
population active masculine âgée de 40 à 59 ans. La proportion d’artisans et commerçants a diminué d’un quart et celle des ouvriers de plus de
20 % (de 43 % à 34 %). Dans le même temps, la proportion d’employés, peu significative, puisque 80 % des employés sont des femmes, est
passée de 9 % à 11 % et celle des cadres et professions intermédiaires a plus que doublé.
Au total, la mobilité structurelle intergénérationnelle, c’est-à-dire la proportion de fils forcément classés dans un groupe socioprofessionnel
différent de celui de leur père du fait du changement de la répartition par CSP de la population active masculine, est égale à [(1 143 – 258) +
(870 – 619) + (1 319 – 591) + (1 690 – 800) + (770 – 644) + (2 998 – 2 364)] / 7 045 x 100 = 50 % environ.
Cette mobilité est globalement ascendante. En effet, une fois admis que les groupes socioprofessionnels ne permettent pas d’identifier les
classes dominantes de la société (grands patrons, propriétaires du capital, dirigeants politiques puissants, etc…), il est habituel de classer les
actifs en catégories supérieure (cadres et professions intellectuelles supérieures), moyennes (professions intermédiaires, artisans et
commerçants) et populaires (agriculteurs, employés et ouvriers).
Bien entendu, un grand propriétaire de vignoble champenois ou bordelais ne devrait sans doute pas être classé comme un berger des
Cévennes, un professeur du second degré est fort éloigné du directeur général de la BNP. Ils sont pourtant classés dans la même catégorie
socioprofessionnelle. Une fois ces réserves posées, on constate que les catégories supérieures sont en expansion, de même que les catégories
moyennes (passant de 23 % à 33 % des actifs), au détriment des catégories populaires (de 68 % à 49 % du total). Le nombre des ascensions
est donc nettement supérieur à celui des déclassements.
Le mouvement observé pour la mobilité intergénérationnel ne se retrouve pas aussi fortement pour la mobilité intragénérationnelle. Le
document 2 précise ainsi que les promotions ont été moins fréquentes dans la génération interrogée lors de l’enquête 2003 que lors de
l’enquête 1993, alors que la mobilité intergénérationnelle y est comparable. Il est vrai que les changements d’emploi se font souvent à la faveur
d’un changement de génération. Par exemple, la diminution du nombre des agriculteurs se traduit rarement par des changements de trajectoires
professionnelles. Les paysans font souvent tout pour ne pas abandonner leur activité, y compris en se tournant vers la pluriactivité (gîte rural,
travail ouvrier ou petit magasin). Le changement se fait le plus souvent au moment du départ en retraite : son exploitation, si elle est trop petite
pour être viable, n’est pas reprise par les enfants et est vendue ; ou encore les terres sont mises en friche.
Concernant les emplois d’ouvriers, la reconversion vers des emplois d’employés ou d’artisans ou commerçants est difficile et assez peu
fréquente. Dans les grandes entreprises, la diminution des effectifs se fait beaucoup par des départs en préretraite ou retraite anticipée de
salariés âgés et l’absence de recrutements.
La montée des emplois de cadres se fait également assez peu par promotion interne, car le diplôme joue un rôle essentiel et durable en France.
La formation continue n’y est, par ailleurs, pas très développée. Il est évidemment possible d’obtenir le titre d’ingénieur ou une position de
cadre administratif par la validation des acquis de l’expérience, mais cette procédure concerne des effectifs limités.
La mobilité structurelle en cours de carrière est donc sans doute assez limitée.
La mobilité structurelle ne débouche toutefois pas sur une élévation de l’égalité des chances. C’est ce qu’affirme la publication de l’Insee
Données sociales à propos de l’ascension de fils d’ouvriers ou d’agriculteurs (document 2). A l’appui de cette affirmation, l’auteure remarque
que, si la mobilité observée a augmenté entre 1977 et les années 1990, il en est de même de la mobilité structurelle. De ce fait, la mobilité nette,
qui est la mesure de l’égalité des chances, a peu changé.
Même si elle ne fournit pas d’indication sur l’évolution de la mobilité au cours du temps, la table de mobilité (document 1) confirme que
l’égalité des chances est loin d’être atteinte. Malgré l’explosion des effectifs de cadres et professions intellectuelles supérieures, les chances
d’accéder à cette catégorie sont cinq fois plus élevées pour un fils de cadre que pour un fils d’ouvrier (52/10 = environ 5).
Les données assez grossières de la table de mobilité sous-estiment d’ailleurs le degré de reproduction sociale. En effet, chaque groupe est
hétérogène. On sait par exemple que les chances de mobilité ascendante sont nettement plus fortes pour les enfants d’ouvriers qualifiés que
pour les enfants d’ouvriers non qualifiés. A l’intérieur du groupe des cadres, plus on s’élève dans la hiérarchie et plus les enfants d’origine
modeste sont rares.
Par conséquent, où mène la mobilité structurelle ? Par exemple, les fils d’agriculteurs qui quittent cette catégorie se retrouvent d’abord parmi
les ouvriers (37 %), les employés et les artisans et commerçants. Autrement dit, leur mobilité est souvent horizontale, voire descendante.
En conclusion, les effets de l’évolution de la structure par catégories socioprofessionnelles sur la mobilité sociale sont importants, au sens où
ils génèrent beaucoup de mouvement et une certaine ascension sociale. Mais ils ne provoquent pas de modification significative de l’inégalité
des chances, qui demeure forte en France.