Les marchés bifaces - Autorité de la concurrence

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A usage officiel
DAF/COMP/WD(2009)62
Organisation de Coopération et de Développement Économiques
Organisation for Economic Co-operation and Development
03-Jun-2009
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Français - Or. Français
DIRECTION DES AFFAIRES FINANCIÈRES ET DES ENTREPRISES
COMITÉ DE LA CONCURRENCE
DAF/COMP/WD(2009)62
A usage officiel
TABLE RONDE SUR LES MARCHÉS BIFACES
-- Note de la Délégation Française --
Cette note est soumise par la délégation de la France au Comité de la Concurrence POUR DISCUSSION à sa
prochaine réunion qui se tiendra le 9 - 11 juin 2009.
Français - Or. Français
JT03265934
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DAF/COMP/WD(2009)62
CONCURRENCE SUR LES MARCHÉS BIFACES
Anne Perrot
-- Autorité de la Concurrence --
1.
Les marchés bifaces mettent en relation deux groupes d’agents qui ont des gains potentiels à
interagir. Une plateforme ou un intermédiaire rend possible ou facilite les transactions (en réduisant leur
coût). Cette activité engendre des externalités indirectes : le bénéfice d’un agent dépend du nombre
d’agents de l’autre groupe.
2.
Les exemples les plus classiques de ces marchés mettent en relation des vendeurs et des acheteurs
(agences immobilières), des lecteurs et des annonceurs publicitaires (médias), des commerçants et des
détenteurs de cartes bancaires (systèmes de paiement).
3.
Une des difficultés associées au fonctionnement de ces marchés bifaces est liée au fait que le
marché ne dégage des revenus qu’en attirant les deux groupes d’agents simultanément, ce qui du point de
vue concurrentiel pose des questions relatives au niveau et à la structure des tarifs (I), à la compréhension
des stratégies non tarifaires susceptibles d’être mises en œuvre par les acteurs et à la structure de marché la
plus efficace (II).
1.
Instruments tarifaires :
4.
Il peut exister une tarification différenciée suivant le groupe d’utilisateurs : ainsi, une agence
immobilière fait payer les vendeurs, mais non les acheteurs. La différenciation peut reposer sur des
caractéristiques identifiables ex ante ou bien révélées ex post par l’usage. Le prix peut être payé à
l’inscription ou à l’abonnement (comme dans le cas des cartes de crédit pour les porteurs) ou bien à la
transaction (comme dans le cas des cartes de crédit pour les commerçants). Cette tarification des deux
côtés du marché permet de tenir compte des élasticités-prix éventuellement différenciées selon les groupes.
Il est ainsi possible de subventionner un groupe par les paiements de l’autre, comme c’est le cas avec la
presse « gratuite » où les revenus tirés des annonceurs financent la consommation des lecteurs. Ceci
explique que, dans un marché biface, les tarifs et les coûts ne soient pas corrélés : un tarif peut être
inférieur au coût marginal de l’accès, nul ou même négatif en cas de subventionnement direct.
5.
Cette répartition des charges d’usage entre les deux groupes a une incidence sur la réalisation des
transactions.
6.
Une illustration de la prise en compte de ces stratégies tarifaire sophistiquées est donnée par
l’avis rendu par le Conseil de la concurrence sur le projet de concentration SIPA-Soc presse (Avis 05-A-18
du 11 octobre 2005 relatif à l’acquisition du pôle Ouest de la Société Socpresse et de fonds de commerce
de la SEMIF par la Société SIPA ). Dans son analyse des effets unilatéraux de l’opération, le Conseil
examine les risques que l’entité fusionnée augmente les prix des journaux qu’elle contrôlerait. Compte
tenu de la double présence des annonceurs et des lecteurs sur chacun des côtés du marché, une
augmentation du prix de vente sur le marché des lecteurs entraîne un classique effet d’augmentation de la
marge et de diminution de la demande, dans une proportion qui dépend de l’élasticité-prix. A ces effets
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s’ajoute la diminution de la disponibilité des annonceurs à payer pour des espaces publicitaires qui seront
lus par un nombre réduit de lecteurs. Le Conseil en conclut que le risque d’une augmentation du prix de
vente des journaux contrôlés par l’entité fusionnée est réduit par le jeu de ce double mécanisme d’effets
sur la demande, caractéristique des marchés bifaces.
2.
Structures de marché
7.
La situation diffère suivant que prévaut l’accès des agents à une seule plateforme
(« singlehoming ») ou que l’accès à plusieurs plateformes est possible (« multihoming »).
8.
Dans le cas de l’accès exclusif à une plateforme, il est crucial pour chaque plateforme en
concurrence d’attirer au moins un groupe d’agents pour faire venir l’autre groupe. Les externalités
exacerbent la concurrence car il est encore plus profitable, lorsque ces externalités existent, de baisser ses
prix et de pratiquer des tarifs agressifs sur un groupe d’agents pour renforcer l’attractivité sur l’autre
groupe. Cette situation conduit donc à des prix et des profits faibles.
9.
Toutefois, cette situation concurrentielle peut basculer vers le monopole, structure de marché
efficace du fait des externalités dont il renforce l’ampleur. On peut analyser en ces termes la concentration
intervenue entre les plateformes satellitaires TPS et Canal +, analysée (Avis du Conseil de la concurrence
06-A-13 du 13 juillet 2006 relatif à l’acquisition des sociétés TPS et Canalsatellite par Vivendi Universal
et Groupe Canal Plus ) : l’accès à un satellite fait clairement partie des marchés où une situation d’accès
unique prévaut, les consommateurs s’abonnant en règle générale à un opérateur unique. Dès lors, les
consommateurs ont intérêt à choisir la plateforme qui leur offre la plus grande variété de programmes.
Symétriquement, les chaînes qui sont rémunérées en fonction du nombre d’abonnés ont intérêt à être
présentes sur la plateforme satellitaire comportant le plus d’abonnés possibles. Dès lors, les forces qui
tendent à la constitution d’un monopole biface sont bien présentes. Des économies de coûts, incluant
celles réalisées sur les coûts de transaction, accompagnent cette concentration du marché.
10.
Dans l’affaire Mediavision (décision du Conseil de la concurrence 06-D-18 du 28 juin 2006
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique), la dimension
biface du marché est également abondamment argumentée. Elle sert en particulier à distinguer les marchés
de la régie publicitaire cinématographique pour la publicité locale et nationale. Dans le cas de la publicité
nationale, il est ainsi noté que chaque exploitant de salle de cinéma a intérêt à appartenir à la plus grande
régie, qui négocie les campagnes pour le plus grand nombre de salles possibles : en effet, les annonceurs
nationaux sont alors attirés par la perspective de voir leur campagne passer sur un grand nombre d’écrans.
Cette situation est caractéristique des effets de réseaux croisés propres aux marchés bifaces. Cet argument
ne vaut évidemment pas pour la publicité locale, qui ne recherche que l’exposition auprès de
consommateurs situés dans un périmètre restreint. Les effets de réseaux ne jouent pas et le fonctionnement
de ces marchés de dimension locale ne fait pas intervenir d’externalités liées à la taille.
11.
Dans le cas du multihoming, les choses sont tout à fait différentes. Comme il est impossible
d’attirer un groupe de façon exclusive, chaque agent pouvant choisir d’être client de plusieurs plateformes,
les incitations à baisser les prix payés par l’un ou l’autre des deux côtés du marché sont réduites. Le
multihoming, au contraire des situations à accès unique, réduit donc l’intensité de la concurrence en prix.
On devrait donc observer une plus faible intensité de la concurrence sur des marchés tels que les cartes
bancaires ou encore des médias (journaux, chaînes de télévision) concurrents.
12.
En pratique, ce panorama montre que les marchés bifaces conduisent les autorités de
concurrence à devoir affiner les réponses traditionnellement apportées sur toute une série de points :
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•
en matière de définition des marchés pertinents, l’impact de la variation du tarif d’un groupe sur
les profits réalisés sur l’autre groupe d’acheteurs rend difficile l’application des tests habituels de
monopoleur hypothétique ;
•
la déconnexion des structures de prix et de coûts complique l’application des tests habituels en
matière de prédation, certains prix pouvant s’avérer inférieurs aux coûts marginaux sans qu’il y
ait pour autant stratégie d’éviction. ;
•
une marge élevée sur un côté du marché ne traduit pas nécessairement un défaut de concurrence,
mais peut s’expliquer par une répartition des prix adaptée au mode de concurrence entre deux
plateformes ;
•
il est peut être plus difficile d’avoir une idée du degré de concurrence qui prévaut sur de tels
marchés bifaces du fait de la difficulté à appréhender un « prix total » ;
•
les structures de marchés les plus efficaces du point de vue des économies de coût et de l’intérêt
des consommateurs peuvent parfois être des structures monopolistiques. Celles-ci, une fois
constituées, si elles sont même efficaces, n’échappent pas toujours aux incitations à augmenter
les prix ;
•
l’exclusivité conduit à une concurrence plus intense que le multihoming, mais les autorités de la
concurrence ont peu de prise sur cette caractéristique de la demande ;
•
les ententes pourraient prendre la forme d’une coordination non seulement sur les prix, mais aussi
sur les structures de prix, mode de coordination peut-être moins apparent et plus difficile à
détecter pour les autorités.
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