2 – LES APPLICATIONS : A QUEL MOMENT COMMENCE ET FINIT

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Version pré-print : pour citer cet article :
« La notion de personne en droit : à quel moment
commence et termine la personne » ? in La personne dans
les sociétés techniciennes,dir. R. Mache, l’Harmattan,
2007, p. 59
2 - LES APPLICATIONS :
A QUEL MOMENT C OMMENCE
ET FINIT LA PERSONNE ?
La notion de personne en droit, si elle peut faire l’objet
d’une définition théorique, est nécessairement confrontée, en
pratique, à ses limites. Au-delà des rapprochements que l’on
peut mettre en évidence entre la personne et d’autres entités (les
animaux, la nature), il faut s’interroger avant tout sur le
commencement et la fin de la personne. Si l’on part d’un
présupposé théorique, selon lequel la personne juridique est
celle qui bénéficie de droits,1 on peut tenter de déterminer le
début et la fin d’une personne avec l’émergence et la disparition
des droits dont cette personne peut se prévaloir. Cette méthode
peut être appliquée à la période qui précède la naissance de la
personne humaine c’est la question du statut juridique de
l’embryon et du fœtus (I) mais on peut encore l’utiliser en ce
qui concerne le statut juridique du défunt (II).
Une hypothèse peut alors être soumise à vérification :
l’embryon ou le défunt ne peuvent être considérés comme des
personnes juridiques que s’ils bénéficient de droits. Une telle
problématique n’appelle pas de réponse tranchée.
1 Et parallèlement, sur qui repose des obligations ; mais cet aspect de la
question n’est pas nécessaire à la démonstration.
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I)DÉFINITION DE LA PERSONNE
ET STATUT DE LENFANT
CONÇU
La question du statut de l’embryon (ou du fœtus) s’est
présentée au juriste avec une particulière acuité depuis la
dépénalisation de l’avortement en 1975. Depuis, elle fait l’objet
d’un débat récurrent en matière de droit de la bioéthique. Sans
trancher ce débat, on peut mettre en évidence un certain nombre
d’éléments qui tendent à distinguer l’embryon de la personne
humaine (A) alors que d’autres éléments contribuent, au
contraire, à rapprocher l’embryon de la personne (B).
A) LE STATUT JURIDIQUE DE LENFANT CONÇU LE DISTINGUE
DE LA PERSONNE HUMAINE
L’embryon ou le tus possède un statut juridique
particulier qui lui empêche de bénéficier les droits les plus
fondamentaux (1) et qui ne le protège pas contre un risque de
destruction (2).
1) L’enfant conçu ne possède pas de droits
fondamentaux
Il faut citer en premier lieu l’article 16 du Code civil
selon lequel « La loi assure la primauté de la personne, interdit
toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de
l'être humain dès le commencement de sa vie ». Ce texte peut
être interprété comme établissant une distinction entre la
personne humaine et l’être humain. L’être humain existe dès le
commencement de sa vie, c'est-à-dire dès sa conception et il
doit être respec ; mais, dans l’article 16 il se distingue de la
personne humaine, laquelle bénéficie de la primauté2. Ce texte,
2 Ce terme étant lui-même particulièrement ambigu.
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qui émane de la loi de 1975 sur l’IVG3 reprend, en réalité, une
distinction qui transparaissait déjà dans la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789. Dans son article 1er, ce texte
dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droit »4. Il sous-entend de façon assez explicite que l’égalité
juridique des hommes débute à leur naissance. Avant cette date,
il n’y a point d’égalité et l’embryon ne peut être traité comme
un homme juridique, c'est-à-dire comme une personne.
L’embryon ne bénéficie pas d’une égalité de
traitement juridique, c'est-à-dire qu’il ne peut se prévaloir de
droits fondamentaux, tel que le droit à la vie. On trouve une
illustration de ce statut juridique précaire dans le droit de la
procréation médicalement assistée. Selon le Code de la santé
publique, cette technique de procréation est admise pour
répondre à la demande parentale d’un couple. L’assistance à la
procréation ne peut donc être envisagée que dans le cadre d’un
projet parental. Le problème se pose néanmoins, une fois
l’embryon conçu in vitro, de savoir si cet embryon peut se
prévaloir d’un droit à vivre, c'est-à-dire, en premier lieu, à
naître. La question a été soulevée d’abord en jurisprudence à
propos du transfert in utero de l’embryon post mortem, c'est-à-
dire postérieurement au décès du père. La jurisprudence, puis la
loi, ont interdit ce transfert5 soulignant ainsi l’absence d’un
droit à l’existence de l’embryon indépendamment du projet
parental. Si l’embryon ne possède pas un droit autonome à
naître, il est aussi mal protégé contre le risque d’atteinte portée à
son existence in vitro ou in utero.
3 Loi nº 75-596 du 9 juillet 1975 art. 6 Journal Officiel du 10 juillet 1975 ;
inséré dans le Code civil par la Loi nº 94-653 du 29 juillet 1994 art. 1 I, II,
art. 2 Journal Officiel du 30 juillet 1994.
4 Cité par P. Sargos, dans son rapport sous cass. ass. plén., 29 juin 2001. La
décision est disponible ainsi que le rapport et les conclusions de l’avocat
général sur le site de la Cour de cassation : http://www.courdecassation.fr/
(rubrique « grands arrêts »). Pour un commentaire doctrinal : cf. not. Sur cette
décision, Y. Mayaud, D. 2001, juris., p. 2917.
5 Article L2141-2 C.sant.pub., loi nº 2004-800 du 6 août 2004 art. 24 I Journal
Officiel du 7 août 2004 : « L'homme et la femme formant le couple doivent
être vivants ». cf. aussi, L. Brunet, de la distinction entre « personne » ou «
chose » en droit civil : a propos du transfert post mortem d’embryon, in la
recherche sur l’embryon, qualifications et enjeux, RGDM, 2000, n°spécial., p.
57.
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2) L’enfant conçu n’est pas protégé contre une atteinte
à sa vie
Cette absence de protection est particulièrement
évidente à propos de l’interruption volontaire de grossesse.
Qu’elle soit justifiée par une nécessité médicale, par la détresse
de la mère ou par la liberté de choix de celle-ci, l’IVG n’en reste
pas moins, au regard de l’embryon et d’un point de vue
juridique, un acte de destruction et d’atteinte à la vie6. En
dehors de tout débat d’ordre éthique, cette atteinte à la vie ne
peut faire l’objet que de deux interprétations. Soit l’IVG est
considérée comme une atteinte à la vie réprimée par les
dispositions du Code pénal sur l’homicide volontaire, mais qui
fait l’objet d’une autorisation légale7, soit l’IVG n’est pas
considérée comme un homicide et l’embryon doit être exclu de
la catégorie des personnes au sens juridique du terme.
C’est la seconde interprétation qui a été préférée par la
jurisprudence à propos de la destruction involontaire
d’embryons et de fœtus. On peut citer à ce titre la décision
rendue le 9 mars 2004 par le Tribunal administratif d’Amiens8,
lequel a été saisi d’une action en responsabilité dirigée contre un
centre hospitalier en raison de la destruction d’embryons
surnuméraires. Dans cette espèce, un récipient contenant des
embryons congelés destinés à une PMA s’était fissuré, puis
réchauffé. Les parents avaient demandé à l’hôpital des
dommages-intérêts pour perte d’être cher. Cette demande fut
rejetée par le tribunal qui affirma clairement que les embryons
surnuméraires « ne sont pas des personnes » et que les parents
6 Atteinte qui est limitée dans le temps pour l’IVG décidée par la mère, mais
qui peut avoir lieu jusqu’à la naissance en ce qui concerne l’IVG
thérapeutique. Article L2213-1 du code de la santé publique : « L'interruption
volontaire d'une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux
médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette
équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met
en péril grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que
l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue
comme incurable au moment du diagnostic ».
7 L’autorisation de la loi est alors conçue comme un fait justificatif qui fait
échapper son auteur à toute poursuite pénale.
8 TA Amiens, 9 mars 2004, JCP 2005, II, 10003, note I. Corpart.
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« ne sont pas fondés à se prévaloir de l’existence d’un préjudice
moral résultant, selon eux, de la perte d’un être cher »9.
Cette jurisprudence est conforme à la politique du
législateur sur ce point. Lorsque le couple qui a eu recours à une
PMA a abandonné son projet parental, les embryons
surnuméraires peuvent être confiés à un autre couple, destinés à
la recherche, ou tout simplement détruit à l’issue d’un délai de
cinq ans10. L’absence d’utilité de l’embryon surnuméraire ouvre
la voie à sa destruction, soulignant un peu plus l’absence d’un
droit de l’embryon à une existence autonome. Ce statut précaire
est encore appliqué à l’embryon ou au fœtus qui se développe in
utero.
La question s’est posée à de multiples reprises à propos
du décès prématuré d’embryons ou de fœtus à l’occasion d’un
accident de la circulation. Dans de telles circonstances, la
question se pose de savoir si l’auteur de l’accident peut être
condamné sur le fondement du délit d’homicide involontaire11.
La réponse à cette question a fait l’objet d’un important débat
avec, en filigrane, l’enjeu qui consiste à déterminer la date à
partir de laquelle l’être humain peut se prévaloir dun droit à
vivre.
Le débat s’est alors porté sur la date à partir de
laquelle le fœtus est considéré comme viable. La viabilité du
fœtus peut être définie comme l’aptitude à vivre de façon
autonome une fois séparée de la mère. Ce stade du
développement est essentiel, car il permet de séparer
physiquement l’enfant de sa mère. Le critère pourrait aussi
permettre de distinguer juridiquement ces deux personnes ; mais
le problème réside dans le fait que la viabilité est très difficile à
dater12. L’académie de médecine, interrogée par la Cour de
9 On peut souligner à cet égard que le décès d’un animal peut provoquer, selon
la Cour de cassation, la perte d’un être cher. Cass. civ 1ère, 16 fév. 1962, D.
1962, juris., p. 199.
10 Art 2141-4 C. sant.pub. issu de la loi 2004-800 du 6 août 2004.
11 Atteinte involontaire à la vie, C.pén., art 221-6 et suiv.
12 Cf. par exemple J. Saint-Rose, conclusions sous cass. ass. plén., 29 juin
2001. « On estime généralement en France, dans les services de réanimation
néonatale qu'à partir de 32 semaines de grossesse une viabilité sans aide
médicale est acquise. A partir de 24 semaines la réanimation est en général
justifiée ; entre 22 et 24 semaines de grossesse elle se discute davantage en
raison d'une mortalité plus élevée et des risques de séquelles graves ; enfin, en
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