À côté de cette réalité quantifiable du vieillissement, existent des
perceptions et des discours sur ce phénomène et ses conséquences.
Souvent, il est associé à l’idée de la vieillesse individuelle, synonyme,
dans l’imaginaire collectif de nos sociétés, de déchéance, d’enlaidis-
sement, de capacités physiques et intellectuelles diminuées, etc. La
notion de vieillesse est pourtant largement culturelle, relative et
subjective (Bourdelais, 1993) ; le déclin qui est censé l’accompagner
et la caractériser est lui-même fonction des conditions, matérielles et
intellectuelles, dans lesquelles se déroule le processus. Dès lors, s’il
est indiscutable que l’âge moyen des personnes que l’on croise dans
la rue, celui des salariés de la plupart des entreprises, celui des parle-
mentaires (Chauvel, 2002), etc., augmente effectivement avec le
vieillissement actuel, il n’est pas moins évident que l’état moyen de
santé, physique et mentale, des personnes plus âgées que la moyenne,
celles que l’on aura tendance, dans toute société, à considérer comme
« vieilles », s’améliore constamment.
L’accroissement tendanciel de la longévité est-il illimité? La vie
humaine est-elle, naturellement, génétiquement, bornée, par exemple
à 130 ans? L’allongement de l’espérance de vie correspondrait alors
au fait qu’une proportion sans cesse plus importante de chaque
cohorte atteindrait des âges proches de cette limite indépassable. Ou
bien les progrès de l’hygiène, de l’alimentation et de la médecine sont-
ils susceptibles de repousser indéfiniment cette limite? Il ne semble
pas que les scientifiques puissent, aujourd’hui, apporter une réponse
ferme et définitive à cette question cruciale; cette incertitude se reflète
dans les écarts entre les scénarios des diverses projections démogra-
phiques disponibles 4.
À supposer que l’on puisse lever ces incertitudes, que dire alors
des conséquences économiques du vieillissement démographique?
Outre la préoccupation, au demeurant légitime, sur l’avenir des
systèmes publics de retraite par répartition, dont certains paramètres
devront inéluctablement être modifiés, l’accélération perceptible du
vieillissement suscite, dans les sociétés européennes et parmi les
commentateurs du phénomène, des peurs dont les fondements sont,
pour le moins, ténus.
VIEILLISSEMENT ET RICHESSE DES NATIONS
51
Revue de l’OFCE 84
4. Cette incertitude est illustrée, notamment, par les scénarios du tableau 2 pour les États-
Unis. Dans le passé, la plupart des projections démographiques, notamment celles des Nations
Unies, ont systématiquement sous-estimé l’allongement tendanciel de l’espérance de vie. Il semble
qu’il en aille de même pour les projections réalisées ces dernières années (Dinh, 1991). Ajoutons
qu’une incertitude non négligeable entoure également les évolutions futures des taux de
fécondité: baisseront-ils, dans les pays où ils sont encore élevés, jusqu’à une descendance finale
d’un peu plus de 2 enfants par femme, niveau qui assure juste le renouvellement des généra-
tions? Et dans les pays développés, où ils sont souvent inférieurs à ce niveau, se redresseront-ils
pour empêcher, à long terme, un déclin démographique inéluctable à court terme? En outre,
bien sûr, il est possible, voire probable, que des flux migratoires viennent modifier les consé-
quences des évolutions naturelles ici évoquées. Sur ce dernier point, voir notamment: ONU,
2001; Héran, 2002; Dantec, 2002a.