pas ne pas faire allusion à ces temps nouveaux qui s’ouvraient, dès lors que la fin
de la métaphysique n’était pas identifiée avec la fin de la philosophie.
Vous voilà peu à peu embarqué grâce à Jean Beaufret dans l’exploration
de ces temps nouveaux, sans négliger l’autre appel qui est passé au même
moment par votre professeur de Lettres, Daniel Gallois. Lui a entrepris de vous
ouvrir aux révélations des poètes et, en même temps, il vous a obligé à écrire
vraiment en français.
Écrire en français, quel programme ! Mais écrire en philosophe qui ne
cesse pas de penser ce qu’il écrit et qui, peut-être même, laisse ses livres
s’inscrire d’abord en lui ! Il m’arrive, Monsieur, de partager les tourments de vos
lecteurs non initiés à la phénoménologie lorsqu’ils essaient de vous comprendre.
Mais moi, parce que je vous connais et que je m’en suis expliqué avec vous, j’ai
compris au moins ceci : c’est le travail intérieur de l’intelligence qui façonne
votre écriture, et c’est une écriture exigeante, ardente, à travers laquelle on sent
bien que vous obéissez vous-même non pas à vos goûts, ni même à vos idées,
mais à ce qui vous est donné, surtout quand vous êtes conduit à penser Dieu
selon cette étonnante logique du don qui dépasse tellement le mouvement
spontané de l’esprit : « Dieu ne peut se donner à penser sans idolâtrie qu’à partir
de lui seul : se donner à penser comme amour, donc comme don, se donner à
penser comme une pensée du don. Au mieux, comme un don pour la pensée,
comme un don qui se donne à penser. Mais un don, qui se donne à jamais, ne
peut se penser que par une pensée qui se donne au don à penser. Une pensée qui
se donne peut seule s’ordonner à un don pour la pensée. Mais, pour la pensée, se
donner, qu’est-ce, sinon aimer ? » (Dieu sans l’être, Paris, 1982, p. 75).
Si l’on n’entendait pas cette question finale, on pourrait avoir l’impression
que vous jouez avec les mots, en les faisant cliqueter à plaisir. En vous lisant et
en vous relisant, j’ai plutôt l’impression que vous luttez intérieurement et que
votre écriture exprime et expose ce combat intime.
En tout cas, dès vos années de formation, vous avez compris que la
philosophie ne serait pas pour vous seulement un métier, mais une passion, peut-
être dangereuse, oui dangereuse, parce qu’elle ne vous laisserait jamais en repos
et vous obligerait sans cesse à aller de l’avant. La pratique du sport vous a appris
cette exigence non pas de détente, mais de dépassement, qui passe par une lutte
avec soi-même et aussi contre soi-même, à ses risques et périls. Votre style
révèle cette espèce de tension tenace sans laquelle la pensée ne pourrait pas se
déployer vraiment. L’inquiétude est bien cette tension qu’évoque saint Augustin
au début de ses Confessions et elle vaut pour le travail de l’esprit autant que pour
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