Coma myxœdémateux Myxoedema coma Y. Reznik*, D. Du Cheyron* Définition Le coma myxœdémateux se définit comme une insuffisance thyroïdienne profonde et prolongée aboutissant à un trouble cognitif allant du ralentissement psychomoteur majeur au coma dans un contexte d’hypothermie. Un facteur déclenchant est souvent identifiable, comme une infection, une nécrose myocardique, une intervention chirurgicale ou la prise d’une drogue psychotrope sédative. Il s’agit d’une urgence médicale, devenue rare en 2005, mais qui garde un pronostic sévère. Causes Le coma myxœdémateux est presque toujours lié à une insuffisance thyroïdienne primaire, l’insuffisance thyréotrope étant exceptionnellement en cause. L’étiologie de cette insuffisance thyroïdienne n’est pas univoque, le mécanisme responsable pouvant être auto-immun, chirurgical, postIRA-thérapie, médicamenteux (lithium, amiodarone, etc.). Signes cliniques Ce coma métabolique touche plus volontiers la femme âgée. Il doit être suspecté chez toute personne présentant un coma inexpliqué avec hypothermie inférieure ou égale à 36 °C. * Service d’endocrinologie, CHU Côte de Nacre, Caen. Un antécédent de thyroïdectomie (cicatrice cervicale), un traitement par l’iode radioactif ou l’amiodarone, une hypothyroïdie connue constitueront de précieux éléments d’orientation diagnostique. La présentation peut être moins évidente avec : – des troubles neurologiques allant des difficultés de concentration à la somnolence, au ralentissement psychomoteur, voire à un état léthargique qui s’aggrave rapidement ; – des signes cérébelleux peuvent être observés ; – un état comitial induit par l’hyponatrémie. L’aspect du patient est marqué par une paleur cutanéo-muqueuse, des œdèmes diffus, une infiltration des paupières et une macroglossie. L’hypothermie est retrouvée dans 80 % des cas. Elle est due à une diminution marquée du métabolisme basal et de la thermogenèse. Sa profondeur conditionne le pronostic vital. Des signes cardiovasculaires sont présents : bradycardie constante, bruits du cœur assourdis, et parfois, frottement péricardique. Une hypotension artérielle est fréquente et peut être révélatrice d’une décompensation hémodynamique de cause non univoque dans ce contexte. À l’inverse, une hypertension artérielle est parfois présente, tant que l’état hémodynamique reste stable. Des signes respiratoires sont fréquents, à type de bradypnée pouvant confiner à des pauses respiratoires. L’aboutissant est une hypoventilation alvéolaire qui peut être majorée par un épanchement pleural ou un foyer de surinfection bronchopulmonaire. Le transit intestinal est ralenti, avec parfois un état subocclusif par iléus réflexe. Une rétention d’urines peut être présente. Certains symptômes accessoires d’insuffisance thyroïdienne peuvent orienter vers le coma myxœdémateux : – dépilation de la queue des sourcils ; – disparition des pilosités axillaire et pubienne ; – froideur des extrémités ; – ongles secs et cassants, alopécie plus ou moins prononcée ; – accesoirement, quand il est appréciable, le temps de demi-relaxation du réflexe achiléen est très allongé. Première partie : thyroïde – parathyroïde diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Examens paracliniques Les troubles hydroélectrolytiques sont les reflets biologiques de l’hyperhydratation globale. – Une hyponatrémie est présente chez 50 % des patients et atteint souvent des chiffres inférieurs à 120 mmol/l. Elle participe aux troubles de la conscience. Elle est due à un défaut d’excrétion de l’eau libre par secrétion inappropriée d’hormone antidiurétique avec hypervasopressinémie. S’y associent une diminution de l’activité du système rénineangiotensine-aldostérone et parfois une insuffisance rénale par hypoperfusion glomérulaire. – La protidémie et l’hématocrite sont abaissées, témoins de l’hémodilution. – L’hypo-osmolarité plasmatique est fréquemment associée à une élévation de l’osmolarité urinaire. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 117 diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques – Une anémie normo- ou macrocytaire, de mécanisme “central” est souvent présente. – L’existence d’une hypoglycémie, par défaut de néoglucogenèse, devra faire suspecter soit une atteinte antéhypophysaire, soit une association à une insuffisance surrénale primaire dans le cadre d’une polyendocrinopathie auto-immune. – L’analyse des gaz du sang révèle une acidose respiratoire décompensée. – L’élévation importante du taux des enzymes musculaires (myopathie thyroïdienne) a le double intérêt de renforcer la présomption de coma myxœdémateux et de préciser l’intensité de la rhabdomyolyse qui peut compromettre l’intégrité de la fonction rénale. Il est possible de constater une élévation de la fraction CPKMB, mimant celle observée dans les nécroses myocardiques. C’est une traduction de la cardiomyopathie myxœdémateuse qui est susceptible de persister longtemps dans les circonstances de décompensation myxœdémateuse. Quand le diagnostic de coma myxœdémateux est évoqué, un prélèvement sanguin est effectué pour détermination des taux plasmatiques de TSH et d’hormones thyroïdiennes. Le résultat ne sera, bien entendu, pas attendu pour mettre en route la thérapeutique d’urgence. Dans la quasi-totalité des cas, le taux de TSH plasmatique est très élevé et celui de T4 libre effondré ou non mesurable. Cela signe l’insuffisance thyroïdienne primaire. Beaucoup plus rarement, le contraste entre l’effondrement du taux de T4 libre plasmatique et un chiffre de TSH paradoxalement non élevé, traduira biologiquement le déficit thyréotrope. Il est de bonne règle de déterminer le taux de cortisol plasmatique, en précisant bien l’heure de prélèvement lorsque celui-ci est fait en urgence. La radiographie thoracique et l’échocardiographie préciseront l’existence d’un épanchement péri- 118 cardique, suspecté par un microvoltage dans toutes les dérivations de l’électrocardiogramme. Cet examen révèlera, par ailleurs, un aplatissement ou une inversion de l’onde T, un allongement des espaces PR et QT. Pronostic et facteurs de gravité Le coma myxœdémateux garde un pronostic sévère. Les facteurs déclenchants doivent être dépistés et les indices de gravité pour le pronostic vital évalués. Une cause infectieuse sera recherchée par la réalisation des examens suivants : – ECBU ; – hémocultures ; – radiographie du thorax. Sa présence constitue toujours un facteur de mauvais pronostic. Les autres indices de mauvais pronostic sont : – l’hypoventilation alvéolaire avec acidose respiratoire. Elle est due à la dépression respiratoire centrale, à la défaillance des muscles respiratoires, à l’obstruction des voies aériennes supérieures (macroglossie) et à une bronchopathie ; – la défaillance hémodynamique liée à une insuffisance cardiaque consécutive à une diminution de la contractilité myocardique. Elle est d’autant plus grave si elle s’associe à une bradycardie marquée. Cependant, ce tableau est rare en l’absence de cardiopathie préexistante en raison de l’hypométabolisme basal. Un épanchement péricardique est en revanche fréquent, mais en général sans retentissement hémodynamique ; – l’hypothermie profonde < 30 °C ; – un surdosage médicamenteux pouvant à la fois précipiter la décompensation du myxœdème et aggraver le pronostic du coma (psychotropes sédatifs, drogues à visée cardiovasculaire). Une évolution défavorable survient dans 30 à 40 % des cas, notamment Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 chez les sujets âgés. Le décès est en général lié à des complications infectieuses, une défaillance polyviscérale, ou des complications cardiovasculaires dominées par la décompensation coronarienne ou un trouble du rythme paroxystique précipités par le traitement compensateur en hormones thyroïdiennes. Traitement Les mesures générales comportent le maintien en unité de soins intensifs avec monitorage thermique, cardiorespiratoire et hémodynamique et traitement des infections intercurrentes. Le maintien d’un état ventilatoire correct est le premier objectif : liberté des voies aériennes, oxygénothérapie nasale, voire ventilation assistée en cas d’hypoxie ou d’hypercapnie décompensée avec acidose. Le réchauffement progressif sera obtenu par des couvertures ou un lit fluidifié chauffant. La correction de l’hypothermie et la substitution en hormones thyroïdiennes aideront à lever les résistances périphériques et permettront de restaurer la volémie. On évitera un réchauffement trop rapide qui comporterait un risque de collapsus et de troubles du rythme cardiaque. Le remplissage vasculaire est prudent, sous monitorage hémodynamique intensif dans les formes graves (surveillance de l’index cardiaque et des résistances systémiques ou de la VO2 max) : la dopamine est le seul vasoconstricteur préconisé du fait d’une diminution de la sensibilité des récepteurs adrénergiques. La correction progressive de l’hyponatrémie sera obtenue par une restriction hydrique modérée et par une perfusion prudente de soluté salé hypertonique (50 à 100 ml de NaCl à 5 %) en cas d’hyponatrémie inférieure à 110 mmol/l à l’origine de crises comitiales. Le maintien d’apports énergétiques suffisants (en particulier d’hydrates Première partie : thyroïde – parathyroïde de carbone) par une nutrition parentérale, jouera un rôle essentiel dans le métabolisme thyroïdien, permettant la conversion de la T4 en T3 active. Une perfusion de soluté glucosé à 5 ou 10 % sera utilisée en cas d’hypoglycémie. Le traitement substitutif spécifique par l’hormone thyroïdienne doit être mis en route sans attendre, mais avec prudence. La déplétion totale du stock en hormones thyroïdiennes milite pour l’introduction de fortes doses de substitution, mais cela expose au risque de décompensation myocardique par un mécanisme ischémique ou dysrythmique. On ne dispose pas d’études comparant les traitements à faible et à forte dose d’hormones thyroïdiennes. L’utilisation de la tri-iodothyronine (T3) peut être préférée en raison de son action plus rapide (demi-vie courte, activité obtenue plus rapidement, car la T3 est la forme directement active des hormones thyroïdiennes). La voie parentérale (i.v.) est en général préférée. On employera un bolus initial de 20 à 40 g de T3, puis une dose quotidienne de 5 à 15 g. Une alternative sera l’utilisation de la T4 à raison d’un bolus initial de 200 à 500 g i.v. suivi d’une dose quotidienne de 25 à 100 g i.v., puis d’un apport oral dès que possible. L’inconvénient théorique de l’utilisation de la T4 réside dans la diminution de l’activité 5’-désiodase (qui convertit T4 en T3) en raison même de l’hypothyroïdie et des affections intercurrentes possibles (infections, défaillances viscérales, etc.) responsables d’un syndrome de “basse T3”. L’association T4 + T3 a été proposée, par exemple en bolus i.v. de 200 à 300 g de T4 associé à 5 à 20 g de T3, suivi de 50 g/j de T4 associés à 2,5 à 10 g de T3 toutes les 8 heures. Certains auteurs ont proposé des doses d’attaque plus élevées et d’autres des plus faibles, mais les posologies moyennes semblent les plus efficaces. Une augmentation trop rapide du métabolisme de base induite par de fortes doses d’hormones thyroïdiennes risque d’induire une ischémie tissulaire, en particulier myocardique. Les fortes doses d’hormones thyroïdiennes (> 500 g de T4 ou > 75 g de T3) sont, de ce fait, associées à une mortalité plus élevée. La dose d’hormones thyroïdiennes sera choisie en fonction du poids du patient, de son âge, de l’existence d’une pathologie cardiovasculaire connue (en particulier ischémique ou arythmique). La plupart des auteurs associent à la substitution thyroïdienne, une compensation par glucocorticoïdes, justifiée par l’hypométabolisme corticosurrénalien fonctionnel lié à la carence en hormones thyroïdiennes. Une dose journalière de 25 à 50 g d’hydrocortisone i.v. est généralement proposée, des doses supérieures étant utilisées en cas d’insuffisance surrénalienne avérée (100 à 300 g/j d’hydrocortisone par voie i.v.). Quel que soit le schéma thérapeutique utilisé, une amélioration clinique doit apparaître au bout de quelques heures, puis la correction complète de l’insuffisance thyroïdienne demandera quelques semaines à quelques mois sous surveillance endocrinologique. 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