Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
Coma myxœdémateux
Myxoedema coma
Y. Reznik*, D. Du Cheyron*
Définition
Le coma myxœdémateux se définit
comme une insuffisance thyroï-
dienne profonde et prolongée abou-
tissant à un trouble cognitif allant
du ralentissement psychomoteur
majeur au coma dans un contexte
d’hypothermie.
Un facteur déclenchant est souvent
identifiable, comme une infection,
une nécrose myocardique, une
intervention chirurgicale ou la prise
d’une drogue psychotrope sédative.
Il s’agit d’une urgence médicale,
devenue rare en 2005, mais qui
garde un pronostic sévère.
Causes
Le coma myxœdémateux est presque
toujours lié à une insuffisance thy-
roïdienne primaire, l’insuffisance
thyréotrope étant exceptionnelle-
ment en cause. L’étiologie de cette
insuffisance thyroïdienne n’est pas
univoque, le mécanisme responsable
pouvant être auto-immun, chirurgical,
postIRA-thérapie, médicamenteux
(lithium, amiodarone, etc.).
Signes cliniques
Ce coma métabolique touche plus
volontiers la femme âgée.
Il doit être suspecté chez toute per-
sonne présentant un coma inexpli-
qué avec hypothermie inférieure ou
égale à 36 °C.
Un antécédent de thyroïdectomie
(cicatrice cervicale), un traitement par
l’iode radioactif ou l’amiodarone, une
hypothyroïdie connue constitueront
de précieux éléments d’orientation
diagnostique.
La présentation peut être moins évi-
dente avec :
– des troubles neurologiques allant
des difficultés de concentration à la
somnolence, au ralentissement psy-
chomoteur, voire à un état léthar-
gique qui s’aggrave rapidement ;
– des signes cérébelleux peuvent
être observés ;
– un état comitial induit par l’hypo-
natrémie.
L’aspect du patient est marqué par
une paleur cutanéo-muqueuse, des
œdèmes diffus, une infiltration des
paupières et une macroglossie.
L’hypothermie est retrouvée dans
80 % des cas. Elle est due à une
diminution marquée du métabo-
lisme basal et de la thermogenèse.
Sa profondeur conditionne le pro-
nostic vital.
Des signes cardiovasculaires sont
présents : bradycardie constante,
bruits du cœur assourdis, et parfois,
frottement péricardique. Une hypo-
tension artérielle est fréquente et peut
être révélatrice d’une décompensa-
tion hémodynamique de cause non
univoque dans ce contexte. À l’in-
verse, une hypertension artérielle
est parfois présente, tant que l’état
hémodynamique reste stable.
Des signes respiratoires sont fré-
quents, à type de bradypnée pouvant
confiner à des pauses respiratoires.
L’aboutissant est une hypoventila-
tion alvéolaire qui peut être majorée
par un épanchement pleural ou un
foyer de surinfection bronchopul-
monaire.
Le transit intestinal est ralenti, avec
parfois un état subocclusif par iléus
réflexe.
Une rétention d’urines peut être
présente.
Certains symptômes accessoires
d’insuffisance thyroïdienne peuvent
orienter vers le coma myxœdéma-
teux :
– dépilation de la queue des sour-
cils ;
– disparition des pilosités axillaire
et pubienne ;
– froideur des extrémités ;
– ongles secs et cassants, alopécie
plus ou moins prononcée ;
– accesoirement, quand il est appré-
ciable, le temps de demi-relaxation
du réflexe achiléen est très allongé.
Examens paracliniques
Les troubles hydroélectrolytiques
sont les reflets biologiques de l’hyper-
hydratation globale.
– Une hyponatrémie est présente chez
50 % des patients et atteint souvent
des chiffres inférieurs à 120 mmol/l.
Elle participe aux troubles de la
conscience. Elle est due à un défaut
d’excrétion de l’eau libre par secré-
tion inappropriée d’hormone anti-
diurétique avec hypervasopressiné-
mie. S’y associent une diminution
de l’activité du système rénine-
angiotensine-aldostérone et parfois
une insuffisance rénale par hypo-
perfusion glomérulaire.
– La protidémie et l’hématocrite
sont abaissées, témoins de l’hémo-
dilution.
– L’hypo-osmolarité plasmatique
est fréquemment associée à une élé-
vation de l’osmolarité urinaire.
* Service d’endocrinologie, CHU Côte de Nacre,
Caen.
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Première partie : thyroïde – parathyroïde
Urgences
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
– Une anémie normo- ou macro-
cytaire, de mécanisme “central” est
souvent présente.
– L’existence d’une hypoglycémie,
par défaut de néoglucogenèse, devra
faire suspecter soit une atteinte anté-
hypophysaire, soit une association à
une insuffisance surrénale primaire
dans le cadre d’une polyendocrino-
pathie auto-immune.
– L’analyse des gaz du sang révèle
une acidose respiratoire décompen-
sée.
– L’élévation importante du taux des
enzymes musculaires (myopathie
thyroïdienne) a le double intérêt de
renforcer la présomption de coma
myxœdémateux et de préciser l’inten-
sité de la rhabdomyolyse qui peut
compromettre l’intégrité de la fonction
rénale. Il est possible de constater
une élévation de la fraction CPK-
MB, mimant celle observée dans les
nécroses myocardiques. C’est une
traduction de la cardiomyopathie
myxœdémateuse qui est susceptible
de persister longtemps dans les
circonstances de décompensation
myxœdémateuse.
Quand le diagnostic de coma
myxœdémateux est évoqué, un
prélèvement sanguin est effectué
pour détermination des taux plas-
matiques de TSH et d’hormones
thyroïdiennes. Le résultat ne sera,
bien entendu, pas attendu pour mettre
en route la thérapeutique d’urgence.
Dans la quasi-totalité des cas, le taux
de TSH plasmatique est très élevé et
celui de T4 libre effondré ou non
mesurable. Cela signe l’insuffisance
thyroïdienne primaire. Beaucoup
plus rarement, le contraste entre
l’effondrement du taux de T4 libre
plasmatique et un chiffre de TSH
paradoxalement non élevé, traduira
biologiquement le déficit thyréo-
trope.
Il est de bonne règle de déterminer
le taux de cortisol plasmatique, en
précisant bien l’heure de prélève-
ment lorsque celui-ci est fait en
urgence.
La radiographie thoracique et
l’échocardiographie préciseront
l’existence d’un épanchement péri-
cardique, suspecté par un microvol-
tage dans toutes les dérivations de
l’électrocardiogramme. Cet examen
révèlera, par ailleurs, un aplatisse-
ment ou une inversion de l’onde T,
un allongement des espaces PR
et QT.
Pronostic
et facteurs de gravité
Le coma myxœdémateux garde un
pronostic sévère. Les facteurs déclen-
chants doivent être dépistés et les
indices de gravité pour le pronostic
vital évalués. Une cause infectieuse
sera recherchée par la réalisation
des examens suivants :
– ECBU ;
– hémocultures ;
– radiographie du thorax.
Sa présence constitue toujours un
facteur de mauvais pronostic.
Les autres indices de mauvais pro-
nostic sont :
– l’hypoventilation alvéolaire avec
acidose respiratoire. Elle est due à
la dépression respiratoire centrale,
à la défaillance des muscles respi-
ratoires, à l’obstruction des voies
aériennes supérieures (macroglossie)
et à une bronchopathie ;
– la défaillance hémodynamique liée
à une insuffisance cardiaque consé-
cutive à une diminution de la contrac-
tilité myocardique. Elle est d’autant
plus grave si elle s’associe à une
bradycardie marquée. Cependant,
ce tableau est rare en l’absence de
cardiopathie préexistante en raison de
l’hypométabolisme basal. Un épan-
chement péricardique est en revanche
fréquent, mais en général sans reten-
tissement hémodynamique ;
– l’hypothermie profonde < 30 °C ;
– un surdosage médicamenteux pou-
vant à la fois précipiter la décompen-
sation du myxœdème et aggraver le
pronostic du coma (psychotropes
sédatifs, drogues à visée cardiovas-
culaire).
Une évolution défavorable survient
dans 30 à 40 % des cas, notamment
chez les sujets âgés. Le décès est en
général lié à des complications infec-
tieuses, une défaillance polyviscérale,
ou des complications cardiovas-
culaires dominées par la décompen-
sation coronarienne ou un trouble
du rythme paroxystique précipités
par le traitement compensateur en
hormones thyroïdiennes.
Traitement
Les mesures générales comportent le
maintien en unité de soins intensifs
avec monitorage thermique, cardio-
respiratoire et hémodynamique et
traitement des infections intercur-
rentes.
Le maintien d’un état ventilatoire
correct est le premier objectif: liberté
des voies aériennes, oxygénothéra-
pie nasale, voire ventilation assistée
en cas d’hypoxie ou d’hypercapnie
décompensée avec acidose.
Le réchauffement progressif sera
obtenu par des couvertures ou un lit
fluidifié chauffant. La correction de
l’hypothermie et la substitution en
hormones thyroïdiennes aideront à
lever les résistances périphériques et
permettront de restaurer la volémie.
On évitera un réchauffement trop
rapide qui comporterait un risque de
collapsus et de troubles du rythme
cardiaque.
Le remplissage vasculaire est prudent,
sous monitorage hémodynamique
intensif dans les formes graves (sur-
veillance de l’index cardiaque et des
résistances systémiques ou de la
VO2max) : la dopamine est le seul
vasoconstricteur préconisé du fait
d’une diminution de la sensibilité
des récepteurs adrénergiques.
La correction progressive de l’hypo-
natrémie sera obtenue par une res-
triction hydrique modérée et par une
perfusion prudente de soluté salé
hypertonique (50 à 100 ml de NaCl
à 5 %) en cas d’hyponatrémie infé-
rieure à 110 mmol/l à l’origine de
crises comitiales.
Le maintien d’apports énergétiques
suffisants (en particulier d’hydrates
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Urgences
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
de carbone) par une nutrition paren-
térale, jouera un rôle essentiel dans
le métabolisme thyroïdien, permet-
tant la conversion de la T4 en T3
active. Une perfusion de soluté glu-
cosé à 5 ou 10 % sera utilisée en cas
d’hypoglycémie.
Le traitement substitutif spécifique
par l’hormone thyroïdienne doit
être mis en route sans attendre, mais
avec prudence. La déplétion totale
du stock en hormones thyroïdiennes
milite pour l’introduction de fortes
doses de substitution, mais cela
expose au risque de décompensa-
tion myocardique par un mécanisme
ischémique ou dysrythmique. On ne
dispose pas d’études comparant les
traitements à faible et à forte dose
d’hormones thyroïdiennes.
L’utilisation de la tri-iodothyronine
(T3) peut être préférée en raison de
son action plus rapide (demi-vie
courte, activité obtenue plus rapide-
ment, car la T3 est la forme directe-
ment active des hormones thyroï-
diennes). La voie parentérale (i.v.) est
en général préférée. On employera
un bolus initial de 20 à 40 g de T3,
puis une dose quotidienne de 5 à
15 g.
Une alternative sera l’utilisation de
la T4 à raison d’un bolus initial de
200 à 500 g i.v. suivi d’une dose
quotidienne de 25 à 100 g i.v., puis
d’un apport oral dès que possible.
L’inconvénient théorique de l’utili-
sation de la T4 réside dans la dimi-
nution de l’activité 5’-désiodase
(qui convertit T4 en T3) en raison
même de l’hypothyroïdie et des
affections intercurrentes possibles
(infections, défaillances viscérales,
etc.) responsables d’un syndrome
de “basse T3”.
L’association T4 + T3 a été proposée,
par exemple en bolus i.v. de 200 à
300 g de T4 associé à 5 à 20 g
de T3, suivi de 50 g/j de T4 asso-
ciés à 2,5 à 10 g de T3 toutes les
8heures. Certains auteurs ont pro-
posé des doses d’attaque plus éle-
vées et d’autres des plus faibles,
mais les posologies moyennes sem-
blent les plus efficaces. Une aug-
mentation trop rapide du métabo-
lisme de base induite par de fortes
doses d’hormones thyroïdiennes
risque d’induire une ischémie tissu-
laire, en particulier myocardique.
Les fortes doses d’hormones thyroï-
diennes (> 500 g de T4 ou > 75 g
de T3) sont, de ce fait, associées à
une mortalité plus élevée.
La dose d’hormones thyroïdiennes
sera choisie en fonction du poids du
patient, de son âge, de l’existence
d’une pathologie cardiovasculaire
connue (en particulier ischémique
ou arythmique).
La plupart des auteurs associent à
la substitution thyroïdienne, une
compensation par glucocorticoïdes,
justifiée par l’hypométabolisme
corticosurrénalien fonctionnel lié
à la carence en hormones thyroï-
diennes. Une dose journalière de
25 à 50 g d’hydrocortisone i.v. est
généralement proposée, des doses
supérieures étant utilisées en cas
d’insuffisance surrénalienne avérée
(100 à 300 g/j d’hydrocortisone
par voie i.v.).
Quel que soit le schéma thérapeu-
tique utilisé, une amélioration cli-
nique doit apparaître au bout de
quelques heures, puis la correction
complète de l’insuffisance thyroï-
dienne demandera quelques semaines
à quelques mois sous surveillance
endocrinologique.
Références
Burger AG, Philippe J. Thyroid emergencies. In
Endocrine emergencies, Baillière’s Clinical Endo-
crinology and Metabolism. Baillière Tindall 1992;
6:77-93.
Wartofsky L. Myxoedema coma. In The Thyroid,
Braverman LE, Utiger RD Eds, Lipincott-Raven,
Philadelphia, 1996 p871.
Yamamoto T, Fukuyama J, Fujiyoshi A. Factors
associated with mortality of myxoedema coma:
report of eight cases and literature survey. Thyroid
1999;9:1167-74.
119
Première partie : thyroïde – parathyroïde
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