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LAREVUENOUVELLE - SEPTEMBRE 2008
Imparfait virtuel
THÉO HACHEZ
Au fond, si la grammaire serait logique, elle adopterait le conditionnel
après « si ». On dirait, comme dans La guerre des boutons : « Si j’aurais
su, j’aurais pas venu. » Cest du reste ainsi que la plupart des marmots
et bon nombre de non-francophones en usent naturellement, à la grande
consternation des parents et des enseignants.
Tout est ici affaire de mode et de temps, de formes et de sens qui se
mélangent. Le temps, c’est la catégorie par laquelle on situe laction sur un
axe où un présent fugace sépare le passé du futur ; et le mode, celle par la-
quelle on voyage dans l’imaginaire en prenant en compte les rapports entre
l’action du verbe et la disposition d’esprit (les états d’âme, les intentions…)
de celui qui parle ou de celui qui agit. Les nuances du temps comme celles
du mode sexpriment par la conjugaison (la fl exion des terminaisons), le
recours à des auxiliaires (pouvoir, devoir, etc.) ou encore le jeu des adver-
bes. Or, dans le cas qui nous occupe, le verbe qui suit « si » et qui adopte
une terminaison de l’indicatif imparfait est situé sur le même plan virtuel
(le même mode) que le conditionnel présent de la proposition dite princi-
pale… Manifestement donc cette forme de l’imparfait de l’indicatif dont on
est si fi er de faire suivre régulièrement les « si » est investie d’une valeur
modale conditionnelle du genre « admettons que j’aurais su ». Donc la
logique est assurément dans le camp du « si j’aurais » des enfants que nous
reprenons, alors quils se contentent dassocier naturellement une forme
modale (aurais) à une valeur modale, celle du jeu de lesprit qui fait envi-
sager les conséquences d’un fait dont on admet quil ne s’est pas produit.
Mais, tout gluants de logique et de bons sentiments quils sont, ces
mômes ne devraient pas se sentir autorisés à nous faire la leçon. Car ce
sont eux les premiers à se saisir de limparfait de lindicatif pour se la jouer
« symbolique », au présent, dans les bacs à sable ou autour des maisons
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de poupées : « Alors, on disait que j’étais la maman, Zorro, Son-Guku, etc.
(biffez la mention la plus ringarde) et toi, tu étais… (même liste etme
remarque) ». Ainsi l’indicatif, mode réputé du constat pragmatique et se-
rein, celui du bovin qui regarde passer les trains ou les camions, devient ici
le signal de lentrée dans la fi ction.
Les grammairiens sont chargés de nous expliquer avec de bonnes rai-
sons comme nous parlons bien. Rude tâche, tant nous sommes apparem-
ment peu cohérents dans l’usage que nous faisons de la parole. Quant à
prétendre avec le philosophe et gourou du MR Richard Miller que le fran-
çais serait une langue plus logique que les autres, il faut avoir arrêté ses
lectures linguistiques il y a deux cents ans environ, au temps où la langue
de Molière et de Rivarol se pavanait encore dans les cours d’Europe, alors
même que lépopée napoléonienne lui offrait ses dernières heures de gloire.
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