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Le  mouvement  du  singulier  à  l’universel  fait  écho  à  la  relation  entre 
sociologie et histoire, relation établie au commencement de notre discipline. 
Rappelons  que  l’histoire  était,  à  un  moment  donné,  la  science  historique  du 
singulier  historique  pendant  que  la  sociologie,  avec  Auguste  Comte  (qui 
reprenait  d’ailleurs  Giambattista  Vico)  se  voulait  la  science  comparative  des 
lois, donc de l’universel, dans le devenir de l’humanité. Ce projet a marqué la 
sociologie depuis (et pas seulement en France). Par contre, (la sociologie de) 
Weber  restait  très  attaché  à  l’idée  d’une  sociologie  comme  science  sociale 
historique et comparative du singulier.  Il  parlait  d’un  « individu historique » 
pour constater que toute situation sociale n’est autre que, dans son essence, un 
phénomène de constellation singulier. Et il ne visait pas seulement les grandes 
situations historiques, comme le rapport particulier entre religion et capitalisme 
en occident, mais bien aussi les comportements sociaux des individus, comme 
le  souligne  la  fameuse  typologie  des  quatre  motivations  de  l’action  (Weber 
1995).  Pour  rendre  une  analyse  sociologique  valable,  Weber  mettait  l’accent 
sur la construction méthodologique des fameux « idéal-types » (Weber, 1992, 
p. 172) qui apparaissent comme des abstractions élaborées du concret, servant 
de mesure commune dans l’analyse des phénomènes. Il faut être bien attentif à 
ce propos : la construction des types-idéaux n’est qu’un outil  de  travail pour 
mieux analyser les singularités historiques et discuter leurs particularités; ce 
n’est pas du tout le but de l’analyse sociologique. 
Théorisation ancrée et positivisme de la recherche 
Dans sa mise en perspective classique chez Glaser et Strauss aussi bien que 
dans  quelques  élaborations  qui  ont  suivi, la  théorisation  ancrée  a  abordé la 
même problématique (Glaser & Strauss, 2010). Comment analyser des données 
qualitatives  issues  des  phénomènes  singuliers  et  comment  arriver,  à  travers 
cette  analyse,  à  une  connaissance,  un  savoir  universel  sur  les  processus  en 
question? Par exemple, quelles sont les interactions entre les divers acteurs qui 
se retrouvent en face de la mort proche d’un des patients dans un hôpital? La 
stratégie adoptée est manifeste dans la citation du « guide  du  bon  usage… » 
évoquée tout à l’heure (Hennebo, 2009). Si tout est dans les données, et si on 
arrive à  établir une démarche inductive et analytique purifiée ou pure, alors 
nous  obtenons  des  résultats  objectifs,  valides  et  fiables.  Chacune  et  chacun 
d’entre nous aboutira – si nous possédons des compétences égales – au même 
résultat objectif, justement parce que la réalité qui nous intéresse est « dans les 
données », sans ambiguïté, et qu’elle nous sert de critère de validation. C’est 
bien le point de vue de la collègue du train vis-à-vis de la théorisation ancrée. 
Ce  n’est  pas  un  hasard  de  voir  une  telle  perspective  émerger  dans  le 
contexte des années 1960. Elle reflète une conception hégémonique en sciences