Décembre 2016/ 9
Non identi é dans la plupart des entreprises, le
présentéisme préoccupe de plus en plus de gestionnaires
puisqu’il est non seulement lié à une perte de
productivité, mais également annonciateur
d’absentéisme. Cette présence au travail demployés qui
ne sont pas en état de donner leur plein rendement s’avère plus
importante qu’on aurait pu limaginer. De récentes études ont
sonné lalarme, mais les gestionnaires se sentent encore démunis
face à ce phénomène qu’ils ne savent comment identi er.
Comment détecter, éviter ou réduire le présentéisme ? Des experts
ont accepté de partager leurs analyses et pistes de solutions.
Portrait d’un problème méconnu
De nombreux gestionnaires ignorent encore lexistence du
présentéisme ou ne savent pas réellement de quoi il sagit.
« Quelqu’un qui va sur Facebook pendant son travail ne fait pas
du présentéisme», prévient Éric Gosselin, professeur titulaire
en psychologie du travail et des organisations à lUniversité du
Québec en Outaouais (UQO). «Le présentéisme se caractérise
par le comportement du travailleur qui, malgré des problèmes
de santé physiques ou psychologiques nécessitant une absence,
persiste à se présenter au travail », précise-t-il.
Le présentéisme n’est pas un phénomène nouveau, mais de
récentes études ont permis de mesurer son ampleur. Une
enquête menée en 2015 par Morneau Shepell auprès
d’employés, demployeurs et de médecins de partout au Canada
a révélé que huit répondants sur dix ont déjà fait du
présentéisme, et que 81% d’entre eux se sont déjà rendus au
travail alors qu’ils étaient incapables de fournir un rendement
aussi bon qu’ils l’auraient souhaité. Dautres études ont permis
de constater que le présentéisme est plus important que
l’absentéisme. Létude publiée en 2011 par Gary Johns1 de
lécole de gestion John-Molson de lUniversité Concordia, et
menée auprès de 444 diplômés décoles de commerce occupant
di érents emplois, rapporte une moyenne de trois jours de
présentéisme par année et de 1,8 jour dabsentéisme.
Les causes du présentéisme sont de deux natures, soit les
problèmes de santé physiques et psychologiques. « Plus de la
moitié des absences au travail sont causées par des motifs
psychologiques, ce qui nous amène à considérer qu’il y a
probablement plus de présentéisme pour des raisons de santé
mentale, souligne Éric Gosselin. Les problèmes de santé
psychologiques sont souvent plus stigmatisés, si bien que les
employés sont certainement plus enclins à se présenter au
travail au lieu de déclarer leur problème de santé. »
Le chercheur distingue également le présentéisme
volontaire, « d’une personne qui a le loisir de sabsenter du
travail pour des raisons de santé, mais qui ne le fait pas pour
des motifs personnels ou organisationnels », du présentéisme
involontaire, « d’une personne malade qui n’a pas le choix de se
présenter au travail. » Le deuxième cas de  gure touche surtout
les personnes qui ont des emplois précaires, comme ceux qui
sont payés à la commission ou aux pourboires, et ceux qui
pourraient perdre leur emploi s’ils ne se présentent pas au
travail.« Le présentéisme volontaire touche davantage les
employés ts engagés, qui se sentent essentiels dans leur
travail », explique Éric Gosselin.
SATTAQUER AU
PRÉSENTÉISME
POUR ÉVITER LE PIRE
Les entreprises ont
longtemps cherché à limiter
l’absentéisme en valorisant
la présence au travail, sans
se soucier d’un phénomène
plus important et tout aussi
préoccupant :
le présentéisme.
Par Frédérique David
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Les facteurs de risque identifiés
Les femmes, les travailleurs plus âgés et les personnes qui ont
de jeunes enfants sont plus susceptibles de faire du
présentéisme. « Lors dune étude que nous avons menée en
milieu scolaire, les enseignantes, qui ont six jours de congé de
maladie par année, nous ont coné qu’elles préfèrent travailler
quand elles sont malades et garder leurs congés pour les
maladies de leurs enfants, précise M. Gosselin. Cest ce qui
explique que les employés avec de jeunes enfants font plus de
présentéisme. »
Les travailleurs qui achent un haut niveau de stress sont
également plus à risque de présentéisme. « Il s’agit d’un facteur
à double risques, car le stress augmente le risque dêtre malade
et, une fois malade, il augmente le présentéisme », ajoute-t-il.
Les autres facteurs de risque sont les horaires de travail
variables, les fortes charges de travail, le faible contrôle sur son
travail, la culture d’assiduité au travail et la faible cohésion au
sein du groupe de travail. Enn, « les emplois en relation daide
sont plus touchés, mentionne Éric Gosselin. Les inrmières,
les enseignantes, les médecins, les travailleurs sociaux font plus
de présentéisme. On associe cela au fait que labsence aura une
incidence sur la clientèle. »
Diagnostiquer avant l’absentéisme
Selon une étude américaine réalisée en 20032, la perte de
productivité liée au présentéisme coûterait plus de 225G$US
par année aux entreprises américaines, soit trois fois plus cher
que labsentéisme. « Ce n’est pas parce que la personne est
présente au travail qu’elle fait bien son travail, explique
M.Gosselin. C’est pourquoi il faut changer les mentalités des
employeurs. Labsentéisme est devenu un indicateur insusant
pour évaluer la santé d’une organisation. De plus, les récentes
études ont démontré que le présentéisme d’aujourdhui est un
facteur d’absentéisme futur. »
Mesurer le présentéisme peut se faire à l’aide dun
questionnaire. « Certaines organisations utilisent les nouvelles
technologies et envoient un texto ou un courriel à leurs
employés chaque matin, pendant un mois, an de leur
demander s’ils sont malades, s’ils sont au travail et sils ont une
perte de productivité », relate Éric Gosselin.
Comment prévenir le présentéisme ?
Les moyens ecaces pour prévenir le présentéisme sont
essentiellement les mêmes que ceux utilisés pour prévenir
l’absentéisme. Les actions à prendre concernent la culture
d’entreprise, le style de gestion, le climat de travail,
l’organisation du travail et la promotion de la santé.
La jeune entreprise montréalaise de génie logiciel GSOFT,
qui est passée de 50 à plus de 200 employés en trois ans, n’y va
pas par quatre chemins. « Nous orons à nos employés des
vacances payées illimitées et des congés de maladie illimités,
annonce MarianneLemay, directrice Culture et Talent. Cela
ne signie pas qu’ils peuvent partir n’importe quand sans
prévenir. Il faut communiquer avec son équipe pour que cela ne
nuise pas au projet, à léquipe et au client. » Les employés de
GSoft peuvent également prendre une année de congé sans
solde. « Un de nos employés est en train de faire le tour du
monde en voilier », précise Marianne Lemay.
En plus de stratégies telles le télétravail et linstallation
d’aires de détente, la société vient également de mettre en place
un programme daide aux employés. « Les gens auront accès en
tout temps à des psychologues qu’ils pourront appeler ou
rencontrer, explique Mme Lemay. Certaines personnes ont des
problèmes dans leur vie personnelle et nous voulons les aider
pour éviter le présentéisme ou labsentéisme. »
Rencontrer léquipe
Avec de telles mesures, rares sont les employés qui quittent
GSOFT, mais on pourrait craindre aussi une forte tendance au
présentéisme. Le constat est tout autre: « Les vacances
illimitées ont eu un impact important sur la performance,
explique Marianne Lemay. Auparavant, les heures
supplémentaires étaient payées. Les gens restaient donc plus
longtemps au bureau pour faire plus dargent. Maintenant, les
gens font leurs 37,5 heures et sont beaucoup plus productifs
quand ils sont là. »
Lentreprise a également mis en place des mesures pour
détecter le présentéisme. « Chaque manager rencontre chacun
de ses employés une fois par mois pour lui demander comment
il se sent et s’il est productif, explique la responsable des
ressources humaines. Aussi, le gestionnaire et léquipe ont un
grand rôle à jouer pour suggérer à un employé de travailler
moins tard ou de passer moins de temps au travail. Et lorsqu’on
constate qu’un employé n’a pas pris de vacances depuis
longtemps, on lui suggère den prendre. »
Éric Gosselin croit quant à lui que ces nouveaux modèles
orent des solutions pour lutter contre le présentéisme. « Plus les
gens seront bien au travail, moins ils auront de problèmes de
santé psychologique causés par lorganisation et moins ils feront
d’absentéisme et de présentéisme, dit-il. Actuellement, rien
n’oblige les employeurs à réduire le niveau de stress de leurs
employés, alors que des lois les obligent à réduire le niveau de
danger physique lié au travail. Il faut que les organisations
permettent de prévenir les problèmes de santé psychologiques
au travail, pour qu’au moins ce ne soit pas la source du problème
de santé, ce qui est souvent le cas actuellement. »
1 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21875212
2 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14665809
Sattaquer au présentéisme pour éviter le pire
« Labsenisme est
devenu un indicateur
insusant pour
mesurer la santé
dune organisation. »
Eric Gosselin, UQO
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