Pourquoi la réforme du droit du travail est-elle nécessaire ? Rappelons une évidence : l’emploi est créé par les entreprises, que ce soit directement ou indirectement (la sphère publique vit en effet grâce aux rentrées fiscales en provenance des entreprises et de leurs salariés). Les créations d’emplois en France dépendent ainsi, d’abord et avant tout, des entreprises, de leur compétitivité et de leur capacité à investir et à se développer. Or la job machine hexagonale fonctionne mal. La décennie 2005-2015 a été calamiteuse sur le front de l’emploi. Au troisième trimestre 2015, on comptabilisait à peine plus de 200 000 emplois dans le secteur marchand non agricole que dix ans auparavant. Au même moment, l’Allemagne a créé 2,9 millions d’emplois, le Royaume-Uni 980 000 et l’Italie 490 000. Il faut s’interroger sur les raisons de cette mauvaise performance dont les premières victimes sont nos 3,5 millions de concitoyens au chômage (pour la seule catégorie A). Restaurer la compétitivité des entreprises françaises La première raison, c’est l’insuffisante compétitivité de nos entreprises, dont témoignent les mauvais chiffres du commerce extérieur. Après dix ans d’excédents, notre balance commerciale enchaîne les déficits depuis 2004 (53 milliards d'euros en 2014), tandis qu’au même moment l’Allemagne additionne les excédents record (217 milliards d'euros en 2014). Autre constat inquiétant : la France perd des parts de marché à l’international, mais également vis-à-vis de ses voisins européens. Les entreprises n’innovent pas assez, expliquent certains. Peut-être, mais pour innover, les entreprises doivent dégager des marges suffisantes pour pouvoir investir. Or, elles sont pénalisées par un niveau très élevé de prélèvements obligatoires, lequel résulte dans notre pays d’un niveau de dépenses publiques parmi les plus élevés au monde : rapportées au PIB, leur part s’élevait à 56,9 % en 2014, soit pratiquement dix points de plus que la moyenne européenne (47,4 %). Résultat : selon une étude annuelle de la Banque mondiale et du cabinet PwC portant sur les régimes fiscaux de 189 pays, la France affichait en 2014 un taux d'imposition record de 64,7 % du résultat commercial des PME. Ce taux inclut l'impôt sur les bénéfices, les cotisations et les charges sociales supportées par l'employeur, ainsi que d'autres prélèvements comme la taxe foncière, l'imposition des dividendes, l'impôt sur les plus-values ou les taxes sur les transports ou la collecte des déchets… Seule l’Italie fait pire en Europe (65,7 %), tandis que la moyenne mondiale s'élève à 43,1 %, et que la moyenne européenne s’établit à 41,1 %. Loin d’être un « marché de dupes », comme l’affirme la tribune signée par Martine Aubry dans Le Monde du 25 février, le Pacte de responsabilité, qui permet d’alléger de 40 milliards d’euros sur trois ans les charges pesant sur les entreprises et qui sera définitivement concrétisé fin 2017, était donc absolument nécessaire pour contribuer à restaurer la compétitivité des entreprises. D’autant qu’il vient après un choc fiscal d’une trentaine de milliards d’euros sur les entreprises entre 2010 et 2013, alors qu’au même moment la plupart des pays de l’OCDE engageaient une diminution de la pression fiscale sur les entreprises. Mais il ne faut pas se le cacher : la France est encore loin de l’effort d’allégement nécessaire pour revenir dans la moyenne européenne et, pour obtenir un impact puissant en termes de créations d’emplois, il faudra poursuivre cet effort dans les années qui viennent. Redonner de l’agilité aux entreprises La deuxième raison de notre mauvaise performance sur le front de l’emploi, ce sont la complexité et les pesanteurs de notre droit du travail, et les rigidités qu’il fait peser sur le fonctionnement du marché du travail. A l’inverse de beaucoup de pays européens (les pays scandinaves, l’Allemagne, les pays anglo-saxons), la France a privilégié une conception très pyramidale du droit du travail, combinant un droit pléthorique et de plus en plus complexe d’origine légale et réglementaire, une insécurité 1 1er mars 2016 juridique résultant de l’intervention d’un juge très imaginatif, et une place résiduelle laissée au dialogue social d’entreprise dans la production de la norme sociale. Ce système a fonctionné à peu près correctement pendant les Trente Glorieuses, dans un contexte de croissance élevée et d’économie peu ouverte sur l’international, mais il n’est plus du tout adapté à la donne actuelle. Le monde a changé. Les entreprises sont confrontées à un environnement de plus en plus mouvant : une mondialisation des échanges qui s’accentue sur longue période, des cycles économiques de plus en plus aléatoires, et une transition numérique de l’économie qui bouscule à la fois leur façon de concevoir, leur façon de produire et les business models de nombre de filières. Dans cet environnement qui recèle pour elles des risques mais aussi des opportunités, les entreprises ont, beaucoup plus qu’hier, besoin d’être agiles, réactives, de pouvoir s’adapter aux évolutions conjoncturelles, technologiques et commerciales de leurs marchés, aux exigences nouvelles des consommateurs en termes de qualité et différenciation des produits et des services. Une agilité qui nécessite un fonctionnement beaucoup plus souple du marché du travail, un dialogue social plus proche des réalités du terrain et un Code du travail notablement allégé. Celui-ci comportait 600 articles en 1974. Quarante ans plus tard, il en compte plus de 8 000. Sa lourdeur, sa complexité contribuent à alimenter les contentieux devant le juge, à freiner les réorganisations nécessaires des entreprises, et à décourager l’embauche dans les PME Ayant comme objectif de redonner de l’agilité aux entreprises, l’avant-projet de loi El Khomri va indéniablement dans le bon sens. Oui, il faut changer la manière de produire la norme sociale dans notre pays. Non plus la même règle descendant de Paris pour toutes les entreprises, quels que soient leur secteur d’activité et leur taille, mais une règle créée, négociée dans l’entreprise, pour l’adapter à sa situation particulière et à celle de ses salariés. C’est au plus près du terrain que l’on conciliera de façon la plus pertinente les exigences de compétitivité et les besoins d’adaptation des entreprises avec les attentes des salariés, et que l’on trouvera des arbitrages favorables à l’emploi. Oui, le projet de loi va conforter l’accord de branche en réduisant le nombre des branches, remettant ainsi en cause une fragmentation excessive qui nuit au dynamisme et à la qualité des négociations conduites à ce niveau. Oui, il faut fixer des critères clairs pour objectiver le recours au licenciement économique (baisse de chiffre d’affaires, perte d’exploitation…). Car qui croit sérieusement que le juge est le mieux qualifié pour porter une appréciation sur le motif économique du licenciement ? Oui, le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif (lesquelles viennent en sus des indemnités légales et conventionnelles) est de nature à rassurer le chef d’entreprise lorsqu’il embauche. Oui, la multiplication des barrières au licenciement – censées protéger les salariés en place – contribue à freiner les recrutements ou à favoriser le recours à l’intérim ou aux CDD, au détriment des outsiders sur le marché du travail. Oui, donner plus de souplesse aux entreprises dans la gestion du temps de travail est de nature à améliorer leur compétitivité, à leur permettre d’investir pour innover et donc à créer de l’emploi. Revenir au quasi-plein emploi Il est temps d’engager des réformes courageuses pour sortir notre pays de l’ornière, en finir avec une forme de préférence collective pour le chômage, recréer une dynamique de créations d’emploi, tirer parti des opportunités qu’offrent la mondialisation et les révolutions en cours (transition numérique, transition énergétique…). Après le pacte de responsabilité, l’avant-projet de loi El Khomri est une réforme qui doit être menée à son terme, sans en affaiblir l’ambition. Non, nous n’avons pas tout essayé contre le chômage. Non, notre pays n’est pas condamné à vivre avec un chômage de masse. Il peut, en quelques années, comme certains de nos voisins européens, revenir au quasi-plein emploi. Encore faut-il s’en donner collectivement les moyens. 2 1er mars 2016