1999-15
À propos de la performance humaine en entreprise : pour une
philosophie de l’action et une philosophie d’action
Joseph Noone
D.E.S.S. Management avancé des Ressources Humaines et des relations d’emploi de l’IAE
Résumé
: La question de la performance humaine est une préoccupation fondamentale
pour tous les managers des ressources humaines en entreprise aujourd’hui, d’autant plus que
le modèle classique de l’évaluation des performances, «le modèle taylorien», est sévèrement
mis à mal par les mutations actuelles du travail. Les entreprises sont à la recherche de nouveaux
paradigmes capables de guider l’action de leurs salariés mais elles hésitent encore à formuler
les règles qui pourraient gouverner ces nouvelles façons de travailler. Dans ce mémoire, nous
proposons un nouveau paradigme de l’action et d’action. Pour nous, la performance humaine
dépend surtout de l’élargissement des capacités d’action de l’ensemble des salariés et donc, du
développement des compétences techniques et professionnelles de toutes et de tous. La nature
«événementielle» du travail aujourd’hui s’impose et l’entreprise ne pourra plus répondre aux
défis qui l’attendent que si tous les salariés peuvent faire appel à leurs capacités cognitives et
intellectuelles qui ne sont encore, à notre avis que peu exploitées.
Mots clés
: Performance humaine, évaluation des performances, modèle «taylorien»,
mutations actuelles du travail, paradigme de l’action et d’action, capacités d’action, nature
«événementielle» du travail, capacités cognitives.
Abstract
: Today, a fundamental concern of all human resource managers is the question
of human performance in the workplace, especially as the traditional model used for evaluating
such human performance, the «Taylorist» model, has been severely put into question by the
ongoing transformations in work practices. Companies are in search of new guidelines which
will enable them to manage the activity of their employees but are slow to propose new rules
capable of governing these new work practices. In this study, we propose a new model for the
purpose of guiding employees’activity and action. In our opinion, human performance depends
above all on the widening of all employees’scope to act and, consequently, on the développent
of the latter’s technical and professional competencies at all levels. The unpredictable nature of
work today means that companies will no longer be able to meet the challenges facing them
unless their employees are able to call upon their cognitive and intellectual capacities which for
the moment are sorely underutilis.
Keywords
: human performance in the workplace, evaluating performance, «Taylorist»
model, transformations in work practices, guidelines, new model guiding employees’action,
widening employees’scope to act, technical and professional competencies, unpredictable
nature of work, cognitive and intellectual capacities.
1 La performance humaine : une problématique de l’action et
d’action
1-1 La performance humaine : une préoccupation fondamentale en
entreprise
La question de la performance humaine est une préoccupation fondamentale de tous les
acteurs de l’entreprise aujourd’hui. La performance humaine est perçue, aussi bien du coté des
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dirigeants d’entreprises que du côté des salariés, comme le facteur essentiel contribuant à la
performance économique de l’entreprise.
Là où dans l’organisation du travail taylorienne, on n’exigeait du salarié que sa force de
travail, aujourd’hui, on exige du salarié une implication directe, intellectuelle et psychologique
dans son travail. Cette nouvelle exigence se traduit au niveau des ressources humaines par des
interrogations autour de notions comme la
motivation
,
l’autonomie
et la
responsabilisation
.
Cette question de la performance humaine est pour nous une
problématique de l’action et
d’action
. Du côté de l’entreprise, comment définir les nouvelles règles de conduite qui vont
guider l’action de ses salariés? La performance humaine en entreprise n’est pas une affaire des
salariés seuls mais dépend de la façon dont l’entreprise redéfinit les règles de sa propre action
«pour» et «sur» ses salariés.
La problématique de la performance humaine implique une
remise en cause de la finalité même de l’action de l’entreprise.
Du côté des salariés, cette nouvelle exigence d’un plus grand investissement personnel et
intellectuel implique l’élaboration par les salariés de nouvelles règles pour gérer leurs rapports
avec l’entreprise. Comment doivent-ils faire pour élaborer ces règles? Tant que les salariés
étaient «sous la tutelle» de l’organisation taylorienne du travail, il s’agissait plutôt de
«s’adapter» aux règles imposées par l’entreprise. Aujourd’hui,
la performance humaine passe
par une redéfinition individuelle et collective des règles régulant les rapports entre les sala-
riés et l’entreprise.
1-2 La performance : une vision rétrospective?
Cependant, si tout le monde semble être d’accord sur l’importance de l’enjeu de la perfor-
mance humaine en entreprise, ce n’est pas pour autant que tout le monde soit d’accord sur ce
que cette notion signifie. À ce propos, Michel Lebas constate qu’il y a «
peu d’accord sur ce que
recouvre le concept. On y trouve des idées qui vont de l’efficience, à la robustesse, à la produc-
tivité, au rendement des investissements, au résultat exceptionnel, à la durée, en passant par
bien d’autres acceptions qui, le plus souvent, ne sont pas définies explicitement par leurs
auteurs
»
1
.
Si tant de définitions différentes existent concernant la notion de performance, peut-être est-
ce le résultat du fait qu’on a trop souvent insisté sur les «effets» de la performance et non sur
les «causes» de la performance? «
Dans le domaine du management, dit Michel Lebas,
comme dans la définition des dictionnaires, l’usage courant semble considérer que la perfor-
mance reflète le résultat d’actions passées
»
2
. Pour nous, la clé de la performance se trouve,
non dans les résultats passés, mais plus en amont dans les capacités d’action des salariés, c’est-
à-dire, dans leur capacité à mettre en œuvre leur sens de l’initiative pour faire face aux aléas du
travail.
1-3 La performance : un potentiel de réalisation
Pour nous, il est important d’aborder la question de la performance humaine non sur le plan
des résultats des actions de l’entreprise et des hommes mais plus en amont au niveau des
«
conditions nécessaires pour permettre cette performance
». Donnons toute de suite une
autre définition de la performance : «
La performance
, selon Michel Lebas, et c’est cette défi-
nition qui va diriger nos réflexions dans ce mémoire,
est une question de potentiel de
réalisation». Autrement dit, la performance est un concept qui a trait au futur et non au
passé
.
3
1. Lebas M., [20], p. 2.
2. Ibid., p. 2
3. Ibid., p. 2
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1-4 L’enjeu pour le manager des ressources humaines : connaître le
travail
Si la performance humaine est une question de «potentiel de réalisation», la question pour
le manager des ressources humaines devient alors «
comment définir ce potentiel de réalisa-
tion humain
»? Cette question modifie la mission et le rôle du manager des ressources
humaines. Car, continue Michel Lebas, «le
management est principalement concerné par le
futur. Manager, c’est obtenir des résultats à travers les autres afin de rendre l’organisation
ou la société plus conforme dans le futur avec ce qu’on considère comme son intention
stratégique
»
4
et Bernard GALAMBAUD ajoute : «
La raison d’être du management n’est pas
d’obtenir d’autrui un travail. La raison d’être du management est d’obtenir une perfor-
mance, une performance durable
»
5
. C’est alors le rôle du manager des ressources humaines
d’opérer cette transformation du travail en performance. Si ce manager est le pilote de la perfor-
mance humaine, son objectif doit être de faire en sorte que ce potentiel de réalisation humaine
soit capable dans le futur de réaliser la performance souhaitée.
C’est pourquoi pour nous, il est nécessaire d’aborder la question de la performance à ses
sources : c’est-à-dire autour de la question «
qu’est-ce que le travail aujourd’hui?
». On ne
peut pas préparer la performance si on ne comprend pas la nature même du travail aujourd’hui
et de son évolution.
Nous avançons 2 idées à ce propos : d’abord,
c’est la nature même du travail qui détermine
les conditions de la performance
. Deuxièmement,
c’est notre vision même du travail qui va
déterminer la façon dont nous aborderons la question de la performance et nos attentes vis-
à-vis des salariés en termes de performance
. La performance humaine est relative et dépend
surtout de notre vision de l’activité humaine censée générer cette performance.
1-5 Deux paradigmes pour analyser le travail et la performance humaine
Le travail aujourd’hui connaît de profondes mutations. Quels sont les défis que posent ces
mutations par rapport aux performances des salariés? Nous allons aborder cette question des
mutations du travail à partir de deux paradigmes qui proposent des grilles d’analyse nous
permettant de mieux comprendre les conséquences de ces mutations sur les salariés et sur leurs
performances.
Le premier paradigme est celui proposé par la démarche de Philippe Zarifian qui considère
le travail en termes d’événement. La performance se situerait au niveau de la gestion d’événe-
ments. L’autre paradigme est celui proposée par la vision ergonomique qui présente une vision
du travail et de la performance humaine comme activité et comme élaboration de compromis
entre travail prescrit et travail réel.
1-6 La question de la compétence
La question des mutations actuelles du travail pose à son tour la question de la compétence
(si on considère la notion de compétence en termes de capacités d’action). On sera tenté à
premier abord de faire coïncider les notions de performance et de compétence.
Est performant
celui qui est compétent
.
Est compétent celui qui est performant
. Mais il n’y a plus de lien
de causalité entre performance et résultats. Comment alors juger la compétence? Les réponses
à cette question dépendent encore de notre vision du travail. C’est la vision que l’on a du travail
qui détermine la vision que l’on donne de la compétence qui conditionne à son tour la vision
que l’on a de la performance. Nous aborderons la question de la compétence à partir de ces deux
paradigmes cités ci-dessus. Celui de Zarifian considère la compétence comme la capacité à faire
face aux événements. L’autre paradigme, ergonomique, considère la compétence en termes de
compromis opératoires entre tâche prescrite et travail réel. Ce qui unit les deux visions de la
4. Lebas M., [20], p. 2.
5. Bernard Galambaud, in Sandra Bellier, [3], 1998, p. 11.
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compétence est, à notre avis, cette idée que la compétence est une construction et non une dispo-
sition, un acquis et non une capacité innée. La performance humaine est alors à construire en
situation et non à reproduire.
1-7 La question de la formation : un projet de formation de formateurs
Ces deux paradigmes ne sont pas uniquement des approches théoriques mais représentent
des paradigmes d’action pour développer la performance humaine en entreprise. C’est pourquoi
nous présenterons dans ce mémoire 1 projet de formation de formateurs mis en place en entre-
prise qui s’inspire à la fois de cette notion du travail comme événement et de cette notion du
travail comme activité exprimant une confrontation entre travail prescrit et travail réel. Si nous
choisissons le terrain de la formation pour opérer le lien entre approche théorique et action, c’est
parce que de plus en plus d’entreprises considèrent la formation comme un enjeu primordial
dans la bataille pour développer la performance humaine. Par ailleurs, ce projet de formation de
formateurs vise à rendre les «apprenants» plus porteurs de leur propre apprentissage, objectif
qui est le vrai moteur de la performance humaine.
1-8 Le savoir-être et la performance
IL nous semblait difficile de parler de la performance humaine et de son développement sans
parler du savoir-être. Les entreprises font de plus en plus appel à cette notion pour évaluer les
performances de leurs salariés. Nous souhaitons dans cette étude revenir sur un projet d’évalua-
tion des performances sur lequel nous avons travaillé pour le compte de la filiale française d’un
grand multinational européen : le projet de Development Centre destiné aux jeunes Hauts
Potentiels de cette entreprise. Notre objectif est d’examiner l’utilité de la notion du savoir-être
dans le développement des performances.
1-9 Pour une philosophie de l’action et une philosophie d’action
On peut peut-être s’étonner de l’utilisation du terme «Philosophie de l’action, philosophie
d’action» pour définir quelle devrait être la mission du manager des ressources humaines face
à la problématique de la performance humaine. Pour nous,
la vision précède l’action
et déter-
mine non seulement la nature de cette action mais les outils méthodologiques auxquels on fera
appel pour structurer cette action. Si on a une vision «taylorienne» du travail, on considérera
l’action des salariés en termes de leur degré d’adaptation par rapport au poste de travail. Notre
position est que les mutations actuelles du travail d’un côté et la nature de l’acte de travail lui-
même de l’autre, font que la performance humaine exige une nouvelle philosophie de l’action
et d’action dont l’objectif doit être la libération du sens de l’initiative des salariés à tous les
niveaux.
2 Qu’est-ce que le travail aujourd’hui?
2-1 La finalité de la mission du manager des ressources humaines
C’est la transformation fondamentale de la nature de travail aujourd’hui qui fonde la néces-
sité d’une nouvelle logique de gestion des ressources humaines et, par conséquent, une nouvelle
vision de la finalité de la mission et du rôle du manager des ressources humaines.
2-2 Saisir d’abord le modèle du travail industriel
Pour saisir la nature du travail aujourd’hui, il faut d’abord examiner quel est le modèle du
travail ainsi bouleversé. Pour cette analyse, nous nous appuyons sur la démarche de Philippe
Zarifian. Dans un deuxième temps, dans ce chapitre, nous aborderons le paradigme du travail et
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de la performance proposé par la démarche ergonomique. Ce paradigme est pertinent selon nous
car il aborde le travail au niveau de l’individu aux prises avec l’acte de travailler et le problème
que cet acte lui pose, car l’homme ne peut pas être réduit à ce qu’il fait.
2-3 La révolution industrielle : une nouvelle conception du travail
Au début de l’émergence du capitalisme industriel, nous dit Philippe Zarifian, une nouvelle
conception du travail va s’imposer qui associe trois caractéristiques essentielles :
- Le travailleur est séparé du travail.
- Le débit devient le critère d’évaluation de la performance.
- Le travailleur est immobilisé dans le temps et dans l’espace et il travaille en co-présen-
ce avec d’autres travailleurs.
2-3.1 Le travailleur est séparé du travail
D’abord, le travailleur est séparé du travail. Le travail est défini comme un ensemble d’opéra-
tions élémentaires de transformation de la matière que l’on peut «
objectiver, décrire, analyser,
rationaliser, organiser et imposer dans les ateliers
»
6
. Le travailleur est «
l’ensemble des capa-
cités qui sont achetées sur le marché du travail et mobilisées pour réaliser une partie des
opérations
». Le travailleur apporte deux éléments : l’ensemble de ses capacités à exécuter les
opérations qu’on lui demande de faire et la discipline pour réaliser les opérations tel que
demandé.
2-3.2 Le débit devient le critère d’évaluation de la performance
Quelle est la conséquence de cette conception du travail pour notre propos concernant la
performance au travail? Le critère fondamental pour évaluer la performance deviendra le débit
qui se mesure par l’augmentation du nombre de produits sortis de l’usine en un temps donné.
Comme constate l’auteur, «la vitesse de travail, à chaque poste, et la vitesse de coordination
entre les postes déterminent le débit de la production et donc, l’efficacité économique des
usines. La productivité du travail, autrement dit, la performance au travail, devient donc l’orga-
nisation de la vitesse de travail et du débit de la production qui en résulte»
7
.
2-3.3 On immobilise le travailleur dans le temps et dans l’espace et on organise sa co-
présence avec d’autres travailleurs
Cette nouvelle conception du travail fixe le travailleur dans un atelier, à un poste de travail.
Il doit respecter des horaires de travail, assimiler la discipline du temps industriel. Il doit être
présent en même temps et dans les mêmes locaux que ses camarades.
Unité de temps, unité
d’action et unité de lieux deviennent 3 nouveaux critères de la performance industrielle
.
C’est ces trois caractéristiques qui sont selon Philippe Zarifian aujourd’hui fondamentale-
ment bouleversées et déstabilisées par les nouvelles mutations du travail. L’essentiel des muta-
tions du travail actuelles se résume autour de trois notions :
la notion d’événement, la notion
de communication et la notion de service
. C’est autour de ces trois notions que désormais la
performance au travail doit être évaluée.
2-3.4 La première caractéristique de la mutation du travail : l’événement
Aujourd’hui, la transformation radicale des moyens et méthodes de production a bouleversé
le monde du travail. L’introduction des technologies informatiques et les conséquences de ces
technologies sur l’organisation du travail sont exemplaires de ce changement. Une partie «
de
plus en plus croissante de ce qu’on appelait selon le modèle taylorien «les opérations de
travail» a été absorbée par les systèmes de machines, par l’automatisation des systèmes
industriels et/ou par la diffusion de l’informatique pour le traitement des calculs et de toutes
les opérations élémentaires touchant à l’information
8
. Le travail n’est plus une question de
6. Zarifian P., [31], 1999, p. 33.
7. Ibid. p. 36.
8. Zarifian P., p. 33.
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