Le matériau sonore : dimension symbolique et effets sur l’auditeur
Une symbolique du danger
Après avoir repéré la plupart des sons présents dans ce premier mouvement, j’ai tenté de les classer par
couleur et par texture. La présence du jaune, du orange et du bleu sur mon analyse graphique montre la
volonté de Pierre Henry de créer un environnement sonore cohérent et hautement symbolique : Un milieu
hostile où se mêlent principalement trois catégories de sons :
- Les sons mécaniques (en orange) sont utilisés à de nombreuses reprises et prennent plusieurs formes. De
durée généralement moyenne, ils peuvent être rotatifs, comme de 3’20’’, mélodiques ascendants et donner
l’impression d’une accélération comme cette série de trois sons aigus à partir de 4’25’’ ou encore mélodiques
descendants à l’image de ce son à 5’10’’ qui évoque une décélération. Tous ont en commun d’évoquer des
sonorités de machines ou de moteurs.
- Les sons métalliques (en bleu) sont aussi beaucoup utilisés bien qu’il soit parfois difficile de les identifier.
Représentés en bleu, ils prennent souvent la forme d’éléments courts et percussifs. Nous avons déjà parlé des
bruits de portes mais nous pouvons aussi citer les nombreux petits chocs de métaux certes plus discrets et que
nous avons représentés par des étoiles bleues à 2’58’’, 3’02’’ et 3’08’’. On peut mentionner les sons de
cloches, groupés en deux groupes de dix à 3’27’’ puis 2’55’’.
- Les sons électriques ou électroniques (en jaune), sont généralement présents sous la forme de séquences
étendues mais limitées dans le temps. Citons par exemple cette séquence d’une minute qui débute autour de
3’55’’ qui pourrait évoquer une fuite électrique. D’autres éléments peuvent s’apparenter à l’électricité comme ce
passage d’une vingtaine de secondes presque percussif qui débute à 2’14’’.
Avec le choc des métaux, les fuites électriques, et le vrombissement de machines, tous les éléments sont
réunis pour évoquer un contexte industriel menaçant pour l’Homme. D’ailleurs, la voix humaine n’intervient que
de manière anecdotique au début et à la fin du mouvement, lors des périodes de détente partielle. Pour autant,
elle en devient presque déshumanisée par les multiples procédés de traitements électroniques. Dans la
continuité du jeu avec les mouvements de tension et les textures froides que nous venons de relever, le
compositeur semble une fois encore vouloir nous faire ressentir le caractère hostile du lieu. L’auditeur
s’enfonce dans les dédales d’un labyrinthe industriel, se rapprochant inexorablement d’un danger supposé :
celui de s’égarer en franchissant la mauvaise porte, de se blesser sur des machines toujours plus menaçantes.
L’auditeur au cœur de l’action
Il est difficile de parler de morphologie des sons, de textures froides et de couleurs, sans évoquer leur impact
direct sur notre écoute. Pierre Henry semble pousser l’auditeur à se mettre dans la situation du personnage
principal de l’œuvre. En stimulant notre imagination, le compositeur place l’auditeur au cœur de l’action
dramatique. Les bruits de machine, de métaux, la répétition des claquements de portes et toute la symbolique
qu’ils représentent, nous projettent presque physiquement dans l’architecture de ce labyrinthe. Pierre Henry
parvient à nous donner la sensation d’évoluer géographiquement dans cet univers hostile. À l’échelle du
mouvement, l’importance sans cesse croissante du tapis sonore, introduit l’idée d’une l’évolution physique et
irrévocable d’un personnage à travers le temps sans qu’il y ait pour lui, la possibilité de faire demi-tour. De la
même manière, lorsque l’on se place à l’échelle réduite des sons courts, on constate qu’un subtil processus de
spatialisation est sans cesse mis en œuvre. Le jeu avec la stéréo, les effets, reproduit de manière extrêmement
réaliste des micros-mouvements, des déplacements dans l’espace, des changements de direction. Encore une
fois, le jeu avec les portes est intéressant, tantôt au premier plan, tantôt lointain, parfois à gauche et parfois à
droite, elles nous donnent des indications spatiales en 3 dimensions, des informations qui stimulent nos sens :
l’audition d’abord, mais aussi le visuel. On se représente l’ouverture et la fermeture des portes par exemple.
Avec un peu d’imagination, on peut tenter de visualiser l’itinéraire emprunté par le protagoniste dans ce
labyrinthe. En définitive, dans ce premier mouvement de Labyrinthe, Pierre Henry semble mettre en place les
différents éléments d’une dramaturgie musicale, au cœur d’une unité de temps, d’action et de lieu. Il prend à
parti l’auditeur en le plongeant dans un environnement de plus en plus hostile qui excite son imagination. La
montée progressive du suspens, les sonorités d’un univers industriel toujours plus prégnant nous font
appréhender le danger et nous invitent à vivre profondément notre écoute. Le placement des sons dans
l’espace sonore, les intentions, les textures orchestrées par le compositeur nous invitent à une expérience
musicale intime.