ANTOINE VITEZ ET LA TÉTRALOGIE
En 1978, Antoine Vitez frappe fort : avec une troupe de jeunes acteurs d’à peine vingt ans, il
crée à Avignon une tétralogie de vingt actes, composée des quatre pièces majeures de Molière.
Le succès est aussi immense que le scandale est grand. Sous-titré « La Torture par les femmes
ou le triomphe de l’athéisme », le parcours de L’Ecole des femmes, de Dom Juan, de Tartue et du
Misanthrope marque un tournant décisif dans le rapport aux classiques, froissant des habitudes
et signant l’entrée dans une lecture attentive au « fractures du temps » et ayant pris ses distances
avec ce que Vitez qualiait déjà de « dépoussiérage » :
En ce sens le mot qui aujourd’hui m’irrite le plus est celui de dépoussiérage (je veux dire
des classiques). Et non point parce que la mode change, mais parce qu’en effet il dit quelque
chose que je refuse : l’idée que les œuvres seraient intactes, luisantes, polie, belles, sous une
couche de poussière, et qu’en ôtant cette poussière, on les retrouverait dans leur intégrité
originelle.
Alors que les œuvres du passé sont des architectures brisées, des galions engloutis, et nous les
ramenons à la lumière par morceaux, sans jamais les reconstituer, car de toute façon l’usage en
est perdu, mais en fabricant, avec les morceaux, d’autres choses. Eglises romanes faites avec
des morceaux de bâtiments antiques. Ou mieux encore, vieux hôtels du Marais transformés
en magasins ou ateliers par des gens ingénus, ingénieux, qui coupaient les chambres dans le
sens de la hauteur, et malheureusement aujourd’hui restauré. Je les aimais pour leur nouvel
usage. Le dépoussiérage, c’est la restauration. Notre travail à nous est tout au contraire de
montrer les fractures du temps.
(Antoine Vitez, Marge 1 Mettre en scène aujourd’hui. Des classiques (I) – échange avec Danielle
Kaiserbruger – Dialectiques, n° 14, Été 1976)
Car pour Antoine Vitez, mettre en scène Molière c’était d’abord en revenir à la dimension
éphémère propre à l’art théâtral, c’était réarmer aussi cette spécicité temporelle capable de
s’enivrer du passage du temps et réinventer ces éléments primitifs et essentiels au théâtre : la
troupe, l’alternance, l’unicité du décor…
Quand il revient sur les prémisses de ce cycle, Antoine Vitez insiste surtout sur le désir qu’il
LES 4 MOLIÈRE
RÉINVENTION ET REPRISE