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En : de la préposition à la construction
Walter De Mulder
Langue française / Volume 2013 / Issue 178 / June 2013, pp 21 - 39
DOI: 10.3917/lf.178.0021, Published online: 23 December 2013
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Walter De Mulder (2013). En : de la préposition à la construction. Langue française, 2013, pp 21-39 doi:10.3917/lf.178.0021
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Walter De Mulder
Université d’Anvers
Dany Amiot
Université Lille-Nord de France & Laboratoire STL (CNRS UMR 8163)
En
: de la préposition à la construction
1. INTRODUCTION
La préposition en est souvent considérée comme extrêmement polysémique,
ce dont témoigne son entrée dans le TLF, qui fait plus de quatre pages. Pour
cette raison, en a souvent été rangée, avec de et à, parmi les prépositions « inco-
lores » ou « vides » du français. Il suffit toutefois de la remplacer par une autre
préposition, comme en (1), pour comprendre qu’elle a une valeur sémantique
propre :
(1) a. Pierre est en prison
b. Pierre est dans la prison
c. Pierre est àla prison
Comment faut-il alors définir le rôle de la préposition dans la construction de
l’interprétation de l’énoncé ? Il ressort des différences d’interprétation en (1)
que son sens ne saurait se décrire uniquement à l’aide du concept d’intériorité,
qui a également été employé pour définir le sens de dans : le syntagme prépo-
sitionnel introduit par en en (1a) exprime, en plus d’une simple localisation,
une sorte de qualification de Pierre, suggérant plus ou moins que celui-ci est
prisonnier. On comprend dès lors que plusieurs auteurs aient défendu l’idée
qu’un syntagme prépositionnel comportant en doit avoir un sens plus abstrait,
souvent défini à l’aide d’un concept comme celui de « qualification », et capable
d’expliquer les différentes interprétations que le syntagme prépositionnel peut
avoir en contexte : état (résultant) en (1a), (2) ou (3), mais aussi localisation spa-
tiale en (4), durée du procès exprimé par le verbe en (5), moyen de transport
utilisé en (6), objet de croyance en (7), etc. (voir, entre autres, Berthonneau 1989 ;
Cadiot 1997 ; Franckel & Lebaud 1991 ; Guillaume 1919 ; Guimier 1978 ; Lee-
man 1998 ; Vigier 2003 ; Waugh 1976) :
(2) Il s’est transformé en bourreau.
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La préposition ‘en’
(3) Il se met facilement en colère.
(4) Il habite en France.
(5) Il a écrit cette lettre en cinq minutes.
(6) Il est venu en métro / Il ira en bus.
(7) Il croit en une vie meilleure.
Dans cet article, nous nous proposons de décrire cette « flexibilité sémantique »
de la préposition en décalant la perspective : au lieu de nous focaliser sur
la préposition elle-même, nous prendrons en compte les constructions dans
lesquelles elle entre, en nous inspirant de l’approche « constructionnelle » décrite
dans la grammaire de constructions (notamment Goldberg 1995, 2006 ; Croft &
Cruse 2004). Selon celle-ci, le lexique-grammaire est un inventaire structuré
de constructions, c’est-à-dire d’unités de forme et de sens, dotées de règles
d’interprétation sémantiques spécifiques et suffisamment fréquentes pour être
stockées telles quelles dans l’esprit des locuteurs. Les composantes de ces unités
de forme et de sens que sont les constructions sont précisées dans la Figure 1 :
Figure 1 : d’après Croft & Cruse (2004 : 258)
Précisons que le sens conventionnel ne comprend pas seulement des pro-
priétés référentielles, mais qu’il peut aussi inclure des propriétés discursives, ou
fonctionnelles (par ex. l’emploi de l’article défini pour signaler que le référent
est connu du locuteur et de l’interlocuteur), et des propriétés pragmatiques liées
aux relations entre interlocuteurs (par ex. l’emploi d’une exclamation, Quel beau
chat ! pour exprimer la surprise ; cf. Croft & Cruse, 2004 : 258).
Pour décrire les constructions, il faut vérifier, entre autres, si celles-ci sont
dotées de spécificités sémantiques qui les distinguent des autres. On notera ainsi,
par exemple, que dans tout à coup les éléments de l’expression n’ont plus leur
sens habituel et qu’on ne saurait réellement expliquer le sens de l’expression à
partir du sens de chacun de ses éléments. Cela n’implique pas nécessairement
que les constructions n’aient plus d’interprétation compositionnelle, ni que les
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‘En’ : de la préposition à la construction
composants ne soient plus reliés à leurs usages dans d’autres constructions, mais
il s’avère qu’il est impossible de décrire ces éléments sans tenir compte des
constructions dont ils font partie.
Les constructions sont au moins de trois grands types :
des locutions figées, dont aucune partie ne peut être modifiée et/ou rempla-
cée ; par ex. en français sur ces entrefaites,tout à coup ; ce sont des « substantive
constructions » dans la terminologie de W. Croft et A. Cruse (2004) ;
des locutions en partie figées en partie variables (les « semi-schematic
constructions » de Croft & Cruse 2004) ; par ex. les structures comparatives
du type [X plus ADJ. que Y] ou les structures à complément adnominal
introduit par de, dans lesquelles N2 est un nom nu [N1 de N2] (ex. meute
de loups,verre de bière) ;
des constructions au sens traditionnel, dans lesquelles tous les constituants
sont des variables (les « schematic constructions » de Croft & Cruse 2004),
comme par exemple la construction transitive directe (Verbe-COD) ou la
construction passive.
Il découle de ce qui précède que les constructions peuvent présenter différents
niveaux d’abstraction : alors que la dernière ne comporte que des variables, les
deux premières contiennent des constantes. Partant, les constructions peuvent
former des réseaux hiérarchisés, dans lesquels une construction schématique est
instanciée par une ou plusieurs constructions (semi-)schématiques lorsque les
variables de la construction schématique sont remplacées par des constantes.
Dans cette contribution, nous partirons de ces principes pour d’abord étudier
des constructions dans lesquelles le complément introduit par en est dans la
dépendance d’un verbe [V (SN) en N], et nous distinguerons trois grands types
d’interprétations, la localisation (§ 2), l’attribution d’un état à un objet ou à un
sujet (§ 3) et l’expression d’une propriété (§ 4), chacune de ces interprétations
étant à associer à une ou plusieurs constructions, celles-ci se déclinant elles-
mêmes en sous-constructions. Le but de ces trois premières parties sera de
montrer que le sens des constructions identifiées excède à chaque fois le sens des
constituants qui saturent les variables, même si une certaine compositionnalité
existe dans tous les cas. Nous étudierons ensuite (§ 5) la construction gérondive
[en V-ant], et nous montrerons que celle-ci est, en français moderne, inanalysable
(on n’y retrouve ni compositionnalité, ni le sens de la préposition en). Cette
dernière construction ne pourra donc s’intégrer au réseau des constructions
étudiées précédemment.
2. INTERPRÉTATIONS LOCALISANTES
Nous distinguons trois grands types d’interprétation, la localisation stricte (§ 2.1),
la localisation qualifiante (§ 2.2) ou le mode de locomotion (§ 2.3), liées chacune
à (au moins) un type de construction.
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La préposition ‘en’
2.1. La localisation stricte
Cette interprétation est très contrainte (cf. Amiot & De Mulder 2011). Les seuls
noms qui l’autorisent sont :
pour la localisation spatiale, les toponymes (N
Top
)
1
qui dénotent des lieux
composites d’une certaine étendue, et/ou qui peuvent être conceptualisés
comme des contenants ; ainsi en est-il des pays ou des régions 2:
(8) a. Il est en France, en Bourgogne, en région parisienne.
b.
Il réside en France, ils demeurent en Bourgogne, ils vivent en région pari-
sienne.
(9) a. Il a beaucoup voyagé en France, Il est parti marcher en Bourgogne.
b. Il va / vient en France / en Bourgogne / en région parisienne.
Les exemples (8) et (9) permettent de distinguer : (i) une interprétation stative,
lorsque le verbe est être
3
ou un autre verbe statif comme résider,demeurer,
vivre (cf. ex. (8b)), ces deux types de verbes pouvant être abréviés V
stat
; (ii) une
interprétation dynamique avec un verbe de déplacement (V
dép.
), que celui-ci soit
un verbe de changement d’emplacement (9a) ou un verbe de changement de
lieu (9b) 4.
pour la localisation temporelle, des noms de temps (N
Tps
) qui permettent
la localisation sur un référentiel temporel (cf. Berthonneau 1989) comme les
noms de mois ou les dates (10) :
(10) a. Nous sommes en mars, en 2013.
b. C’est arrivé en mars, en 2013.
À nouveau, c’est généralement le V être qui sature la variable verbale (Amiot,
de Mulder & Flaux 2005) ; on trouve aussi cependant des verbes de survenance
(Vsurv) comme arriver ou se produire.
L’interprétation localisante stricte est donc associée, pour la localisation spa-
tiale, à la construction semi-schématique [V
stat/dép
en N
Top
], pour la localisa-
tion temporelle, à la construction semi-schématique [V
être/surv
en N
Tps
]. Cette
interprétation nécessite donc un contexte très contraint et est finalement peu
représentative de l’ensemble des contextes d’emplois de la préposition en. Selon
nous, cela s’explique par l’hypothèse suivante, développée par W. De Mulder
1.
Les abréviations proposées tout au long des paragraphes 2, 3 et 4 visent à faciliter la représentation
synthétique des constructions dans la Figure 2, § 4.3.
2.
Cela ne suffit cependant pas à prédire la capacité d’un toponyme à figurer dans la construction. Deux autres
constructions viennent en effet concurrencer être en :être à et être dans, cf. par ex. : Il est au Maroc / Il est dans
le Nord. Ce sont plutôt des considérations phonétiques (initiale consonantique vs vocalique) ou flexionnelles
(genre féminin vs masculin) qui semblent régir le choix de la construction.
3.
La littérature sur la structure [être en N] est assez abondante (par ex. Van de Velde 2006 ; Haas 2008) et
dans l’ensemble, les auteurs s’accordent à considérer qu’elle exprime un sens statique et que être en introduit
un état.
4. Cf. Aurnague (2008).
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