phénomène est compréhensif, il implique l’intention du sujet. En cela il n’est pas explicatif,
selon la distinction effectuée par Max Weber entre sciences explicatives et compréhensives.
Les sciences sociales et en particulier l’économie sont phénoménologiques. Par exemple¸
Freud
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proclame que « le véritable début de l’activité scientifique consiste bien plutôt dans la
description des phénomènes qui sont alors bien groupés, ordonnés et intégrés dans des
ensembles », définition qui s’inspire étroitement de Husserl. Ricoeur dans « le conflit des
interprétations » rappelle les trois thèses de la phénoménologie : théorie de la signification,
théorie du sujet, théorie de la réduction. Nous
insisterons sur la signification par
l’anthropologie économique et le retour au sujet, la personne. La réduction sera invoquée
marginalement à travers les formes logiques de la théorie des choix collectifs. Dans le dédale
des phénoménologies, nous essayons de privilégier l’approche de la personne en économie.
L’élément le plus important est la « phénoménologie de l’homme capable » définie par Paul
Ricoeur. La phénoménologie réhabilite le sujet en tant que personne capable, responsable et
souffrante. Cette démarche pose la question de la méthode et de ses conséquences sur le
raisonnement économique. Le phénomène de la souffrance, par exemple est traité par la
pensée économique comme un problème accessoire, relevant de l’ordre naturel, ce que
dénonce en vain « l’économie sociale et solidaire » de Charles Gide. Par exemple, de
nouvelles souffrances, principalement psychologique apparaissent dans le milieu du travail,
avec le passage de la responsabilité collective (cf. le toyotisme) à la responsabilité
individuelle. La phénoménologie permet de revenir sur ces événements et d’éviter soit un
traitement théorique prématuré, soit une omission volontaire afin de régler empiriquement le
problème. Ainsi l’anthropologie économique,en étudiant les capacités des personnes, par
exemple à dire, faire, s’imputer, narrer, peut servir de méthode à la phénoménologie
économique Tel est le cas du mystère de la résilience, certaines personnes ayant cette
capacité à diminuer la souffrance, d’autres non. Rappelons que la philosophie accorde la
priorité à la diminution de la souffrance en tant qu’obligation parfaite par rapport à
l’amélioration du bien être qui n’est qu’une obligation imparfaite. On examinera
préalablement les principales composantes de la phénoménologie économique (I). Puis la
méthode est abordée avec l’anthropologie économique (II). Des applications sont effectuées,
notamment à propos du phénomène communautaire des transferts inter vivos.
-I- Les principales composantes de la phénoménologie économique
La phénoménologie1 est divisée entre différentes acceptions, en Allemagne (Husserl,
Heidegger, Gadamer, Scheler) , au Japon (Watsuji), en Tchécoslovaquie ( Patocka),et surtout
en France ( Sartre, Merleau-Ponty, Lévinas, Ricoeur, Henry, etc..) ; leur base commune est la
personne (l’Être) et ses caractéristiques. Les interprétations de la seconde vague, Sartre,
Ricoeur, Lévinas, entre autres,sont des alternatives claires au radicalisme philosophique4, et
favorisent les applications en économie. La phénoménologie critique le savoir scientifique
« objectif » et lui oppose les modes concrets de la subjectivité. Elle amène à réintroduire la
subjectivité dans les domaines de la responsabilité et de la souffrance. Cette critique initiée
par Husserl s’applique en économie avec Michel Henry (1987) qui dénonce son idéologie
scientiste et positiviste. La phénoménologie de Henry est très claire, mais amène à une
3 Freud (1915).
4 Le radicalisme philosophique « englobe » les différents courants de pensée, utilitaristes et hédonistes ; il a été
mis en valeur par Elie Halévy (1901-1904). Il désigne le processus général de rationalisation et de
sécularisation qui détruisit l’hégémonie de la religion à partir de 1650. Le radicalisme est un monopole de la
pensée au point où l’on se demande comment Rawls et Sen peuvent renier l’utilitarisme.
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