Institutions sociales : quel rôle économique ? - Conférence des 6

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INTEGRAS
Institutions sociales :
quel rôle économique ?
Colloque de Morat / 6 et 7 mai 2004
Conférence inaugurale
Marie-Luce Délez
Stéphane Mayor
1
TABLE DES MATIERES
I. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA
CONSTRUCTION DU BIEN-ÊTRE SOCIAL : APPROCHE
THÉORIQUE........................................................................................ 6
1.1. L’APPARTENANCE AU TROISIÈME SECTEUR ......................................... 6
1.2. L’APPARTENANCE À UN SYSTÈME RELATIONNEL .................................. 7
1.3. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ETAT INCITATEUR ET DES RÉSEAUX .............. 8
1.3.1. Une nouvelle définition du principe de subsidiarité............. 8
1.3.2. L’organisation de la solidarité : un nouveau mode de
fonctionnement.................................................................... 9
1.3.3. Un cadre nouveau pour les institutions sociales ................. 9
a) la fragilisation des institutions sociales ............................................ 10
b) la mise en concurrence avec d’autres institutions............................ 10
c) l’obligation de développer des démarches qualités ......................... 10
d) l’obligation de se soumettre à des procédures de contrôle.............. 10
e) la discontinuité dans leur mission et la difficulté à planifier une
stratégie à long terme ............................................................................ 10
f) l’augmentation des dépenses liées à l’existence du réseau ............ 11
g) la recherche de fonds privés............................................................ 11
1.4. QUELLE PLACE POUR LES INSTITUTIONS SOCIALES ? ......................... 11
II. L’UTILITÉ SOCIALE DES INSTITUTIONS SOCIALES..................... 12
2.1. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET DE L’ÉCONOMIE
SOLIDAIRE ..................................................................................... 12
2.2. LE CONCEPT D’UTILITÉ SOCIALE EN FRANCE ..................................... 13
2.3. LA FIN DE L’IDÉE D’UNE UTILITÉ SOCIALE PAR NATURE ........................ 13
III. LE RÔLE ÉCONOMIQUE DES INSTITUTIONS SOCIALES EN
SUISSE .............................................................................................. 15
3.1. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA PROTECTION SOCIALE
EN SUISSE .................................................................................... 16
3.1.1. Définition de la protection sociale en Suisse..................... 16
3.1.2. Quelques résultats quantitatifs et qualitatifs pour la Suisse
........................................................................................... 17
2
3.2. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA FORMATION
DU CAPITAL HUMAIN ........................................................................ 19
3.2.1. La théorie du capital humain .............................................. 19
3.2.1.1. Les éléments du capital humain .................................... 20
a) L’investissement en capital humain .................................................... 20
b) Le rendement du capital humain......................................................... 20
c) Le stock de capital humain.................................................................. 21
1er indicateur : diplôme obtenu et niveau de formation ..................................22
2ème indicateur : la littératie ou maîtrise de la lecture et de l’écriture .......... 22
3.2.1.2. Le stock de capital humain des professionnels
de l’action sociale .......................................................... 23
3.2.1.3. Le stock de capital humain des résidents présents
en institutions................................................................. 23
3.2.1.4. Les institutions détentrices et productrices d’un stock
considérable de capital social........................................ 24
Les institutions : une plus-value pour la société........................... 25
3.3. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA FORMATION
DU CAPITAL SOCIAL ......................................................................... 25
3.3.1. Le capital social : une nouvelle mesure de l’action
sociale ............................................................................... 26
3.3.2. Comment mesurer le capital social ? ................................ 27
3.3.3. A propos de l’action sociale, le débat actuel ..................... 27
3.3.4. L’action sociale, un investissement dans le bien-être
pour tous !.......................................................................... 28
3.4. LE RÔLE DANS LES NOUVELLES RÉPONSES SOCIALES .......................... 28
IIII. POUR UNE MEILLEURE LISIBILITÉ DES INSTITUTIONS
SOCIALES : QUELQUES PROPOSITIONS..................................... 30
4.1. LES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LES STATISTIQUES OFFICIELLES ..... 30
4.1.1. Les données fournies par l’Office fédéral de
la Statistique ...................................................................... 30
4.1.2. Les conséquences d’un manque de lisibilité
ou de visibilité.................................................................... 30
4.2. LE MODÈLE D’ANALYSE COÛTS-BÉNÉFICES : LA FIN D’UNE ATTITUDE
DÉFENSIVE ?................................................................................. 31
4.2.1. La notion de valeur ajoutée de l’action des institutions
sociales.............................................................................. 32
4.2.2. Un exemple : l’analyse coûts-bénéfices dans les
traitements à base d’héroïne en Suisse............................ 33
CONCLUSION ........................................................................................ 35
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................... 37
3
INTRODUCTION
Institutions sociales : quel rôle économique ? à question évidente,
réponse évidente, semble-t-il ! Mais le chercheur est vite désillusionné.
La littérature sur le sujet est quasi-inexistante, les statistiques ne
distinguent pas les institutions sociales et la recherche ne semble pas s’y
intéresser.
Et pourtant...
À la question «les institutions sociales ont-elles un rôle économique ? »,
la réponse « oui » est immédiate et spontanée. Elles sont intégrées dans
le circuit économique, elles créent des emplois, elles génèrent des
recettes fiscales, elles fournissent de nombreux services (hôtellerie,
constructions, transports, services industriels, etc.). Elles contribuent à
l’intégration sociale d’une tranche de la population, elles sont actives
dans l’éducation, la formation et la politique de la jeunesse.
Personne n’est à même de contester ce rôle. Alors pourquoi reste-t-il
dans l’ombre ? Pourquoi n’est-il pas l’objet de recherches, d’articles,
d’analyses statistiques ? Quelles sont les raisons de ce manque de
visibilité ? de ce repli sur soi ? Pourquoi les institutions sociales se
cachent-elles ? Que craignent-elles ? Jean-René Loubat apporte une
amorce de réponse : « ces secteurs d’activité n’ont pas subi de
véritables contrôles ni d’injonction de résultat durant plusieurs
décennies. Ils sont même devenus, à partir des années soixante-dix, un
espace-refuge pour des personnes évitant le monde du travail ordinaire
ou à but lucratif, mais qui cherchaient malgré tout à s’insérer
professionnellement dans le ventre mou de la société capitaliste ».
Depuis une petite décennie, les institutions sociales se trouvent
projetées dans une forme de révolution culturelle, dans un contexte de
mutations et d’une nouvelle approche du travail social. Les indices sont
nombreux, comme la concurrence entre institutions, les démarches
qualité, les contrôles et les mandats de prestations, l’appartenance à une
logique de service ou le nouveau vocabulaire utilisé (le bénéficiaire
devient un client).
4
Dans les perspectives actuelles de restrictions budgétaires de la
protection et de la politique sociales, où toute allocation de ressources
est d’abord envisagée dans une optique de coûts, il devient impératif
pour les institutions sociales de révéler (et non pas de justifier) leur
investissement pour l’avenir, leur place dans les processus d’intégration
sociale et de bien-être social. Comme l’écrit Jean-René Loubat, « les
structures d’action sociale et médico-sociale constituent aujourd’hui une
parte intégrante et incontournable de l’univers des services d’une société
post-industrielle – part qui s’avère d’ailleurs loin d’être négligeable
puisqu’elle représente environ vingt-deux mille établissements ou
services, comprend quatre cent mille personnels et concerne un million
deux cent mille bénéficiaires sans omettre, bien sûr, tous les bénévoles
mobilisés » (ndlr : chiffres pour la France).
Que peut apporter la science économique dans une telle démarche ?
Cette discipline a un double objet : « (...) comprendre et conseiller.
Comprendre, c’est-à-dire établir objectivement une explication des
phénomènes économiques. Conseiller, c’est-à-dire apporter aux
décideurs un témoignage objectif sur les conséquences à attendre des
décisions alternatives entre lesquelles ils doivent choisir » (Malinvaud E.,
1990). L’enjeu de cette conférence et de ces deux journées de rencontre
est de stimuler de nouvelles pistes de réflexions, de comprendre les
raisons de cette discrétion et de mettre en place des projets ou des
modèles d’ouverture, afin que la société tout entière prenne
connaissance objectivement du rôle économique et social joué par les
institutions sociales.
5
I. Le rôle des institutions sociales dans la construction du
bien-être social : approche théorique
Dans les débats actuels sur l’Etat-providence ou l’Etat social, les
différentes propositions émises ont toutes «comme trait commun de
donner non seulement plus de poids aux forces privées du marché, mais
aussi à la société civile pour l’organisation et la distribution des biens de
solidarité» (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 20). Elles s’intègrent dans
une vision nouvelle du fonctionnement du système social, dans lequel
les institutions sociales, en tant que membre de la société civile, jouent
un rôle fondamental. Mais si ce rôle est indéniable, il n’est pas reconnu à
sa juste valeur.
Quelles en sont les raisons ? Les «approches théoriques traitant des
apports de la société civile dans la production et l’organisation du bienêtre, développées suite au constat de la crise de l’Etat-providence»
(Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 34) fournissent des éléments de
réponse :
1.1. L’appartenance au troisième secteur
Un courant conceptuel range les institutions et les organisations actives
dans la production de biens sociaux dans un cadre théorique, appelé le
troisième secteur. Celui-ci regroupe tous les acteurs de production de
bien-être social, qui ne sont ni des entreprises tournées vers le profit ni
des services publics. Le troisième secteur est ainsi défini par ce qu’il
n’est pas : il n’y a pas de définition positive de ce secteur.
Une approche par le troisième secteur pour comprendre le rôle des
institutions sociales soulève de nombreuses difficultés (Bütschi
D./Cattacin S., 1994, pp. 37ss) :
• les modèles développés par les recherches macrosociologiques ne
permettent pas de rendre compte du rôle et du comportement de ce
secteur. Ils définissent cinq types de relations, « allant d’un rôle
alternatif du troisième secteur à un rôle marginal dans la production
du bien-être, représentant des constellations entre l’Etat, l’économie
et le troisième secteur variant selon le programme politique qui inspire
les acteurs dominants » (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 37).
• les recherches microsociologiques révèlent l’impossibilité à regrouper
dans un cadre unique un ensemble fort hétérogène, difficile à
6
catégoriser. Elles montrent également comment ces institutions et
organisations sont perçues de manière négative. Il est question
d’organisations n o n lucratives ou d’organisations n o n
gouvernementales. Et si une définition positive leur est attribuée, il
s’agit d’organisations bénévoles, de groupes de solidarité ou
d’organisations philanthropiques.
Bütschi et Cattacin estiment que les résultats apportés par ce courant
sont insatisfaisants, dans le sens où il tente de regrouper sous une
« étiquette » unique un ensemble d’acteurs, dont les statuts et les
caractéristiques fonctionnelles ne peuvent être unifiés. Ils relèvent
toutefois que «le résultat le plus important de ces réflexions tient dans la
prise de conscience d’une interdépendance complexe pour la production
des biens sociaux entre d’une part, l’Etat et d’autre part, la société civile
et ses expressions organisationnelles» (1994, p. 37). Ces deux auteurs
proposent d’envisager le rôle de la société civile dans un système basé
sur un modèle relationnel.
1.2. L’appartenance à un système relationnel
Les approches basées sur un modèle relationnel confèrent un rôle
d’intermédiation aux institutions sociales (Bütschi D./Cattacin S., 1994,
pp. 44ss). Un tel rôle se définit comme le seul moyen de rendre
compatibles les différents langages et logiques d’action dans le
processus d’intégration sociale. Ce champ intermédiaire, situé entre des
buts, des motivations et des formes de travail hétérogènes peut être
représenté par le triangle du bien-être, développé par Aldabert Evers
(cité par Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 45).
Le triangle du bien-être réunit les trois pôles
de la société, à savoir les ménages ou sphère
informelle, l’Etat et le marché. Cette approche
n’essaie pas de classer et de délimiter des
secteurs, mais considère les institutions
sociales comme des ensembles en évolution,
instables et mobiles, pouvant osciller entre
l’assimilation, l’exclusion ou la coopération.
Selon Bütschi et Cattacin, cette approche de
type dynamique n’est pas toutefois suffisante
pour définir le rôle des institutions sociales,.
En effet, elle se limite à un aspect descriptif
ou à une catégorisation souple des
institutions, sans pour autant développer une
analyse de leur intégration dans le processus
de production sociale.
Marché
Etat
Ménage /sphère Informelle
Fig. 1
7
1.3. Le développement de l’Etat incitateur et des réseaux
Le développement de l’Etat incitateur, suite à la crise de l’Etatprovidence, bouleverse le rôle des institutions et des organisations
sociales. L’Etat incitateur est celui qui « organise » l’auto-organisation de
la société, par le biais de nouvelles pratiques de la subsidiarité entre les
acteurs privés et les acteurs publics dans la production du bien-être.
(Bütschi D./Cattacin S.,1994, pp. 246ss). Elles se traduisent dans la
réactivation du principe de subsidiarité, dans l’organisation de la
solidarité et dans la création d’un cadre nouveau de fonctionnement.
1.3.1. Une nouvelle définition du principe de subsidiarité
Bütschi et Cattacin proposent trois définitions de la subsidiarité :
• la subsidiarité réflexive : l’Etat (ou l’administration) crée des
situations nécessitant des subventions en « créant » des
organisations ou en demandant à des organisations d’intégrer
certains programmes dans leurs activités. Cette démarche apparaît
comme « une solution prometteuse pour répondre à de nouveaux
problèmes sociaux qui concernent le plus souvent des groupes
marginalisés réticents à l‘intervention étatique (...). Ainsi la prise en
charge du problème par des organisations privées sur une base
volontaire facilite les processus thérapeutiques » (p. 246).
• la subsidiarité selon des critères de sélection précis et sévères :
de plus en plus, ce ne sont plus les organisations qui sont
subventionnées, mais des projets précis, dont les objectifs entrent
dans une politique publique. La demande de subventions doit
désormais répondre à des critères précis et sévères, très souvent liés
à des évaluations des organisations et des programmes mis en place.
Le fait de ne pas pouvoir répondre à ces critères est souvent
synonyme d’exclusion.
• la subsidiarité de départ : cette procédure repose sur l’octroi d’une
subvention unique aux organisations privées, pour leur permettre de
surmonter les difficultés caractéristiques de la mise en oeuvre d’un
projet. Une des conditions requises est la recherche d’autres sources
de financement.
8
1.3.2. L’organisation de la solidarité : un nouveau mode de
fonctionnement
L’Etat incitateur s’inscrit dans une stratégie d’état minimal et dans une
volonté de confier à la société l’organisation de la solidarité,
l’administration gardant une fonction d’organisation. Ce nouveau
contexte entraîne de nouveaux modes de fonctionnement entre les
acteurs :
• une coopération accrue entre les acteurs privés et publics :
«L’Etat incitateur réalise une politique ou un programme qu’il s’est
fixé, en associant des acteurs privés selon le principe de la
subsidiarité. En fait, l’acteur étatique – le plus souvent l’administration
publique – définit les standards et les règles de fonctionnement des
réseaux (soit par l’incitation directe, soit par l’incitation indirecte
passant par des critères de sélection) et il laisse ensuite les acteurs
privés s’auto-organiser à l’intérieur des limites définies par ces règles
et standards » (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 248).
• une intégration des institutions et organisations privées dans les
politiques publiques, en fonction des règles et des standards
décidés l’Etat. Le secteur privé devient légitimé s’il respecte le cadre
défini : il perd une forme d’autonomie pour se conformer à des
fonctions définies par le secteur public.
• l’obligation de réaliser une politique publique : l’argent donné par
le biais des subventions n’est plus octroyé sans garantie et sans la
condition de participer à un réseau mis en place pour développer et
réaliser une politique publique. Ce dispositif entraîne une plus grande
responsabilisation des acteurs privés, « qui pour obtenir une
légitimation, doivent s’aligner sur les critères de fonctionnement du
réseau »(Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 250).
1.3.3. Un cadre nouveau pour les institutions sociales
Dans le cadre défini par l’Etat incitateur, le secteur public cherche à
déléguer de plus en plus de tâches au secteur privé ou à encourager des
activités fondées sur le bénévolat : « Plus exactement, si les exécutifs et
les parlements – et en particulier les partis bourgeois – veulent à
nouveau confier à la société l’organisation de la solidarité,
l’administration pour sa part, garde une fonction d’organisation, tout en
9
laissant, au nom de la subsidiarité, les expressions organisationnelles de
la société s’auto-organiser au sein des limites posées. Cette solution
permet, d’une part, de surmonter les blocages financiers en réduisant,
par exemple les frais de personnel et d’autre part, de répondre à la
complexité de la société moderne d’une façon différenciée »(Bütschi
D./Cattacin S., 1994, p. 242). (Mais aucune règle cohérente ne définit
cette répartition des tâches. Il en résulte de nouvelles difficultés
auxquelles les institutions doivent faire face et une nouvelle définition de
leur rôle sur des bases instables, qui peuvent être résumées comme
suit :
a) la fragilisation des institutions sociales
qui se trouvent de plus en plus confrontées à de nouvelles demandes
sociales et à des activités croissantes sans que leurs subventions
augmentent. L’éventail des prestations augmente sans pour autant
recevoir un financement supplémentaire de l’Etat, qui suppose trop
souvent que certaines tâches peuvent être exécutées par des
volontaires ou des bénévoles.
b) la mise en concurrence avec d’autres institutions
car les ressources à disposition stagnent ou diminuent. Cette
concurrence est d’ailleurs très ressentie sur le marché du don, qui lui
aussi stagne depuis plusieurs années, ou dans l’attractivité des
institutions, qui se « disputent » certaines classes de bénéficiaires.
c) l’obligation de développer des démarches qualités
afin de justifier l’utilisation des subventions étatiques, voire des dons
reçus. Cela entraîne les institutions dans l’univers des indicateurs à
fournir, des labels, des rapports et des justifications.
d) l’obligation de se soumettre à des procédures de contrôle
corollaire des restrictions budgétaires et du développement de l’octroi
de subvention sur la base de mandats de prestations.
e) la discontinuité dans leur mission et la difficulté à planifier une
stratégie à long terme
dues à l’absence de garantie de financement sur une certaine durée.
Cette difficulté est liée aux restrictions budgétaires ou au système de
subvention de départ, qui consiste à interrompre un financement
quand le projet fonctionne. Cette difficulté est également due au
processus de décisions politiques propre à la Suisse et à l’importance
croissante prise par l’administration (pour plus de détails voir Bütschi
D./Cattacin S., 1994, p. 253).
10
f) l’augmentation des dépenses liées à l’existence du réseau
participer à un réseau engendre d’importants efforts en négociation,
en justification, en élaboration de documents et en preuve du besoin.
L’inflation des tâches administratives coûte cher et nécessite des
investissements considérables, que certaines institutions ne sont plus
à même de fournir.
g) la recherche de fonds privés
les subventions étant soumises à de tels critères, de nombreuses
organisations préfèrent préserver une partie de leur autonomie en
recherchant des fonds privés. D’autres n’ont plus que cette solution
car elles ont été exclues du subventionnement public. Une telle
situation contribue à augmenter la concurrence entre les institutions.
1.4. Quelle place pour les institutions sociales ?
L’analyse des approches théoriques ne répond que partiellement à la
question du rôle économique des institutions sociales. Aucune approche
ne nie leurs contributions à la production du bien-être social ; leurs
fonctions d’intermédiaire fondamental dans les politiques publiques,
leurs réponses aux demandes sociales, anciennes et nouvelles, leur
participation active au réseau de services d’action sociale. Mais leur
contribution se limite à reconnaître cette existence, sans en préciser le
contenu, ni les règles pour permettre aux institutions de trouver un cadre
stable à leur mission.
Le nouveau cadre de l’Etat incitateur et les pressions qui en résultent
contraignent les directeurs d’institutions sociales à devenir de véritables
gestionnaires de PME (voir thème de la conférence d’Integras en 2003),
à réagir, à reconsidérer la mission et le rôle de leurs institutions dans
l’action sociale. Ce changement est radical. Comment l’intégrer ?
Comment rendre les institutions sociales conscientes du nouveau défi
auquel elles doivent faire face ? Que peuvent-elles faire pour renforcer
leur présence ? Comment peuvent-elles mettre en évidence leur
contribution au bien-être social ? Comment peuvent-elles évaluer leur
importance dans la vie économique ? Plusieurs pistes s’amorcent : c’est
l’objet de la deuxième et de la troisième parties.
11
II. L’utilité sociale des institutions sociales
Dans de nombreux pays européens (France, Suède, Belgique), c’est au
sein du tiers secteur d’économie sociale et solidaire, ainsi que du monde
associatif, que le concept d’utilité sociale est apparu.
2.1. Le développement de l’économie sociale et de l’économie
solidaire
L’économie sociale est née vers la fin du 19ème siècle, dans des
initiatives associatives, syndicales ou mutualistes. Elle désigne un
ensemble d’institutions, dont le trait commun est de fonctionner en vue
de la satisfaction de leurs membres, adhérents ou sociétaires, et non en
vue de la rentabilisation d’un capital (Alternatives économiques, 2003, p.
13).
L’économie solidaire trouve son origine dans les années 70-80, dans un
contexte marqué par la crise économique ou le chômage. Elle désigne à
la fois l’épargne solidaire, les entreprises d’insertion ou le commerce
équitable. Son but est de renforcer le lien social et d’établir une plus
grande équité.
Aujourd’hui, la distinction n’est plus aussi nette et il est question
désormais d’économie sociale et solidaire, assimilée à la notion de tiers
secteur. (Note : malgré les lacunes de l’approche théorique développée
au point 1.1., la terminologie de tiers secteur sera utilisée dans le texte).
L’économie sociale a fait son entrée officielle dans la terminologie de
l’Union Européenne en 1989.
Ce secteur prend une ampleur dans toute l’Europe, mais l’absence
générale de statistiques rend difficile tout travail d’évaluation. Il regroupe
les associations, les fondations, les institutions, les coopératives actives
en particulier dans le domaine de la santé, de la formation et de la
scolarité, des services d’accueil de l’enfance et des personnes âgées, de
la réinsertion professionnelle, des loisirs et de la culture.
Les organisations de l’économie sociale sont organisées autour d’une
démarche entrepreneriale et « prennent appui sur l’environnement local
pour améliorer leurs performances tant économiques que sociales. Leur
irruption dans le champs économique suscite réserve ou enthousiasme »
(OCDE, 2001). Les recherches les plus récentes insistent toutes sur
12
l’importance de ce secteur pour maintenir, renforcer ou régénérer le tissu
social et la nécessité d’examiner de manière plus approfondie leurs
éléments suivants (Ministère de la culture, Suède, 2000) :
- «la dualité qui prévaut dans la société entre secteur privé et
secteur public,
- la vision du travail bénévole par rapport au travail rémunéré,
- les notions de profit et d’excédent,
- la vision de l’entreprenariat,
- la concurrence et de la neutralité au plan de la concurrence,
- l’utilité sociale,
- la législation préférentielle,
- les questions concernant les moyens de rendre visibles, de décrire,
de contrôler et d’évaluer les activités.»
2.2. Le concept d’utilité sociale en France
En France, pour mieux définir la place du tiers secteur associatif par
rapport à l’Etat et au marché, les pouvoirs publics ont instauré un
concept d’utilité sociale. Les premières définitions sont apparues dans le
cadre du droit fiscal : « c’est un arrêt du Conseil d’Etat de 1973 qui a
considéré qu’il ne suffisait plus à une association d’être à but non lucratif
et d’être gérée de manière désintéressée pour être exonérées des
impôts commerciaux payés par les entreprises à but lucratif. Elle devait,
en plus, apporter la preuve que son activité apportait à la société une
contribution non fournie par le marché » (Alternatives économiques, pp.
16-17).
En d’autres termes, l’utilité sociale se définit comme la réponse à un
besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou qui ne l’est que de
manière peu satisfaisante. Elle est le fruit «d’une convention
sociopolitique» (Alternatives économiques, p.7) et évolue par
conséquent en fonction du contexte.
2.3. La fin de l’idée d’une utilité sociale par nature
Depuis très longtemps les institutions sociales estiment qu’elles sont
d’utilité sociale par nature, du simple fait de leur intervention dans un
secteur d’action sociale, de la spécificité de leur mission et de leur statut
juridique ou spécifique. Cet état d’esprit les a «enfermées » dans une
reconnaissance de fait qu’elles estimaient ne pas avoir à justifier et
13
qu’elles considéraient comme une forme de sésame à l’ouverture d’un
droit aux subventions. La valeur ajoutée de leur action n’était l’objet
d’aucun intérêt, ni pour elles, ni pour les décideurs politiques en matière
de subvention.
Le développement de l’Etat incitateur, le démantèlement social, les
pressions financières mettent les institutions sociales devant l’urgence
de sortir du huis-clos dans lequel elles vivaient et de trouver les moyens
pour prouver leur contribution à la production sociale. Elles se trouvent
désormais confrontées à la nécessité d’évaluer leur action, non
seulement dans leur propre intérêt, mais aussi dans une perspective de
société plus large : «Au vu des dégâts sociaux et environnementaux de
notre mode de développement ou de la faible performance de l’action
publique au regard des besoins sociaux», les citoyens sont de plus en
plus nombreux à réclamer «de nouveaux modes d’évaluation de l’utilité
sociale des organisations privées et publiques» ( A l t e r n a t i v e s
économiques, p. 5).
L’évaluation de l’utilité sociale passe par la prise de conscience de leur
rôle à divers niveaux, essentiellement économiques. Leur analyse est
l’objet de la troisième partie, consacrée en particulier à la Suisse.
14
III. Le rôle économique des institutions sociales en Suisse
Selon Jean Gadrey (2003 ; cité par Alternatives économiques, 2003, p.
15), les organisations de l’économie sociale rendent des services
individuels à leurs membres, usagers, clients, en même temps qu’elles
produisent des services d’utilité collective. Il dégage six critères
d’évaluation :
1. Le moindre coût des services : ces organisations délivrent des
services d’un coût souvent inférieur (à qualité semblable) pour
l’usager et la collectivité à ceux des secteurs publics ou lucratifs (ex :
les services d’aide à domicile).
2. La contribution indirecte à la réduction de coûts économiques publics
ou privés : Il s’agit des coûts évités ou d’opportunité (ex : les
indemnités économisées par la réinsertion des chômeurs).
3. La contribution indirecte à l’embauche et à la formation
professionnelle des usagers : par exemple, quand une organisation
accueillant des enfants handicapés permet à ses parents de chercher
un emploi.
4. La contribution au développement local
5. La contribution à la réduction des inégalités : ces bénéfices ne
peuvent pas être mesurés en termes monétaires, mais repérés par
les actions orientées vers cet objectif, les publics bénéficiaires des
actions, et évalués par leurs impacts, notamment la progression du
taux d’accès à certains services ou à certaines libertés
(« capabilities » selon Amartiya Sen).
6. La contribution au capital social, à la démocratie de proximité et aux
solidarités locales
L’évaluation chiffrée de tous ces critères dépasse largement le propos
de cette conférence. Elle suppose en effet des moyens d’identification,
de mesures et de calcul qui font défaut en Suisse pour le moment.
Toutefois, ces lacunes ne doivent pas décourager la recherche et l’inciter
à ignorer le rôle économique des institutions sociales. Ce rôle peut être
15
analysé selon quatre axes de recherche, tenant compte de la structure
sociale de la Suisse :
1)
2)
3)
4)
le rôle dans la protection sociale,
le rôle dans la formation du capital humain,
le rôle dans la formation du capital social,
le rôle dans les réponses aux nouvelles demandes sociales.
3.1. Le rôle des institutions sociales dans la protection sociale en
Suisse
Historiquement, le développement des institutions privées en matière de
protection sociale précède la mise en place de l’Etat-providence ou de
l’Etat social. « Elles sont à l’origine de ce qui sera ensuite traduit par le
principe de la subsidiarité, c’est-à-dire la complémentarité entre plusieurs
intervenants lorsqu’il s’agit de répondre à un problème particulier,
économique ou social » (Rossini Stéphane et al., 1999, p. 1). Cette
complémentarité s’inscrit essentiellement dans le domaine de la
protection sociale, au sens défini ci-dessous.
3.1.1. Définition de la protection sociale en Suisse
L’Office fédéral de la statistique définit la protection sociale comme un
« ensemble des mesures prises par l’Etat et des institutions privées pour
assurer la couverture des besoins vitaux de la population, et particulier
pour la protéger contre certains risques sociaux ».
Une institution ou une prestation sociales est considérée comme
relevant de la protection sociale si elle remplit deux conditions :
a) elle doit être fondée sur le principe de la solidarité sociale
(redistribution), ou au moins sur une loi ou une convention sociale
obligatoire ;
b) elle doit se rapporter à l’un des huit risques ou besoins suivants :
1. la vieillesse
2. la maladie/les soins de santé
3. l’invalidité
4. la survie
5. la famille/les enfants
6. le chômage
16
7. l’exclusion sociale
8. le logement
En se référant à cette définition, il est évident que les institutions
sociales, en particulier les institutions membre de l’association Integras,
jouent un rôle dans le système de protection sociale suisse.
3.1.2. Quelques résultats quantitatifs et qualitatifs pour la Suisse
Il n’existe pas en Suisse de recherche conséquente quant au rôle des
institutions sociales dans le domaine de la protection sociale, comme le
relève S. Rossini : « pour l’heure, en Suisse et à ce jour, aucune
démarche globale ne s’est intéressée à étudier la situation des
institutions sans but lucratif exerçant une activité dans le champ de la
protection sociale » (1999, p. 19). Sa recherche sur les institutions
privées sans but lucratif apporte des premiers éléments qui devraient
être approfondis dans le cadre d’enquêtes plus larges. Ses principales
conclusions peuvent être résumées dans les tableaux ci-après.
Tableau 1 : Résultats quantitatifs par fonction de protection sociale
(1997)
Fonction
Maladie
Invalidité
Vieillesse
Famille-enfants
Exclusion sociale
Non ventilable
Total
Nombre
d'institutions
19 21.8%
32 36.8%
2 2.3%
14 16.1%
14 16.1%
6 6.9%
87 100.0%
Dépenses
33'626'783
157'970'421
56'964'179
5'743'524
146'770'954
164'431'670
565'507'531
5.9%
27.9%
10.1%
1.0%
26.0%
29.1%
100.0%
Recettes
36'343'926
158'904'430
55'126'861
5'458'991
148'978'878
165'805'789
570'618'875
6.4%
28.1%
9.7%
1.0%
26.3%
29.3%
100.9%
Excédent
de recettes
2'717'143
934'009
-1'837'318
-284'533
2'207'924
1'374'119
5'111'344
(Source : S. Rossini et al., 1999, p. 52)
17
Tableau 2 : Résultats quantitatifs généraux
Année de référence
Nombres
analysées
1997
d ’ i n s t i t u t i o n s 87 (sur un recensement de 202
institutions supracantonales et de 1'674
adresses sur le plan cantonal).
Dépenses
565.5 millions de francs
Prestations sociales
421.6 millions de francs (74.5% des
dépenses)
Recettes
570.6 millions
Total des bilans
709.5 millions (76 institutions)
Nombre de
recensées
personnes 5'571 personnes
dont
personnel social
personnel administratif
non précisé
bénévoles
1'268 (22%)
330 (6%)
1800 (31 %)
2353 (41%)
(Source : S. Rossini et al., 1999)
Un des objectifs de l’étude était également de faire ressortir des
résultats qualitatifs, c’est-à-dire de décrire les activités des institutions
privées et de comprendre les difficultés, les enjeux et les perspectives
résultant de leur mission d’action sociale. Quelques résultats sont très
pertinents pour la problématique relevant du thème de la conférence de
ce jour (S. Rossini et al., 1999, p. 84), :
- la préoccupation de la nécessité de renforcer les liens entre les
institutions sociales et les partenaires, qu’ils soient nationaux ou
internationaux,
- la difficulté de se positionner clairement dans le champ de la
protection sociale et de s’inscrire véritablement dans une action
pensée et construite, soit dans une logique d’action coordonnées,
18
- la nécessité de développer des stratégies de relations publiques, non
seulement pour défendre les intérêts directs des membres, mais aussi
pour accroître la visibilité et la transparence de leurs actions, afin de
valoriser et légitimer leur intervention sociale.
3.2.
Le rôle des institutions sociales dans la formation du capital
humain
Comment les institutions sociales peuvent-elles démontrer le rôle
essentiel qu’elles jouent dans la société civile et le faire reconnaître à sa
juste valeur ?
Comment peuvent-elles mettre en évidence leur contribution au bien-être
social ?
Que faire pour renforcer leur présence ?
Comment évaluer leur importance dans la vie économique ?
Le défi pour le secteur social consiste à prendre conscience et à démontrer de
manière positive et offensive son rôle essentiel dans la vie économique.
3.2.1. La théorie du capital humain
« La théorie du capital humain postule que les connaissances et les
compétences transmises par la formation accroissent la capacité du
travailleur à produire de la valeur ajoutée. » (OFS, 1998, p. 7)
La théorie du capital humain appartient au champ de l’économie de
l’éducation et postule que formation et qualifications comportent des
éléments déterminants pour la productivité et pour le développement de
l’économie dans son ensemble. Dans les années 70, les rendements
économiques occupent une place centrale dans la théorie du capital
humain
« De nos jours, l’intérêt renouvelé pour le capital humain est davantage
lié à la conviction de plus en plus affirmée que le savoir et les
qualifications peuvent jouer un rôle déterminant dans le combat contre le
chômage et l’exclusion sociale, ainsi que pour accélérer la croissance
économique. » (OFS, 1998, p. 7)
19
PAS DE PROSPERITE ECONOMIQUE SANS COHESION SOCIALE
Pour l’OCDE, le capital humain dans sa définition actuelle recouvre « les
connaissances, les aptitudes et la santé des personnes » (OCDE, 2001,
p. 12) qui leur confèrent divers avantages d’ordre personnel,
économique et social.
L’investissement en capital humain est aujourd’hui au cœur des
stratégies mises en œuvre par la majorité des pays industrialisés en vue
de promouvoir la prospérité économique, l’emploi et la cohésion sociale.
La théorie du capital humain s’est étendue aux rendements nonéconomiques.
« La cohésion sociale est nécessaire pour que la croissance et la
prospérité soient durables ; là encore le rôle du capital humain est
essentiel. Ces principes sont de plus en plus généralement admis. »
(OCDE, 2001)
3.2.1.1. Les éléments du capital humain
La théorie du capital humain distingue l’investissement en capital
humain, les rendements et le stock de capital humain
a) L’investissement en capital humain
Les investissements en capital humain, au moyen de la formation, sont
au cœur des débats politiques. Ces investissements sont consentis par
les individus eux-mêmes, les entreprises ou encore par l’Etat.
b) Le rendement du capital humain
Face aux dépenses considérables pour l’éducation, il convient de se
demander si les investissements engendrent les rendements espérés .
Vaut-il la peine de consacrer autant d’argent à la formation ? Les
responsables de la répartition de moyens financiers toujours plus limités
ont à répondre à ce genre de questions. C’est une opportunité pour les
acteurs du secteur social de participer activement au débat.
La théorie du capital humain postule que le niveau de formation influe
sur le niveau des salaires et sur l’emploi mais la formation produit
également des effets extra-économiques souhaitables pour la société et
20
les individus comme l’intérêt pour la culture, la politique, etc., et qui
croissent en même temps que s’élève le niveau de formation.
La formation peut dès lors être considérée comme un « indicateur des
processus de socialisation qui aboutissent à une plus grande ouverture
d’esprit, à une capacité critique accrue et à une plus grande maturité
personnelle » (OFS, 1998, p. 59), conditions nécessaires pour tout
individu à l’accès à la citoyenneté.
En dehors du rendement individuel de l’éducation (comparaison coûtbénéfice d’une formation), les rendements fiscal et social montrent en
comparaison internationale que les investissements dans le domaine de
la formation se justifient pleinement, tant pour les pouvoirs publics que
du point de vue social.
Selon l’OCDE, le rendement social « semble justifier encore davantage
les investissements dans l’éducation, bénéfiques pour la société dans
son ensemble »(OFS, 1998, p. 56)
Les taux de rendement fiscal et social de l’éducation n’ont jamais été
calculés en Suisse.
c) Le stock de capital humain
«Le stock de capital humain indique le capital humain accumulé au sein
d’une population à un moment donné. Il est généralement mesuré à
partir du niveau de formation de la population et de la durée moyenne de
la formation. » (OFS, 1998, p.8)
Le stock de capital humain accumulé peut se mesurer au niveau
individuel, au niveau d’une catégorie de la population sur la base de
critères tels que l’âge, le sexe, etc., au niveau d’une institution, d’une
région ou d’un pays.
Le stock indique le volume de capital humain dont dispose un individu,
une entreprise ou l’ensemble d’une société. Il résulte d’investissements
préalables.
A titre d’exemple selon l’Office fédéral de la statistique, la Suisse
consacre plus de 20,6 milliards de francs par année à la formation, tout
degré confondu.
Le stock de capital humain peut être mesuré à l’aide de deux
indicateurs :
21
1er indicateur : diplôme obtenu et niveau de formation
Différentes possibilités permettent de mesurer le stock de capital humain
de manière empirique ou statistique. « Pour mesurer le stock de capital
humain de manière indirecte, on considère le niveau de formation. Le
« niveau » est déterminé par la structure hiérarchique du système de
formation ; il s’agit de l’échelon auquel a été délivré le diplôme,
indépendamment du contenu de la filière choisie. Plus le niveau de
formation est élevé, plus le capital accumulé l’est également : c’est là le
postulat adopté. » (OFS, 1998, p. 9)
2ème indicateur : la littératie ou maîtrise de la lecture et de l’écriture
La valeur relative des informations ainsi réunies nécessite d’être
complété par un instrument de mesure directe du stock de capital
humain : la littératie, ou maîtrise de la lecture et de l’écriture. Des
enquêtes sont menées sur les compétences et les performances
individuelles indispensables pour remplir les tâches et surmonter les
problèmes rencontrés dans notre société d’information. Plus ces
compétences sont élevées et plus le stock de capital humain est
important.
Domaines de littératie
1. Compréhension de textes suivis :
connaissances et compétences
nécessaires pour comprendre et
utiliser l’information contenue dans
les journaux, les œuvres de fiction et
les textes de présentation.
2. Compréhension des textes
schématiques :connaissances et
compétences requises pour repérer
et utiliser l’information présentée
dans les formulaires officiels, sur les
horaires, les cartes et les
diagrammes
3. Compréhension de textes au
contenu quantitatif : connaissances
et compétences nécessaires à
l’application des opérations
mathématiques présentées dans les
imprimés.
Niveaux de littératie
1. Niveau 1 : capable tout au plus de
localiser un seul élément d’information
simple dans les écrits faciles.
2. Niveau 2 : capable de repérer des
éléments d’information par appariement
simple demandant au lecteur des
déductions de faible niveau.
3. Niveau 3 : capable d’utiliser des écrits
demandant des déductions de faible
niveau en prenant en compte de
multiples éléments d’information.
4. Niveau 4 : capable d’effectuer des
tâches comportant de multiples
éléments ou des tâches moins faciles
en utilisant une information complexe.
5. Niveau 5 : capable d’effectuer des
tâches complexes combinant différents
éléments d’information à rechercher
dans un document écrit.
Source : OCDE, 1998, p.24
22
3.2.1.2. Le stock de capital humain des professionnels de l’action
sociale
Ainsi qu’en témoigne la création des Hautes Ecoles Spécialisées, la
Suisse a fourni un effort financier important dans l’accroissement du
nombre de diplômés de niveau tertiaire. Le taux d’universitaires est ainsi
passé de 7% en 1991 à 14% en 2001 (OFS, 2003), augmentation due
pour une part importante à la création des Hautes Ecoles Spécialisées
(HES).
En accueillant des professionnels de niveau tertiaire universitaire, les
institutions voient leur
stock de capital humain augmenter
considérablement, attestant officiellement sur un plan international du
haut niveau de compétences ainsi mobilisées.
Sur la base de ce constat, il convient de se demander pourquoi la
société alloue des moyens financiers aussi considérables pour la
formation de spécialistes qui dès leur entrée en fonction ne sont plus
considérés que comme une charge financière à l’utilité et à l’efficacité
contestées ?
3.2.1.3. Le stock de capital humain des résidents présents en
institutions
Peu ou pas diplômée, toute personne représente une part de capital
humain sous forme de compétences acquises ou à acquérir par la
formation, l’activité professionnelle et l’action éducative dont elle peut
bénéficier, améliorant ainsi son bien-être et celui de la collectivité à
laquelle elle appartient, quelles que soient ses limites de capacités.
A titre d’exemple, une personne adulte handicapée physique en
institution qui produit des documents administratifs (menus, lettres,
affiches, etc.) et qui reçoit une part de sa rente AI sous forme de salaire,
occupe une place socialement reconnue, valorisée et utile à la
collectivité à laquelle elle appartient. De plus, cette situation valorisante
exerce probablement des effets positifs sur sa santé.
Sur ce modèle, il convient de préférer les activités productives aux
activités occupationnelles des résidents. Une contribution même
modeste sous forme de prestations reconnues tant pour son utilité à la
collectivité que par la rémunération salariale dont elle fait l’objet produit à
la fois du capital humain et du capital social.
23
« Dans le domaine social, les objectifs sont plus généraux que celui qui
vise à accroître dans l’immédiat la production économique (…)
l’évolution du bien-être global, et non pas uniquement économique, revêt
de l’importance, et(..) les conséquences à long terme des tendances
économiques, environnementales et sociales doivent être prises en
considération dans toute l’analyse des possibilités d’action actuelle. »
(OCDE, 2001, p. 10)
3.2.1.4. Les institutions détentrices et productrices d’un stock
considérable de capital social.
La Suisse consacre chaque année plus de vingt milliards de francs à la
formation.
Pour la Suisse comme pour l’ensemble des pays membres de
l’Organisation de Coopération et de Développement Economique
(OCDE), les bénéfices d’un tel investissement ne se calculent pas
seulement en termes d’impact économique direct sous forme de
performances professionnelles, mais également en termes de
comportement social.
Ces bénéfices englobent la santé publique, la délinquance,
l’environnement, l’éducation, la participation à la vie collective et politique
et qui à leur tour vont contribuer indirectement au progrès économique.
Cette définition largement partagée sur un plan international intéresse
tout particulièrement le secteur social, partant du principe que les
connaissances et compétences acquises par les professionnels en
formation de niveau universitaire ont pour but annoncé d’accroître leur
capacité à produire à leur tour de la valeur ajoutée.
En effet, les professionnels de l’action sociale favorisent la réinsertion
professionnelle de leurs clients (rendement économique) tout en
réduisant les comportements à risque préjudiciables pour la collectivité
(santé, délinquance, etc.).
Ils produisent donc une plus-value directe au niveau individuel (capital
humain) et indirecte au niveau collectif (capital social).
24
Les institutions : une plus-value pour la société
Les professionnels et les résidents représentent un stock considérable
en capital humain qu’il conviendrait de mesurer et de faire connaître. En
produisant du capital humain et social, les institutions contribuent de
manière essentielle à l’évolution du bien-être tant des résidents pris
individuellement que du bien-être collectif, contribuant ainsi à améliorer
les conditions indispensables à la croissance économique.
Même si la notion de bien-être ne fait pas encore l’objet d’une définition
consensuelle, ce principe est aujourd’hui admis.
3.3. Le rôle des institutions sociales dans la formation du capital
social
S’agissant du collectif, la théorie du capital social vient compléter celle
du capital humain.
Le capital social, « c’est une expression commode pour recouvrir tous
les aspects des sociétés qui, bien que difficiles à mesurer et à intégrer
dans des modèles structurés, sont généralement assimilés à des
facteurs importants de réussite économique à long terme. Pour certains
économistes (pas tous) l’idée intuitive que la société a son importance
est suffisamment forte pour qu’on la retienne malgré la quasi-absence de
base théorique ». (OCDE, 2001, p. 45)
Si le capital humain représente les connaissances et les aptitudes des
personnes, le capital social met l’accent sur « les normes et les réseaux
qui facilitent la coopération au sein des groupes ou entre eux » (OCDE,
2001, p. 12), l’idée étant que « une société fondée sur des relations de
confiance et de coopération peut contribuer à réaliser le potentiel
humain. »(OCDE, 2001, p. 45)
Le capital social diffère du capital humain en ce sens que :
• Il réside dans les relations et n’est pas la propriété exclusive d’un
individu.
• Il constitue pour l’essentiel un bien public en ce sens qu’il est
partagé par un groupe.
• Il est le produit d’investissements consentis par la société en temps
et en énergie, de manière moins directe que dans le cas du capital
humain.
25
3.3.1. Le capital social : une nouvelle mesure de l’action sociale
L’action sociale occupe une place primordiale dans sa contribution au
capital social, les institutions étant par excellence des lieux de partage,
d’apprentissage de la socialisation et de transmission de normes et de
valeurs collectives avec souvent pour finalité une réinsertion d’ordre
professionnel, social, et/ou familial.
La notion même de capital social est relativement nouvelle et son
acceptation n’est à ce jour pas universellement admise. Les éléments
préliminaires dont on dispose permettent de penser que « la notion de
capital social est utile aux fins de l’action gouvernementale, et que des
travaux plus poussés s’imposent pour affiner ce concept et mettre au
point des techniques de mesure. »(OCDE, 2001, p. 45), travaux
auxquels les acteurs du secteur social pourraient contribuer, riches de
leur longue expérience.
Le capital social peut être comparé au capital culturel tel que défini par
Bourdieu pour désigner les habitudes ou pratiques culturelles basées sur
le savoir ainsi que les comportements appris au contact des modèles au
sein de la famille ou dans d’autres milieux comme l’école, les milieux
associatifs ou l’institution.
Le capital social présente des aspects d’ordre social puisqu’il réside
davantage dans les relations que dans les individus, ainsi que dans des
aspects liés au capital en tant que ressource pouvant générer « un flux
d’avantages pour la société au fil des ans ». (OCDE, 2001, p. 46)
La notion de confiance occupe une place primordiale à la fois comme
source et comme résultat du capital social, que ce soit à l’égard des
personnes qu’à l’égard des institutions publiques ou privées.
Le capital social généré par les institutions sociales est à considérer
comme un bien public qui permet « aux individus, aux groupes et aux
collectivités de résoudre plus facilement des problèmes communs. Les
normes de réciprocité et les réseaux aident à assurer un comportement
collectivement souhaitable. » (OCDE, 2001, p. 48).
26
3.3.2.Comment mesurer le capital social ?
Mesurer le capital social est difficile. En règle générale, ces mesures
portent sur un indice composite d’éléments tels que : la participation à la
collectivité, l’engagement dans la vie publique (participation au vote), le
bénévolat, la sociabilité et les niveaux subjectifs de confiance entre
personnes.
« Un moyen d’évaluer les variations du capital social consiste à mesurer
les dysfonctionnements sociaux ou l’absence de coopération
sociale. »(OCDE, 2001, p. 50) Les institutions spécialisées constituent
une réponse sociale directement opérationnelle et au bénéfice d’une
longue expérience pour satisfaire aux demandes de la société dans sa
lutte contre la déviance sociale (criminalité, délinquance, incivilités, etc.).
Faut-il rappeler que « le capital social a ses racines dans les normes et
institutions, parmi lesquelles figurent les entités publiques et légales » ?
(OCDE, 2001, p.52)
3.3.3. A propos de l’action sociale, le débat actuel
Il reste que pour certains, le système de protection sociale est considéré
comme « une cause possible du déclin du capital social. L’argument
avancé est que s’il y a une prise en charge importante des obligations
sociales par le secteur public, les liens associatifs, familiaux et
interpersonnels tendent à s’affaiblir. »
Pour d’autres, l’action sociale, « au lieu d’annihiler l’initiative et le
bénévolat, peut au contraire encourager la solidarité aussi bien sur le
plan symbolique que pratique, notamment en réduisant par des
programmes de protection sociale les risques auxquels les individus sont
confrontés et en favorisant l’acquisition de compétences afin que les
individus puissent développer leur potentiel » (OCDE, 2001, p. 59)
La réponse du secteur social à ses détracteurs réside dans une
amélioration de sa visibilité, une démonstration de la nécessité et de la
rigueur de son action, une amélioration de son image.
Pour modèle, les Universités en Suisse s’adressent à une élite
restreinte et privilégiée, elles bénéficient d’une image incontestée
27
extrêmement valorisée sans qu’elles aient à démontrer qu’elles
constituent un investissement rentable pour la collectivité qui consent
des dépenses considérables.
3.3.4. L’action sociale, un investissement dans le bien-être pour tous !
« A l’instar du capital humain, le capital social procure d’importants
avantages aux individus et à la société » (OCDE, 2001, p. 60).
Il est difficile de faire apparaître clairement un lien entre le capital social
et la croissance économique en raison de la complexité des
interrelations entre les divers déterminants et les différences de
traditions culturelles, institutionnelles thistoriques par pays. « Il serait
fructueux d’entreprendre des recherches complémentaires dans ce
domaine. » (OCDE, 2001, p. 72)
Le débat est ouvert et il s’agit bien pour le secteur social de démontrer
qu’aujourd’hui plus que jamais l’action sociale contribue de manière
indispensable au bien-être de tous
3.4. Le rôle dans les nouvelles réponses sociales
Aujourd’hui, tant à l’Est qu’à l’Ouest, la question des nouvelles
demandes sociales est l’ordre du jour : « ces demandes montrent
l’affaiblissement du rôle exclusif de protection de l’Etat et l’émergence de
formes alternatives d’organisation citoyenne et partenariale, fondée sur
des nouveaux contrats sociaux » (Conseil de l’Europe, 2002, p. 7). Au
niveau européen, le débat porte actuellement les questions suivantes :
- quels sont les mécanismes permettant de détecter les nouvelles
demandes sociales ?
- quel est le rôle joué par les organisations de la société civile en
termes de communication des nouvelles demandes sociales ?
- comment le secteur privé perçoit-il sa responsabilité en termes de
demandes sociales par rapport à celle du gouvernement et en
partenariat avec lui ?
- comment les institutions se transforment-elles et s’adaptent-elles pour
répondre aux nouvelles demandes sociales ?
- un partenariat entre le secteur public, le secteur privé et la société
civile permet-il une meilleure gouvernance et constitue-t-il une
réponse aux nouvelles demandes sociales ?
28
Ce débat s’inscrit dans une évolution structurelle de la société. La
diversité et la multidimensionnalité des demandes sociales posent non
seulement la question du rôle de l’Etat, mais également celui des
institutions sociales : « Dans le passé, les réponses politiques ne
prenaient pas en compte cet aspect et il s’agissait toujours de réponses
spécifiques, ponctuelles. De nouvelles méthodes et compétences
professionnelles s’imposent donc pour construire les réponses sociales.
Ces méthodes, fondées sur le partenariat, la participation en réseau des
citoyens, le partage des responsabilités, etc. s’affirment de plus en plus.
Peut-on dire pour autant que les institutions sont toujours disponibles
pour des pratiques de coopération et de partenariat, notamment avec la
société civile ? Katalyn Tausz l’a rappelé, certains gouvernements et
institutions s’engagent clairement dans cette voie. Mais d’autres n’en
sont pas encore là et ont des difficultés à engager une coopération ou ne
souhaitent pas le faire. » (Conseil de l’Europe, 2002, p. 6).
Le changement culturel et structurel, appelant à un meilleur partenariat
et un questionnement sur le rôle de l’Etat et des institutions sociales en
matière de responsabilité et de consensus social, donne un aperçu de la
complexité du débat qui a cours au niveau européen et auquel sera
confrontée tôt ou tard la Suisse.
29
IIII. Pour une meilleure lisibilité des institutions sociales :
quelques propositions
4.1. Les institutions sociales dans les statistiques officielles
Comme le relève Stéphane Rossini (1999, p. 2), les « statistiques
disponibles sur l’action sociale des institutions privées proviennent
exclusivement d’études partielles réalisées dans le cadre de recherches
ponctuelles ; que ce soit au niveau de la Confédération, des cantons ou
des communes. Il n’existe à ce jour strictement aucune donnée officielle
se rapportant aux recettes, dépenses, personnes protégées et
bénéficiaires de prestations sociales allouées par des organisations
privées ou encore au personnel, professionnel ou bénévole, que celles-ci
occupent ».
Les seules données chiffrées connues sont celles que les institutions
sont tenues de fournir en vue de l’obtention de subventions. Il s’agit
essentiellement de données financières ou administratives, non
régulières et non homogènes.
4.1.1. Les données fournies par l’Office fédéral de la Statistique
Une recherche menée auprès de l Office fédéral de la Statistique (OFS)
en vue de cette conférence n’a donné que de maigres résultats, résumés
dans les deux tableaux figurant en annexe.
4.1.2. Les conséquences d’un manque de lisibilité ou de visibilité
Les lacunes d’identification et de quantification de la pratique sociale des
institutions sociales entraînent une absence de lisibilité ou de visibilité.
Cette absence n’est pas sans conséquences :
« (...) une meilleure lisibilité du domaine serait des plus pertinentes.
D’autant plus que chaque période de ralentissement conjoncturel
favorise la résurgence d’un discours prônant la délégation de
certaines tâches publiques à des institutions privées ou
l’encouragement de démarches fondées sur le bénévolat. Or, cela ne
vas pas de soi. Ainsi, les analyses montrent que la situation
30
économique de nombreuses institutions privées est fragile ; que la
continuité de l’action est parfois comprise. Les conséquences de la
méconnaissance du fonctionnement des institutions privées
occasionnent dès lors un discours peu réaliste sur l’application et
l’efficacité du principe de subsidiarité et peuvent déboucher sur un
processus décisionnel inadéquat. Pour que la complémentarité entre
institutions publiques et privées jouent pleinement et dans une
dynamique constructive, il faut envisager une répartition des tâches
globalement pensée et cohérente et des moyens d’action (ressources
économiques surtout) garantis à terme et non ponctuellement » (S.
Rossini et al., 1999, p. 3).
Une meilleure connaissance de leur rôle et de leurs fonctions est
nécessaire, en particulier pour évaluer leur place dans la protection
sociale. L’idée d’une enquête nationale sur les institutions privées ou de
la mise en place d’un Bureau des associations, émise par Jean
Kellerharls (Université de Genève) devrait être relancée !
4.2. Le modèle d’analyse coûts-bénéfices : la fin d’une attitude
défensive ?
« L’analyse coût-bénéfice peut être définie comme une technique
pratique pour déterminer l’utilité ou la désidérabilité de certaines
dépenses publiques. Plus précisément, il s’agit d’une technique
d’évaluation en termes d’une mesure monétaire commune des
avantages et désavantages sociaux d’une politique dans le but d’en
définir son utilité.
Dans les grandes lignes, la méthode consiste à comparer la valeur
présente de deux flux :
a) le flux des bénéfices sociaux procurés par les biens et services
fournis par le projet ;
b) le flux des coûts sociaux résultant des ressources utilisées pour la
création et l’exploitation du projet. » (Weber L., 1978, p. 248)
L’avantage de cette technique appliquée dans le secteur public est de
prendre en considération non seulement les bénéfices ou les coûts
privés ou internes, mais également les bénéfices ou coûts externes ou
indirects de telle sorte que les véritables bénéfices ou coûts sociaux
soient considérés. (Weber L., 1978, p. 255). Dans cette approche, les
bénéfices ou les coûts intangibles, c’est-à-dire les biens ou les services
31
qui n’ont pas de valeur marchande, sont pris en compte. Car il ne faut
pas oublier qu’il y aura toujours une évaluation implicite ou explicite du
preneur de décision : « il convient donc de prendre tout particulièrement
garde à ne pas ignorer involontairement les bénéfices ou les coûts qui
ne peuvent pas être isolés ou évalués techniquement (…) ». (Weber L.,
1978, p. 272)
4.2.1. La notion de valeur ajoutée de l’action des institutions sociales
Face aux restrictions budgétaires incessantes dans le domaine du
social, les institutions sociales ont développé une attitude défensive,
basée sur la justification de leurs coûts. L’attitude inverse, qui est de
montrer la valeur ajouté des services produits ou fournis, n’est pas
encore très répandue. Elle est pourtant vitale pour faire reconnaître leur
rôle dans la production de l’action sociale. Elle pourrait être résumé
comme suit : « voilà ce que cela coûte, mais voilà ce que cela rapporte à
la société ». Cette façon de raisonner est à la base de modèles
d’analyse coûts-bénéfices, généralement appliquée dans le domaine des
finances publiques (démarche budgétaire) et dans les milieux
commerciaux ou de production industrielle. Mais pourquoi ne pas les
transposer dans le milieu social ?
Il n’existe pas à ce jour de d’études publiées et disponibles sur
l’application de modèle de types coûts-bénéfices de l’action sociale des
institutions sociales. Toutefois, la tendance à l’application de telles
méthodes se développe, comme l’illustrent les deux exemples suivants
de calcul de valeur ajoutée :
Exemple 1 : Le subventionnement des crèches à Zurich
Une étude récente à Zurich (mentionnée par Le Temps du 17 janvier
2004, source inconnue) montre qu’un franc investi dans une crèche
rapporte deux à trois francs à la collectivité... parce que les femmes qui
travaillent créent de la valeur ajoutée, en payant des impôts.
Exemple 2 : Supprimer le travail des enfants pourrait rapporter gros !
Ce titre de presse, paru récemment dans les journaux, ne pouvait
qu’attirer l’attention, de par la nature contradictoire de son propos.
Toutefois, une lecture de l’article permettait de découvrir un changement
d’attitude au sein du BIT, qui, pour la première fois, a lancé une étude
économique sur les coûts et les bénéfices de l’élimination du travail des
enfants et de leur scolarisation. Selon une première estimation, investir
32
dans chaque enfant « rapporterait » des bénéfices sept fois plus
importants que les coûts investis, soit 5100 milliards de dollars dans les
pays du Sud et de l’Est.
4.2.2.Un exemple : l’analyse coûts-bénéfices dans les traitements à base
d’héroïne en Suisse
Les programmes de traitement à base d’héroïne ou de prescriptions de
stupéfiants en Suisse ont fait l’objet d’une analyse coûts-bénéfices,
datant 1995 et parue en 2000 (Gutzwiller F. / Steffen T.). L’idée était de
procéder à une analyse socio-économique afin de déterminer si
l’introduction de tels programmes générait des bénéfices à même de
compenser les coûts. La recherche portait sur deux axes :
1) calculer le coût total par patient et par jour d’un tel programme ;
2) évaluer l’intérêt socio-économique, c’est-à-dire la rentabilité pour
la société dans son ensemble de tels programmes.
L’intérêt de cette étude est de proposer une méthode pour estimer la
valeur monétaire des bénéfices sociaux, c’est-à-dire des bénéfices
difficilement chiffrables mais qui apportent une augmentation du bienêtre de toute la société. Dans ce but, trois types de bénéfices ont été
répertoriés :
- les bénéfices directs, comprenant la réduction des ressources
financières allouées aux traitements médicaux ou hospitaliers (des
bénéficiaires ou des victimes), à l’admission dans des institutions
spécialisées, ou à la réparation des dommages causés à la propriété.
Ils regroupent également les bénéfices liés à la répression policière
ou judiciaire, ainsi qu’aux procédures des tribunaux.
- les bénéfices indirects, correspondant à une augmentation des
ressources productives dans l’économie nationale, par exemple, un
meilleur taux d’emploi des personnes toxicomanes, une réduction du
taux de mortalité ou du temps consacré aux « carrières du crime ».
En particulier font partie de ces bénéficies la baisse du trafic de
drogues, la diminution des pertes de production non marchande
(comme le travail domestique), la diminution des naissances
prématurées.
33
- les bénéfices intangibles, regroupent les bénéfices auxquels il est
très difficile d’attribuer une valeur monétaire, tels que l’amélioration de
la qualité de vie des bénéficiaires du programme, de leurs familles,
parenté ou amis, ainsi que de la société toute entière, un meilleur état
de santé des toxicomanes, ou la disparition des marchés de la
drogue.
Les champ d’observation retenus pour cette étude se sont limités aux
quatre domaines suivants :
-
la réduction des coûts de traitement médical ou hospitalier,
la réduction des coûts du temps passé en institutions spécialisées,
la réduction des pertes de production pour cause de maladie,
la réduction du taux de criminalité.
Une analyse détaillée de la méthode dépasse le propos de cette
conférence. Néanmoins, les résultats sont très intéressants et apportent
une image différente, sur lesquelles les institutions sociales pourraient se
calquer. Ces résultats sont résumés sans le tableau suivant :
Tableau 3 : Coûts et bénéfices des programmes PROVE (héroïne
seulement), 1995
Type de coût
en francs suisses
par jour et par patient
Coûts directs
Coûts de personnel
Autres coûts opérationnels
9.39
35.37
5.87
Total
50.63
Type de bénéfice
Ménage
Travail
Comportement légal
Santé
en francs suisses
par jour et par patient
2.41
3.90
72.08
17.11
95.50
Selon cette étude, les bénéfices des programmes envisagés, soit Fr.
95.50 par jour et par patient, sont nettement supérieurs aux coûts
engendrés par l’introduction de tels programmes, soit Fr. 50.63 par jour
et par patient.
Pourquoi les institutions sociales ne s’inspireraient-elles pas d’une telle
démarche ? Est-il si difficile de parler d’argent ? Et pourtant les bénéfices
qu’elles apportent à l’usager et à la société sont tels qu’il devient
nécessaire de mettre en place des méthodes pour les révéler.
34
Conclusion
Le développement de l’Etat incitateur, le démantèlement social, les
pressions financières mettent les institutions sociales devant l’urgence
de sortir de l’isolement dans lequel elles vivaient et de trouver les
moyens pour prouver leur contribution à la production sociale. Elles se
trouvent désormais confrontées à la nécessité d’évaluer leur action, non
seulement dans leur propre intérêt, mais aussi dans une perspective de
société plus large : « Au vu des dégâts sociaux et environnementaux de
notre monde de développement ou de la faible performance de l’action
publique au regard des besoins sociaux » les citoyens sont de plus en
plus nombreux à réclamer « de nouveaux modes d’évaluation de l’utilité
sociale des organisations privées et publiques » (Alternatives
économiques, 2003, p. 5).
Acquérir de la visibilité, voilà le nouveau défi pour les institutions
d’éducation et d’enseignement spécialisés. Mais comme dit le proverbe,
à toute chose malheur est bon. Si l’époque semble funeste aujourd’hui,
elle est en même temps une opportunité unique pour affirmer clairement
le rôle incontournable des institutions sociales. Cette démonstration
passera forcément par une analyse chiffrée de l’impact économique de
son travail.
Si certaines pistes d’évaluation ont été suggérées dans cet exposé,
comme les concepts de capital humain ou social, le gros du travail
théorique reste cependant à faire. Celui-ci ne pourra acquérir une
légitimité aux yeux des pouvoirs publics, économiques et de la société
civile que s’il est basé sur la coopération. Coopération entre les diverses
disciplines, économie, sociologie, sciences politiques, psychologie, etc.
qui doivent ériger la transdisciplinarité en vertu nécessaire pour assurer
une analyse impartiale et complète de tous les facteurs. Coopération des
institutions sociales au sein de leurs associations, les seules à pouvoir
fournir tous les chiffres nécessaires à l’élaboration de ces canevas
d’analyse, privilégiant la collaboration et la mise en réseau. Coopération
enfin par-dessus les fossés linguistiques ou culturels, car la RPT
(réforme de la péréquation financière et répartition des tâches entre la
Confédération et les cantons) à notre porte, nous ne pouvons courir le
risque de nous isoler dans nos critères de jugement et par extension
dans nos pratiques.
Nombreuses seraient les décisions qui pourraient se prendre sur la base
de ces outils d’analyse. On songe aux votations relatives à la
35
péréquation financière, où le citoyen sera, en fait, placé dans un choix de
société. L’argument simpliste du moins d’impôts ne peut que séduire un
citoyen mal informé. Il s’agit donc de lui communiquer des chiffres et des
faits. L’analyse « coûts-bénéfices » dans les traitements à base
d’héroïne (GutzwillerF./Steffen T., 2000) parue en 2000 a démontré que
les coûts par jour de traitement représentaient à peu près la moitié des
bénéfices obtenus. Avec les mots de Francis Sermet (DEWS,
Developement Economic Western Switzerland) on dirait : « Un franc
investi dans la prévention revient à deux francs d’économie au niveau
des mesures pénales ».
Le transfert de ces analyses objectives au domaine de l’éducation
sociale et de l’enseignement spécialisé profitera largement autant aux
institutions ainsi qu’au débat nécessaire en politique sociale. Elles
serviront d’outil pour l’élaboration de politiques sociales et permettront
d’évaluer pour tout un chacun les conséquences des choix à faire dans
ce domaine et des effets à en attendre sur le moyen et long terme.
36
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