INTEGRAS Institutions sociales : quel rôle économique ? Colloque de Morat / 6 et 7 mai 2004 Conférence inaugurale Marie-Luce Délez Stéphane Mayor 1 TABLE DES MATIERES I. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA CONSTRUCTION DU BIEN-ÊTRE SOCIAL : APPROCHE THÉORIQUE........................................................................................ 6 1.1. L’APPARTENANCE AU TROISIÈME SECTEUR ......................................... 6 1.2. L’APPARTENANCE À UN SYSTÈME RELATIONNEL .................................. 7 1.3. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ETAT INCITATEUR ET DES RÉSEAUX .............. 8 1.3.1. Une nouvelle définition du principe de subsidiarité............. 8 1.3.2. L’organisation de la solidarité : un nouveau mode de fonctionnement.................................................................... 9 1.3.3. Un cadre nouveau pour les institutions sociales ................. 9 a) la fragilisation des institutions sociales ............................................ 10 b) la mise en concurrence avec d’autres institutions............................ 10 c) l’obligation de développer des démarches qualités ......................... 10 d) l’obligation de se soumettre à des procédures de contrôle.............. 10 e) la discontinuité dans leur mission et la difficulté à planifier une stratégie à long terme ............................................................................ 10 f) l’augmentation des dépenses liées à l’existence du réseau ............ 11 g) la recherche de fonds privés............................................................ 11 1.4. QUELLE PLACE POUR LES INSTITUTIONS SOCIALES ? ......................... 11 II. L’UTILITÉ SOCIALE DES INSTITUTIONS SOCIALES..................... 12 2.1. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET DE L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE ..................................................................................... 12 2.2. LE CONCEPT D’UTILITÉ SOCIALE EN FRANCE ..................................... 13 2.3. LA FIN DE L’IDÉE D’UNE UTILITÉ SOCIALE PAR NATURE ........................ 13 III. LE RÔLE ÉCONOMIQUE DES INSTITUTIONS SOCIALES EN SUISSE .............................................................................................. 15 3.1. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA PROTECTION SOCIALE EN SUISSE .................................................................................... 16 3.1.1. Définition de la protection sociale en Suisse..................... 16 3.1.2. Quelques résultats quantitatifs et qualitatifs pour la Suisse ........................................................................................... 17 2 3.2. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA FORMATION DU CAPITAL HUMAIN ........................................................................ 19 3.2.1. La théorie du capital humain .............................................. 19 3.2.1.1. Les éléments du capital humain .................................... 20 a) L’investissement en capital humain .................................................... 20 b) Le rendement du capital humain......................................................... 20 c) Le stock de capital humain.................................................................. 21 1er indicateur : diplôme obtenu et niveau de formation ..................................22 2ème indicateur : la littératie ou maîtrise de la lecture et de l’écriture .......... 22 3.2.1.2. Le stock de capital humain des professionnels de l’action sociale .......................................................... 23 3.2.1.3. Le stock de capital humain des résidents présents en institutions................................................................. 23 3.2.1.4. Les institutions détentrices et productrices d’un stock considérable de capital social........................................ 24 Les institutions : une plus-value pour la société........................... 25 3.3. LE RÔLE DES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LA FORMATION DU CAPITAL SOCIAL ......................................................................... 25 3.3.1. Le capital social : une nouvelle mesure de l’action sociale ............................................................................... 26 3.3.2. Comment mesurer le capital social ? ................................ 27 3.3.3. A propos de l’action sociale, le débat actuel ..................... 27 3.3.4. L’action sociale, un investissement dans le bien-être pour tous !.......................................................................... 28 3.4. LE RÔLE DANS LES NOUVELLES RÉPONSES SOCIALES .......................... 28 IIII. POUR UNE MEILLEURE LISIBILITÉ DES INSTITUTIONS SOCIALES : QUELQUES PROPOSITIONS..................................... 30 4.1. LES INSTITUTIONS SOCIALES DANS LES STATISTIQUES OFFICIELLES ..... 30 4.1.1. Les données fournies par l’Office fédéral de la Statistique ...................................................................... 30 4.1.2. Les conséquences d’un manque de lisibilité ou de visibilité.................................................................... 30 4.2. LE MODÈLE D’ANALYSE COÛTS-BÉNÉFICES : LA FIN D’UNE ATTITUDE DÉFENSIVE ?................................................................................. 31 4.2.1. La notion de valeur ajoutée de l’action des institutions sociales.............................................................................. 32 4.2.2. Un exemple : l’analyse coûts-bénéfices dans les traitements à base d’héroïne en Suisse............................ 33 CONCLUSION ........................................................................................ 35 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................... 37 3 INTRODUCTION Institutions sociales : quel rôle économique ? à question évidente, réponse évidente, semble-t-il ! Mais le chercheur est vite désillusionné. La littérature sur le sujet est quasi-inexistante, les statistiques ne distinguent pas les institutions sociales et la recherche ne semble pas s’y intéresser. Et pourtant... À la question «les institutions sociales ont-elles un rôle économique ? », la réponse « oui » est immédiate et spontanée. Elles sont intégrées dans le circuit économique, elles créent des emplois, elles génèrent des recettes fiscales, elles fournissent de nombreux services (hôtellerie, constructions, transports, services industriels, etc.). Elles contribuent à l’intégration sociale d’une tranche de la population, elles sont actives dans l’éducation, la formation et la politique de la jeunesse. Personne n’est à même de contester ce rôle. Alors pourquoi reste-t-il dans l’ombre ? Pourquoi n’est-il pas l’objet de recherches, d’articles, d’analyses statistiques ? Quelles sont les raisons de ce manque de visibilité ? de ce repli sur soi ? Pourquoi les institutions sociales se cachent-elles ? Que craignent-elles ? Jean-René Loubat apporte une amorce de réponse : « ces secteurs d’activité n’ont pas subi de véritables contrôles ni d’injonction de résultat durant plusieurs décennies. Ils sont même devenus, à partir des années soixante-dix, un espace-refuge pour des personnes évitant le monde du travail ordinaire ou à but lucratif, mais qui cherchaient malgré tout à s’insérer professionnellement dans le ventre mou de la société capitaliste ». Depuis une petite décennie, les institutions sociales se trouvent projetées dans une forme de révolution culturelle, dans un contexte de mutations et d’une nouvelle approche du travail social. Les indices sont nombreux, comme la concurrence entre institutions, les démarches qualité, les contrôles et les mandats de prestations, l’appartenance à une logique de service ou le nouveau vocabulaire utilisé (le bénéficiaire devient un client). 4 Dans les perspectives actuelles de restrictions budgétaires de la protection et de la politique sociales, où toute allocation de ressources est d’abord envisagée dans une optique de coûts, il devient impératif pour les institutions sociales de révéler (et non pas de justifier) leur investissement pour l’avenir, leur place dans les processus d’intégration sociale et de bien-être social. Comme l’écrit Jean-René Loubat, « les structures d’action sociale et médico-sociale constituent aujourd’hui une parte intégrante et incontournable de l’univers des services d’une société post-industrielle – part qui s’avère d’ailleurs loin d’être négligeable puisqu’elle représente environ vingt-deux mille établissements ou services, comprend quatre cent mille personnels et concerne un million deux cent mille bénéficiaires sans omettre, bien sûr, tous les bénévoles mobilisés » (ndlr : chiffres pour la France). Que peut apporter la science économique dans une telle démarche ? Cette discipline a un double objet : « (...) comprendre et conseiller. Comprendre, c’est-à-dire établir objectivement une explication des phénomènes économiques. Conseiller, c’est-à-dire apporter aux décideurs un témoignage objectif sur les conséquences à attendre des décisions alternatives entre lesquelles ils doivent choisir » (Malinvaud E., 1990). L’enjeu de cette conférence et de ces deux journées de rencontre est de stimuler de nouvelles pistes de réflexions, de comprendre les raisons de cette discrétion et de mettre en place des projets ou des modèles d’ouverture, afin que la société tout entière prenne connaissance objectivement du rôle économique et social joué par les institutions sociales. 5 I. Le rôle des institutions sociales dans la construction du bien-être social : approche théorique Dans les débats actuels sur l’Etat-providence ou l’Etat social, les différentes propositions émises ont toutes «comme trait commun de donner non seulement plus de poids aux forces privées du marché, mais aussi à la société civile pour l’organisation et la distribution des biens de solidarité» (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 20). Elles s’intègrent dans une vision nouvelle du fonctionnement du système social, dans lequel les institutions sociales, en tant que membre de la société civile, jouent un rôle fondamental. Mais si ce rôle est indéniable, il n’est pas reconnu à sa juste valeur. Quelles en sont les raisons ? Les «approches théoriques traitant des apports de la société civile dans la production et l’organisation du bienêtre, développées suite au constat de la crise de l’Etat-providence» (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 34) fournissent des éléments de réponse : 1.1. L’appartenance au troisième secteur Un courant conceptuel range les institutions et les organisations actives dans la production de biens sociaux dans un cadre théorique, appelé le troisième secteur. Celui-ci regroupe tous les acteurs de production de bien-être social, qui ne sont ni des entreprises tournées vers le profit ni des services publics. Le troisième secteur est ainsi défini par ce qu’il n’est pas : il n’y a pas de définition positive de ce secteur. Une approche par le troisième secteur pour comprendre le rôle des institutions sociales soulève de nombreuses difficultés (Bütschi D./Cattacin S., 1994, pp. 37ss) : • les modèles développés par les recherches macrosociologiques ne permettent pas de rendre compte du rôle et du comportement de ce secteur. Ils définissent cinq types de relations, « allant d’un rôle alternatif du troisième secteur à un rôle marginal dans la production du bien-être, représentant des constellations entre l’Etat, l’économie et le troisième secteur variant selon le programme politique qui inspire les acteurs dominants » (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 37). • les recherches microsociologiques révèlent l’impossibilité à regrouper dans un cadre unique un ensemble fort hétérogène, difficile à 6 catégoriser. Elles montrent également comment ces institutions et organisations sont perçues de manière négative. Il est question d’organisations n o n lucratives ou d’organisations n o n gouvernementales. Et si une définition positive leur est attribuée, il s’agit d’organisations bénévoles, de groupes de solidarité ou d’organisations philanthropiques. Bütschi et Cattacin estiment que les résultats apportés par ce courant sont insatisfaisants, dans le sens où il tente de regrouper sous une « étiquette » unique un ensemble d’acteurs, dont les statuts et les caractéristiques fonctionnelles ne peuvent être unifiés. Ils relèvent toutefois que «le résultat le plus important de ces réflexions tient dans la prise de conscience d’une interdépendance complexe pour la production des biens sociaux entre d’une part, l’Etat et d’autre part, la société civile et ses expressions organisationnelles» (1994, p. 37). Ces deux auteurs proposent d’envisager le rôle de la société civile dans un système basé sur un modèle relationnel. 1.2. L’appartenance à un système relationnel Les approches basées sur un modèle relationnel confèrent un rôle d’intermédiation aux institutions sociales (Bütschi D./Cattacin S., 1994, pp. 44ss). Un tel rôle se définit comme le seul moyen de rendre compatibles les différents langages et logiques d’action dans le processus d’intégration sociale. Ce champ intermédiaire, situé entre des buts, des motivations et des formes de travail hétérogènes peut être représenté par le triangle du bien-être, développé par Aldabert Evers (cité par Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 45). Le triangle du bien-être réunit les trois pôles de la société, à savoir les ménages ou sphère informelle, l’Etat et le marché. Cette approche n’essaie pas de classer et de délimiter des secteurs, mais considère les institutions sociales comme des ensembles en évolution, instables et mobiles, pouvant osciller entre l’assimilation, l’exclusion ou la coopération. Selon Bütschi et Cattacin, cette approche de type dynamique n’est pas toutefois suffisante pour définir le rôle des institutions sociales,. En effet, elle se limite à un aspect descriptif ou à une catégorisation souple des institutions, sans pour autant développer une analyse de leur intégration dans le processus de production sociale. Marché Etat Ménage /sphère Informelle Fig. 1 7 1.3. Le développement de l’Etat incitateur et des réseaux Le développement de l’Etat incitateur, suite à la crise de l’Etatprovidence, bouleverse le rôle des institutions et des organisations sociales. L’Etat incitateur est celui qui « organise » l’auto-organisation de la société, par le biais de nouvelles pratiques de la subsidiarité entre les acteurs privés et les acteurs publics dans la production du bien-être. (Bütschi D./Cattacin S.,1994, pp. 246ss). Elles se traduisent dans la réactivation du principe de subsidiarité, dans l’organisation de la solidarité et dans la création d’un cadre nouveau de fonctionnement. 1.3.1. Une nouvelle définition du principe de subsidiarité Bütschi et Cattacin proposent trois définitions de la subsidiarité : • la subsidiarité réflexive : l’Etat (ou l’administration) crée des situations nécessitant des subventions en « créant » des organisations ou en demandant à des organisations d’intégrer certains programmes dans leurs activités. Cette démarche apparaît comme « une solution prometteuse pour répondre à de nouveaux problèmes sociaux qui concernent le plus souvent des groupes marginalisés réticents à l‘intervention étatique (...). Ainsi la prise en charge du problème par des organisations privées sur une base volontaire facilite les processus thérapeutiques » (p. 246). • la subsidiarité selon des critères de sélection précis et sévères : de plus en plus, ce ne sont plus les organisations qui sont subventionnées, mais des projets précis, dont les objectifs entrent dans une politique publique. La demande de subventions doit désormais répondre à des critères précis et sévères, très souvent liés à des évaluations des organisations et des programmes mis en place. Le fait de ne pas pouvoir répondre à ces critères est souvent synonyme d’exclusion. • la subsidiarité de départ : cette procédure repose sur l’octroi d’une subvention unique aux organisations privées, pour leur permettre de surmonter les difficultés caractéristiques de la mise en oeuvre d’un projet. Une des conditions requises est la recherche d’autres sources de financement. 8 1.3.2. L’organisation de la solidarité : un nouveau mode de fonctionnement L’Etat incitateur s’inscrit dans une stratégie d’état minimal et dans une volonté de confier à la société l’organisation de la solidarité, l’administration gardant une fonction d’organisation. Ce nouveau contexte entraîne de nouveaux modes de fonctionnement entre les acteurs : • une coopération accrue entre les acteurs privés et publics : «L’Etat incitateur réalise une politique ou un programme qu’il s’est fixé, en associant des acteurs privés selon le principe de la subsidiarité. En fait, l’acteur étatique – le plus souvent l’administration publique – définit les standards et les règles de fonctionnement des réseaux (soit par l’incitation directe, soit par l’incitation indirecte passant par des critères de sélection) et il laisse ensuite les acteurs privés s’auto-organiser à l’intérieur des limites définies par ces règles et standards » (Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 248). • une intégration des institutions et organisations privées dans les politiques publiques, en fonction des règles et des standards décidés l’Etat. Le secteur privé devient légitimé s’il respecte le cadre défini : il perd une forme d’autonomie pour se conformer à des fonctions définies par le secteur public. • l’obligation de réaliser une politique publique : l’argent donné par le biais des subventions n’est plus octroyé sans garantie et sans la condition de participer à un réseau mis en place pour développer et réaliser une politique publique. Ce dispositif entraîne une plus grande responsabilisation des acteurs privés, « qui pour obtenir une légitimation, doivent s’aligner sur les critères de fonctionnement du réseau »(Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 250). 1.3.3. Un cadre nouveau pour les institutions sociales Dans le cadre défini par l’Etat incitateur, le secteur public cherche à déléguer de plus en plus de tâches au secteur privé ou à encourager des activités fondées sur le bénévolat : « Plus exactement, si les exécutifs et les parlements – et en particulier les partis bourgeois – veulent à nouveau confier à la société l’organisation de la solidarité, l’administration pour sa part, garde une fonction d’organisation, tout en 9 laissant, au nom de la subsidiarité, les expressions organisationnelles de la société s’auto-organiser au sein des limites posées. Cette solution permet, d’une part, de surmonter les blocages financiers en réduisant, par exemple les frais de personnel et d’autre part, de répondre à la complexité de la société moderne d’une façon différenciée »(Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 242). (Mais aucune règle cohérente ne définit cette répartition des tâches. Il en résulte de nouvelles difficultés auxquelles les institutions doivent faire face et une nouvelle définition de leur rôle sur des bases instables, qui peuvent être résumées comme suit : a) la fragilisation des institutions sociales qui se trouvent de plus en plus confrontées à de nouvelles demandes sociales et à des activités croissantes sans que leurs subventions augmentent. L’éventail des prestations augmente sans pour autant recevoir un financement supplémentaire de l’Etat, qui suppose trop souvent que certaines tâches peuvent être exécutées par des volontaires ou des bénévoles. b) la mise en concurrence avec d’autres institutions car les ressources à disposition stagnent ou diminuent. Cette concurrence est d’ailleurs très ressentie sur le marché du don, qui lui aussi stagne depuis plusieurs années, ou dans l’attractivité des institutions, qui se « disputent » certaines classes de bénéficiaires. c) l’obligation de développer des démarches qualités afin de justifier l’utilisation des subventions étatiques, voire des dons reçus. Cela entraîne les institutions dans l’univers des indicateurs à fournir, des labels, des rapports et des justifications. d) l’obligation de se soumettre à des procédures de contrôle corollaire des restrictions budgétaires et du développement de l’octroi de subvention sur la base de mandats de prestations. e) la discontinuité dans leur mission et la difficulté à planifier une stratégie à long terme dues à l’absence de garantie de financement sur une certaine durée. Cette difficulté est liée aux restrictions budgétaires ou au système de subvention de départ, qui consiste à interrompre un financement quand le projet fonctionne. Cette difficulté est également due au processus de décisions politiques propre à la Suisse et à l’importance croissante prise par l’administration (pour plus de détails voir Bütschi D./Cattacin S., 1994, p. 253). 10 f) l’augmentation des dépenses liées à l’existence du réseau participer à un réseau engendre d’importants efforts en négociation, en justification, en élaboration de documents et en preuve du besoin. L’inflation des tâches administratives coûte cher et nécessite des investissements considérables, que certaines institutions ne sont plus à même de fournir. g) la recherche de fonds privés les subventions étant soumises à de tels critères, de nombreuses organisations préfèrent préserver une partie de leur autonomie en recherchant des fonds privés. D’autres n’ont plus que cette solution car elles ont été exclues du subventionnement public. Une telle situation contribue à augmenter la concurrence entre les institutions. 1.4. Quelle place pour les institutions sociales ? L’analyse des approches théoriques ne répond que partiellement à la question du rôle économique des institutions sociales. Aucune approche ne nie leurs contributions à la production du bien-être social ; leurs fonctions d’intermédiaire fondamental dans les politiques publiques, leurs réponses aux demandes sociales, anciennes et nouvelles, leur participation active au réseau de services d’action sociale. Mais leur contribution se limite à reconnaître cette existence, sans en préciser le contenu, ni les règles pour permettre aux institutions de trouver un cadre stable à leur mission. Le nouveau cadre de l’Etat incitateur et les pressions qui en résultent contraignent les directeurs d’institutions sociales à devenir de véritables gestionnaires de PME (voir thème de la conférence d’Integras en 2003), à réagir, à reconsidérer la mission et le rôle de leurs institutions dans l’action sociale. Ce changement est radical. Comment l’intégrer ? Comment rendre les institutions sociales conscientes du nouveau défi auquel elles doivent faire face ? Que peuvent-elles faire pour renforcer leur présence ? Comment peuvent-elles mettre en évidence leur contribution au bien-être social ? Comment peuvent-elles évaluer leur importance dans la vie économique ? Plusieurs pistes s’amorcent : c’est l’objet de la deuxième et de la troisième parties. 11 II. L’utilité sociale des institutions sociales Dans de nombreux pays européens (France, Suède, Belgique), c’est au sein du tiers secteur d’économie sociale et solidaire, ainsi que du monde associatif, que le concept d’utilité sociale est apparu. 2.1. Le développement de l’économie sociale et de l’économie solidaire L’économie sociale est née vers la fin du 19ème siècle, dans des initiatives associatives, syndicales ou mutualistes. Elle désigne un ensemble d’institutions, dont le trait commun est de fonctionner en vue de la satisfaction de leurs membres, adhérents ou sociétaires, et non en vue de la rentabilisation d’un capital (Alternatives économiques, 2003, p. 13). L’économie solidaire trouve son origine dans les années 70-80, dans un contexte marqué par la crise économique ou le chômage. Elle désigne à la fois l’épargne solidaire, les entreprises d’insertion ou le commerce équitable. Son but est de renforcer le lien social et d’établir une plus grande équité. Aujourd’hui, la distinction n’est plus aussi nette et il est question désormais d’économie sociale et solidaire, assimilée à la notion de tiers secteur. (Note : malgré les lacunes de l’approche théorique développée au point 1.1., la terminologie de tiers secteur sera utilisée dans le texte). L’économie sociale a fait son entrée officielle dans la terminologie de l’Union Européenne en 1989. Ce secteur prend une ampleur dans toute l’Europe, mais l’absence générale de statistiques rend difficile tout travail d’évaluation. Il regroupe les associations, les fondations, les institutions, les coopératives actives en particulier dans le domaine de la santé, de la formation et de la scolarité, des services d’accueil de l’enfance et des personnes âgées, de la réinsertion professionnelle, des loisirs et de la culture. Les organisations de l’économie sociale sont organisées autour d’une démarche entrepreneriale et « prennent appui sur l’environnement local pour améliorer leurs performances tant économiques que sociales. Leur irruption dans le champs économique suscite réserve ou enthousiasme » (OCDE, 2001). Les recherches les plus récentes insistent toutes sur 12 l’importance de ce secteur pour maintenir, renforcer ou régénérer le tissu social et la nécessité d’examiner de manière plus approfondie leurs éléments suivants (Ministère de la culture, Suède, 2000) : - «la dualité qui prévaut dans la société entre secteur privé et secteur public, - la vision du travail bénévole par rapport au travail rémunéré, - les notions de profit et d’excédent, - la vision de l’entreprenariat, - la concurrence et de la neutralité au plan de la concurrence, - l’utilité sociale, - la législation préférentielle, - les questions concernant les moyens de rendre visibles, de décrire, de contrôler et d’évaluer les activités.» 2.2. Le concept d’utilité sociale en France En France, pour mieux définir la place du tiers secteur associatif par rapport à l’Etat et au marché, les pouvoirs publics ont instauré un concept d’utilité sociale. Les premières définitions sont apparues dans le cadre du droit fiscal : « c’est un arrêt du Conseil d’Etat de 1973 qui a considéré qu’il ne suffisait plus à une association d’être à but non lucratif et d’être gérée de manière désintéressée pour être exonérées des impôts commerciaux payés par les entreprises à but lucratif. Elle devait, en plus, apporter la preuve que son activité apportait à la société une contribution non fournie par le marché » (Alternatives économiques, pp. 16-17). En d’autres termes, l’utilité sociale se définit comme la réponse à un besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou qui ne l’est que de manière peu satisfaisante. Elle est le fruit «d’une convention sociopolitique» (Alternatives économiques, p.7) et évolue par conséquent en fonction du contexte. 2.3. La fin de l’idée d’une utilité sociale par nature Depuis très longtemps les institutions sociales estiment qu’elles sont d’utilité sociale par nature, du simple fait de leur intervention dans un secteur d’action sociale, de la spécificité de leur mission et de leur statut juridique ou spécifique. Cet état d’esprit les a «enfermées » dans une reconnaissance de fait qu’elles estimaient ne pas avoir à justifier et 13 qu’elles considéraient comme une forme de sésame à l’ouverture d’un droit aux subventions. La valeur ajoutée de leur action n’était l’objet d’aucun intérêt, ni pour elles, ni pour les décideurs politiques en matière de subvention. Le développement de l’Etat incitateur, le démantèlement social, les pressions financières mettent les institutions sociales devant l’urgence de sortir du huis-clos dans lequel elles vivaient et de trouver les moyens pour prouver leur contribution à la production sociale. Elles se trouvent désormais confrontées à la nécessité d’évaluer leur action, non seulement dans leur propre intérêt, mais aussi dans une perspective de société plus large : «Au vu des dégâts sociaux et environnementaux de notre mode de développement ou de la faible performance de l’action publique au regard des besoins sociaux», les citoyens sont de plus en plus nombreux à réclamer «de nouveaux modes d’évaluation de l’utilité sociale des organisations privées et publiques» ( A l t e r n a t i v e s économiques, p. 5). L’évaluation de l’utilité sociale passe par la prise de conscience de leur rôle à divers niveaux, essentiellement économiques. Leur analyse est l’objet de la troisième partie, consacrée en particulier à la Suisse. 14 III. Le rôle économique des institutions sociales en Suisse Selon Jean Gadrey (2003 ; cité par Alternatives économiques, 2003, p. 15), les organisations de l’économie sociale rendent des services individuels à leurs membres, usagers, clients, en même temps qu’elles produisent des services d’utilité collective. Il dégage six critères d’évaluation : 1. Le moindre coût des services : ces organisations délivrent des services d’un coût souvent inférieur (à qualité semblable) pour l’usager et la collectivité à ceux des secteurs publics ou lucratifs (ex : les services d’aide à domicile). 2. La contribution indirecte à la réduction de coûts économiques publics ou privés : Il s’agit des coûts évités ou d’opportunité (ex : les indemnités économisées par la réinsertion des chômeurs). 3. La contribution indirecte à l’embauche et à la formation professionnelle des usagers : par exemple, quand une organisation accueillant des enfants handicapés permet à ses parents de chercher un emploi. 4. La contribution au développement local 5. La contribution à la réduction des inégalités : ces bénéfices ne peuvent pas être mesurés en termes monétaires, mais repérés par les actions orientées vers cet objectif, les publics bénéficiaires des actions, et évalués par leurs impacts, notamment la progression du taux d’accès à certains services ou à certaines libertés (« capabilities » selon Amartiya Sen). 6. La contribution au capital social, à la démocratie de proximité et aux solidarités locales L’évaluation chiffrée de tous ces critères dépasse largement le propos de cette conférence. Elle suppose en effet des moyens d’identification, de mesures et de calcul qui font défaut en Suisse pour le moment. Toutefois, ces lacunes ne doivent pas décourager la recherche et l’inciter à ignorer le rôle économique des institutions sociales. Ce rôle peut être 15 analysé selon quatre axes de recherche, tenant compte de la structure sociale de la Suisse : 1) 2) 3) 4) le rôle dans la protection sociale, le rôle dans la formation du capital humain, le rôle dans la formation du capital social, le rôle dans les réponses aux nouvelles demandes sociales. 3.1. Le rôle des institutions sociales dans la protection sociale en Suisse Historiquement, le développement des institutions privées en matière de protection sociale précède la mise en place de l’Etat-providence ou de l’Etat social. « Elles sont à l’origine de ce qui sera ensuite traduit par le principe de la subsidiarité, c’est-à-dire la complémentarité entre plusieurs intervenants lorsqu’il s’agit de répondre à un problème particulier, économique ou social » (Rossini Stéphane et al., 1999, p. 1). Cette complémentarité s’inscrit essentiellement dans le domaine de la protection sociale, au sens défini ci-dessous. 3.1.1. Définition de la protection sociale en Suisse L’Office fédéral de la statistique définit la protection sociale comme un « ensemble des mesures prises par l’Etat et des institutions privées pour assurer la couverture des besoins vitaux de la population, et particulier pour la protéger contre certains risques sociaux ». Une institution ou une prestation sociales est considérée comme relevant de la protection sociale si elle remplit deux conditions : a) elle doit être fondée sur le principe de la solidarité sociale (redistribution), ou au moins sur une loi ou une convention sociale obligatoire ; b) elle doit se rapporter à l’un des huit risques ou besoins suivants : 1. la vieillesse 2. la maladie/les soins de santé 3. l’invalidité 4. la survie 5. la famille/les enfants 6. le chômage 16 7. l’exclusion sociale 8. le logement En se référant à cette définition, il est évident que les institutions sociales, en particulier les institutions membre de l’association Integras, jouent un rôle dans le système de protection sociale suisse. 3.1.2. Quelques résultats quantitatifs et qualitatifs pour la Suisse Il n’existe pas en Suisse de recherche conséquente quant au rôle des institutions sociales dans le domaine de la protection sociale, comme le relève S. Rossini : « pour l’heure, en Suisse et à ce jour, aucune démarche globale ne s’est intéressée à étudier la situation des institutions sans but lucratif exerçant une activité dans le champ de la protection sociale » (1999, p. 19). Sa recherche sur les institutions privées sans but lucratif apporte des premiers éléments qui devraient être approfondis dans le cadre d’enquêtes plus larges. Ses principales conclusions peuvent être résumées dans les tableaux ci-après. Tableau 1 : Résultats quantitatifs par fonction de protection sociale (1997) Fonction Maladie Invalidité Vieillesse Famille-enfants Exclusion sociale Non ventilable Total Nombre d'institutions 19 21.8% 32 36.8% 2 2.3% 14 16.1% 14 16.1% 6 6.9% 87 100.0% Dépenses 33'626'783 157'970'421 56'964'179 5'743'524 146'770'954 164'431'670 565'507'531 5.9% 27.9% 10.1% 1.0% 26.0% 29.1% 100.0% Recettes 36'343'926 158'904'430 55'126'861 5'458'991 148'978'878 165'805'789 570'618'875 6.4% 28.1% 9.7% 1.0% 26.3% 29.3% 100.9% Excédent de recettes 2'717'143 934'009 -1'837'318 -284'533 2'207'924 1'374'119 5'111'344 (Source : S. Rossini et al., 1999, p. 52) 17 Tableau 2 : Résultats quantitatifs généraux Année de référence Nombres analysées 1997 d ’ i n s t i t u t i o n s 87 (sur un recensement de 202 institutions supracantonales et de 1'674 adresses sur le plan cantonal). Dépenses 565.5 millions de francs Prestations sociales 421.6 millions de francs (74.5% des dépenses) Recettes 570.6 millions Total des bilans 709.5 millions (76 institutions) Nombre de recensées personnes 5'571 personnes dont personnel social personnel administratif non précisé bénévoles 1'268 (22%) 330 (6%) 1800 (31 %) 2353 (41%) (Source : S. Rossini et al., 1999) Un des objectifs de l’étude était également de faire ressortir des résultats qualitatifs, c’est-à-dire de décrire les activités des institutions privées et de comprendre les difficultés, les enjeux et les perspectives résultant de leur mission d’action sociale. Quelques résultats sont très pertinents pour la problématique relevant du thème de la conférence de ce jour (S. Rossini et al., 1999, p. 84), : - la préoccupation de la nécessité de renforcer les liens entre les institutions sociales et les partenaires, qu’ils soient nationaux ou internationaux, - la difficulté de se positionner clairement dans le champ de la protection sociale et de s’inscrire véritablement dans une action pensée et construite, soit dans une logique d’action coordonnées, 18 - la nécessité de développer des stratégies de relations publiques, non seulement pour défendre les intérêts directs des membres, mais aussi pour accroître la visibilité et la transparence de leurs actions, afin de valoriser et légitimer leur intervention sociale. 3.2. Le rôle des institutions sociales dans la formation du capital humain Comment les institutions sociales peuvent-elles démontrer le rôle essentiel qu’elles jouent dans la société civile et le faire reconnaître à sa juste valeur ? Comment peuvent-elles mettre en évidence leur contribution au bien-être social ? Que faire pour renforcer leur présence ? Comment évaluer leur importance dans la vie économique ? Le défi pour le secteur social consiste à prendre conscience et à démontrer de manière positive et offensive son rôle essentiel dans la vie économique. 3.2.1. La théorie du capital humain « La théorie du capital humain postule que les connaissances et les compétences transmises par la formation accroissent la capacité du travailleur à produire de la valeur ajoutée. » (OFS, 1998, p. 7) La théorie du capital humain appartient au champ de l’économie de l’éducation et postule que formation et qualifications comportent des éléments déterminants pour la productivité et pour le développement de l’économie dans son ensemble. Dans les années 70, les rendements économiques occupent une place centrale dans la théorie du capital humain « De nos jours, l’intérêt renouvelé pour le capital humain est davantage lié à la conviction de plus en plus affirmée que le savoir et les qualifications peuvent jouer un rôle déterminant dans le combat contre le chômage et l’exclusion sociale, ainsi que pour accélérer la croissance économique. » (OFS, 1998, p. 7) 19 PAS DE PROSPERITE ECONOMIQUE SANS COHESION SOCIALE Pour l’OCDE, le capital humain dans sa définition actuelle recouvre « les connaissances, les aptitudes et la santé des personnes » (OCDE, 2001, p. 12) qui leur confèrent divers avantages d’ordre personnel, économique et social. L’investissement en capital humain est aujourd’hui au cœur des stratégies mises en œuvre par la majorité des pays industrialisés en vue de promouvoir la prospérité économique, l’emploi et la cohésion sociale. La théorie du capital humain s’est étendue aux rendements nonéconomiques. « La cohésion sociale est nécessaire pour que la croissance et la prospérité soient durables ; là encore le rôle du capital humain est essentiel. Ces principes sont de plus en plus généralement admis. » (OCDE, 2001) 3.2.1.1. Les éléments du capital humain La théorie du capital humain distingue l’investissement en capital humain, les rendements et le stock de capital humain a) L’investissement en capital humain Les investissements en capital humain, au moyen de la formation, sont au cœur des débats politiques. Ces investissements sont consentis par les individus eux-mêmes, les entreprises ou encore par l’Etat. b) Le rendement du capital humain Face aux dépenses considérables pour l’éducation, il convient de se demander si les investissements engendrent les rendements espérés . Vaut-il la peine de consacrer autant d’argent à la formation ? Les responsables de la répartition de moyens financiers toujours plus limités ont à répondre à ce genre de questions. C’est une opportunité pour les acteurs du secteur social de participer activement au débat. La théorie du capital humain postule que le niveau de formation influe sur le niveau des salaires et sur l’emploi mais la formation produit également des effets extra-économiques souhaitables pour la société et 20 les individus comme l’intérêt pour la culture, la politique, etc., et qui croissent en même temps que s’élève le niveau de formation. La formation peut dès lors être considérée comme un « indicateur des processus de socialisation qui aboutissent à une plus grande ouverture d’esprit, à une capacité critique accrue et à une plus grande maturité personnelle » (OFS, 1998, p. 59), conditions nécessaires pour tout individu à l’accès à la citoyenneté. En dehors du rendement individuel de l’éducation (comparaison coûtbénéfice d’une formation), les rendements fiscal et social montrent en comparaison internationale que les investissements dans le domaine de la formation se justifient pleinement, tant pour les pouvoirs publics que du point de vue social. Selon l’OCDE, le rendement social « semble justifier encore davantage les investissements dans l’éducation, bénéfiques pour la société dans son ensemble »(OFS, 1998, p. 56) Les taux de rendement fiscal et social de l’éducation n’ont jamais été calculés en Suisse. c) Le stock de capital humain «Le stock de capital humain indique le capital humain accumulé au sein d’une population à un moment donné. Il est généralement mesuré à partir du niveau de formation de la population et de la durée moyenne de la formation. » (OFS, 1998, p.8) Le stock de capital humain accumulé peut se mesurer au niveau individuel, au niveau d’une catégorie de la population sur la base de critères tels que l’âge, le sexe, etc., au niveau d’une institution, d’une région ou d’un pays. Le stock indique le volume de capital humain dont dispose un individu, une entreprise ou l’ensemble d’une société. Il résulte d’investissements préalables. A titre d’exemple selon l’Office fédéral de la statistique, la Suisse consacre plus de 20,6 milliards de francs par année à la formation, tout degré confondu. Le stock de capital humain peut être mesuré à l’aide de deux indicateurs : 21 1er indicateur : diplôme obtenu et niveau de formation Différentes possibilités permettent de mesurer le stock de capital humain de manière empirique ou statistique. « Pour mesurer le stock de capital humain de manière indirecte, on considère le niveau de formation. Le « niveau » est déterminé par la structure hiérarchique du système de formation ; il s’agit de l’échelon auquel a été délivré le diplôme, indépendamment du contenu de la filière choisie. Plus le niveau de formation est élevé, plus le capital accumulé l’est également : c’est là le postulat adopté. » (OFS, 1998, p. 9) 2ème indicateur : la littératie ou maîtrise de la lecture et de l’écriture La valeur relative des informations ainsi réunies nécessite d’être complété par un instrument de mesure directe du stock de capital humain : la littératie, ou maîtrise de la lecture et de l’écriture. Des enquêtes sont menées sur les compétences et les performances individuelles indispensables pour remplir les tâches et surmonter les problèmes rencontrés dans notre société d’information. Plus ces compétences sont élevées et plus le stock de capital humain est important. Domaines de littératie 1. Compréhension de textes suivis : connaissances et compétences nécessaires pour comprendre et utiliser l’information contenue dans les journaux, les œuvres de fiction et les textes de présentation. 2. Compréhension des textes schématiques :connaissances et compétences requises pour repérer et utiliser l’information présentée dans les formulaires officiels, sur les horaires, les cartes et les diagrammes 3. Compréhension de textes au contenu quantitatif : connaissances et compétences nécessaires à l’application des opérations mathématiques présentées dans les imprimés. Niveaux de littératie 1. Niveau 1 : capable tout au plus de localiser un seul élément d’information simple dans les écrits faciles. 2. Niveau 2 : capable de repérer des éléments d’information par appariement simple demandant au lecteur des déductions de faible niveau. 3. Niveau 3 : capable d’utiliser des écrits demandant des déductions de faible niveau en prenant en compte de multiples éléments d’information. 4. Niveau 4 : capable d’effectuer des tâches comportant de multiples éléments ou des tâches moins faciles en utilisant une information complexe. 5. Niveau 5 : capable d’effectuer des tâches complexes combinant différents éléments d’information à rechercher dans un document écrit. Source : OCDE, 1998, p.24 22 3.2.1.2. Le stock de capital humain des professionnels de l’action sociale Ainsi qu’en témoigne la création des Hautes Ecoles Spécialisées, la Suisse a fourni un effort financier important dans l’accroissement du nombre de diplômés de niveau tertiaire. Le taux d’universitaires est ainsi passé de 7% en 1991 à 14% en 2001 (OFS, 2003), augmentation due pour une part importante à la création des Hautes Ecoles Spécialisées (HES). En accueillant des professionnels de niveau tertiaire universitaire, les institutions voient leur stock de capital humain augmenter considérablement, attestant officiellement sur un plan international du haut niveau de compétences ainsi mobilisées. Sur la base de ce constat, il convient de se demander pourquoi la société alloue des moyens financiers aussi considérables pour la formation de spécialistes qui dès leur entrée en fonction ne sont plus considérés que comme une charge financière à l’utilité et à l’efficacité contestées ? 3.2.1.3. Le stock de capital humain des résidents présents en institutions Peu ou pas diplômée, toute personne représente une part de capital humain sous forme de compétences acquises ou à acquérir par la formation, l’activité professionnelle et l’action éducative dont elle peut bénéficier, améliorant ainsi son bien-être et celui de la collectivité à laquelle elle appartient, quelles que soient ses limites de capacités. A titre d’exemple, une personne adulte handicapée physique en institution qui produit des documents administratifs (menus, lettres, affiches, etc.) et qui reçoit une part de sa rente AI sous forme de salaire, occupe une place socialement reconnue, valorisée et utile à la collectivité à laquelle elle appartient. De plus, cette situation valorisante exerce probablement des effets positifs sur sa santé. Sur ce modèle, il convient de préférer les activités productives aux activités occupationnelles des résidents. Une contribution même modeste sous forme de prestations reconnues tant pour son utilité à la collectivité que par la rémunération salariale dont elle fait l’objet produit à la fois du capital humain et du capital social. 23 « Dans le domaine social, les objectifs sont plus généraux que celui qui vise à accroître dans l’immédiat la production économique (…) l’évolution du bien-être global, et non pas uniquement économique, revêt de l’importance, et(..) les conséquences à long terme des tendances économiques, environnementales et sociales doivent être prises en considération dans toute l’analyse des possibilités d’action actuelle. » (OCDE, 2001, p. 10) 3.2.1.4. Les institutions détentrices et productrices d’un stock considérable de capital social. La Suisse consacre chaque année plus de vingt milliards de francs à la formation. Pour la Suisse comme pour l’ensemble des pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), les bénéfices d’un tel investissement ne se calculent pas seulement en termes d’impact économique direct sous forme de performances professionnelles, mais également en termes de comportement social. Ces bénéfices englobent la santé publique, la délinquance, l’environnement, l’éducation, la participation à la vie collective et politique et qui à leur tour vont contribuer indirectement au progrès économique. Cette définition largement partagée sur un plan international intéresse tout particulièrement le secteur social, partant du principe que les connaissances et compétences acquises par les professionnels en formation de niveau universitaire ont pour but annoncé d’accroître leur capacité à produire à leur tour de la valeur ajoutée. En effet, les professionnels de l’action sociale favorisent la réinsertion professionnelle de leurs clients (rendement économique) tout en réduisant les comportements à risque préjudiciables pour la collectivité (santé, délinquance, etc.). Ils produisent donc une plus-value directe au niveau individuel (capital humain) et indirecte au niveau collectif (capital social). 24 Les institutions : une plus-value pour la société Les professionnels et les résidents représentent un stock considérable en capital humain qu’il conviendrait de mesurer et de faire connaître. En produisant du capital humain et social, les institutions contribuent de manière essentielle à l’évolution du bien-être tant des résidents pris individuellement que du bien-être collectif, contribuant ainsi à améliorer les conditions indispensables à la croissance économique. Même si la notion de bien-être ne fait pas encore l’objet d’une définition consensuelle, ce principe est aujourd’hui admis. 3.3. Le rôle des institutions sociales dans la formation du capital social S’agissant du collectif, la théorie du capital social vient compléter celle du capital humain. Le capital social, « c’est une expression commode pour recouvrir tous les aspects des sociétés qui, bien que difficiles à mesurer et à intégrer dans des modèles structurés, sont généralement assimilés à des facteurs importants de réussite économique à long terme. Pour certains économistes (pas tous) l’idée intuitive que la société a son importance est suffisamment forte pour qu’on la retienne malgré la quasi-absence de base théorique ». (OCDE, 2001, p. 45) Si le capital humain représente les connaissances et les aptitudes des personnes, le capital social met l’accent sur « les normes et les réseaux qui facilitent la coopération au sein des groupes ou entre eux » (OCDE, 2001, p. 12), l’idée étant que « une société fondée sur des relations de confiance et de coopération peut contribuer à réaliser le potentiel humain. »(OCDE, 2001, p. 45) Le capital social diffère du capital humain en ce sens que : • Il réside dans les relations et n’est pas la propriété exclusive d’un individu. • Il constitue pour l’essentiel un bien public en ce sens qu’il est partagé par un groupe. • Il est le produit d’investissements consentis par la société en temps et en énergie, de manière moins directe que dans le cas du capital humain. 25 3.3.1. Le capital social : une nouvelle mesure de l’action sociale L’action sociale occupe une place primordiale dans sa contribution au capital social, les institutions étant par excellence des lieux de partage, d’apprentissage de la socialisation et de transmission de normes et de valeurs collectives avec souvent pour finalité une réinsertion d’ordre professionnel, social, et/ou familial. La notion même de capital social est relativement nouvelle et son acceptation n’est à ce jour pas universellement admise. Les éléments préliminaires dont on dispose permettent de penser que « la notion de capital social est utile aux fins de l’action gouvernementale, et que des travaux plus poussés s’imposent pour affiner ce concept et mettre au point des techniques de mesure. »(OCDE, 2001, p. 45), travaux auxquels les acteurs du secteur social pourraient contribuer, riches de leur longue expérience. Le capital social peut être comparé au capital culturel tel que défini par Bourdieu pour désigner les habitudes ou pratiques culturelles basées sur le savoir ainsi que les comportements appris au contact des modèles au sein de la famille ou dans d’autres milieux comme l’école, les milieux associatifs ou l’institution. Le capital social présente des aspects d’ordre social puisqu’il réside davantage dans les relations que dans les individus, ainsi que dans des aspects liés au capital en tant que ressource pouvant générer « un flux d’avantages pour la société au fil des ans ». (OCDE, 2001, p. 46) La notion de confiance occupe une place primordiale à la fois comme source et comme résultat du capital social, que ce soit à l’égard des personnes qu’à l’égard des institutions publiques ou privées. Le capital social généré par les institutions sociales est à considérer comme un bien public qui permet « aux individus, aux groupes et aux collectivités de résoudre plus facilement des problèmes communs. Les normes de réciprocité et les réseaux aident à assurer un comportement collectivement souhaitable. » (OCDE, 2001, p. 48). 26 3.3.2.Comment mesurer le capital social ? Mesurer le capital social est difficile. En règle générale, ces mesures portent sur un indice composite d’éléments tels que : la participation à la collectivité, l’engagement dans la vie publique (participation au vote), le bénévolat, la sociabilité et les niveaux subjectifs de confiance entre personnes. « Un moyen d’évaluer les variations du capital social consiste à mesurer les dysfonctionnements sociaux ou l’absence de coopération sociale. »(OCDE, 2001, p. 50) Les institutions spécialisées constituent une réponse sociale directement opérationnelle et au bénéfice d’une longue expérience pour satisfaire aux demandes de la société dans sa lutte contre la déviance sociale (criminalité, délinquance, incivilités, etc.). Faut-il rappeler que « le capital social a ses racines dans les normes et institutions, parmi lesquelles figurent les entités publiques et légales » ? (OCDE, 2001, p.52) 3.3.3. A propos de l’action sociale, le débat actuel Il reste que pour certains, le système de protection sociale est considéré comme « une cause possible du déclin du capital social. L’argument avancé est que s’il y a une prise en charge importante des obligations sociales par le secteur public, les liens associatifs, familiaux et interpersonnels tendent à s’affaiblir. » Pour d’autres, l’action sociale, « au lieu d’annihiler l’initiative et le bénévolat, peut au contraire encourager la solidarité aussi bien sur le plan symbolique que pratique, notamment en réduisant par des programmes de protection sociale les risques auxquels les individus sont confrontés et en favorisant l’acquisition de compétences afin que les individus puissent développer leur potentiel » (OCDE, 2001, p. 59) La réponse du secteur social à ses détracteurs réside dans une amélioration de sa visibilité, une démonstration de la nécessité et de la rigueur de son action, une amélioration de son image. Pour modèle, les Universités en Suisse s’adressent à une élite restreinte et privilégiée, elles bénéficient d’une image incontestée 27 extrêmement valorisée sans qu’elles aient à démontrer qu’elles constituent un investissement rentable pour la collectivité qui consent des dépenses considérables. 3.3.4. L’action sociale, un investissement dans le bien-être pour tous ! « A l’instar du capital humain, le capital social procure d’importants avantages aux individus et à la société » (OCDE, 2001, p. 60). Il est difficile de faire apparaître clairement un lien entre le capital social et la croissance économique en raison de la complexité des interrelations entre les divers déterminants et les différences de traditions culturelles, institutionnelles thistoriques par pays. « Il serait fructueux d’entreprendre des recherches complémentaires dans ce domaine. » (OCDE, 2001, p. 72) Le débat est ouvert et il s’agit bien pour le secteur social de démontrer qu’aujourd’hui plus que jamais l’action sociale contribue de manière indispensable au bien-être de tous 3.4. Le rôle dans les nouvelles réponses sociales Aujourd’hui, tant à l’Est qu’à l’Ouest, la question des nouvelles demandes sociales est l’ordre du jour : « ces demandes montrent l’affaiblissement du rôle exclusif de protection de l’Etat et l’émergence de formes alternatives d’organisation citoyenne et partenariale, fondée sur des nouveaux contrats sociaux » (Conseil de l’Europe, 2002, p. 7). Au niveau européen, le débat porte actuellement les questions suivantes : - quels sont les mécanismes permettant de détecter les nouvelles demandes sociales ? - quel est le rôle joué par les organisations de la société civile en termes de communication des nouvelles demandes sociales ? - comment le secteur privé perçoit-il sa responsabilité en termes de demandes sociales par rapport à celle du gouvernement et en partenariat avec lui ? - comment les institutions se transforment-elles et s’adaptent-elles pour répondre aux nouvelles demandes sociales ? - un partenariat entre le secteur public, le secteur privé et la société civile permet-il une meilleure gouvernance et constitue-t-il une réponse aux nouvelles demandes sociales ? 28 Ce débat s’inscrit dans une évolution structurelle de la société. La diversité et la multidimensionnalité des demandes sociales posent non seulement la question du rôle de l’Etat, mais également celui des institutions sociales : « Dans le passé, les réponses politiques ne prenaient pas en compte cet aspect et il s’agissait toujours de réponses spécifiques, ponctuelles. De nouvelles méthodes et compétences professionnelles s’imposent donc pour construire les réponses sociales. Ces méthodes, fondées sur le partenariat, la participation en réseau des citoyens, le partage des responsabilités, etc. s’affirment de plus en plus. Peut-on dire pour autant que les institutions sont toujours disponibles pour des pratiques de coopération et de partenariat, notamment avec la société civile ? Katalyn Tausz l’a rappelé, certains gouvernements et institutions s’engagent clairement dans cette voie. Mais d’autres n’en sont pas encore là et ont des difficultés à engager une coopération ou ne souhaitent pas le faire. » (Conseil de l’Europe, 2002, p. 6). Le changement culturel et structurel, appelant à un meilleur partenariat et un questionnement sur le rôle de l’Etat et des institutions sociales en matière de responsabilité et de consensus social, donne un aperçu de la complexité du débat qui a cours au niveau européen et auquel sera confrontée tôt ou tard la Suisse. 29 IIII. Pour une meilleure lisibilité des institutions sociales : quelques propositions 4.1. Les institutions sociales dans les statistiques officielles Comme le relève Stéphane Rossini (1999, p. 2), les « statistiques disponibles sur l’action sociale des institutions privées proviennent exclusivement d’études partielles réalisées dans le cadre de recherches ponctuelles ; que ce soit au niveau de la Confédération, des cantons ou des communes. Il n’existe à ce jour strictement aucune donnée officielle se rapportant aux recettes, dépenses, personnes protégées et bénéficiaires de prestations sociales allouées par des organisations privées ou encore au personnel, professionnel ou bénévole, que celles-ci occupent ». Les seules données chiffrées connues sont celles que les institutions sont tenues de fournir en vue de l’obtention de subventions. Il s’agit essentiellement de données financières ou administratives, non régulières et non homogènes. 4.1.1. Les données fournies par l’Office fédéral de la Statistique Une recherche menée auprès de l Office fédéral de la Statistique (OFS) en vue de cette conférence n’a donné que de maigres résultats, résumés dans les deux tableaux figurant en annexe. 4.1.2. Les conséquences d’un manque de lisibilité ou de visibilité Les lacunes d’identification et de quantification de la pratique sociale des institutions sociales entraînent une absence de lisibilité ou de visibilité. Cette absence n’est pas sans conséquences : « (...) une meilleure lisibilité du domaine serait des plus pertinentes. D’autant plus que chaque période de ralentissement conjoncturel favorise la résurgence d’un discours prônant la délégation de certaines tâches publiques à des institutions privées ou l’encouragement de démarches fondées sur le bénévolat. Or, cela ne vas pas de soi. Ainsi, les analyses montrent que la situation 30 économique de nombreuses institutions privées est fragile ; que la continuité de l’action est parfois comprise. Les conséquences de la méconnaissance du fonctionnement des institutions privées occasionnent dès lors un discours peu réaliste sur l’application et l’efficacité du principe de subsidiarité et peuvent déboucher sur un processus décisionnel inadéquat. Pour que la complémentarité entre institutions publiques et privées jouent pleinement et dans une dynamique constructive, il faut envisager une répartition des tâches globalement pensée et cohérente et des moyens d’action (ressources économiques surtout) garantis à terme et non ponctuellement » (S. Rossini et al., 1999, p. 3). Une meilleure connaissance de leur rôle et de leurs fonctions est nécessaire, en particulier pour évaluer leur place dans la protection sociale. L’idée d’une enquête nationale sur les institutions privées ou de la mise en place d’un Bureau des associations, émise par Jean Kellerharls (Université de Genève) devrait être relancée ! 4.2. Le modèle d’analyse coûts-bénéfices : la fin d’une attitude défensive ? « L’analyse coût-bénéfice peut être définie comme une technique pratique pour déterminer l’utilité ou la désidérabilité de certaines dépenses publiques. Plus précisément, il s’agit d’une technique d’évaluation en termes d’une mesure monétaire commune des avantages et désavantages sociaux d’une politique dans le but d’en définir son utilité. Dans les grandes lignes, la méthode consiste à comparer la valeur présente de deux flux : a) le flux des bénéfices sociaux procurés par les biens et services fournis par le projet ; b) le flux des coûts sociaux résultant des ressources utilisées pour la création et l’exploitation du projet. » (Weber L., 1978, p. 248) L’avantage de cette technique appliquée dans le secteur public est de prendre en considération non seulement les bénéfices ou les coûts privés ou internes, mais également les bénéfices ou coûts externes ou indirects de telle sorte que les véritables bénéfices ou coûts sociaux soient considérés. (Weber L., 1978, p. 255). Dans cette approche, les bénéfices ou les coûts intangibles, c’est-à-dire les biens ou les services 31 qui n’ont pas de valeur marchande, sont pris en compte. Car il ne faut pas oublier qu’il y aura toujours une évaluation implicite ou explicite du preneur de décision : « il convient donc de prendre tout particulièrement garde à ne pas ignorer involontairement les bénéfices ou les coûts qui ne peuvent pas être isolés ou évalués techniquement (…) ». (Weber L., 1978, p. 272) 4.2.1. La notion de valeur ajoutée de l’action des institutions sociales Face aux restrictions budgétaires incessantes dans le domaine du social, les institutions sociales ont développé une attitude défensive, basée sur la justification de leurs coûts. L’attitude inverse, qui est de montrer la valeur ajouté des services produits ou fournis, n’est pas encore très répandue. Elle est pourtant vitale pour faire reconnaître leur rôle dans la production de l’action sociale. Elle pourrait être résumé comme suit : « voilà ce que cela coûte, mais voilà ce que cela rapporte à la société ». Cette façon de raisonner est à la base de modèles d’analyse coûts-bénéfices, généralement appliquée dans le domaine des finances publiques (démarche budgétaire) et dans les milieux commerciaux ou de production industrielle. Mais pourquoi ne pas les transposer dans le milieu social ? Il n’existe pas à ce jour de d’études publiées et disponibles sur l’application de modèle de types coûts-bénéfices de l’action sociale des institutions sociales. Toutefois, la tendance à l’application de telles méthodes se développe, comme l’illustrent les deux exemples suivants de calcul de valeur ajoutée : Exemple 1 : Le subventionnement des crèches à Zurich Une étude récente à Zurich (mentionnée par Le Temps du 17 janvier 2004, source inconnue) montre qu’un franc investi dans une crèche rapporte deux à trois francs à la collectivité... parce que les femmes qui travaillent créent de la valeur ajoutée, en payant des impôts. Exemple 2 : Supprimer le travail des enfants pourrait rapporter gros ! Ce titre de presse, paru récemment dans les journaux, ne pouvait qu’attirer l’attention, de par la nature contradictoire de son propos. Toutefois, une lecture de l’article permettait de découvrir un changement d’attitude au sein du BIT, qui, pour la première fois, a lancé une étude économique sur les coûts et les bénéfices de l’élimination du travail des enfants et de leur scolarisation. Selon une première estimation, investir 32 dans chaque enfant « rapporterait » des bénéfices sept fois plus importants que les coûts investis, soit 5100 milliards de dollars dans les pays du Sud et de l’Est. 4.2.2.Un exemple : l’analyse coûts-bénéfices dans les traitements à base d’héroïne en Suisse Les programmes de traitement à base d’héroïne ou de prescriptions de stupéfiants en Suisse ont fait l’objet d’une analyse coûts-bénéfices, datant 1995 et parue en 2000 (Gutzwiller F. / Steffen T.). L’idée était de procéder à une analyse socio-économique afin de déterminer si l’introduction de tels programmes générait des bénéfices à même de compenser les coûts. La recherche portait sur deux axes : 1) calculer le coût total par patient et par jour d’un tel programme ; 2) évaluer l’intérêt socio-économique, c’est-à-dire la rentabilité pour la société dans son ensemble de tels programmes. L’intérêt de cette étude est de proposer une méthode pour estimer la valeur monétaire des bénéfices sociaux, c’est-à-dire des bénéfices difficilement chiffrables mais qui apportent une augmentation du bienêtre de toute la société. Dans ce but, trois types de bénéfices ont été répertoriés : - les bénéfices directs, comprenant la réduction des ressources financières allouées aux traitements médicaux ou hospitaliers (des bénéficiaires ou des victimes), à l’admission dans des institutions spécialisées, ou à la réparation des dommages causés à la propriété. Ils regroupent également les bénéfices liés à la répression policière ou judiciaire, ainsi qu’aux procédures des tribunaux. - les bénéfices indirects, correspondant à une augmentation des ressources productives dans l’économie nationale, par exemple, un meilleur taux d’emploi des personnes toxicomanes, une réduction du taux de mortalité ou du temps consacré aux « carrières du crime ». En particulier font partie de ces bénéficies la baisse du trafic de drogues, la diminution des pertes de production non marchande (comme le travail domestique), la diminution des naissances prématurées. 33 - les bénéfices intangibles, regroupent les bénéfices auxquels il est très difficile d’attribuer une valeur monétaire, tels que l’amélioration de la qualité de vie des bénéficiaires du programme, de leurs familles, parenté ou amis, ainsi que de la société toute entière, un meilleur état de santé des toxicomanes, ou la disparition des marchés de la drogue. Les champ d’observation retenus pour cette étude se sont limités aux quatre domaines suivants : - la réduction des coûts de traitement médical ou hospitalier, la réduction des coûts du temps passé en institutions spécialisées, la réduction des pertes de production pour cause de maladie, la réduction du taux de criminalité. Une analyse détaillée de la méthode dépasse le propos de cette conférence. Néanmoins, les résultats sont très intéressants et apportent une image différente, sur lesquelles les institutions sociales pourraient se calquer. Ces résultats sont résumés sans le tableau suivant : Tableau 3 : Coûts et bénéfices des programmes PROVE (héroïne seulement), 1995 Type de coût en francs suisses par jour et par patient Coûts directs Coûts de personnel Autres coûts opérationnels 9.39 35.37 5.87 Total 50.63 Type de bénéfice Ménage Travail Comportement légal Santé en francs suisses par jour et par patient 2.41 3.90 72.08 17.11 95.50 Selon cette étude, les bénéfices des programmes envisagés, soit Fr. 95.50 par jour et par patient, sont nettement supérieurs aux coûts engendrés par l’introduction de tels programmes, soit Fr. 50.63 par jour et par patient. Pourquoi les institutions sociales ne s’inspireraient-elles pas d’une telle démarche ? Est-il si difficile de parler d’argent ? Et pourtant les bénéfices qu’elles apportent à l’usager et à la société sont tels qu’il devient nécessaire de mettre en place des méthodes pour les révéler. 34 Conclusion Le développement de l’Etat incitateur, le démantèlement social, les pressions financières mettent les institutions sociales devant l’urgence de sortir de l’isolement dans lequel elles vivaient et de trouver les moyens pour prouver leur contribution à la production sociale. Elles se trouvent désormais confrontées à la nécessité d’évaluer leur action, non seulement dans leur propre intérêt, mais aussi dans une perspective de société plus large : « Au vu des dégâts sociaux et environnementaux de notre monde de développement ou de la faible performance de l’action publique au regard des besoins sociaux » les citoyens sont de plus en plus nombreux à réclamer « de nouveaux modes d’évaluation de l’utilité sociale des organisations privées et publiques » (Alternatives économiques, 2003, p. 5). Acquérir de la visibilité, voilà le nouveau défi pour les institutions d’éducation et d’enseignement spécialisés. Mais comme dit le proverbe, à toute chose malheur est bon. Si l’époque semble funeste aujourd’hui, elle est en même temps une opportunité unique pour affirmer clairement le rôle incontournable des institutions sociales. Cette démonstration passera forcément par une analyse chiffrée de l’impact économique de son travail. Si certaines pistes d’évaluation ont été suggérées dans cet exposé, comme les concepts de capital humain ou social, le gros du travail théorique reste cependant à faire. Celui-ci ne pourra acquérir une légitimité aux yeux des pouvoirs publics, économiques et de la société civile que s’il est basé sur la coopération. Coopération entre les diverses disciplines, économie, sociologie, sciences politiques, psychologie, etc. qui doivent ériger la transdisciplinarité en vertu nécessaire pour assurer une analyse impartiale et complète de tous les facteurs. Coopération des institutions sociales au sein de leurs associations, les seules à pouvoir fournir tous les chiffres nécessaires à l’élaboration de ces canevas d’analyse, privilégiant la collaboration et la mise en réseau. Coopération enfin par-dessus les fossés linguistiques ou culturels, car la RPT (réforme de la péréquation financière et répartition des tâches entre la Confédération et les cantons) à notre porte, nous ne pouvons courir le risque de nous isoler dans nos critères de jugement et par extension dans nos pratiques. Nombreuses seraient les décisions qui pourraient se prendre sur la base de ces outils d’analyse. On songe aux votations relatives à la 35 péréquation financière, où le citoyen sera, en fait, placé dans un choix de société. L’argument simpliste du moins d’impôts ne peut que séduire un citoyen mal informé. Il s’agit donc de lui communiquer des chiffres et des faits. L’analyse « coûts-bénéfices » dans les traitements à base d’héroïne (GutzwillerF./Steffen T., 2000) parue en 2000 a démontré que les coûts par jour de traitement représentaient à peu près la moitié des bénéfices obtenus. Avec les mots de Francis Sermet (DEWS, Developement Economic Western Switzerland) on dirait : « Un franc investi dans la prévention revient à deux francs d’économie au niveau des mesures pénales ». Le transfert de ces analyses objectives au domaine de l’éducation sociale et de l’enseignement spécialisé profitera largement autant aux institutions ainsi qu’au débat nécessaire en politique sociale. Elles serviront d’outil pour l’élaboration de politiques sociales et permettront d’évaluer pour tout un chacun les conséquences des choix à faire dans ce domaine et des effets à en attendre sur le moyen et long terme. 36 Bibliographie Alternatives économiques (2003), L’utilité sociale, No 11 – Hors-série, septembre, Paris. 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