5
La Dominique et Sainte-Lucie sont des îles créolophones où sont parlés des créoles français très proches de ceux
de la Martinique et de la Guadeloupe et où la langue officielle est l'anglais. Le français y a complètement disparu
(sauf cas exceptionnel).
Le Laos et le Viêt-Nam, anciennes colonies françaises d'Indochine, ne font pas de place officielle au français
(encore qu'il reste, semble-t-il, la langue diplomatique du Laos tandis que, semble-t-il toujours, le Viet Nam
s’exprime en anglais dans les institutions internationales, hors de celles de la francophonie elle-même). La place
du français dans ces pays reste mal connue, mais les francophones y paraissent une espèce en voie de
disparition. Le tableau dressé par P.Bandon en 1975 (Le français hors de France, 1979) était déjà très pessimiste :
" ans la panique et l'horreur [du printemps 1975] un ordre nouveau est en train de naître en Indochine, tout au
moins en matière politique, sociale et économique. Car en matière linguistique ces événements ne font que
précipiter le déclin de la francophonie commencé voici 25 ans mais rendu irréversible surtout dans les cinq
dernières années", p. 679. Si l’on se réfère à des témoignages plus récents comme celui de Trinh Van Minh (« Viet-
Nam : quelle place pour la langue française à l’heure de l’économie de marché ? » in M. Gontard et M. Bray,
Regards sur la francophonie, Presses de l’Université de Rennes, 1996, pp. 66-75), on ne trouve pas beaucoup de
raisons d’être optimistes en dépit de l’importance de l’investissement français et francophone. Le français n’est
guère maintenu que par une vieille garde d’intellectuels septuagénaires. Retenons une seule phrase de l’article en
cause : « La langue/culture française se trouve dans une situation peu réjouissante, pour ne pas dire dégradante
au sein du système éducatif vietnamien, face à l’explosion de l’économie de marché. » (1996 : 70).
Le Laos a sans doute une situation un peu différente en raison d'un décalage historique qui a fait que le
français y est resté le médium d'enseignement dans le cycle secondaire jusqu'en 1974-75 alors qu'au Nord-Viêt-
Nam, la "viêtnamisation " avait été opérée dès 195 0. On doit constater d'ailleurs que lors du Sommet de Québec
(1987), des manifestants vietnamiens ont dénoncé «ce qu'ils appellent l'hypocrisie du régime d'Hanoi qui, selon
eux, fait tout son possible pour interdire le français sur son territoire», Libération, 4-9-87, p. 19.
Les cas du Liban et de l'Égypte sont encore différents. Au Liban, la langue française, historiquement, a
précédé le mandat politique de la France (1920-1943) et a été diffusée dès la deuxième moitié du XIXe Siècle par les
établissements scolaires - ce qui en a fait la langue européenne de l'élite du pays. En 1943, au moment de
l'indépendance, en dépit des tentatives pour instaurer officiellement un bilinguisme arabe-français, seul l'arabe fut
reconnu comme langue officielle, le français devant faire l'objet de dispositions législatives spéciales qui ne
furent, en fait, jamais prises. Le Liban qui, il y a une dizaine d'années encore se serait incontestablement situé un
peu comme l'Ile Maurice, évolue, semble-t-il, vers une situation différente. Le cas de l'Égypte est tout autre et le
rapprochement avec le monde francophone relève d'une stratégie quasi-purement politique, même si quelques
traces de "francophonie" subsistent dans la société égyptienne. Le maître d'œuvre de cette politique dont le
thème est " le français langue du non-alignement ", est M. Boutros-Ghali, dont le rôle paraît avoir été à cet égard
déterminant et qui est aujourd’hui, juste retour des choses, Secrétaire Général de la Francophonie.
Restent des cas plus étonnants car, à la différence des précédents, on ne peut établir de lien, de quelque
nature qu'il soit, avec l'ensemble francophone. Ce sont d’États qui sont depuis un certain temps déjà dans les
instances francophones, par exemple, ceux de la Guinée-Bissau ou du Cap-Vert, territoires créolophones (on y
parle des créoles à base portugaise) dont la langue officielle est le portugais et qui n'ont jamais été sous la
domination coloniale française.
Certes, depuis la mise au point et la première expérimentation de cette grille d’analyse, en 1989-1990, les
choses ont évolué encore et pour la plupart des États de la francophonie d’appel, l’usage de cet outil pour
analyser la situation du français n’a guère de sens puisque la langue française n’y a, dans la plupart des cas, ni
status ni corpus appréciables ; pour analyser la situation du français dans des cas de ce type, il faudra sans doute
constituer une sous-grille, en quelque sorte en forme de loupe, qui examinera la partie basse de la gauche du
graphique puisque dans ces États status et corpus du français ont des valeurs proches de zéro.
LES DÉFINITIONS DU STATUS ET DU CORPUS : LES PRINCIPES DE DÉPART.
Il convient maintenant d'identifier les composantes principales du status et du corpus, en gardant bien
sûr à l'esprit que " status " et " corpus " ne sont pas des entités absolument étrangères l'une à l'autre et que
l'évolution au sein de l'une des deux catégories a d'inévitables conséquences au sein de l'autre.