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Victor Nguyen, Pierre Laffitte fut à la fois un homme d'influence, un mentor politique et une véritable éminence
grise dans les débuts de la IIIe République.
L'œuvre écrite de Pierre Laffitte est considérable en volume, elle a été publiée par l'éditeur E. Leroux, par la
Société positiviste de Paris ou dans La Revue occidentaleii[iv]. En 1884, la chaire d'histoire générale des
sciences au Collège de France, réclamée en vain par Auguste Comte, fut créée à son bénéfice. Pierre Laffitte
écrivit de très nombreux articles sur les relations d'Auguste Comte et de ses contemporains en particulier La
Mennais, Guizot, Gustave d'Eichthal, Armand Marrast, François Arago. Il dirigea la Revue occidentale jusqu'en
1897 et mourut à Paris en 1903. Parmi ses dernières contributions à la revue, on peut citer le procès des
exécuteurs testamentaires d'Auguste Comte contre Mme Comte (septembre 1894) et le catalogue de la
bibliothèque d'Auguste Comte (janvier 1807).
Pierre Laffitte conserva des liens avec sa région natale et prononça des conférences à Bordeaux comme dans les
autres grandes villes de France. Il avait créé en mars 1878 la Revue occidentale de la philosophie sociale et
politique qui parut régulièrement tous les deux mois. C'est dans cette revue qu'un autre Girondin, André
Lavertujon, publia pendant l'été 1899 deux articles publiés ensuite sous forme de tirages à part sous le titre Petits
essais de religion et d'histoire. En fait, ces brochures ont respectivement 130 pages et 207 pages ! L'année
suivante, Lavertujon faisait paraître à Bordeaux une petite revue Bellérophon, dont il fut pendant deux ans le
rédacteur unique (1900-1902).
Notre but, dans ces quelques pages, n'est pas de résumer la philosophie de Pierre Laffitte, ni de donner une
biographie complète d'André Lavertujon, mais de montrer l'importance de ces deux Girondins dans la vie
politique et intellectuelle dans les dernières décennies du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Par l'analyse
des numéros conservés du Bellérophon, nous montrerons comment André Lavertujon, à la fin de sa longue
existence, a subi l'influence de son ami, le philosophe de Béguey ; tous deux, hostiles à l'anarchie mentale et
morale, ont prôné une nouvelle morale humaniste et humanitaire et une nouvelle religion : le positivisme.
Qui est André Lavertujoniii[v] ? Ce Périgourdin, né le 23 juillet 1827, fit des études à Périgueux, sa ville natale,
puis au Collège de Bergerac. Il était le fils d'un imprimeur, François Lavertujon. Il collabora en 1849 au
Républicain de la Dordogne, puis monte à Paris où il est membre du comité démocrate socialiste de juillet 1849
jusqu'au coup d'Etat de 1851. Il fait ensuite un voyage des les principautés de Valachie et de Moldavie (la future
Roumanie). A son retour, il s'associe avec son beau frère Gustave Gounouilhou (1821-1912). Ce dernier, fils
d'un armurier de Bergerac, débuta comme apprenti puis ouvrier imprimeur. Il épouse en 1848 Adèle Lavertujon,
fille de son patron. Fixé ensuite à Bordeaux, il achète en 1850 une petite imprimerie, la société Edouard Faye.
Au début du second Empire, Haussmann, préfet de la Gironde, avait lancé en janvier 1853 le journal La Gironde
avec l'appui de Delamarre, propriétaire de La Patrie, un journal parisien. Gustave Gounouilhou achète La
Gironde en août 1854 pour relancer cette feuille qui ne compte que 500 abonnés. Il prend comme rédacteur en
chef son beau-frère, André Lavertujon, qui avait publié quelques travaux sous le nom d'André Gilson.
L'orientation du journal, d'abord imprécise, devient nettement antigouvernementale en 1857 lorsqu'il prend parti
contre la municipalité d'Antoine Gautier, dévoué au régime impérial. Le quotidien bordelais devient
progressivement un des principaux organes de l'opposition démocratique et libérale au régime de Napoléon III. Il
subit plusieurs avertissements, une suppression de deux mois en 1864, et un procès en 1869 avec peines
d'amende et de prison pour les responsables. Lavertujon fut plusieurs fois candidat malheureux de l'opposition
aux élections législatives de 1869. Le salon de Gounouilhou-Lavertujon fut le siège de la vie politique bordelaise
où les hommes de 1848 rencontraient la nouvelle génération des médecins, ingénieurs, entrepreneurs,
professeurs, hommes de lettres, hostiles à l'Eglise catholique et influencés par le positivisme, la franc-
maçonnerie et la Ligue de l'enseignement. A Paris, Lavertujon fonde La Tribune avec Eugène Pelletan et Glais-
Bizoin.
Ami de Léon Gambetta, Lavertujon devient après le 4 septembre 1870 secrétaire adjoint du gouvernement de
défense nationale avec Jules Ferry puis rédacteur en chef du Journal officiel (1871). Il fut aussi président de la
commission de classement des papiers saisis au palais des Tuileries. Nommé par Thiers consul général à
Amsterdam, il démissionne vite le 27 mai 1873, pour entrer au journal Le Temps, chargé de la chronique
économique. En avril 1879, il est battu aux élections partielles de Bordeaux par Auguste Blanqui et reprend une
activité diplomatique : consul général à Anvers (1880), à Naples (1881), ministre plénipotentiaire en Argentine
et Uruguay (1882), membre de la commission européenne du Danube (1883), ministre à Mexico (1885). En fait,
il semble qu'il n'ait pas rejoint ses postes de Buenos Aires et de Mexico et qu'il se soit contenté de son poste de
président de la délégation française à la commission internationale pour la délimitation des frontières dans les
Pyrénées. C'était plus près...