HENRY DUMONT ET LE GRAND MOTET
Laurence DECOBERT
1992
Henry Du Mont naquit vers 1610 à Looz (Borgloon en flamand), petit village
flamand de l’ancien pays de Liège, d’Henry de Thier, Wallon originaire de
Villers-l’Évêque près de Liège, et d’Élisabeth Orbaen, Flamande d’Ulbeek,
près de Looz. L’enfant fut sans doute baptisé à l’église Saint-Odulphe de Looz,
mais les registres paroissiaux étant détruits pour cette période, son acte de
baptême a bel et bien disparu. Les parents de Du Mont vivaient à Looz depuis
leur ma riage, semble-t-il. On ignore tout de la profession d’Henry de Thier.
S’agissait-il d’une activité commerciale, comme paraissent l’indiquer certains
documents ? Quoi qu’il en soit, la ville de Looz, au riche passé historique, restait
suffisamment importante pour offrir de larges possibilités d’activités.
Vers 1613, le couple de Thier met au monde un second enfant, Lambert. Le
calme relatif qui régnait encore dans la région à cette époque ne devait guère
durer. Guerre, occupation de troupes et pillages semaient la désolation parmi les
populations des campagnes. Cela explique probablement le départ de la famille
vers la ville plus sûre et fortifiée de Maastricht. Le frère d’Henry de Thier,
Lambert de Thier, se trouve alors chapelain de l’église Saint-Servais de la ville.
Il accueille la famille de son frère, et se chargera rapidement de l’éducation des
deux enfants. C’est sans doute sous son impulsion que Henry et Lambert
entrent en 1621 au sein de la maîtrise de Notre-Dame de Maastricht.
Henry Du Mont, alors appelé Henry de Thier, ou a Monte – en latin –, va
acquérir à la maîtrise une solide éducation générale et musicale. À Notre-Dame,
les enfants reçoivent un enseignement philosophique, théologique et musical.
Parallèlement, ils font leurs humanités au collège des jésuites de Maastricht.
Leurs études musicales sont complètes : contrepoint, composition, basse conti-
nue, instruments leur sont enseignés, tandis que les enfants participent à la psal-
modie du chœur, en échange d’un maigre salaire en nature. Henry Du Mont
étudie l’orgue, son frère Lambert apprend aussi le basson.
Du Mont n’a que seize ans lorsque le chapitre de Notre-Dame lui accorde une
gratification assez exceptionnelle pour son âge. Celui-ci est pourvu de son
premier bénéfice ecclésiastique, la prébende musicale de Sainte-Anne, réser vée
à un musicien. Les qualités et le travail du jeune musicien ont donc été remar-
qués par ses maîtres, qui trouvent ainsi un moyen de l’en récompenser.
D’ailleurs, celui-ci, bien qu’il poursuive encore ses études générales et musi-
cales, ne fait plus partie des enfants de chœur. Sans doute accompagne-t-il déjà
certains offices à l’orgue.
En septembre 1629, la carrière d’Henry Du Mont prend un tournant significa-
tif. Il est nommé par les chanoines organiste de Notre-Dame. Cependant, sa
formation traditionaliste et son apprentissage à Maastricht nécessitent un regard
vers de nouveaux horizons. Rapidement, Du Mont obtient un congé de deux
mois “pour se perfectionner dans les secrets de l’orgue”. On suppose que ce
voyage, qui sera suivi de quelques autres, a pour destination la ville de Liège,
située à une trentaine de kilomètres de là – à une journée de marche environ.
Liège, par sa position géographique, est alors un véritable creuset dans lequel se
mêlent diverses tendances artistiques, et plus particu lièrement musicales, que le
jeune Du Mont brûle sûrement d’approcher. De brillants maîtres et pédagogues
y en seignent. Le plus célèbre d’entre eux demeure certainement Léonard de
Hodemont, maître de musique de la cathédrale Saint-Lambert. Si aucune
preuve réelle ne subsiste de leçons prises par Du Mont auprès du maître
liégeois, l’in fluence de ce dernier sur le compositeur semble confirmer cette
hypothèse suggérée par de nombreux musicologues, à commencer par Sébastien
de Brossard lui-même – dans le Catalogue des livres de musique de sa bibliothèque.
Au cours des années 1630, Du Mont obtient plusieurs congés du chapitre de
Notre-Dame de Maastricht. À la fin de 1632, son frère Lambert le remplace
comme organiste de l’église. Notre musicien se consacre sans doute alors à l’étude
de l’orgue auprès des maîtres liégeois, percevant toujours les revenus de sa
prébende de Sainte-Anne. Un voyage plus lointain semble peu probable, puisque
les registres capitulaires de l’église ne signalent rien de tel. Pourtant, l’été 1638,
Henry Du Mont a disparu de la ville de Maastricht : il ne s’est pas présenté
devant le chapitre de Notre-Dame depuis plusieurs mois. Rappelé à l’ordre par
les chanoines, il ne réapparaît pas. L’organiste, à la recherche d’une situation plus
élevée que celles qu’il avait occupées jusqu’ici, devait se résoudre à l’exil de son
pays de Liège. Paris offrait à ce talent en pleine maturité de véritables chances de
carrière brillante. Dès 1638, celui qui n’est encore que Henry de Thier s’installe
selon toute vraisemblance dans la capitale du royaume de France.
DÉBUTS PARISIENS
À Paris, Du Mont commence sans doute modestement par tenir les orgues d’un
couvent, les communautés religieuses étant innombrables dans la ville à cette
époque. Rapidement pourtant, le voici à la tribune de l’église Saint-Paul, proba-
blement d’abord comme suppléant de l’organiste titulaire. Le 4 avril 1643, il est
128 LE CONCERT DES MUSES
officiellement engagé comme organiste de l’église – il le restera toute sa vie –, et
c’est sur ce contrat d’engagement que figure la première mention connue du nom
de Du Mont, traduction française de son nom wallon. Saint-Paul, église paroissiale
d’une ancienne paroisse royale, reste l’une des églises les plus importantes de la
capitale. Son organiste doit un service relativement chargé, mais la rémunération est
en conséquence. Henry Du Mont, dès son engagement officiel, est l’un des orga-
nistes les mieux payés de Paris. Il bénéficie en outre d’un logement gratuit situé
dans le “passage Saint-Pierre”, maison qu’il occupera jusqu’à sa mort quelque
quarante années plus tard. Son talent, ses qualités d’im provisateur, et peut-être une
protection haut placée, ont permis cette rapide ascension. Dès lors, la position du
musicien est assurée, et il va consacrer les années suivantes à asseoir sa notoriété.
Outre son activité d’organiste, Henry Du Mont com pose, enseigne probable-
ment. Également claveciniste, comme tous les maîtres du clavier, le musicien
participe à des concerts privés donnés dans les salons mondains. Avec ses
confrères luthistes, violistes, et de célèbres chanteurs, ils ravissent les mélo-
manes qui se retrouvent régulièrement à ces “assemblées de concerts”. Ainsi se
fait peu à peu connaître notre homme, et se répandent ses com positions vocales
et instrumentales, bien avant qu’elles soient imprimées.
Dès 1647, l’organiste reçoit ses “Lettres de naturalité”. Désormais sujet de
Louis XIV, il obtient un premier béné fice ecclésiastique en France – la cure de
Saint-Germain d’Alizay, dans le diocèse de Rouen. Peu après la parution de ses
Cantica sacra – sa première publication, en 1652 –, il pénètre enfin à la Cour grâce
à sa nomination comme claveciniste du duc d’Anjou, frère du roi. Les musiciens
du futur Philippe d’Orléans sont d’ailleurs les mêmes que ceux qui se produi-
sent ensemble au cours des réunions musicales parisiennes. Au Louvre, près de
l’enfant qu’est encore le duc d’Anjou, le surcroît de travail ne doit pas être très
lourd, et Du Mont peut encore aisément concilier ses diverses activités.
Malgré une notoriété grandissante, il n’a pas renié sa patrie d’origine, puisqu’il
y retourne en 1653 pour épouser la fille d’un notable de Maastricht, Mechtel
Loyens – celle-ci disparaîtra prématurément en 1660. Pendant les an nées 1650,
Henry Du Mont n’a guère la possibilité de se rendre à Maastricht. Son frère
Lambert, prêtre de la cathédrale Notre-Dame, règle pour lui un certain nombre
de formalités notariales. En revanche, lorsqu’il s’agit de mettre en place d’impor-
tantes dispositions concernant sa mère, Du Mont n’hésite pas à faire le voyage en
pays de Liège – comme en septembre 1658 – en compagnie de son épouse.
À la même époque, nous voyons le musicien entretenir une correspondance
assidue avec l’érudit hollandais Constantin Huyghens, compositeur à ses heures.
Comme il se plaît à le faire avec les plus grands musiciens de son temps,
L. DECOBERT : HENRY DUMONT ET LE GRAND MOTET 129
Huyghens échange avec Du Mont des réflexions d’ordre musical, et requiert ses
avis et conseils. Il est clair que l’organiste de Saint-Paul est maintenant devenu
l’un des meilleurs musiciens de la capitale. Ses ambitions ne vont d’ailleurs pas
tarder à être satisfaites.
UNE POSITION À LA COUR
En 1660, dès le mariage du roi avec l’infante Marie-Thérèse, la Musique de la
jeune reine est constituée. La création de ce nouveau corps de musiciens est une
aubaine pour ceux qui convoitent une place dans l’entourage royal. Henry Du
Mont est nommé organiste de la reine, ce qui représente pour lui l’antichambre
de la Musique du roi. Il faut dorénavant attendre qu’une charge plus élevée et
proche du souverain se libère. Une opportunité se fait jour en 1662, le sous-
maître de la Musique de la Chapelle Jean Veillot ayant disparu pendant l’été. Ce
n’est qu’en juil let 1663 qu’une sorte de concours semble organisé pour rempla-
cer le défunt sous-maître. Henry Du Mont et Pierre Robert, maître de musique
de Notre-Dame de Paris, sont choisis pour occuper le poste en alternance,
Thomas Gobert demeurant toujours à la Chapelle pendant un semestre. L’année
suivante, Gabriel Expilly se joint aux deux nouveaux sous-maîtres, mais il ne
demeurera à cette charge que quelques années.
Henry Du Mont occupe enfin les plus hautes fonctions de la Cour dans le
domaine de la musique sacrée. Il a fallu plus de vingt ans au musicien liégeois
pour mener à bien ses ambitions, mais persévérance et protections ont eu raison
des difficultés, s’il en fut.
Les vingt dernières années de la vie de Du Mont vont lui permettre de confor-
ter sa position, en accumulant les plus hautes fonctions et les bénéfices accordés
aux serviteurs du roi. S’il a édité auparavant un volume de Meslanges, en 1657, et
des Airs à quatre parties (paraphrases de psaumes en français), en 1663, deux de
ses publications les plus importantes sont dédiées au roi, et leurs pièces desti-
nées à la Musique de la Chapelle, en 1668 et 1681 : les Motets à deux voix, puis
les Motets à II, III et IV parties. Ses grands motets seront quant à eux imprimés “par
exprès commandement de Sa Majesté” après la mort du musicien en 1686. En
marge de ces publications attachées au répertoire de la Cour, Du Mont publie
aussi en 1669 ses Messes en plain-chant qui, contrairement au reste de son œuvre,
restèrent chantées jusqu’à nos jours.
Dès 1667, Henry Du Mont obtient en bénéfice l’abbaye de Silly-en-Gouffern,
près d’Alençon. Toujours scrupuleux dans ses activités, il prend très à cœur sa
tâche d’abbé, et gère l’abbaye jusqu’à sa mort, se rendant fréquemment sur
place. Les responsabilités attachées à cette fonction sont telles que le musicien
130 LE CONCERT DES MUSES
cède sa charge d’organiste de la Reine en survivance à Antoine Foucquet, futur
organiste de l’église Saint-Eustache. S’il conserve une partie des gages de ce
poste, Du Mont laisse désormais Foucquet l’exercer à sa place, cela jusqu’à la
disparition de Marie-Thérèse en 1683.
À partir de 1668, Du Mont et Robert se partagent seuls le poste de sous-maître
de la Chapelle du roi. Puis le musicien accumule les charges à la Cour : compo-
siteur de la Musique de la Chapelle au décès de Thomas Gobert, il devient
ensuite maître de la Musique de la reine, et obtient divers bénéfices. Un cano-
nicat au chapitre de Saint-Servais de Maastricht vient couronner cette brillante
carrière, dans la ville même de son enfance.
Malgré une intense activité, Henry Du Mont, déjà âgé, se rend régulièrement
auprès des siens à Maastricht, et veille à ce que les membres les plus démunis
de sa famille profitent de sa réussite : la majeure partie de ses revenus sont redis-
tribués avec soin à chacun d’eux.
Après avoir demandé au roi “son congé à cause de son infirmité” en 1683,
Du Mont se retire dans sa modeste de meure du passage Saint-Pierre. Il s’y
éteindra le 8 mai 1684, et sera enterré aux côtés de son épouse “près de la
chapelle des fonts” dans l’église Saint-Paul.
La disparition du vieux sous-maître clôt définitivement une période de la vie
musicale de la Chapelle du roi. Avec ses successeurs s’ouvre une nouvelle ère,
qui jettera un voile sur les précurseurs tels que Du Mont, les plongeant dans un
regrettable oubli.
LA NAISSANCE DU GRAND MOTET
Dans le domaine musical, les années 1660-1670 sont dominées par la naissance
de deux genres aussi fondamentaux l’un que l’autre : le grand motet et la tragédie
en musique. Si l’un comme l’autre paraissent issus du vaste programme politique
de Louis XIV, tous deux voient en réalité leurs sources bien en deçà de la
volonté royale. Mais sans aucun doute l’impulsion donnée par le roi a largement
favorisé l’éclosion de ces genres. Lully, dont les initiatives sont encouragées à
l’extrême par Louis XIV, est le créateur de la tragédie en musique. Par ailleurs, la
musique religieuse est dirigée, à la Cour, par Henry Du Mont et Pierre Robert.
Mais c’est Henry Du Mont qui reste le principal créateur du genre du grand
motet. La répu tation acquise par Lully grâce à ses œuvres lyriques – et aux privi-
lèges exorbitants accordés au compositeur par Louis XIV – s’est répercutée
inévitablement jusque sur sa musique religieuse. Ses grands motets, comme la
plupart de ses compositions, sont restés en faveur longtemps après sa mort, ce
L. DECOBERT : HENRY DUMONT ET LE GRAND MOTET 131
1 / 26 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !