Au début des années1990, le moins
que l’on puisse dire est que la
Finlande ne se portait pas bien. Le pays
souffrait d’une des pires récessions éco-
nomiques qu’il ait connues dans son his-
toire. Il fallait résoudre le problème d’un
chômage àdeux chiffres et définir l’ave-
nir vers lequel le pays souhaitait s’orien-
ter.La Finlande était àla croisée des
chemins et les problèmes qui se
posaient ne se limitaient pas àun mau-
vais réglage conjoncturel.
Plusieurs raisons expliquent la crise que
traversait alors le pays. La principale était
la chute de l’Union soviétique. La dispa-
rition de l’Urss signifiait des change-
ments profonds dans l’environnement
de la Finlande.Pendant près de cin-
quante ans, l’économie finlandaise avait
reposésur les débouchés que lui four-
nissait l’Urss.Sur le plan politique, les
relations entre les deux pays étaient
savamment organisées selon des règles
précises,au point de fournir au vocabu-
laire de la diplomatie un mot nouveau,
celui de finlandisation. La finlandisation,
c’est un mode de relation dans lequel le
pays dominés’interdit tout commentaire
sur ce qui ce passe chez son puissant
voisin et règle sa diplomatie de façon à
ne jamais se trouver en opposition avec
lui. En échange,il conserve son autono-
mie intérieure.
COMMENT LA FINLANDE
S’EN EST SORTIE ?
L’ habitude des Finlandais de vouloir
respecter leurs engagements et de
préférer l’action aux discours verbeux
et vains a ses avantages et ses inconvé-
nients. En cas de sérieuses difficultés, il
faut constater que les avantages l’em-
portent sur les inconvénients.
Pour sortir de la crise du début des
années 1990, la première réforme a été
d’augmenter considérablement les
dépenses de recherche et de développe-
ment. Cette politique a étéplus qu’un rat-
trapage après des années de vaches
maigres pour les chercheurs. Elle a été
une politique réfléchie et volontariste
tendant àfaire de la Finlande une écono-
mie fondée sur la connaissance. àla fin
des années 1980,la Finlande consacrait
l’équivalent de 1 % de son PIB aux dépen-
ses de R&D.Au milieu des années 1990,
ce taux atteignait 4 %.Cet effort soutenu
n’a jamais étéremis en cause, même au
moment du creux de la vague,en 1991.
Pour compléter cette première réforme,
la Finlande a entrepris simultanément d’a-
méliorer son système scolaire.
La deuxième réforme,qui fut très diffi-
cile àfaire passer sur le plan politique, a
étéla baisse des prestations versées par
le système de sécuritésociale.
La troisième a étéune libéralisation
générale de l’économie.Elle a com-
mencépar le secteur des télécommuni-
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Sociétal N° 52 g2etrimestre 2006
4LIVRES ET IDÉES
4CONJONCTURES
4REPÈRES ET TENDANCES 4DOSSIER
En quoi l’Europe
a changéla Finlande
ALEXANDER STUBB *
Longtemps limitée dans sa liberté d’action par son voi-
sinage avec l’Urss,la Finlande a attendu patiemment le
moment où elle pourrait rejoindre l’Europe.Ce souhait
sentimental de se sentir libre de construire son avenir
avec les autres pays européens s’est doublé de la néces-
sité de trouver des débouchés après l’effondrement
soviétique. Allant jusqu’au bout de sa démarche,la
Finlande est le seul pays nordique à avoir adopté l’euro,
la monnaie de l’Union et la monnaie de son principal
partenaire commercial qui est désormais l’Allemagne.
*Député finlandais au Parlement européen (groupe du Parti populaire européen).Texte en anglais.
Traduction :Sociétal.
LE MODÈLE NORDIQUE
cations puis a été étendue àcelui de la
santé.Les secteurs restés publics ont été
soumis àde nouvelles règles tendant à
reproduire un cadre concurrentiel.
L’idéeétait de renforcer la partie publi-
que de l’économie en l’obligeant àadop-
ter des nouvelles façons de penser et
d’agir.Une des prioritésétait de mont-
rer que l’efficacité économique n’était
pas incompatible avec d’autres objectifs,
comme celui de préserver l’environne-
ment ou de garantir l’égalitéau travail
des différentes communautés (par
exemple des hommes et des femmes).
Un des atouts qui a favoriséle redresse-
ment finlandais est la conviction qui s’est
répandue dans le pays que le fait d’être
petit pouvait être un avantage.Dès lors
que les distances sont courtes, les
échanges sont facilités.Comme la popu-
lation est peu nombreuse,les entrepri-
ses sont de petite taille,si bien que la
bureaucratie y est de faible importance
et l’information y circule rapidement. Les
équipes de recherche sont facilement en
contact les unes avec les autres,les diri-
geants se connaissent tous. L’ambiance
générale qui règne dans l’économie fin-
landaise est un peu celle de coopération
et de stimulation réciproque qui règne
dans un laboratoire.
La Finlande est pauvre en ressources
naturelles et est située plutôtàl’écart des
grandes puissances économiques et politi-
ques. Cela a toujours obligélesFinlandais
àse montrer imaginatifs et ouverts àtous
ceux qui venaient vers eux.
Au début des réformes, le doute sur leur
pertinence était réel. C’est par un dialo-
gue social permanent que les Finlandais
se sont convaincus qu’ils ne pouvaient
pas faire autrement. Ce qui a étéfait
devait l’être et cela a suffi a emporter
l’adhésion des Finlandais. Une fois que
leur conviction est faite,les Finlandais se
montrent en général d’une grande cons-
tance dans leur action et d’une volonté
inébranlable.
REJOINDRE LA FAMILLE
EUROPÉENNE
L’ adhésion àl’Union européenne en
1995 est incontestablement l’événe-
ment majeur de l’histoire récente de la
Finlande. D’autant que la marche àl’inté-
gration européenne a ététrès rapide. En
dix ans,la Finlande est passée d’une situa-
tion où son économie et sa vie politique
étaient déterminées quasi exclusivement
par ce qui se passait en Union
soviétique àune situation où
elle a la même devise que la
France et l’Allemagne et où
elle participe au même titre
que ces deux pays moteurs
de la construction euro-
péenne aux décisions prises à
Bruxelles.Cette évolution n’a
pu avoir lieu àune telle
vitesse que parce que depuis
longtemps les Finlandais
avaient pris l’habitude de pen-
ser en Européens.
Ce besoin d’Europe est non seulement
sentimental mais il correspond àune
nécessité économique. La période qui
sépare la chute de l’Urss de l’adhésion
de la Finlande àl’Union européenne en
1995 compte parmi les plus noires de
son histoire économique.
Compte tenu de la dimension de son
économie,la Finlande sait qu’elle a tout
intérêtàassocier son destin àun ensem-
ble dynamique et significativement plus
important qu’elle.Un temps, l’Union
soviétique a pu jouer ce rôle d’entraîne-
ment. Après sa faillite,elle a dû céder la
place àl’Union européenne en tant que
partenaire privilégiéde la Finlande. Forte
de constat, la Finlande a rejoint l’Europe
avec l’idée qu’aucun membre de l’Union
ne peut assurer durablement sa crois-
sance sans le vaste marchéconstituépar
les autres.Pour les autorités d’Helsinki, il
est clair que la pire attitude pour un pays
européen est de chercher un avantage
immédiat et àcourte vue dans les négo-
ciations de Bruxelles sans voir l’avantage
que peuvent apporter des concessions.
Sans une intégration économique pous-
sée, l’Europe est condamnéeàreculer
face aux grands ensembles asiatiques ou
nord-américain.
àl’attente sentimentale et àla nécessité
économique les Finlandais ajoutent une
troisième justification àleur adhésion à
l’Union européenne. C’est la dimension
politique du projet. Pour avoir étéun
des lieux stratégiques de la guerre
froide, la Finlande sait que la paix n’est
jamais acquise. Si la menace communiste
a disparu, d’autres extrémismes se font
aujourd’hui menaçants,et un petit pays
isolépourrait facilement en
devenir la proie.En tant que
voisins de l’ancienne Union
soviétique,les Finlandais
savent que la libertéest un
bien précieux qu’il faut sau-
vegarder sans faiblir.Ils
savent aussi que les sociétés
qui ignorent la démocratie
et l’état de droit finissent
par sombrer dans la misère.
Enfin, en rejoignant l’Europe,
les Finlandais ont eu l’im-
pression de se donner la possibilitéd’ac-
céder sans entrave àtout un monde de
créativitéculturelle et d’échange d’idées.
On est plus intelligent et plus efficace
quand on peut se mesurer àd’autres
avec comme seul objectif de mieux se
comprendre.
BILAN DE L’ADHÉSION
ÀL’EUROPE
Dans quelle mesure l’adhésion à
l’Europe a-t-elle changéla Finlande,
alors que la faillite soviétique l’avait
déjàcontrainte às’adapter àun monde
nouveau ?
Il est difficile de donner une réponse
claire àcette question. Beaucoup des
changements dus àl’adhésion – négatifs
ou positifs – sont encore probablement
ignorés non seulement du grand public
mais aussi des décideurs et des analys-
tes. Chacun a sa vision des conséquen-
ces des mutations dues àl’Europe et
l’unanimitésur ce sujet est impossible
Ayant toujours militépour cette adhé-
sion,j’ai décidéd’en souligner a priori les
avantages et de donner des exemples
incontestables des bénéfices qu’en a
tirés la Finlande.
Sur le plan économique,les bénéfices de
l’adhésion sont évidents. La Finlande a
trouvédes débouchés importants chez
ses nouveaux partenaires. Pour une
110 Sociétal N° 52 g2etrimestre 2006
4LIVRES ET IDÉES
4CONJONCTURES
4REPÈRES ET TENDANCES 4DOSSIER
LE MODÈLE NORDIQUE
Pour avoir été
un des lieux
stratégiques de
la guerre froide,
la Finlande sait
que la paix
n’est jamais
acquise.
petite économie excentrée comme la
Finlande,la question des débouchés est
essentielle et les nouveaux marchés ainsi
ouvertsàses entreprises ont relancésa
croissance économique.L’adoption de
l’euro a permis d’éliminer tout risque de
change sur des pays aussi important que
l’Allemagne, la France ou l’Italie,et a de
ce fait constituéun facteur de stabilité.
Dans une zone économique de l’impor-
tance de l’Union européenne,la concur-
rence qui s’installe entre les différents
pays conduit àleur spécialisation.La
Finlande,grâce àson effort sur la
recherche et sur l’éducation, s’est spé-
cialisée dans les industries innovantes.
Elle a construit en très peu d’années une
industrie des télécommunications qui
est une référence mondiale.Les indus-
triels finlandais n’ont pu le faire et s’en-
gager dans une telle voie que parce qu’ils
avaient la certitude de pouvoir écouler
avec une certaine sécuritéleurs produits
sur le marchévaste et solvable de
l’Union européenne. C’est grâce aux
économies d’échelle dues àla dimension
du marchéeuropéen que la Finlande a
pu mettre sur pied une des économies
les plus compétitives du monde.
Sur le plan politique, le bénéfice est réel. Il
est d’ailleurs partagé.Grâce àla Finlande,
l’Union européenne a une dimension
nordique.Elle a une frontière avec la
Russie au travers d’un pays qui, dans les
années récentes, a toujours entretenu
avec elle des relations apaisées. Une des
ambitions de la Finlande est d’être un élé-
ment d’équilibre dans la Baltique,jouant
pleinement la solidaritéavec les autres
membres de l’Union européenne qui
bordent cette mer tout en ayant un lien
historique privilégiéavec la Russie.
CULTURE, CUISINE
DEVENIR PLEINEMENT
EUROPÉEN
La Finlande se flatte aujourd’hui de ne
plus être un pays un peu provincial
perdu dans le Grand Nord. La Finlande
est désormais un pays qui compte en
Europe et pour qui l’Europe compte.
Cela se voit non seulement dans les sta-
tistiques mais également dans la vie quo-
tidienne des Finlandais. Ils sont devenus
des Européens àpart entière,passionnés
par tout ce qui se passe dans l’Union.
Ils sont plus tolérants et plus curieux
des autres, et cette évolution n’est
due ni àla ruse des autorités ni àdes
contraintes juridiques pour les changer
mais bel et bien àleur volontéet à
leur enthousiasme.
Leur attitude a changéau fur et à
mesure qu’ils ont voyagéet accueilli des
visiteurs étrangers. Se rendre en vacan-
ces dans un pays de l’Union européenne
est devenu banal au point qu’en 2004,
18 % des Finlandais l’ont fait. Dans le
même temps,il est de plus en plus fré-
quent que des touristes viennent en
Finlande.Et le monde des affaires se
déplace énormément. Les autorités
d’Helsinki se félicitent de cette évolution
et cherchent àl’encourager chez les jeu-
nes. 30 000 étudiants finlandais se sont
rendus àl’étranger dans le cadre du pro-
gramme Erasmus et presque autant d’é-
tudiants européens sont venus en
Finlande dans ce même cadre.
Les coutumes européennes pénètrent en
Finlande.La mode, l’architecture, l’urba-
nisme,la gastronomie,tout un monde
nouveau se construit autour de référen-
ces venues de Londres,Milan,Paris ou
Berlin.Des cafés semblables àceux que
l’on trouve dans les capitales européen-
nes se multiplient dans les grandes villes
et une vie nocturne tend às’y développer.
Une chose toutefois demeure:la culture
du respect de l’autre,de l’écoute et de la
curiositéintellectuelle. Selon des rap-
ports récents sur les modes de vie euro-
péens, il y aurait un lien direct entre
l’habitude des jeunes Finlandais de lire
une grande quantitéde journaux et les
résultats particulièrement brillants qu’ils
obtiennent aux tests PISA servant à éva-
luer le niveau scolaire des différents pays.
ÉVITER TOUT RETOUR
AU PROTECTIONNISME
La Finlande a montréces dernières
années qu’un pays excentrépouvait
jouer un rôle non négligeable dans la vie
politique et économique de l’Europe. Il
suffit de vouloir se situer au cœur des
décisions prises en commun et non de
chercher àles fuir.Pour un petit pays, le
Conseil européen et la Commission
sont les éléments-clés du processus de
décision en Europe.Il faut que ces deux
institutions soient puissantes et efficaces
car sinon le pouvoir serait confisquépar
les trois ou quatre pays les plus impor-
tants. Pour la Finlande,plus on avance
vers une Constitution définissant claire-
ment le rôle de chacun, plus on intensi-
fie l’intégration économique,et mieux
l’Europe se porte.
En Finlande, en été,il y a des millions de
moustiques qui font un bruit d’enfer.
Mais ce bruit, on ne peut l’entendre
qu’en Finlande, car ces moustiques sont
en fait minuscules.On peut dire la même
chose de l’Europe.Certains pays peu-
vent faire beaucoup de bruit mais,seuls,
ils sont minuscules et ne peuvent gêner
que leurs voisins. Il est dommage que
certains dirigeants européens aient ten-
dance àl’oublier.Des exemples inquié-
tants de protectionnisme,des discours
nationalistes grandiloquents sont appa-
rus en Europe ces derniers temps.
Certains dirigeants, notamment àla tête
des grands pays, reviennent des Conseils
européens en proclamant devant les
représentants de la presse qui les
accueillent qu’ils ont bien défendu l’inté-
rêt national et qu’ils ont remportéune
grande victoire sur les autres pays. Ils ne
réalisent pas que leur victoire est à
courte vue,qu’elle se fait non seulement
au détriment de leurs partenaires mais
aussi de l’Union tout entière,et qu’ils
finiront eux-mêmes par en subir les
conséquences négatives. Ce genre d’atti-
tude sape la crédibilitéde l’Europe et
menace son existence même.
L’Union européenne est un plus pour
ses membres. Ceux qui ont attendu pen-
dant des années avant de pouvoir la
rejoindre veulent qu’elle vive, car elle
signifie plus de sécurité,plus d’efficacité
économique, plus de puissance politique.
La libre circulation des hommes et des
biens, des capitaux et des idées est
essentielle,elle améliore la vie de tous et
prépare l’avenir.Chaque citoyen euro-
péen de bonne foi peut le mesurer.Il faut
donc aller de l’avant. g
111
Sociétal N° 52 g2etrimestre 2006
EN QUOI L’EUROPE A CHANGÉ LA FINLANDE
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