Repenser la fiscalité : la migration vers les taxes indirectes Le paysage de la fiscalité mondiale subit présentement des changements fondamentaux. Les gouvernements repensent la façon dont les impôts sont perçus. Ces changements ont été entraînés par les rapides progrès technologiques, les nouvelles chaînes d’approvisionnement, la pression générée par les dettes et la surveillance accrue exercée sur les pratiques fiscales des multinationales. Plus que jamais, les entreprises classent la fiscalité en tête de liste de leurs priorités et n’ont d’autre choix que de transformer leurs méthodes en raison des changements radicaux apportés par le projet BEPS de l’OCDE, projet qui s’attaque à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices. Tandis que l’évitement fiscal continue de faire les manchettes, plusieurs grandes réformes portent en fait sur les taxes indirectes. En effet, deux des pays les plus populeux, soit la Chine et l’Inde, envisagent de transformer leurs systèmes de taxes indirectes cette année. La Chine est prête à passer à la dernière étape de sa réforme sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), alors que l’Inde prévoit inaugurer son système longtemps attendu de taxe sur les produits et services (TPS). Tout juste à côté, le Bangladesh planifie quant à lui l’entrée en vigueur d’une nouvelle TVA en juillet. Le Moyen-Orient se dirige également vers des modifications considérables. Afin de générer des revenus supplémentaires et de diversifier l’économie, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – soit l’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Bahreïn et Oman – comptent prélever une TVA dès 2018. Repenser la fiscalité : la migration vers les taxes indirectes Pays transformant leur régime de taxes indirectes ou introduisant la TVA/TPS Chine Inde Porto Rico Koweït Bahreïn Qatar AE Arabie Saoudite Oman Les changements anticipés surviennent à la suite de l’implantation réussie de la TPS en Malaisie le 1er avril 2015 et à l’entrée en vigueur de la TVA prévue le 1er avril 2016 à Porto Rico. L’adoption par Porto Rico est particulièrement importante étant donné qu’elle amènera la TVA aux portes des ÉtatsUnis, le seul membre de l’OCDE sans système de TVA. En effet, même les Bahamas, habituellement considérés comme un « paradis fiscal », ont instauré la TVA en 2015. Certains banaliseront cet essor des taxes indirectes, les considérant comme une simple ponction fiscale, alors que plusieurs raisons peuvent expliquer cette tendance. Cet article se penche sur les raisons principales justifiant la migration mondiale vers les taxes indirectes. 2 La migration vers les taxes indirectes transformera la façon dont les entreprises exercent leurs activités dans ces pays. Vous devrez commencer à réfléchir aux différentes conséquences financières et opérationnelles que la mise en œuvre de la TVA pourrait entraîner et aux mesures à prendre pour vous y préparer. Vous devrez très probablement : •revoir vos procédures relatives aux risques liés aux taxes indirectes/élaborer un cadre de gestion des risques efficace relativement à la TVA; • comprendre les exigences et les seuils pour l’inscription à la TVA; • revoir des contrats pour vous assurer que les clauses relatives à la TVA/TPS sont appropriées et correctement incluses; • revoir les chaînes d’approvisionnement pour vous assurer de minimiser les incidences de la TVA/TPS sur vos activités; • veiller à ce que la gestion de la TVA soit confiée à du personnel formé adéquatement en matière de conformité; • vous assurer que les systèmes de progiciels de gestion intégrée (PGI) sont à jour et peuvent traiter des processus de transactions complexes. Bangladesh Repenser la fiscalité : la migration vers les taxes indirectes Définir les taxes indirectes Plus que jamais, les gouvernements misent sur les taxes indirectes pour générer des recettes fiscales. Aujourd’hui, la TVA, la forme de taxes indirectes la plus prisée, compte pour environ 20 % des recettes fiscales mondiales1, et ce chiffre ne cesse d’augmenter. La migration vers ces taxes indirectes modifie la façon dont nous considérons l’imposition elle-même. L’imposition n’est plus seulement une affaire de profits, de revenus et de fortune. Elle concerne les transactions, la production et la distribution. Formes de taxes indirectes : • taxe sur la valeur ajoutée • taxe sur les produits et services • taxe de vente • taxe d’accise • droits de douane et d’entrée. Les taxes indirectes peuvent être définies comme une catégorie d’impôts qui ne sont pas seulement perçus directement auprès de la personne qui porte le fardeau économique ultime de l’impôt2. La TVA est une taxe à plusieurs étapes perçue sur la valeur ajoutée des produits, au fur et à mesure qu’ils passent les différentes étapes de la production et de la distribution, ainsi que sur la valeur ajoutée des services lorsqu’ils sont fournis. La TVA est une taxe sur la consommation, ce qui signifie que le coût ultime de la taxe sera supporté par les clients finaux. Bien que la TVA soit en général considérée comme une taxe neutre pour la plupart des entreprises, elle ne devrait pas être considérée comme une priorité moins importante par le service de fiscalité d’une entreprise. C’est l’entreprise qui supporte ultimement le risque de non-conformité. Une entreprise agit à titre de percepteur de la taxe non rémunéré pour le compte de l’administration fiscale, et elle peut recevoir des avis de cotisation, des pénalités et des intérêts pour ne pas avoir perçu suffisament de TVA ou en raison de crédits de taxe sur les intrants incorrects. OCDE, Consumption Taxes Trends 2014, Éditions OCDE, 2014. Pinsent Masons, Gulf states to introduce VAT by 2018, 15 janvier 2016. 5 Arabian Business, “UAE could earn $3bn when VAT is introduced in 2018, says official”, 14 janvier 2016. Pourquoi ce changement? Augmentation des revenus La TVA génère des revenus importants pour les gouvernements. Les chiffres sont impressionnants. En moyenne, elle compte pour 6,6 % du produit intérieur brut (PIB) parmi les pays de l’OCDE3, et pour environ 7,5 % du PIB parmi les États membres de l’Union européenne (UE). Aperçu : pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) Les membres du CCG ont énormément misé sur le secteur pétrolier et gazier pour promouvoir la croissance économique. Au cours de la dernière décennie, les hydrocarbures ont représenté presque 90 % des revenus du budget pour la plupart des membres du CCG. L’instauration de la TVA dans la région permettra aux membres du CCG d’augmenter leurs revenus, de diversifier leur économie et de réduire leur dépendance indue au pétrole et au gaz à l’avenir. Les Émirats arabes unis (AE) devraient percevoir de 10 à 12 millards de dirhams en recettes4 au cours de la première année de mise en œuvre5, alors que l’Arabie saoudite devrait accumuler 35 milliards de rials saoudiens (1,2 % du PIB). « Bien que la date d’entrée en vigueur de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) n’ait pas encore été confirmée, les États du CCG ont fait un pas de plus vers la réforme fiscale. On dit que d’ici les trois prochaines années, toutes les nations du CCG auront implanté la TVA, ce qui entraînera inévitablement un changement. Le conseil a confirmé qu’il y aura une période d’exonération de 18 à 24 mois sur les soins de santé, l’éducation et les services sociaux, et que 94 aliments devraient être exonérés de taxe. La transition bilatérale vers la réforme fiscale devrait permettre de générer des recettes publiques supplémentaires et de renforcer l’économie pour les générations à venir. » Hisham Farouk, chef de la direction, Grant Thornton, Émirats arabes unis 1-3 4 3 5 Repenser la fiscalité : la migration vers les taxes indirectes La taxe qui favorise la croissance Tendance à la baisse des taux d’imposition La TVA est souvent décrite comme une taxe « efficace » et « favorable à la croissance ». Selon le Fonds monétaire international (FMI), les taxes à la consommation globales ont l’avantage de ne pas décourager les décisions liées à l’épargne et aux investissements6. Par contre, toujours selon le FMI, les impôts sur les bénéfices ont tendance à nuire à deux des facteurs les plus importants contribuant à la croissance des entreprises : les investissements en capital et l’amélioration de la productivité7. D’autres études ont montré que les impôts sur les bénéfices peuvent réduire l’investissement direct étranger8. Les taux d’imposition sur les bénéfices ont fortement chuté au cours des deux dernières décennies. Au début des années 1980, le taux moyen parmi les pays de l’OCDE était de 47,5 %9. Aujourd’hui, le taux d’imposition moyen a pratiquement été réduit de moitié. Une des principales raisons de cette diminution spectaculaire est la tendance à la baisse des taux d’imposition. Afin d’attirer les flux de capitaux et les bénéfices des multinationales, les pays se concurrencent en rendant leurs systèmes fiscaux plus attrayants, ce qui implique en général une réduction de leurs taux d’imposition sur les bénéfices. Alors que l’entrée de capitaux a une incidence positive sur l’économie d’un pays, la baisse des taux d’imposition sur les bénéfices nuit assurément aux recettes fiscales du gouvernement. Afin de combler ce trou béant, les gouvernements ont porté leur attention sur les taxes à la consommation, surtout la TVA. Croissance de l’économie numérique À l’échelle mondiale, les gouvernements cherchent de plus en plus de façons de taxer l’économie numérique, là où la consommation est grandissante. Cette recherche n’a pas été alimentée seulement par un besoin d’augmenter les revenus, mais également par la volonté d’« uniformiser les règles du jeu » entre la prestation de services numériques par des résidents et par des nonrésidents. Cette tendance a débuté en 2003 lorsque l’UE a adopté des règles spécifiques d’imposition des services offerts par des non-résidents. Depuis, la liste des pays ayant une législation similaire s’allonge, notamment avec l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Norvège et le Japon. Le gouvernement australien a récemment mis en place des mesures visant à combler « l’écart » de revenu issu de la croissance de l’économie numérique alimentée par les consommateurs. Les modifications proposées aux dispositions sur la TPS obligeront les fournisseurs de services numériques ou incorporels qui résident dans une autre juridiction à facturer et à percevoir la TPS sur les services offerts aux consommateurs australiens à compter de juillet 2017. Fonds monétaire international, Growth-Friendly Fiscal Policy. Ibid. Dana Hajkova et collab., Taxation and Business Environment as Drivers of Foreign Direct Investment in OECD Countries’ (Economic Studies No 43), OCDE, 2006). 9 OCDE, Consumption Taxes Trends 2014, Éditions OCDE, 2014. 6 7 8 4 Europe Il est possible que la transition vers les taxes indirectes s’accélère en Europe. Actuellement, la Commission européenne exerce des pressions pour instaurer un régime d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS). Selon la proposition, les sociétés européennes seraient tenues de calculer leurs impôts à payer en se référant à un ensemble unique de règles. Essentiellement, les États membres continueront d’être libres de fixer leurs propres taux d’imposition sur les bénéfices. Le régime proposé d’ACCIS devrait ultimement entraîner des taux d’impôt plus bas pour les sociétés puisque les États membres voudront demeurer compétitifs et contrer l’homogénéité des règles fiscales. Cela pourrait potentiellement accroître la prépondérance de la TVA dans la région, puisque les États membres chercheront à remplacer les recettes fiscales « perdues » en provenance des sociétés. Repenser la fiscalité : la migration vers les taxes indirectes Oublions le passé, misons sur la nouveauté Ce ne sont pas toutes les taxes indirectes qui sont « efficaces » et « favorables à la croissance ». De nombreuses formes de taxes indirectes peuvent entraîner des pertes de recettes, une inefficacité économique et une double imposition. Une des principales raisons justifiant le passage actuel à la TPS en Inde et à la TVA en Chine est l’élimination de ces problèmes. Inde Cadre actuel En Inde, les impôts sont actuellement à plusieurs palliers. À l’échelle nationale, le gouvernement central perçoit différentes formes de taxes indirectes, notamment la taxe d’accise (CENVAT) (à confirmer), la taxe de vente centrale et la taxe sur les services. À l’échelle des États, le gouvernement perçoit la TVA, les droits indirects de l’État, et le droit de douane, entre autres. Pourquoi? Le gouvernement indien a justifié l’instauration d’un système de TPS par le fait qu’il supprimera le fardeau des « taxes sur les taxes» qui prévaut au niveau central et à celui des États. Statut La « loi sur la TPS » a été adoptée par la chambre basse du Parlement et le gouvernement est impatient d’assurer son adoption à la chambre haute au début 2016. La mise en œuvre projetée d’avril 2016 sera probablement repoussée en 2017. Porto Rico Cadre actuel La taxe de vente et d’utilisation est la principale taxe indirecte à Porto Rico. C’est une taxe sur la vente et l’utilisation de biens corporels et de services prélevée au consommateur final en fonction du prix de vente. Chine Cadre actuel Depuis 1994, deux systèmes principaux de taxes indirectes coexistent en Chine. La taxe professionnelle (TP) est perçue par les gouvernements locaux sur la prestation de la plupart des services et sur le transfert des actifs incorporels et des biens immobiliers. La TVA chinoise est perçue par le gouvernement central sur la vente et l’importation de biens corporels et sur la prestation de services de traitement, de réparation et de remplacement. Pourquoi? Le 1er janvier 2012, un programme pilote a été mis en place en Chine pour remplacer la TP par la TVA dans certaines industries et certains secteurs. Ce programme pilote était le début d’un processus visant à remplacer le double système de taxes indirectes existant et à appliquer la TVA à tous les secteurs des biens et services. En vertu du régime de TP existant, une entreprise ne peut demander une compensation pour la TVA déboursée, ce qui entraîne donc une double imposition; le gouvernement a poursuivi les réformes en matière de taxes indirectes afin d’éliminer cette inefficience. Statut Les services financiers et les services des secteurs de l’assurance, de l’immobilier, de la construction et du tourisme n’ont pas encore fait la transition vers la TVA. Il a été annoncé récemment que ces services passeront à la TVA le 1er mai 2016. En général, la réglementation est publiée près de la date d’entrée en vigueur. Par conséquent, les entreprises doivent surveiller les mises à jour et se préparer. Pourquoi? La TVA est instaurée dans le cadre d’un ensemble plus large de réformes fiscales visant à régler la crise de l’endettement en cours dans le pays. Statut L’entrée en vigueur de la TVA a été repoussée au 1er juin 2016. Le taux applicable sera de 10,5 %. Les directives précises sur les exigences liées aux déclarations fiscales et sur le fonctionnement des crédits relatifs au régime de TVA n’ont pas encore été publiées par le ministère des Finances portoricain. Les entreprises doivent surveiller les mises à jour. 5 Repenser la fiscalité : la migration vers les taxes indirectes Les changements surviennent pour plusieurs raisons et les gouvernements s’orientent vers les taxes indirectes. Avec ces changements importants, vous et votre entreprise devez surveiller activement les mises à jour et vous préparer en conséquence lorsque vous exercez ou étendez vos activités à l’étranger. Notre prochain article « Soyons clairs : les taxes indirectes sont un enjeu commercial » vise à traiter en détail des défis commerciaux et opérationnels de l’imposition indirecte. Si vous souhaitez discuter des sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Maryse Janelle, associée du service des taxes à la consommation chez Raymond Chabot Grant Thornton, à l’adresse [email protected]. www.grantthornton.global © 2016 Grant Thornton International Ltd. « Grant Thornton » fait référence à la marque sous laquelle les cabinets membres de Grant Thornton fournissent des services en certification, en fiscalité et en conseils à leurs clients et/ ou fait référence à un ou plusieurs cabinets membres, comme l’exige le contexte. « GTIL » fait référence à Grant Thornton International Ltd (GTIL). GTIL et chaque cabinet membre de GTIL est une entité juridique distincte. 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