2- La réflexion philosophique doit en tout temps jaillir de la source originelle du moi et tout homme doit
s’y livrer lui-même.
Un signe admirable du fait que l’être humain trouve en soi la source de sa réflexion philosophique, ce
sont les questions des enfants. On entend souvent de leur bouche des paroles dont le sens plonge
directement dans les profondeurs philosophiques. En voici quelques exemples : l’un dit avec
étonnement ; »j’essaie toujours de penser que je suis un autre, et je suis quand même toujours moi ». Il
touche ainsi à ce qui constitue l’origine de toute certitude, la conscience de l’être dans la conscience de
soi. Il reste saisi devant l’énigme du moi, cette énigme que rien ne permet de résoudre. Il se tient là,
devant cette limite, il interroge. Un autre qui écoutait l’histoire de la genèse : »au commencement, Dieu
créa le ciel et la terre »demanda aussitôt : »qu’y avait- il avant le commencement ? »Il découvrait ainsi
que les questions s’engendrent à l’infini, que l’entendement ne connait pas de bornes à ses
investigations et que pour lui il n’est pas de réponse vraiment concluante. ( …)
3 -Une recherche philosophique jaillie de l’origine ne se manifeste pas seulement chez les petits mais
chez les malades mentaux. Il semble parfois-rarement- que chez eux le bâillon de la dissimulation
générale s’est relâché, et nous entendons alors parler la vérité. Au stade où des troubles mentaux
commencent à se manifester, il arrive que se produisent des révélations métaphysiques saisissantes.
Leur forme et leur langage, il est vrai, ne sont pas tels que, publiées, elles puissent prendre une
signification objective, à moins de cas exceptionnels comme celui du poète Hölderlin ou du peintre Van
Gogh. Mais lorsqu’on assiste à ce processus, on a malgré soi l’impression qu’un voile se déchire, celui
sous lequel nous continuons, nous, notre vie ordinaire. (…)
4- L’homme ne peut se passer de philosophie. Aussi est –elle présente, partout et toujours, répandue
dans le public par les proverbes traditionnels, les formules de la sagesse courante, les opinions admises,
comme également le langage des gens instruits, les conceptions politiques, et surtout, dès les premiers
âges de l’histoire, par les mythes. On n’échappe pas à la philosophie. La seule question est de savoir si
elle est consciente ou non, bonne ou mauvaise, confuse ou claire. Quiconque la rejette affirme par là une
philosophie, sans en avoir conscience.
Qu’est- ce que cette philosophie, si universelle et qui se manifeste sous des formes aussi étranges ? Le
mot grec « philosophe »(philosophos) est formé par opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le
savoir, par différence avec celui qui, possédant le savoir se nomme savant. Ce sens persiste encore
aujourd’hui : l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa possession, même si elle
se trahit elle-même, comme il arrive souvent, jusqu’à dégénérer en dogmatisme, en un savoir mis en
formules, définitif, complet, transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie, c’est être en
route. Les questions en philosophie, sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient
une nouvelle question. (…)
Considérons un peu quelle est notre condition, à nous, hommes. Nous nous trouvons toujours dans des
situations déterminées. Elles se modifient, des occasions se présentent. Quand on les manque, elles ne
reviennent plus. Je peux travailler moi-même à changer une situation. Mais il en est qui subsistent dans
leur essence, même si leur appartenance momentanée se modifie et si leur toute puissance se dissimule
sous un voile : il me faut mourir, il me faut souffrir, il me faut lutter ; je suis soumis au hasard, je me