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AVANT-PROPOS
J’ai commencé ce travail en 1994 dans la foulée d’un DEA qui traitait de
l’Incidence de la notion de troupe sur la pratique théâtrale. Le DEA prenait
largement appui sur ma participation comme observateur à la première saison de
la troupe de la Comédie de Reims. Son directeur, Christian Schiaretti, avait non
seulement eu la gentillesse de m’ouvrir en grand les portes des répétitions, mais il
me donnait encore la possibilité de vivre une première expérience
«professionnelle». Depuis, je n’ai pas cessé de mener de front pratique théâtrale
professionnelle et recherche universitaire, ce qui explique en grande partie
l’étalement de mes travaux. Je ne pouvais pas d’ailleurs envisager d’étudier la
dynamique du processus théâtral sous l’angle de la permanence artistique, sans
expérimenter de l’intérieur les contraintes de production du champ théâtral
«institutionnel». Cela m’a conduit à définir une méthodologie qui n’avait pas
grand chose à voir avec ce que je pouvais vivre au contact des plateaux, mais qui,
paradoxalement, me semblait décrire assez précisément la manière dont le travail
s’organisait dans le spectacle vivant. L’approche de la permanence artistique
selon cette méthodologie me donnait, en outre, les moyens d’appréhender les
contraintes de fonctionnement spécifiquement induites par la création théâtrale.
C’est ainsi que ce mémoire se présente en deux parties, que nous avons voulues
autonomes sur le plan de la lecture. D’un côté, les annexes présentent les détails de
l’analyse de plusieurs expériences théâtrales notoirement fondées sur la
permanence artistique. Assez méfiant par nature quant à l’objectivité de réflexions
qui escamotent la démonstration de leurs postulats, j’ai souhaité offrir au lecteur
(et au chercheur) la possibilité de construire ses propres explications à la
succession des phénomènes observés. Je conseille notamment de prendre le temps
de consulter la méthodologie d’approche des exemples, exposée en annexe 1. D’un
autre côté, le corps de la thèse met en perspective ces exemples afin de comprendre
l’évolution historique des formes de permanence artistique. Malgré son autonomie,
j’ai écrit cette partie en ayant constamment en tête les résultats acquis dans les
annexes. Et souvent, seuls les noms des metteurs en scène y sont cités, et seuls leurs
écrits y sont confrontés à des faits que j’ai pourtant établis en étudiant le parcours
de l’ensemble des comédiens. Il ne faut alors pas oublier que le nom du metteur en
scène sert ici d’emblème au travail d’une équipe, et que ses écrits sont considérés
comme le témoignage d’un porte-parole, et non comme le discours d’un créateur-
démiurge. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que nous avons volontairement
évité d’interviewer directement les metteurs en scène sur leur travail (Roger
Planchon, Jean-Pierre Vincent ou encore Christian Schiaretti), afin de contourner
cette subjectivité insidieuse du regard rétrospectif sur l’œuvre accomplie. Tous les
écrits utilisés ont d’ailleurs été systématiquement cités dans le strict respect de la
chronologie des événements étudiés.
Le titre du présent mémoire est volontairement plus général que celui de mon
DEA, car j’ai dû substituer à la notion ambiguë de troupe, celle de permanence
artistique, précisément définie par degrés sur une échelle. J’ai aussi abandonné
l’idée fallacieuse d’«incidence» sur la pratique théâtrale, pour me limiter à la