parlé à la fois aux juifs et aux autres. Un judaïsme de l'esprit, de l’errance et de l'inachèvement». Dans ses
dernières pages, ce Moïse fragile insuffle de sa force aux lecteurs juifs ou non. Il réchauffera aussi
des passions refroidies, ou repues, pour les textes bibliques.
Bernard Roussel
Regards, juillet 2015
Il fallait que l’auteur fût un éminent savant en matière de judaïsme pour nous donner aujourd’hui
un essai d’apparence aussi simple, limpide, lisible sur le prophète Moïse. Une sorte de biographie
(l’ouvrage vient d’obtenir le prestigieux Goncourt de la biographie, prix amplement mérité en
raison de ses qualités de lisibilité, justement, de savoir et d’intelligence). Mais une biographie
commentée, expliquée à ceux d’entre nous qui sont les plus éloignés des sources juives, bibliques
et rabbiniques.
Aucun épisode de la geste de Moïse n’échappe à Jean-Christophe Attias. Pour chacun d’eux, il a
recours aux diverses interprétations (le Midrash et Rashi bien sûr). Il tente de démêler les
obscurités, les énigmes, les contradictions, les répétitions dont le texte regorge pour nous amener
au plus près de la vérité du sens, sans rien omettre des difficultés du texte. Il se fait candide, alors
qu’il ne l’est pas du tout. C’est là sa botte secrète. L'accent est mis ici sur l’humanité de Moïse, et
même sa « fragilité». D’où le titre, surprenant au premier abord. Le parti d’Attias (qui n’est pas un
parti-pris) est de nous rendre Moïse plus proche, accessible, d’en faire un homme comme nous,
mortel, incomplet. Et modeste. Moïse, comme d’autres prophètes (qu’on songe à Jonas), ne se
juge pas taillé pour ce rôle écrasant. Il est pris entenaille entre un Dieu intransigeant et un peuple
« humain, trop humain », qui a faim, qui a soif, qui en a marre d’errer, qui a la nostalgie de sa terre
d’esclavage... La première limite humaine de Moïse est aussi sa dernière épreuve : il ne lui sera pas
donné de franchir le Jourdain, d’accéder en Canaan, Terre promise où Dieu pourtant lui avait
ordonné de conduire Israël.
C’est son inachèvement même qui fait sa grandeur. Il n’est pas un père (pas de descendance
prestigieuse), mais un maitre, et un maitre bègue. Comme il est écrit : sa bouche est pesante et sa
langue est pesante. Il a besoin d’un frère, Aaron, pour parler à sa place. Son identité même est
ambiguë, on le présente comme un « homme égyptien ». Ainsi l’appelle Jethro, le père de
Séphora. Il revendique sa faiblesse face au peuple rebelle, et Dieu lui accorde 70Anciens pour le
seconder. Enfin, il réclame la mort, demande à Dieu d’être « effacé de Son Livre ». Mais Dieu ne
l’entend pas de cette oreille. Il sait quand et où il le fera mourir : à 120 ans, devant Canaan, et
c’est Josué qui va conquérir la Terre promise…