L`Église et la doctrine - Canadian Council of Churches

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ŒCUMÉNISME
Automne/Hiver 2010
45e année, no 179-180, pp. 5-59.
L’Église et la doctrine:
Une réponse à Dieu qui tend la main à l’humanité par Jésus
Christ
Photo de groupe des membres de la Commission Foi et témoignage, avec l’aimable autorisation du
Conseil canadien des Églises.
ŒCUMÉNISME
Revue trimestrielle publiée par le Centre canadien d’œcuménisme, au service de l’unité
Chrétienne et du rapprochement interreligieux. Tout en gardant le titre Œcuménisme,
cette revue fait la distinction entre les relations œcuméniques (inter-Églises) et les
relations interreligieuses, vu la différence entre leurs objectifs respectifs.
1819, boul. Réné-Lévesque ouest. #003, Montréal, QC, H3H 2P5
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$35 et plus; prix d’un numéro – $5
Numéro international des publications en serie: ISSN 0383-4301X
Convention de la Poste-publications: 40036616
Dépôt légal: Bibliothèque nationale du Québec; Bibliothèque nationale du Canada
N.D.L.R.: Les articles publiés dans Œcuménisme n’engagent que la responsabilité de
leurs auteurs. Autorisation de reproduire les articles en entier ou en partie, à la condition
d’en indiquer la provenance.
Ecumenism is also published in English.
Rédacteur de ce numéro:
Responsable de la production:
En bref et ressources:
Traduction:
Abonnements:
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James Pedlar
Ann Herbert
Bernice Baranowski
Helen Mukabadege
Belva Webb
Natacha Roussy
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Table des matières
Églises et doctrines
4
La Commission Foi et Témoignage
5
Introduction aux documents de travail sur la doctrine
7
Tradition, dogme et doctrine dans l’Église orthodoxe en Amérique
Paul Ladouceur
11
Notes sur la doctrine, la tradition et le dogme dans l’Église Catholique
Sylvain Destrempes et Gilles Mongeau, S.J.
17
Le développement de la doctrine anglicane
Ian Ritchie
22
La doctrine dans la tradition baptiste
Rev. Kevin Smith
27
La Société religieuse des Amis (Quakers) « Être doctrine dans le monde »
Keith R. Maddock
31
La Doctrine, le Dogme et les Disciples
Neil Bergman
33
La doctrine dans l’Église Unie du Canada
Dr. Gail Allan et Rev. Dr. Margaret Trapnell
36
La doctrine dans la tradition de l’Armée du salut
Major Kester Trim et James E. Pedlar
42
Les mennonites, la doctrine et les credos
Arnold Neufeldt-Fast
47
Réflexions sur une approche luthérienne de la doctrine, de la Tradition et de la
Révélation
Richard Crossman
52
La doctrine dans l’Église presbytérienne au Canada
Tim Purvis
55
Le dogme et la doctrine des Églises chrétiennes réformées d’Amérique du Nord
Dr. M. Elaine Botha
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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La Commission Foi et Témoignage
Conseil canadien des Églises
Depuis 1950, la Commission Foi et Témoignage invite les Églises membres du Conseil
canadien des Églises à l’étude de la théologie afin de promouvoir une plus grande
compréhension de notre foi commune et fournir un témoignage œcuménique de la mission du
Christ dans le monde.
Le Conseil canadien des Églises fonctionne sous forme d’un « forum » où toutes les voix ont de
l’importance et sont égales. Nous attendons des Églises membres – et de leurs représentants au
sein de la direction – qu’elles apportent à la table œcuménique le témoignage le plus complet
possible de la vérité de l’Évangile, telle que leur tradition la comprend. Tous les participants,
dans quelque action œcuménique que ce soit, ne parlent et ne s’engagent que selon la voix
authentique de leur propre Église. Les initiatives qui obtiennent un consensus de 100 pour cent
peuvent agir en tant qu’initiatives communes de quelques Églises membres. Même les débats où
il y a de forts désaccords sont vus comme des expériences œcuméniques importantes parce
qu’ils permettent aux Églises membres de se comprendre les unes les autres.
Par les représentants des Églises membres, la Commission Foi et Témoignage constitue un
forum où les Églises se rencontrent et partagent une réflexion théologique. Les questions à
l’étude peuvent venir d’une décision des membres eux-mêmes, de l’actualité ou d’autres
groupes du CCE. Les sujets théologiques abordés au cours des dernières années sont le
baptême, la souffrance et l’espoir, être disciple et la vie chrétienne, et l’anthropologie biblique.
La Commission se penche aussi sur les préoccupations sociales comme les questions de fin de
vie.
Comme fruit du dialogue entre ses membres, la Commission publie des ressources et accueille
des colloques ou des conférences. Les publications récentes sont : Le roseau meurtri : une
réflexion chrétienne sur la souffrance et l’espoir (2010); Liturgies for Christian Unity: The First
Hundred Years, 1908-2008 (2008) ; et Becoming Human: on Theological Anthropology in an
Age of Engineering Life (2004). Chaque année, Foi et Témoignage coordonne et publie la
documentation canadienne pour la Semaine de prière pour l’unité chrétienne. Elle coordonne le
comité consultatif sur la gestion des urgences. La Commission apporte aussi son aide à la
participation des Églises au dialogue interreligieux, particulièrement en participant au Groupe
consultatif interreligieux et en travaillant avec des groupes interreligieux nationaux. Par sa
participation au Groupe de référence en biotechnologie, Foi et Témoignage contribue à la
formation sur des sujets à portée éthique comme la génétique et la xénogreffe.
Les membres de la Commission sont présentement engagés dans un dialogue sur le sens du
salut et de la vie chrétienne, afin de pouvoir répondre à la question « Pourquoi être chrétien ? »
dans notre contexte social contemporain. Quinze dénominations chrétiennes font actuellement
partie de la Commission.
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Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Conseil canadien des Églises
Introduction aux documents de travail sur la doctrine
Au printemps 2007, la Commission Foi et
Témoignage du Conseil canadien des Églises
a entrepris un dialogue de trois ans sur la
nature et le rôle de la doctrine dans la vie des
Églises membres. Au cours de ces trois
années, des représentants des Églises
membres ont présenté des documents de
travail sur la nature et le rôle de la doctrine ou
du dogme dans leurs Églises respectives. Ils
ont été initialement guidés par quatre grandes
questions :
1. Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine
dans votre tradition ?
2. Que considère-t-on comme des
déclarations doctrinales ?
3. Qui est autorisé à faire des déclarations
doctrinales ?
4. Quelle est la relation entre la doctrine et
la révélation ?
À mesure que s’approfondissait l’expérience
du dialogue, trois nouvelles questions
commencèrent à prendre forme :
5. Quel est le point de vue de votre
tradition sur les sept premiers conciles
œcuméniques ?
6. Comment votre tradition comprend-elle
la crédibilité de l’Écriture ?
7. Quelles sont les convictions communes
sans lesquelles la mission de l’Église
serait sérieusement compromise ou même
rendue impossible ?
Les documents réunis dans ce volume sont
des présentations personnelles par des
membres de la Commission, qui ont servi de
base aux très riches discussions au cours de la
période d’étude. Le style et la méthode de
chaque auteur reflète la nature de sa tradition,
le point où en était rendue la discussion et la
manière dont le dialogue lui-même tend à
enrichir
l’autocompréhension
des
participants. Certains documents ne traitent
que des questions originales, alors que
d’autres, soumis plus tardivement, traitent
aussi de quelques-unes ou de toutes les trois
nouvelles questions. Certains auteurs, venant
de traditions qui se considèrent « sans
credo », ont été étonnés de découvrir qu’ils
avaient tout de même une importante
contribution à apporter à partir des
« doctrines » implicites de leurs propres
communautés. Des membres de traditions
fortement liées à des déclarations doctrinales
ont appris que nombre de communautés
chrétiennes engagées fonctionnent sans credo
officiel.
Pour une certaine approche au dialogue, le
fait que tous n’ont pas répondu aux mêmes
questions pourrait représenter une limite,
mais, loin d’être une limite, cette variété de
styles, de contenu et de méthodes nous a
donné une nouvelle compréhension de la
riche « écologie » des Églises chrétiennes au
Canada.
Nous devons reconnaître que, sur la base de
ce dialogue, la Commission n’est pas
parvenue à des positions communes sur la
doctrine. Néanmoins, certaines convergences
intéressantes et fructueuses ont émergé qui
méritent d’être étudiées davantage. Si nous
définissons la doctrine de manière large et
efficace comme « ce qu’une Église doit
enseigner
aujourd’hui
pour
être
authentique », alors tous les auteurs
s’entendent pour dire que les « doctrines »
sont le fruit de notre tentative de traduire en
mots humains l’expérience de la volonté et de
la sagesse divines. La doctrine est, dans ce
sens, une réponse à Dieu qui rejoint
l’humanité à travers Jésus Christ. Bien qu’il y
ait peu de choses explicitement communes
dans les contenus doctrinaux spécifiques des
Églises membres, ou sur le rapport de la
doctrine à l’Écriture, à l’autorité et à
l’expérience chrétienne au cours des siècles,
les articles saisissent un certain nombre de
similitudes remarquables dans le processus et
les efforts pour formuler la doctrine.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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Chaque Église membre maintient la nécessité
d’une doctrine, explicite ou implicite, comme
point de référence. Dans tous les cas, il y a un
ou plusieurs documents qui exposent cette
doctrine, bien que l’autorité et la forme de ces
documents varient grandement. Dans tous les
cas, l’Écriture, la tradition, la raison et
l’expérience religieuse interagissent d’une
certaine manière dans l’émergence d’une
doctrine. De même, le rôle d’une certaine
forme de réception par la communauté des
croyants est une forte composante de toutes
les traditions représentées. En définitive, les
auteurs des articles s’entendent pour dire que
la plénitude de la vérité existe en Dieu seul et
que la vérité des doctrines est eschatologique,
c’est-à-dire orientée vers la plénitude finale.
Il y avait, naturellement, de profondes
divergences sur la formulation de la doctrine
de manière appropriée, sur l’autorité qui
fonde un enseignement authentique, sur la
hiérarchie des vérités à l’intérieur de la
doctrine, sur le rapport spécifique entre la
doctrine et la révélation, sur la nature de
l’autorité de la doctrine dans la vie des
chrétiens et des communautés, et sur la
diversité des personnes et des situations
auxquelles la doctrine s’applique.
La seule doctrine acceptée par toutes les
Églises représentées est que la foi en Jésus
Christ comme Sauveur est la base de toutes
les autres doctrines, bien qu’il y ait des
différences dans la conception que chacune se
fait de la manière dont la doctrine vient de la
foi au Christ comme fondement du
christianisme.
Cette
convergence
fondamentale soulève un point important
concernant le processus du dialogue au cours
des trois dernières années : bien qu’il y ait
certaines similitudes et de vastes divergences
au niveau des idées et des définitions, une
étude de l’ensemble des articles révèle une
gestalt esthétique-dramatique ou existentielleexpérientielle significative qui les tient
ensemble : toutes les interventions soulignent
la réalité vivante et dynamique de Dieu
œuvrant dans l’histoire à travers Jésus Christ
et l’Esprit Saint, comme fondement de la
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doctrine. La doctrine existe ; elle doit être ;
c’est la vérité mise en pratique et incarnée
dans des personnes et des communautés.
Même les traditions qui ont un minimum de
documents doctrinaux, ou même aucun qui
soit officiel, expriment un lien vivant au
Christ, une expérience de l’Esprit Saint qui
donne forme à la vie chrétienne et à la
communauté chrétienne, et la signification du
culte et du service du récit évangélique dans
toute sa richesse. Elle suppose une vivante
découverte de l’Esprit Saint en notre temps,
montrant le Christ, Verbe fait chair. C’est un
exemple frappant de l’adage lex orandi, lex
credendi. À l’intérieur de cette gestalt, cette
forme concrète-existentielle de la doctrine
comme praxis du culte et du service,
d’importants thèmes et relations reviennent
comme une sorte de refrain : la doctrine
comme exégèse de l’Écriture, la doctrine
comme expression de la révélation ; la
proportion ou disproportion « sacramentelle »
ou « iconique » entre les mots humains et la
vérité divine ; la doctrine comme confession
de foi et de culte.
Ces thèmes et relations pourraient servir de
point de départ pour de futurs dialogues
bilatéraux. Nous avons découvert des secteurs
où un accord potentiel pourrait être cherché,
exploré et testé, « éprouvé » par le feu d’un
échange plus ciblé entre deux partenaires
œcuméniques. En ce sens, nous offrons nos
efforts comme une sorte de défrichage, dans
le style des encyclopédies médiévales ou des
anthologies d’adages patristiques qui
recueillaient les données d’où sont issus les
grands développements théologiques d’Orient
et d’Occident.
La Commission Foi et Témoignage a formé
un sous-comité de rédaction pour préparer les
documents de travail présentés au cours de
l’étude de la question de la doctrine. Les
membres du sous-comité présentent ces
remarques d’introduction comme orientation
du recueil de documents de travail.
Paul Ladouceur (orthodoxe)
Gilles Mongeau, S.J. (catholique)
Arnold Neufeldt-Fast (mennonite)
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Tradition, dogme et doctrine dans l’Église orthodoxe en
Amérique
Paul Ladouceur
Dr M. Paul Ladouceur est un théologien et écrivain orthodoxe qui réside à
Québec. Canada. Il enseigne la théologie et la spiritualité orthodoxes à
l’Université de Sherbrooke et au Trinity College, Université de Toronto. Il
est responsable du site francophone Pages orthodoxes La Transfiguration et
du bulletin électronique Lumière du Thabor. Il a écrit plusieurs livres et un
certain nombre d’articles sur l’orthodoxie.
« Garde le dépôt » 1 Tm 6,20
« La tradition est la vie de l’Esprit Saint
dans l’Église » Vladimir Lossky
Dans
les
premiers
siècles
du
christianisme, il n’y avait pas de déclarations
officielles sur la doctrine ou les dogmes,
même s’il existait diverses formules pour
exprimer la foi, comme, par exemple, celles
que récitaient les catéchumènes à leur
baptême. Certaines de ces formules sont
devenues la base de déclarations officielles
ultérieures sur la doctrine, bien que les Pères
de l’Église aient été réticents à prononcer des
déclarations dogmatiques de la foi. L’Église
n’a commencé à formuler des déclarations
dogmatiques
qu’en
réponse
aux
enseignements qui n’étaient pas en accord
avec le contenu de la foi généralement
accepté. Les premières de ces définitions
doctrinales ont été décrétées au premier
concile œcuménique de Nicée, en 325. Le
symbole de Nicée a été composé en réponse
aux enseignements d’Arius et de ses
compagnons qui prétendaient que le Christ
n’était qu’humain et non divin et Fils de
Dieu. Le symbole de Nicée a été davantage
développé au second concile œcuménique, en
381, pour devenir le symbole de NicéeConstantinople encore en usage dans l’Église
orthodoxe. D’autres déclarations doctrinales
ont aussi été prononcées par la suite pour
clarifier le contenu de la foi en réponse à des
enseignements erronés.
Toute considération de doctrine ou de
dogme dans l’Église orthodoxe doit se situer
dans le contexte de la nature et du rôle de la
Tradition de l’Église. Au début du XVIIIe
siècle, dans des mots qui rappellent le
langage des conciles œcuméniques, les
patriarches orthodoxes écrivaient aux nonjureurs anglais :
Nous préservons la doctrine du Seigneur
sans corruption et adhérons fermement à la
Foi qu’Il nous a donnée, et la gardons sans
tache ni diminution, comme un Trésor royal
et un monument de grand prix, sans y ajouter
ni en retrancher quoi que ce soit.1
Pour les chrétiens orthodoxes, la notion
d’une continuité vivante de la Foi se résume
dans le mot Tradition : « Nous ne changeons
pas les bornes éternelles que nos pères ont
placées, a écrit Jean Damascène, mais nous
gardons la Tradition comme nous l’avons
reçue. »2
Qu’est-ce que l’Orthodoxie entend par «
Tradition »? Une tradition est comprise
généralement comme une opinion, croyance
ou coutume transmise par les ancêtres à la
postérité. Dans ce cas, la Tradition chrétienne
est la foi et la pratique données par le Christ à
ses apôtres et transmises par l’Église de
génération en génération (cf. 1 Co 15, 3).
Mais, pour un chrétien orthodoxe, la
Tradition signifie quelque chose de plus
grand que simplement des déclarations
dogmatiques. La Tradition comprend la
Bible, le Credo, les décrets des conciles
œcuméniques et les écrits patristiques, mais
aussi les canons, les livres liturgiques, les
icônes, en fait, tout le système que forment la
doctrine, le gouvernement de l’Église, le
culte, la spiritualité et l’art exprimé au cours
des âges. Ces aspects de la Tradition sont
parfois appelés « sources de la Foi ». Les
orthodoxes se voient comme les héritiers et
les gardiens d’un riche héritage reçu du passé
et d’abord les enseignements que les Apôtres
ont reçus du Christ Lui-même. Ils croient
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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qu’ils ont le devoir sacré de transmettre cet
héritage aux générations futures.
Tout en respectant cet héritage, les
orthodoxes sont cependant conscients que
tout ce qu’il renferme n’est pas d’égale
valeur. Parmi les divers éléments de la
Tradition, la Bible, le credo et les définitions
dogmatiques des conciles œcuméniques
viennent au premier rang : les orthodoxes les
considèrent comme absolus et immuables.
D’autres aspects de la Tradition n’ont pas la
même autorité. Les décrets des conciles de
Jassy ou de Jérusalem ne se situent pas sur le
même plan que le symbole de Nicée, et les
écrits d’un Athanase, d’un Jean Chrysostome
ou d’un Syméon le Nouveau Théologien
n’occupent pas un rang égal à l’Évangile de
saint Jean.
Tout ce qui a été reçu du passé n’est pas
nécessairement vrai. Comme l’a fait
remarquer un des évêques au concile de
Carthage, en 257 : « Le Seigneur a dit ‘Je suis
la vérité’ (Jn 14,6). Il n’a pas dit ‘je suis la
coutume’. » Il y a une différence entre la «
Tradition » et les « traditions » et coutumes :
plusieurs traditions qui viennent du passé sont
d’origine
humaine
et
dérivent
de
circonstances particulières, des opinions ou
pratiques pieuses qui sont plus ou moins
reliées à la Tradition, mais qui ne sont pas des
expressions essentielles ou complètes de
l’unique Tradition, le message chrétien
fondamental.
Il est absolument essentiel d’interroger le
passé. Des normes intellectuelles plus
élevées, des contacts de plus en plus
nombreux avec les chrétiens occidentaux et la
pénétration du sécularisme et de l’athéisme
ont obligé les orthodoxes contemporains à
examiner de plus près leur héritage et à
distinguer entre la Tradition et les traditions.
Il n’est jamais facile d’établir des distinctions.
Il faut éviter les erreurs des vieux croyants
(schisme dans l’Église de Russie au XVIe
siècle) et celles de « l’Église Vivante » («
réformateurs » soutenus par les bolchéviques
après la révolution russe de 1917). Les
premiers sont tombés dans un conservatisme
extrême qui n’admettait aucun changement
dans les traditions et pratiques ; la seconde
s’est pliée à des compromis doctrinaux qui
minaient des aspects essentiels de la foi.
Souvent, c’est précisément le contact avec
l’Occident qui aide les orthodoxes à
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distinguer plus clairement ce qui est
indispensable dans leur propre héritage de ce
qui est culturel ou lié à des circonstances
particulières.
La véritable fidélité orthodoxe au passé
doit toujours être une fidélité créatrice. La
véritable orthodoxie ne peut jamais se
satisfaire d’une stérile « théologie de
répétition » qui ne fait que rabâcher des
formules convenues sans chercher à
comprendre ce qu’il y a derrière. La loyauté
envers la Tradition, bien comprise, n’est pas
quelque chose de mécanique, un processus
passif et automatique de transmission de la
sagesse acceptée à une époque d’un lointain
passé. Les orthodoxes doivent voir la
Tradition de l’intérieur, entrer dans son esprit
profond, redécouvrir le sens de la Tradition
d’une manière qui soit exploratoire,
courageuse et créatrice.
Afin de vivre dans la Tradition, il ne
suffit
pas
simplement
d’adhérer
intellectuellement à un système de doctrine,
car la Tradition est bien plus qu’un ensemble
de propositions abstraites – c’est la vie, une
rencontre personnelle avec le Christ dans
l’Esprit Saint. La Tradition n’est pas
seulement conservée par l’Église – elle vit
dans l’Église. La conception orthodoxe de la
Tradition n’est pas statique, mais dynamique,
elle n’est pas une morte acceptation du passé,
mais une vivante découverte de l’Esprit Saint
dans le présent, la vie de l’Esprit dans
l’Église. La Tradition, tout en étant immuable
dans l’essentiel (car Dieu ne change pas),
prend constamment de nouvelles formes qui
complètent
les
anciennes,
sans
nécessairement les remplacer. Les orthodoxes
parlent souvent du temps de la formulation
doctrinale comme s’il était achevé, mais ce
n’est pas le cas. Plusieurs théologiens
orthodoxes contemporains parlent de la «
Tradition vivante » pour souligner ce point3.
Il se peut qu’à notre propre époque, de
nouveaux
conciles
œcuméniques
se
réunissent et que la Tradition s’enrichisse de
nouvelles déclarations de foi.
Ce concept de la Tradition comme
quelque chose de vivant a été très bien
exprimé par le Père Georges Florovsky :
La Tradition est le témoin de l’Esprit ;
l’incessante révélation de l’Esprit et la
prédication de la bonne nouvelle … Pour
accepter et comprendre la Tradition, nous
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
devons vivre dans l’Église, nous devons être
conscients de la présence en elle du Seigneur
donneur de grâces … La Tradition n’est pas
seulement un principe qui protège et
conserve, c’est essentiellement un principe de
croissance et de régénération… La Tradition
est la demeure éternelle de l’Esprit et non
seulement la mémoire des mots.4
plus haut, alors que la « doctrine » consiste
dans les enseignements généralement
acceptés, particulièrement ceux des Pères de
l’Église, qui cependant ne sont pas sujets aux
définitions officielles de la foi du symbole de
Nicée. Les « théologoumènes » sont des
principes théologiques qui ont un statut moins
officiel que le dogme ou la doctrine.
La Tradition est donc le témoignage de
l’Esprit pour notre temps. Selon les paroles
du Christ, « Quand Il viendra, Lui, l’Esprit de
Vérité, Il vous conduira vers la Vérité toute
entière » (Jean 16, 13). Cette promesse divine
est la source de l’attachement orthodoxe à la
Tradition.
Que peut-on considérer comme
déclarations doctrinales ?
C’est à l’intérieur de ce contexte général
que nous allons maintenant aborder les
questions
spécifiques
que
pose
la
Commission foi et témoignage.
Que représente le dogme ou la doctrine
dans votre tradition ?
Bien qu’il soit peu probable que tous les
orthodoxes s’entendent sur ce qui constitue le
contenu du dogme ou de la doctrine, la
plupart conviendraient que les plus
importantes déclarations doctrinales des
conciles
œcuméniques
constituent
certainement une doctrine fondamentale. Le
symbole de Nicée contient la plupart de ces
déclarations fondamentales. Des exemples de
doctrines absentes du credo sont le titre de
Theotokos – Mère de Dieu – donné à la
Bienheureuse Vierge Marie au troisième
concile œcuménique à Éphèse, en 431, et les
décisions du septième concile œcuménique,
en 787, concernant la vénération des icônes.
Les « maximalistes » à l’intérieur de l’Église
orthodoxe verraient plusieurs pratiques
liturgiques et disciplinaires comme faisant
partie du contenu inaltérable de la Tradition,
mais ce point de vue est rejeté par la plupart
des théologiens orthodoxes. Cette manière de
voir a conduit à de nombreux schismes, dont
celui des vieux-croyants et des vieuxcalendaristes qui n’ont pas accepté la décision
de la majorité des Églises orthodoxes
d’adopter le calendrier grégorien pour la
célébration des fêtes à date fixe.
Plusieurs théologiens orthodoxes font une
distinction entre « dogme» et « doctrine». Le
« dogme » consisterait principalement dans
les déclarations doctrinales officielles des
conciles œcuméniques dont nous avons parlé
Comme il a été avancé, la plupart des
orthodoxes conviendraient que seules les
principales déclarations doctrinales des
conciles œcuméniques, particulièrement le
symbole de Nicée, peuvent être considérées
comme doctrinales. D’autres décisions des
conciles œcuméniques, souvent de nature
organisationnelle ou disciplinaire, pourraient
être
vues
comme
des
déclarations
importantes, reflétant les valeurs et besoins de
leur époque, mais qui ne valent pas pour tous
et en tout temps. Ainsi, l’usage du calendrier
julien a été accepté par un concile
œcuménique, mais cette décision pourrait être
vue comme dérivant de la coutume, valide à
l’époque où la décision a été prise, mais non
obligatoire pour toutes les époques.
L’Église orthodoxe ne reconnaît comme
concile œcuméniques que les sept premiers
conciles, dont le dernier a eu lieu en 787,
parce que ces conciles ont réuni des
représentants de toute l’Église alors en
communion, d’Orient et d’Occident.5 Les
conciles des Églises d’Orient tenus après 787
ne sont pas mis au même rang que les sept
premiers conciles. Cela comprend certains
conciles qui ont émis des déclarations
doctrinales majeures, comme les conciles de
Constantinople, au milieu du XIVe siècle, qui
ont confirmé la théologie de saint Grégoire
Palamas concernant la distinction entre
l’essence divine et les énergies divines.
Même ces déclarations théologiques majeures
ne sont pas considérées comme « dogme »
dans le même sens que les articles du credo.
Qui peut émettre des déclarations
doctrinales ?
La plupart des orthodoxes soutiendraient
que les déclarations dogmatiques ne peuvent
être faites que par un concile œcuménique et
qu’elles exigent l’adhésion des fidèles avant
d’être vraiment considérées comme faisant
partie du contenu de la foi. Les orthodoxes
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n’ont jamais accepté qu’un individu, fût-il un
patriarche ou un saint, ou qu’un groupe
d’individus, fussent-ils patriarches ou
évêques, puissent posséder l’autorité sans
équivoque de prononcer des déclarations
dogmatiques. Le dogme est un reflet de
l’Esprit Saint dans l’Église et doit, d’une
certaine manière, être accepté par l’Église
tout entière. L’infaillibilité réside dans
l’Église tout entière en tant que Corps du
Christ vivifié par la présence constante et
renouvelée de l’Esprit Saint, et non dans un
individu ou un groupe.
Il y a de nombreux exemples de conciles
dont les décisions ont été par la suite rejetées
par les fidèles et n’ont jamais fait partie du
contenu de la foi. On compte parmi eux le «
brigandage d’Éphèse », en 449, qui avait
accepté une christologie monophysite, et le
concile de Ferrare-Florence, en 1438-1439,
au cours duquel presque tous les
représentants orthodoxes avaient accepté la
doctrine latine de la procession du Saint
Esprit du Père et du Fils et celle du
purgatoire. Les fidèles ont refusé ces
doctrines et, en fait, rejeté le rétablissement
de l’unité avec l’Église latine qui avait été
accepté à Ferrare-Florence.
Aujourd’hui, on ne sait pas clairement
quel corps, quel concile aurait l’autorité de
prononcer des déclarations dogmatiques.
Serait-ce un concile réunissant uniquement
les Églises orthodoxes en communion avec
l’Église de Constantinople, ou un corps plus
large qui comprendrait, par exemple, l’Église
de Rome ainsi que les Églises orthodoxes
orientales ? Quel que soit le concile ou corps
ecclésial en cause, les orthodoxes resteraient
fermement attachés au principe que les
décisions dogmatiques doivent être reçues par
l’Église tout entière avant d’être considérées
comme définitives.
Toute
initiative
concernant
une
déclaration dogmatique serait considérée
comme très sérieuse au sein de l’Église
orthodoxe et provoquerait inévitablement un
débat de taille sur les principes fondamentaux
en cause. Comme nous l’avons souligné, la
plupart des orthodoxes considèrent que les
déclarations essentielles de la foi sont
contenues dans le symbole de Nicée, auquel
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on ne peut ajouter que quelques autres
déclarations dogmatiques prononcées par des
conciles œcuméniques.
Quelle est la relation entre la doctrine
et la révélation ?
La doctrine, ou plutôt le dogme, est
l’expression formelle de vérités continues
dans la révélation. Il ne peut y avoir de conflit
entre le dogme et la Révélation ; tout dogme
doit s’enraciner dans la Révélation, qui est la
parole inspirée de Dieu à l’humanité. Dans ce
sens, le dogme peut être vu comme
l’expression
de
vérités
éternelles
fondamentales qui se trouvent dans la
Révélation divine.
Si précis que puisse être ou paraître le
langage des déclarations dogmatiques, les
orthodoxes affirment que le langage humain
ne peut jamais exprimer pleinement la nature
divine, qui demeure un mystère qui ne peut
être connu que dans la foi et l’amour plutôt
que saisi intellectuellement. Selon les mots de
la liturgie de saint Jean Chrysostome :
Il est digne et juste de te chanter, de te
bénir, de te louer, de te rendre grâce, de
t’adorer en tout lieu de ta domination, car
tu
es
un
Dieu
inexprimable,
incompréhensible, invisible, insaisissable,
existant de toute éternité, identique à toimême, toi, ton Fils Unique et ton Esprit
Saint.
1. Lettre de 1718, in G. Williams, The Orthodox
Church of the East in the Eighteenth Century, p.
17.
2. On Icons, 11, 12 (PG 94, 1297B).
3. Voir, par exemple, Serge Boulgakov et al,
Living Tradition: Orthodoxy in the Modern World
(Paris, 1937), et Jean Meyendorff, Living
Tradition: Orthodox Witness in the Contemporary
World, Crestwood NY: St. Vladimir’s Seminary
Press, 1978.
4. “The Catholicity of the Church”, in Bible,
Church, Tradition, p. 46-7.
5. Les Églises d’Assyrie (Perse) et les Églises «
préchalcédoniennes » ou orthodoxes orientales
n’étaient plus en communion avec les Églises
byzantine et latine après le quatrième concile
œcuménique, en 451.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Notes sur la doctrine, la tradition et le dogme dans l’Église
Catholique
Sylvain Destrempes et Gilles Mongeau, S.J.
M. Sylvain Destrempes, après son Doctorat (Ph.D.) en philosophie de la
religion (McGill University), où il a consacré sa thèse à l’étude comparative
du théologien luthérien Dietrich Bonhoeffer et de la mystique catholique
Thérèse de Lisieux (Cerf, Paris, 2002), enseigne la théologie et les sciences
religieuses au niveau universitaire depuis une décennie. Il a aussi servi à titre
de Conseiller théologique principal de la Conférence des Évêques
Catholiques du Canada (2007-2009). Dans ces fonctions, il a agi notamment
comme secrétaire de la Commission pour la Doctrine, et a servi comme
délégué sur diverses instances oecuméniques — dont la commission « Foi et
témoignage » (CCÉ), où il a présenté une version plus élaborée de cet article. Il reste délégué
de la CECC au « North American Orthodox-Catholic Theological Consultation », tout en étant
membre du corps professoral de l’Institut de Formation théologique de Montréal. En outre, il a
donné plusieurs conférences en spiritualité au Québec et en France.
Gilles Mongeau, S.J. est directeur du programme de maîtrise en théologie
et professeur associé de théologie systématique au Regis College de
Toronto. Ses domaines de spécialisation sont la christologie, la Trinité,
Thomas d’Aquin et Bernard Lonergan.
1. La foi et la Révélation
La foi, dans la théologie catholique, est
corrélative à la Révélation : « … la révélation
en tant que telle s’actualise lorsqu’elle est
acceptée dans la foi1. » La Révélation reçoit
une existence publique et historique lorsque
le témoignage des premiers témoins devient
partie intégrante d’une communauté de foi
stable, l’Église. « L’expression ‘parole de
Dieu’ s’applique très clairement aux paroles
dites et écrites par ceux qui ont reçu de Dieu
l’inspiration de traduire le message divin en
langage humain2. » Dans un sens plus large,
c’est un synonyme de révélation. « La parole
de Dieu subsiste dans l’Église sous deux
formes intimement reliées, l’Écriture et la
Tradition… l’Église catholique reçoit la
Sainte Écriture et les traditions apostoliques
avec une égale dévotion et un égal respect
comme
incarnation
de
la
vérité
évangélique3. »
L’Église catholique utilise le terme
« doctrine » pour désigner l’ensemble des
déclarations ou explications qui font
connaître l’objet de la foi. On peut dire avec
justesse que la foi possède un certain nombre
d’objets, toutes les vérités révélées par Dieu.
Mais, à un niveau plus profond, l’objet de la
foi est un, car dans tout assentiment de foi, le
croyant a l’intention de réaliser, et réalise
réellement, l’union à Dieu. En croyant, nous
donnons notre assentiment en premier lieu à
Dieu, et seulement en second lieu à telle ou
telle vérité particulière que nous croyons être
d’autorité divine. Ainsi, l’autorité de Dieu est
la raison profonde ou le fondement de
l’assentiment à des vérités particulières
révélées par lui. Les articles du credo et les
dogmes de l’Église sont des expressions de
l’unique et indivise vérité révélée qui vient de
Dieu. Par conséquent, lorsque nous faisons un
acte de foi, nous n’adhérons pas d’abord à des
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 11
propositions ou déclarations, mais en premier
lieu et directement à Dieu, qui est trine, et au
Fils qui s’est incarné. Le croyant consent
d’une manière secondaire à des propositions
sans lesquelles les réalités de la foi ne
pourraient être humainement affirmées4.
Il ne peut y avoir de foi sans vérité révélée.
Le porteur prééminent de la révélation est
Jésus Christ, le Verbe fait chair, qui a donné
une expression humaine à la parole de Dieu.
Dieu, en tant que Dieu, nous parle par le
Christ. En plus d’être divine et christocentrée,
la foi a pour intermédiaire l’Église, vue
comme un instrument sûr par lequel la parole
de Dieu parvient aux fidèles. La foi est
« divine » dans la mesure où elle donne son
assentiment à la parole de Dieu,
« chrétienne », dans la mesure où elle accepte
le Christ comme Médiateur et plénitude de
toute la révélation et « catholique » dans la
mesure où elle consent à être guidée par
l’Église considérée comme médiatrice
autorisée de la révélation. Dans l’acte de foi
catholique, ces trois dimensions sont
présentes simultanément5.
2. La transmission de la Révélation
2.1 Bible et Tradition
L’Église catholique accepte comme normatifs
pour la foi et la pratique les livres bibliques
reconnus comme Écriture Sainte par l’Église
au cours des cinq premiers siècles, et qui ont
été officiellement déclarés canoniques par les
conciles de Florence et de Trente. Dieu est dit
« auteur » de la Bible, non en ce qu’il aurait
remplacé les auteurs humains, mais en ce que
la grâce divine les a guidés et inspirés, afin
qu’ils transmettent une juste expression de la
foi au peuple de Dieu. « La Bible est par
conséquent un point de référence critique
pour la proclamation de l’Église5. »
Selon Vatican II,
… la Bible tout entière fait autorité et est
digne de foi dans ce qu’elle affirme sur la
révélation de Dieu et le plan du salut. Les
passages individuels, cependant, doivent être
interprétés selon les intentions des auteurs et
leur contexte historique et littéraire. Le
concile Vatican II ne favorise pas une
interprétation fondamentaliste où chaque
Page 12
phrase, par elle-même, tend à être prise dans
un sens absolu7.
La totalité de la révélation est donnée dans
l’Écriture. « Mais la révélation n’est jamais
contenue dans un seul livre. La Bible ne serait
pas correctement comprise si on la séparait de
la vivante communauté de foi dans laquelle et
pour laquelle elle a été écrite8. » Le concile de
Trente « insistait sur le fait que les traditions
venues des Apôtres n’ont pas moins
d’autorité que les livres de l’Écriture9. »
L’Église a plutôt toujours affirmé que la
Tradition n’enseigne rien qui ne se trouve de
quelque
manière
dans
l’Écriture10. »
L’Écriture et la Tradition, comme l’affirme
Vatican II, sont si intimement liées et unifiées
qu’elles « constituent l’unique dépôt sacré de
la parole de Dieu qui a été confié à l’Église »
(Dei Verbum 10).
Le catholicisme contemporain jette un nouvel
éclairage sur la nature de la Tradition, qui
n’est plus comprise comme un simple recueil
de vérités communiquées aux Apôtres et
conservées dans l’Église (comme on le
comprenait à l’époque de la Contre-réforme),
ou comme un corpus d’enseignements
explicites, mais plutôt comme embrassant
« tout ce qui contribue à diriger saintement la
vie du peuple de Dieu et à accroître sa foi »
(D.V. 8). Selon cette perspective plus large, la
Tradition n’est plus comprise comme une
réalité statique, parce qu’elle se développe de
façon dynamique avec l’aide de l’Esprit Saint
dans l’Église qui, « à mesure que se déroulent
les siècles, tend toujours à la plénitude de la
vérité divine, jusqu’à ce que les paroles de
Dieu reçoivent en elle leur consommation »
(D.V. 8).
Il y a, en fait, trois erreurs d’interprétation
fondamentales sur la nature de la Tradition à
éviter du point de vue catholique :
(1) La Tradition en tant qu’identité statique,
c’est-à-dire la Tradition vue comme s’il n’y
avait ni changement ni croissance. Une telle
vision déforme le sens réel de la Tradition,
qui n’est pas la simple répétition du passé
(dépôt de la foi), mais plutôt une transmission
vivante du dépôt à travers l’histoire humaine,
transmission qui elle-même suppose une
interaction dynamique entre le contenu
éternel de la foi et la culture de l’époque ;
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
(2) La Tradition en tant que décadence par
rapport aux origines, plus précisément
comme si la période postbiblique en était une
de décadence. « Ce point de vue saisit
correctement le sens premier des premiers
témoins de Jésus dans le Nouveau Testament.
Cependant, il ne tient pas compte des
développements
ultérieurs11 »
(dans
l’Antiquité, le Moyen-Âge et les temps
modernes jusqu’à aujourd’hui) ;
(3) La Tradition en tant que développement
progressif ou évolution, ce qui présuppose un
modèle organique de Tradition dans lequel
tout développement est vu comme une
amélioration progressive. « Une telle vision
ne tient pas compte de déformations
possibles12 » et pourrait laisser imaginer que
les époques antérieures du christianisme sont,
par rapport au présent, comme l’enfance ou
l’adolescence par rapport à la maturité, alors
qu’en fait, il arrive parfois que l’altérité ou la
différence radicale d’un stage antérieur puisse
devenir un réel défi aux préjugés des
développements modernes.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de
place pour le développement du dogme. La
manière dont l’autorité enseignante de
l’Église fait de la théologie et contribue à
l’histoire ininterrompue de la Tradition
suppose un certain « dialogue » entre la
Tradition elle-même et de nouvelles
expériences et théories qui l’interpellent. « La
Commission biblique pontificale [par
exemple] après avoir eu une attitude
prudente, pour ne pas dire négative, vis-à-vis
la méthode historico-critique en est venue à
une acceptation plus positive13 ». Ce
changement a contribué en partie à une
nouvelle lecture de la Tradition qui a favorisé
le dialogue entre de nouvelles théories
scientifiques sur l’origine de l’homme et la
foi chrétienne dans la création.
2.2 La doctrine, le dogme et la question
de l’autorité
Ce que nous appelons « doctrine » est toute
vérité enseignée par l’Église qui doit
nécessairement être acceptée par les fidèles.
Ce qui en fait une doctrine, c’est que
l’autorité de l’Église enseigne qu’il faut y
croire. Les dogmes sont des propositions que
l’Église enseigne
révélées par Dieu14.
formellement
comme
L’Écriture, particulièrement le Nouveau
Testament, n’est pas l’unique source de la
doctrine chrétienne, bien qu’elle en soit la
source première. « L’Église interprète et
enseigne le sens de la vie du Christ de
diverses manières : par la prédication, la
liturgie, les écrits de ses théologiens à travers
l’histoire, la vie des saints et des saintes, des
décrets spécifiques des conciles œcuméniques
ainsi que des déclarations et encycliques
papales15. » Comme nous le rappelle Vatican
II
(D.V.
10),
ces
divers
modes
d’enseignement doivent être au service de
l’Écriture et placés sous son autorité pour être
considérés comme authentiques.
Depuis les débuts du christianisme, l’Église
croit que l’Esprit Saint protège son
interprétation de l’erreur. « Par conséquent,
l’enseignement authentique ne s’exerce pas
de manière arbitraire. La doctrine n’est pas
extrinsèque à la communauté, mais
l’expression de la compréhension par la
communauté des paroles et des actions du
Christ16. »
La grande majorité des enseignements
catholiques sont communiqués et reçus à
l’intérieur de la Tradition, sans avoir été
spécifiquement définis par le magistère. Des
exemples de ces doctrines sont l’importance
de la prière, l’obligation d’aimer son prochain
comme soi-même et l’option préférentielle
pour les pauvres. Personne ne saurait nier que
cela se trouve au cœur de la foi chrétienne.
D’autre part, puisque la communauté de foi
est le lieu non seulement de l’Esprit Saint
mais aussi de développements historiques
ainsi que de déformations, il y a eu des cas où
le magistère a répondu à des crises
particulières en définissant ce qui est jugé être
authentique et vrai. Ce fut le cas, par
exemple,
lors
des
grands
conciles
œcuméniques
de
Nicée
(325),
de
Constantinople (381) d’Éphèse (431) et de
Chalcédoine (451).
Si l’autocompréhension du catholicisme
devait se limiter à des dogmes formellement
définis, la richesse et la vitalité de la vie
catholique
en
seraient
certainement
appauvries. La première fonction de
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 13
l’enseignement de l’Église (ou doctrine), sous
toutes ses formes, prédication, liturgie,
déclarations de l’Église, travail des
théologiens, vie des saints et saintes est de
permettre à chaque personne de s’approprier
et d’intérioriser le sens du monde que Dieu a
révélé par le Christ.
2.3 La Tradition, partie I:
patristique et « sensus fidelium »
liturgie,
La liturgie (ou vie cultuelle) est le lieu où de
nombreux fidèles éprouvent le plus vivement
les mystères du salut et réfléchissent sur le
contenu de leur foi dans la prière. À travers
les siècles, l’adage lex orandi, lex credendi
(telle est la prière telle est la croyance) a
exprimé l’interaction continue entre le culte
et la croyance. Il arrive que des formes de
culte approuvées donnent naissance à des
doctrines ou que le culte soit délibérément
modifié pour refléter les enseignements de
l’Église.
Les écrits des Pères de l’Église (patristique)
sont un autre véhicule important de la
Tradition. Les Pères, écrivains de l’antiquité
chrétienne reconnus pour leur sainteté et leur
orthodoxie, « ont joué un rôle providentiel en
établissant le canon des Écritures, les articles
du credo, les dogmes fondamentaux de la foi,
les structures de base de l’Église et les formes
essentielles de la liturgie17. »
Le « sens des fidèles » ( sensus fidelium )
dépend en partie des autres vecteurs de la
Tradition et est, par conséquent, inséparable
des deux que nous venons de mentionner. Il
« peut souvent aider à identifier le contenu et
le sens réels de la Tradition, particulièrement
lorsqu’il confirme ce qui est aussi attesté par
d’autres sources18. » Le « sens des fidèles »
peut se comprendre ainsi : l’Esprit Saint, en
animant l’Église, produit dans les membres
de l’Église un sentiment « instinctif » de ce
qui s’accorde et de ce qui ne s’accorde pas
avec la révélation. « [Au moyen de ce sens
surnaturel], les fidèles peuvent accueillir la
parole de Dieu, y adhérer indéfectiblement,
l’approfondir correctement et la mettre plus
pleinement en œuvre » (Lumen Gentium 12).
2.4 La Tradition, Partie II : l’enseignement
infaillible et non infaillible
Page 14
2.4.1 Le Magistère :
« extraordinaire »
« ordinaire »
et
Vatican II, et plusieurs conciles avant lui, ont
confié la responsabilité première de
l’enseignement de l’Église aux successeurs
des Apôtres, les évêques. « Les évêques sont
les enseignants ‘authentiques’ c’est-à-dire,
‘autorisés’ de la Parole de Dieu ; leur
enseignement est considéré par les
catholiques comme étant ‘donné à la lumière
de l’Esprit Saint’19. » La Révélation est
publique, et l’Église proclame publiquement
la doctrine qui sauvegarde cette Révélation.
« Le terme généralement utilisé dans l’Église
contemporaine pour définir ce pouvoir
d’enseignement des évêques est ‘Magistère’.
Le terme en est venu à signifier aussi bien le
pouvoir d’enseignement que ceux qui le
détiennent20 », c’est-à-dire tous les évêques
en communion avec le Pape en tant que
successeur de Pierre. « Une de leurs tâches
les plus importantes est de garder l’Église
dans la vérité de l’Évangile en proclamant la
saine doctrine et en condamnant les
déviations doctrinales21. » Le Christ a promis
qu’il serait avec les successeurs des Apôtres
jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20). « Il a
envoyé l’Esprit de vérité pour guider le
collège apostolique dans le témoignage de sa
révélation (Jn 15,26-27 ; 16,13). En raison de
ces promesses, les catholiques croient que le
Magistère est généralement digne de
confiance et n’induira jamais l’Église en
erreur en enseignant de manière définitive ce
qui est faux ou contraire à la Révélation22. »
Cela n’exclut pas cependant une diversité de
degrés d’autorité dans l’ensemble des
déclarations magistérielles au sein de l’Église
catholique. Vatican II, conformément avec la
Tradition elle-même, déclare que l’Église
enseigne selon divers degrés d’autorité
(Lumen Gentium 25). Certaines fois, la
mission d’enseignement du collège épiscopal
est exercée pleinement par le chef du collège
épiscopal, c’est-à-dire le Pape. Mais d’autres
fois, cette mission s’exerce sur une base
quotidienne par les évêques dans leurs
diocèses respectifs23. En fait, un bonne partie
de l’enseignement de l’Église, même sur des
questions importantes, n’a pas été enseignée
solennellement, et encore moins définie de
façon dogmatique par un concile.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
L’enseignement commun par le collège
épiscopal (dispersé à travers le monde)
s’appelle « magistère ordinaire et universel »,
qui demande un assentiment de foi dans des
conditions solennelles spécifiques, c’est-àdire lorsque le collège épiscopal, en
communion avec le Pape (en tant que chef du
collège) propose de manière définitive une
question de foi ou de morale comme révélée
par Dieu et qui doit, par conséquent, être
acceptée par tous les fidèles24. Par ailleurs, il
y a un enseignement au jour le jour auquel est
dû normalement un assentiment religieux de
l’intelligence et de la volonté. Cet
enseignement
par
les
évêques
individuellement
dans
leurs
diocèses
respectifs, ou collectivement dans les
conférences épiscopales nationales, ainsi que
par le Pape dans diverses déclarations,
discours ou écrits s’appelle « magistère
ordinaire » et couvre un large éventail de
croyances et pratiques proposées avec divers
degrés d’autorité.
Le magistère extraordinaire désigne en
premier lieu l’enseignement solennel d’un
concile, où le collège épiscopal tout entier,
avec le Pape à sa tête, est réuni et exerce
publiquement la plénitude du pouvoir
d’enseignement de l’Église. Si le concile
décide de définir une doctrine particulière
comme révélée par Dieu et comme question
de foi ou de morale proposée définitivement
qui doit par conséquent être acceptée par tous
les fidèles, partout et toujours, on dit alors
qu’il s’agit d’un enseignement infaillible qui
exige un assentiment de foi. Mais un concile
peut aussi décider de ne pas prononcer
d’enseignement infaillible. Ainsi, Vatican II a
publié quelque 700 pages de déclarations,
mais a choisi de ne pas invoquer
l’infaillibilité
pour
aucun
de
ses
enseignements.
Le « magistère extraordinaire » désigne aussi
une déclaration solennelle par le Pape, en tant
que chef du collège épiscopal, se prononçant
« ex cathedra », selon certaines conditions
spécifiques.
2.4.2 Les conditions
l’infaillibilité
spécifiques
de
« Lorsque les catholiques parlent de
l’infaillibilité du Magistère, ils veulent dire
que lorsque par des actes spécifiques les
papes et les évêques enseignent des doctrines
concernant la foi et les mœurs d’une manière
qui oblige l’Église tout entière, ils sont
préservés par grâce de toute erreur25. »
Comme il est expliqué dans Lumen Gentium,
le Pape enseigne de manière infaillible
lorsque, dans sa capacité de successeur de
Pierre (« ex cathedra »), il proclame
solennellement et définitivement une doctrine
à laquelle tous les fidèles sont tenus d’adhérer
sur la base de la révélation divine.
L’infaillibilité réside aussi dans l’ensemble
du collège des évêques lorsqu’ils exercent
leur pouvoir suprême d’enseignement en
union avec le successeur de Pierre. « Les
évêques, même dispersés, peuvent enseigner
infailliblement s’ils soutiennent unanimement
une doctrine sur des questions de foi ou de
morale à laquelle il faut adhérer dans
l’obéissance de la foi26 » (L.G. 25).
« Lorsqu’un pape ou un concile œcuménique
définit un dogme, la définition qui en résulte
est la formulation humaine d’une vérité
révélée. Les catholiques considèrent cet
enseignement comme vrai de façon
irrévocable et, en ce sens, « irréformable ».
Chaque dogme de l’Église exprime un aspect
authentique de la révélation chrétienne, mais
la manière dont le mystère divin indivisible
est réparti dans des dogmes, dépend des
manières humaines de penser et de parler et
sont, jusqu’à un certain point, conditionnées
culturellement… Ainsi l’« irréformabilité »
des dogmes n’empêche pas leur reformulation
et leur approfondissement27 » au cours de
l’histoire, sans changement de la substance du
contenu, autre signe du caractère dynamique
de la Tradition comme transmission vivante
du dépôt de la foi de génération en
génération. En fait, depuis le cardinal John
Henry Newman, « l’idée que le dogme « se
développe » est généralement acceptée dans
l’Église catholique28. »
1. Cardinal Avery Dulles, « Faith and Revelation
», in: Francis Schüssler Fiorenza et John P. Galvin
(Ed.), Systematic Theology: Roman Catholic
Perspectives (Vol. 1), Fortress Press, 1991, pp. 91128; p.116.
2. Dulles, ibid., p.118.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 15
3. Idem – en référence aux enseignements du
concile de Trente, réaffirmés par les conciles
Vatican I et Vatican II.
4. Voir Dulles, ibid., pp. 106-107.
5. « Lorsqu’il professe un article particulier du
credo, le croyant l’accepte comme partie de la
révélation divine donnée dans le Christ et
proclamée par l’Église » (Dulles, p. 108).
6. Dulles, ibid., p. 119.
7. Dulles, ibid., pp. 119-120.
8. Dulles, ibid., p. 120.
9. Idem.
10. « Dans le contexte de l’autorité de la tradition,
le rôle de l’Écriture et sa relation avec la tradition
sont des questions importantes qui sont
controversées depuis la Réforme. Elles ont pris
une nouvelle signification depuis le second
concile du Vatican… L’émergence du mouvement
biblique dans l’Église catholique a montré
l’importance des Écritures pour la spiritualité, la
vie ecclésiale et la doctrine catholiques. Ce
mouvement a conduit à un réexamen des
enseignements du concile de Trente en relation à
l’adage de la Réforme ‘sola scriptura’ » (Francis
Schüssler Fiorenza, « Systematic Theology: Task
and Methods », in: F.S.Fiorenza et J.P.Galvin,
Ed., Systematic Theology: Roman Catholic
Perspectives (Vol. 1), Fortress Press, 1991, pp. 387; p. 71).
11. Schüssler Fiorenza, ibid., p. 73.
12. Idem.
13. Schüssler Fiorenza, ibid., pp. 81-82.
14. John A. Hardon S.J., Pocket Catholic
Dictionary, NY, Doubleday, 1985, article «
Doctrine», p. 117.
Page 16
15. Nancy C. Ring, Article « Doctrine », in :
Joseph A. Komonchak, Mary Collins, Dermot A.
Lane (éd.), The New Dictionary of Theology, The
Liturgical Press, 1990, pp. 291-293; p. 291.
16. Ibid., p. 292.
17. Dulles, p. 122.
18. Ibid., p. 123.
19. John P. Boyle, « The Teaching Office of the
Church », in Peter C. Phan (Ed.), The Gift of the
Church: A Textbook on Ecclesiology in Honor of
Patrick Granfield O.S.B., The Liturgical Press,
2000, pp. 355-371; p. 357.
20. Ibid., p. 357.
21. Dulles, p. 123.
22. Dulles, p. 124.
23. Voir Boyle, pp. 359-370, pour cette section
3.1.1.
24. Il est intéressant de noter qu’il n’existe pas de
prescriptions pour ce genre d’enseignement et
qu’« il reste donc à savoir comment établir que
l’ensemble du collège épiscopal enseigne de fait
une doctrine particulière et qu’il l’enseigne de
manière définitive comme question de foi ou de
morale » (Boyle, p. 361). Un exemple pourrait
être les consultations faites auprès de tous les
évêques par les papes Pie IX et Pie XII avant la
définition des dogmes mariaux (1854 et 1950) –
qui sont en fait les deux seuls cas au cours des
deux derniers siècles où un Pape ait défini une
doctrine « ex cathedra », la reconnaissant ainsi
comme une composante dogmatique de la foi
catholique.
25. Dulles, p. 124.
26. Idem.
27. Idem.
28. Idem.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Le développement de la doctrine anglicane
Ian Ritchie
Le révérend Dr Ian Ritchie est recteur de l’église anglicane St. Luke à
Kingston, Ontario, et délégué pour les affaires interreligieuses du diocèse
de l’Ontario. Il a représenté l’Église anglicane du Canada auprès de la
commission foi et témoignage du Conseil canadien des Églises de 2003 à
2009.
Dans les années 1970, l’idée que l’expression
« doctrine anglicane » était une contradiction
dans les termes était devenue tellement
répandue que plusieurs considéraient cela
comme évident. Cette idée a été habilement
réfutée par Stephen Sykes dans son livre de
1978 The Integrity of Anglicanism. Malgré
tout, quand on aborde le sujet de la doctrine
anglicane, il faut y aller prudemment, sachant
que si, dans la plus grande partie du monde
occidental, il peut sembler que la doctrine
anglicane soit quelque chose de tellement
amorphe qu’on peut à peine la définir, dans le
reste de l’Église la doctrine anglicane
demeure clairement définissable. Ici, au
Canada, nous ne sommes pas en mesure de
nous prononcer avec autorité sur le statut de
la doctrine dans d’autres parties du monde,
pas plus qu’ils ne sont en mesure de se
prononcer avec autorité sur ce qu’elle est ici.
Donc, pour commencer, quelques définitions
de base seraient appropriées.
1. Qu’est-ce que le dogme ou la
doctrine ?
Au début de l’Église, « doctrine »
signifiait simplement « enseignement », et
cela est encore vrai aujourd’hui. À mesure
que l’Église se transformait en institution, il
est devenu nécessaire de préciser ce que
signifiait la doctrine de l’Église, mais, encore
aujourd’hui, les anglicans définissent la
doctrine
(ou
dogme)
comme
:
« L’enseignement de notre foi, ce que nous
croyons à la lumière du témoignage de
l’Écriture et de la tradition vivante de
l’Église, sous la guidance de l’Esprit Saint. »1
2. Qu’est-ce qui est considéré comme
déclarations doctrinales ?
Ce qui peut être dit avec la plus grande
certitude sont les credos de l’« Église
indivise ». Les credos de l’Église primitive
ont été acceptés par l’Église du Moyen-Âge,
mais la question de savoir ce qui était
essentiel dans le dépôt de la foi est devenue
cruciale au milieu du tumulte de la Réforme
protestante. Durant la période de la Réforme,
l’Église d’Angleterre a tenté de définir sa
doctrine plus clairement dans les 39 articles
de la religion. L’article 8 se lit comme suit :
VIII. Sur les trois Credos.
Les trois Credos, le Symbole de Nicée, le
Credo d’Athanase, et ce qui est
communément appelé le Symbole des
Apôtres, doivent être entièrement reçus et
crus, car ils peuvent être prouvés par les
décrets incontestables de la Sainte
Écriture. (trad. de Canadian BCP, 1962, p.
701)
Durant le temps de la Réforme, le Livre
de la prière commune, publié en 1542 par
Thomas Cranmer, est devenu l’un des
fondements
doctrinaux
de
l’Église
d’Angleterre. Dans son édition révisée de
1662, il a atteint une forme qui est toujours
considérée comme autorisée par l’ensemble
de la communion anglicane aujourd’hui, du
moins officiellement.
La Déclaration solennelle de 1893,
laquelle, en tant que l’un des documents
fondateurs de l’Église anglicane du Canada,
fait partie de sa constitution, se lit comme
suit :
NOUS déclarons que cette Église est, et
nous désirons qu’elle continue d’être en
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 17
pleine
communion
avec
l’Église
d’Angleterre partout dans le monde, en
tant que partie intégrante du seul Corps
du Christ. Ce Corps est composé des
Églises qui, unies sous le seul Divin Chef
et dans la communion de l’Église Une,
Sainte, Catholique et Apostolique,
gardent la seule Foi révélée dans
l’Écriture Sainte et définie dans les
Credos agréés par l’Église primitive dans
les Conciles Œcuméniques qui jouissent
d’une autorité incontestée (Canadian
BCP. 1962, p. viii).
Pour certains, cependant, recourir à
l’expression « cœur de la doctrine » est un
manque de sincérité lorsqu’elle est utilisée
par les membres de l’Église qui ne veulent
rien affirmer de ce qui est dans les credos, ou
qui les accepte seulement dans le sens le plus
restreint ou codifié. Dans ce cas, elle peut
sembler être un accessoire utile pour une
position politique de transition, plutôt que
comme une approche durable enracinée dans
la théologie.
On s’accorde généralement pour dire que
les « credos », ici, sont au moins les symboles
des Apôtres et de Nicée. Les 39 articles et le
BCP canadien de 1962 incluent le symbole
d’Athanase et, par conséquent, plusieurs
anglicans
l’incluent
aussi.
Certaines
déclarations comprennent aussi les sept
premiers conciles œcuméniques en corollaire.
3. Qui peut faire des déclarations
doctrinales ?
Il y a eu à ce sujet des changements
considérables dans la pensée anglicane. Les
évêques ont toujours joué un rôle important.
Les théologiens ont eu un certain rôle à jouer
dans la formulation des doctrines, bien que
leurs déclarations ne fassent généralement pas
autorité sauf bien des années après leur mort.
La couronne d’Angleterre a joué un rôle clé
dans la direction de l’Église au XVIe siècle.
La reine Elizabeth a joué un rôle clé dans la
préparation du Settlement qui traçait une voie
de compromis entre les doctrines catholiques
et protestantes en englobant les deux. Depuis
cette
période,
les
monarques
ont
généralement eu peu à dire sur les questions
de doctrine.
Les credos semblent avoir acquis dans
l’Église canadienne le statut de « cœur de la
doctrine », expression rendue populaire dans
le St. Michael Report de 2005, et approuvé
par résolution du synode général de
Winnipeg, en 2007. Il n’est même pas du tout
certain que « le cœur » soit une bonne façon
de désigner la doctrine, car cela, pour
certains, suppose que tout ce qui n’est pas
« le cœur » est, par conséquent, adiaphore, ou
non essentiel pour la foi.
Dans les débats anglicans actuels, on fait
parfois remarquer que plusieurs doctrines qui
ne sont pas mentionnées dans les credos,
comme les questions du mariage ou des
mœurs sexuelles, sont pourtant si importantes
que la manière de les aborder peut affecter la
relation à Dieu et aux êtres humains jusqu’à
mettre en danger le shalom/salut. Ainsi, bien
qu’on ne puisse dire que ces doctrines font
partie du « cœur de la doctrine » dans le sens
des credos, elles peuvent néanmoins être liées
à la doctrine des credos de telle manière
qu’elles ont le même degré d’importance.
Cela est reconnu dans le Saint Michael
Report.
Page 18
On dit de la communion anglicane qu’elle
est « dirigée épiscopalement et gouvernée
synodalement ». Les synodes sont nés dans le
haut Moyen-Âge et leurs pouvoirs se sont
accrus au cours des siècles. Le mouvement
anglican dans son ensemble, issu de l’Église
d’Angleterre, partage cette approche du
gouvernement de l’Église.
À mesure que la communion anglicane
s’accroissait, il devenait évident que des
questions controversées nécessiteraient un
mécanisme international de consultation et de
résolution. C’est ainsi qu’est née, en 1867, la
Conférence de Lambeth des évêques
anglicans. En 1886/1888, le « Quadrilatère de
Chicago-Lambeth » a été développé comme
définition concise des règles qui maintiennent
l’anglicanisme. Il est toujours considéré
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
comme vital aujourd’hui, comme le reconnaît
The Lambeth Commission on Communion
The Windsor Report 2004 (p.73). Ses quatre
éléments sont :
(a) Les Saintes Écritures de l’Ancien et
du Nouveau Testament, Parole révélée de
Dieu.
(b) Le symbole de Nicée, expression
suffisante de la foi chrétienne.
(c) Les deux sacrements institués par le
Christ lui-même, le baptême et la sainte
cène administrés en employant sans
variations les paroles d’institution du
Christ et les éléments qu’Il a ordonnés.
(d) L’épiscopat historique, adapté
localement
dans
ses
méthodes
administratives aux besoins divers des
peuples et des nations que Dieu appelle
dans l’unité de son Église.
Aujourd’hui, les œcuménistes noteront
avec intérêt que le quadrilatère était considéré
non seulement comme vital pour l’unité de
l’Église anglicane à travers le monde, mais
aussi comme « essentiel pour restaurer l’unité
parmi les branches divisées de la chrétienté. »
Au Canada, des synodes généraux se
réunissent depuis 1893, alors que l’Église
anglicane du Canada est devenue un
organisme autonome à l’intérieur de la
communion anglicane mondiale. Trois des
quatre provinces ecclésiastiques au Canada
ont alors cédé leurs pouvoirs au synode
général nouvellement formé. La province de
Rupert’s Land n’a pas officiellement cédé ses
pouvoirs ; ainsi, toutes les résolutions du
synode général doivent être aussi entérinées
par le synode provincial de Rupert’s Land.
Au cours des dernières décennies,
l’indifférence générale à l’égard de toute
forme d’autorité a mis en cause aussi bien
l’autorité de la doctrine elle-même que toute
personne ou institution qui l’exprime. Philip
Turner décrit ce qu’il appelle « la théologie
réalisable » de l’Église dans un article de
2005 dans First Things intitulé « An
Unworkable Theology » :
Toute dénomination a ses articles et ses
livres de théologie, ses liturgies et ses
confessions de foi. Néanmoins, le
contenu de ces documents ne contrôle pas
nécessairement ce qu’on pourrait appeler
la « théologie réalisable » d’une Église.
… il faut revoir les résolutions adoptées
dans des réunions officielles et écouter ce
que le clergé dit dimanche après
dimanche du haut de la chaire. Il faut
écouter les conversations lors des
réunions du clergé et écouter les conseils
donnés aux paroissiens inquiets. En un
mot, la théologie réalisable d’une Église
se définit mieux en devenant ce que
l’anthropologie sociale appelle un
« observateur participant ».
La crise et les divisions récentes dans la
communion anglicane ont mis de nouveau sur
le devant de la scène, avec plus d’acuité
qu’auparavant, la question de savoir qui fait
la doctrine et qui peut résoudre les disputes
doctrinales. Des propositions, telles que
donner plus d’autorité aux rencontres de
primats, ou à l’archevêque de Cantorbéry
pour résoudre les disputes, entrent en conflit
avec la tradition qui veut que les détenteurs
de ces fonctions ne puissent exercer de
juridiction en dehors de leurs propres
provinces, dans la plupart des cas, bien qu’il
y ait des exceptions même à cette règle.
4. La relation entre doctrine et Révélation
Depuis les temps apostoliques jusqu’aux
Lumières, on enseignait généralement que la
totalité de l’Écriture était d’inspiration divine.
Au cours de la Réforme, il y a eu des débats
considérables concernant la nature de la
révélation de Dieu à l’humanité. Les
réformateurs anglais ont choisi de dire que la
Bible était « la Parole de Dieu écrite » en tant
que distincte de la Parole de Dieu incarnée
dans le Christ. La Parole écrite témoigne et
montre le Christ, de la même manière que
Jean le Baptiste a témoigné du Christ en
disant : « Il faut qu’il croisse et que je
diminue. » L’article 6 des 39 articles adopte
la position suivante :
VI. De la suffisance des Saintes Écritures
pour le salut.
Les Saintes Écritures contiennent toutes
les choses nécessaires au salut : de sorte
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 19
qu’on ne peut exiger d’aucun homme que
ce qui n’y est pas écrit ou qui ne peut être
prouvé par elles soit cru comme article de
foi, ou jugé nécessaire au salut. Par
Saintes Écritures, nous comprenons ces
livres canoniques de l’Ancien et du
Nouveau Testament dont l’autorité n’a
jamais fait de doute dans l’Église
(Canadian BCP. 1962, p. 700).
L’Écriture n’est pas un exposé exhaustif
de la vérité, mais seulement un exposé de
« toutes les choses nécessaires au salut. »
Certains groupes étendent le champ de son
autorité, mais les anglicans évitent les
extrêmes en faveur de la modération.
Stephen
Sykes
a
soigneusement
documenté les effets sur la doctrine des
développements de la pensée anglicane après
la Réforme. Il note que le mot
« compromis », si souvent utilisé pour décrire
la via media qui marque la voie anglicane
entre le catholicisme et les formes les plus
extrême du protestantisme, est incorrect, du
moins
lorsqu’on
l’applique
aux
développements tardifs depuis la fin du XIXe
siècle.
La via media anglicane englobait à
l’origine une Église qui se voulait à la fois
réformée et catholique et dont on pouvait
toujours dire qu’elle contenait des points de
vue qui penchaient tantôt d’un côté plus
« catholique », tantôt d’un côté plus
« réformé ». S’il faut parler de « camps », il y
avait aussi entre les deux, au XVIIIe siècle,
un vaste « camp » à qui on a attribué le nom
de « latitudinaire » à cause de la grande
latitude entre les divers points de vue qu’on y
trouvait.
Mais une nouvelle force théologique s’est
développée au XIXe siècle, d’abord en
Allemagne, puis, plus tard en Angleterre,
souvent avec des effets plus modérés : le
« modernisme » libéral où tous les aspects de
l’autorité biblique pouvaient dorénavant être
mis sous la loupe de la critique historique.
Sykes soutient que la montée de ces points de
vue dans l’Église d’Angleterre a suscité un
Page 20
problème bien plus grand que celui de faire
place à un quatrième « camp » à l’intérieur de
la « grande tente » anglicane. Pour lui, le vrai
problème était que, en tant que « camp », la
vision libérale créait un précédent en ne
présentant pas une nouvelle approche
doctrinale, mais en apportant, à la place, la
liberté de ne pas avoir de vision doctrinale. Il
y avait donc maintenant un quatrième camp
dont la caractéristique était de ne pas tenir
aux anciennes doctrines.
Dès les années 1920, un grand nombre de
membres du clergé étaient influencés, à des
degrés divers, par les points de vue critiques
modernes. Une des lumières de cette époque,
l’évêque Charles Gore, prêchait pour une
critique libérale modérée et passait pour un
dangereux libéral aux yeux de plusieurs. Mais
lorsque certains radicaux prétendirent que la
foi dans les anciens credos était périmée, il
écrivit que les membres du clergé devaient
rester fidèles aux symboles des Apôtres et de
Nicée. Une crise s’ensuivit et, en 1925,
l’archevêque de Cantorbéry nomma une
commission sur la doctrine chrétienne qui a
fini par faire plus de place à ceux qui
n’adhéraient plus aux credos et acceptaient la
critique historique. Le libéralisme était
devenu simplement une nouvelle « école de
pensée » à l’intérieur de l’Église
d’Angleterre, au grand désarroi de l’évêque
Gore.
Mais encore plus significatif, cependant,
a été le glissement de plus en plus évident qui
s’est produit à partir du milieu du XIXe
siècle : alors que le libéralisme latitudinaire
opposait « la simplicité et la diversité de
l’Écriture à la complexité et à la rigueur
uniforme de l’orthodoxie dogmatique
subséquente, la critique biblique soumettait la
Bible elle-même à l’interprétation libérale »
(Sykes 1978, 29). Une fois que des
affirmations claires de la Bible et des credos
concernant des sujets longtemps tenus comme
essentiels au récit du salut, comme la
naissance virginale ou la Résurrection, étaient
sujettes à la critique et au doute, personne ne
pouvait prévoir jusqu’où cela allait mener.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Au Canada, la scission entre la pensée
conservatrice et la critique libérale
moderniste, déjà présente dans les années
18802, est devenue beaucoup plus marquée au
tournant du XXe siècle.
Les révisions subséquentes des conditions
préalables à l’ordination, telles que présentées
dans l’examen en vue de l’ordination, ont
adouci l’interprétation de l’autorité de
l’Écriture et omis la mention des 39 articles.
Le rituel d’ordination, dans le Book of
Alternative Services canadien (1985, p. 6467), a enlevé l’obligation, pour les ordinands,
d’être « prêts, avec un fidèle empressement, à
bannir et chasser toutes doctrines erronées et
étranges contraires à la Parole de Dieu »
(BCP. 1962 p. 652).
Toute considération de la relation entre la
révélation et la doctrine doit affronter les
divers points de vue sur la « révélation » qui
sont survenus à l’époque moderne.
L’ancienne Église voyait le message de Dieu
à l’humanité comme révélé séparément,
d’abord à travers les prophètes et, à la fin de
tout, à travers notre Seigneur Jésus Christ,
une révélation qui ne peut être atteinte par le
seul raisonnement philosophique ; à l’opposé,
l’époque moderne a généralement relégué les
paroles prophétiques dans le domaine de la
superstition. La montée de ces points de vue
ou d’autres semblables a changé à jamais le
débat sur la « révélation ».
Le mouvement vers une plus grande
inclusivité théologique étire jusqu’à la limite
le concept de « tension créatrice » qui a
depuis si longtemps encouragé et béni les
anglicans. Vu l’amoindrissement actuel de
l’autorité biblique, il n’est pas rare d’entendre
dire qu’« on trouve de tout dans l’Église
anglicane ». Ce n’est toutefois évidemment
pas le cas : si ça l’était, pourquoi faudrait-il
encore des ordinations ? De plus, le Book of
Common Prayer (1962) demeure la norme
doctrinale officielle de l’Église anglicane du
Canada, selon le droit canonique3, et
réaffirmée dans des résolutions adoptées lors
de récents synodes généraux (2004, 2007).
Lorsque les anglicans parlent de lex
orandi lex credendi, ils font souvent allusion
aux livres de prières, soulignant que la
liturgie a une importance capitale dans la vie
de l’anglican moyen pour réaffirmer sa
croyance fondamentale dans le récit du salut
de la race humaine dans le Christ. Dans la
mesure où la révélation de ce récit est
exprimée dans les Écritures et contenue dans
le Book of Common Prayer (principalement),
le Book of Alternative Services et autres
liturgies approuvées principalement par le
synode général ou par les évêques
(secondairement), ces liturgies continuent
d’exprimer la doctrine de l’Église anglicane
du Canada.
1. Ainsi, le glossaire de travail de The Report of
the DOCTRINAL COMMISSION on the Blessing
of Same-sex Unions soumis à l’évêque, Pâques,
2004.
2. Notons que le Trinity College de Toronto a été
fondé en 1851. En 1877, le Wycliffe College a été
fondé pour appuyer le droit des laïcs à une bonne
formation théologique selon des croyances
évangéliques. L’arrivée de la controverse
fondamentaliste/moderniste qui a fait rage depuis
1906 jusque dans les années 1930 a approfondi la
scission entre les deux écoles et, selon plusieurs
observateurs, continue encore aujourd’hui
d’empoisonner l’anglicanisme dans le diocèse de
Toronto et au-delà.
3. Stephen Sykes a noté (1978, p. 45) qu’en
termes de discipline ecclésiale, l’Église
d’Angleterre est « tout probablement la moins
respectueuse des lois de toutes les provinces de la
communion anglicane, … prétendre que le droit
canon est lettre morte dans l’anglicanisme pourrait
bien être un reste de provincialisme anglais. »
Certains pourraient ergoter que l’expression
« moins respectueuse des lois » appartient en fait à
l’Église épiscopalienne des États-Unis (TEC).
Mais l’idée la plus importante, ici, c’est qu’il
existe un provincialisme qui tend à ne considérer
comme important que ce qui se passe dans les
provinces
blanches
d’Occident.
Plusieurs
théologiens africains et asiatiques appellent cela à
juste titre de l’« eurocentrisme ».
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 21
La doctrine dans la tradition baptiste
Rev. Kevin Smith
Présenté par le Rév. Kevin Smith, First Baptist Church, Kingston, Ontario,
au nom de la Convention baptiste de l’Ontario et du Québec et des
Baptistes canadiens de l’ouest du Canada.
Les baptistes canadiens, comme plusieurs
autres dénominations chrétiennes du Canada
qui ont une longue histoire, ont glané leurs
croyances dans plusieurs traditions. En plus
de l’histoire des premiers baptistes qui s’est
développée en Europe puis s’est répandue
dans d’autres parties du monde, les baptistes
accordent une très grande importance aux
racines néotestamentaires telles que nous les
percevons à l’intérieur de notre tradition. Ces
perceptions peuvent varier d’une association
baptiste à une autre et, en fait, d’individu à
individu. On accorde aussi un certain poids
aux développements doctrinaux de l’Église
primitive.
Au long de leur histoire, les baptistes ont
respecté les credos de l’Église primitive.
Quatre, je crois, sont dignes de mention. Le
symbole d’Athanase est cité dans le
Catéchisme orthodoxe de 16781, œuvre des
baptistes généraux, comme étant de grande
importance, avec le symbole de Nicée et le
symbole des Apôtres :
Les trois symboles, c’est-à-dire, le
symbole de Nicée, le symbole d’Athanase
et le symbole des Apôtres, comme on les
appelle couramment, doivent être reçus et
crus dans leur totalité. Car nous croyons
qu’ils peuvent être prouvés par l’autorité
indubitable de la Sainte Écriture et
doivent nécessairement être compris par
tous les chrétiens ; lesquels doivent en
être instruits par les ministres du Christ,
conformément à l’analogie de la foi,
rapportés dans les Saintes Écritures sur
lesquelles ces symboles sont fondés,
interprétés par le catéchisme et expliqués
dans toutes les familles chrétiennes pour
l’édification des jeunes et des vieillards,
comme moyen de prévenir l’hérésie dans
la doctrine et la pratique, car ces
Page 22
symboles contiennent
en résumé tout ce que
nous devons savoir, fondamentalement,
pour notre salut. Afin qu’ils soient
considérés et mieux compris par tous les
hommes, nous les avons imprimés ici
sous leurs nombreux titres comme suit...2
Un quatrième credo qui est estimé dans
les cercles baptistes est le symbole de
Chalcédoine, adopté au quatrième concile
œcuménique. Nous n’avons pas trouvé de
référence où il soit explicitement déclaré qu’il
est important. Cependant, dans la Seconde
confession de Londres des baptistes réformés
(1677)3 et le Catéchisme orthodoxe des
baptistes
généraux
(1678)4,
il
est
implicitement accepté.
Il y a une autre remarque importante à
faire à propos des credos. Le symbole de
Nicée a émané du concile de Nicée, en 325
apr. J.C. et a été légèrement modifié au
concile œcuménique de Constantinople, en
381. Bien que le symbole des Apôtres puisse
avoir connu des formulations primitives dans
les écrits d’Irénée et de Tertullien (fin du IIe
et début du IIIe siècle), il n’a été
officiellement accepté que bien après le
symbole de Nicée. Bien que les premiers
baptistes aient reconnu la primauté du
symbole de Nicée sur le symbole des
Apôtres, les baptistes canadiens n’ont pas
toujours été sensibles à cette distinction
significative. Philip Schaff est probablement
celui qui a le mieux défini les limites du
symbole des Apôtres :
En même temps, il faut reconnaître qu’à
cause de sa simplicité et de sa brièveté
mêmes, ce symbole, si admirablement
adapté à toutes les classes de chrétiens et
au culte public, n’est pas suffisant comme
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
règle de la doctrine publique à un niveau
plus
avancé
de
connaissances
théologiques.... Ainsi, le symbole de
Nicée exprime de manière plus claire et
plus forte la doctrine de la divinité du
Christ contre les ariens, et le symbole
d’Athanase, l’ensemble de la doctrine de
la Trinité et de la personne du Christ
contre les diverses hérésies postnicéennes. Les confessions de la Réforme
sont plus explicites quant à l’autorité et à
l’inspiration des Écritures et aux
doctrines du péché et de la grâce, qui
sont ignorées ou simplement tacites dans
le symbole des Apôtres.5
Un autre facteur qui a contribué à la
réflexion théologique dans le contexte
baptiste canadien est l’immigration. Comme
l’a fait remarquer Jerald Zeman, les baptistes
canadiens sont, avec les catholiques6, la
communauté
la
plus
culturellement
diversifiée au pays. Bien que les baptistes
canadiens se réjouissent et célèbrent cette
réalité, ils reconnaissent aussi que leurs
croyances, venues d’autres lieux que le
Royaume-Uni et les États-Unis, ne sont pas
nécessairement les mêmes. Les nouveaux
immigrants apportent avec eux les défis
théologiques qu’ils ont affrontés dans
d’autres pays. On pourrait citer de
nombreuses anecdotes. Je ne mentionnerai
qu’une situation. Le théologien baptiste Clark
H. Pinnock, dans son article « Baptists and
the ‘Latter Rain’: A Contemporary Challenge
and Hope for Tomorrow » plaide pour plus de
présence charismatique à l’intérieur de la
famille baptiste canadienne lorsque l’effusion
de l’Esprit Saint est manifestée7. En même
temps, de nombreux missionnaires baptistes
brésiliens arrivent de leur Brésil natal pour
s’associer aux congrégations baptistes
canadiennes. À cause de controverses
doctrinales au Brésil à l’intérieur de la
Convention baptiste brésilienne, on s’est
opposé fermement au parler en langues, etc.
Malgré ces différences, on note, la plupart du
temps, un respect mutuel au Canada.
1. Qu’est-ce que le dogme ou la
doctrine dans votre tradition ?
Les baptistes, comme les anabaptistes,
ont, tout au long de leur histoire, cherché
dans ce qu’ils croient être les idéaux du
Nouveau Testament ce que l’Église doit être
et doit croire. Cependant, ils ont aussi cherché
à éviter les excès de la réforme radicale. S’il y
a eu une influence significative de la tradition
anabaptiste, les baptistes viennent en fait du
mouvement séparatiste anglais qui a célébré
son 400e anniversaire en 2009. Ils s’étaient
réunis dans la ville de la première
congrégation baptiste, Amsterdam, aux PaysBas, où vivaient un groupe de chrétiens
anglais exilés qui avaient fui la tyrannie de
Jacques 1er. En étudiant les Écritures, ils sont
passés de sous-section du mouvement
puritain à une toute nouvelle dénomination.
On entend souvent, chez les baptistes, des
gens dire « aucun credo mais le Christ ». En
fait, cela semble avoir été emprunté aux
débuts du mouvement des Disciples du
Christ8. La réalité, c’est que depuis le début
du baptisme, il y a eu de nombreuses
confessions de foi et au moins un credo.
Comme ce fut le cas pour l’Église primitive,
les baptistes étaient toujours en train de «
faire de la théologie » en rapport avec les
problèmes du temps. Par exemple, durant le
règne de Charles II, les baptistes devaient se
distinguer des quinto-monarchistes séditieux
qui complotaient contre le gouvernement et
qui ont nui à la réputation des baptistes. La
plupart des baptistes ont suivi la voie non
violente de Kiffin et de Collier. the
nonviolent views of Kiffin and Collier.
Leon McBeth, dans The Baptist Heritage,
explique comment cela s’est fait au cours
historiquement :
Il n’y a peut-être pas de groupe en
Angleterre qui se soit livré à plus de
discussions publiques que les baptistes.
Entre 1641 et 1700, il y eut en Angleterre
au moins 109 débats publics impliquant
des baptistes, dont 79 entre 1641 et 1660.
Lors de ces discussions, des champions
baptistes se mesuraient à des adversaires
anglicans, indépendants, quakers ou
parfois catholiques. Les baptistes
recherchaient ces occasions, car elles leur
permettaient de prêcher l’Évangile à de
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 23
grandes foules, les aidaient à se défendre
contre
d’injustes
calomnies
et
conduisaient parfois à de nombreuses
conversions et à l’implantation de
nouvelles églises baptistes. Plusieurs
leaders baptistes de l’époque ont été
convertis lors de ces débats publics,
comme John Tombes, Henry Vessey et
Christopher Blackwood. Ils sont tous
devenus eux-mêmes des leaders de
débats, avec d’autres baptistes comme
William Kiffin, Jeremiah Ives et John
Bunyan.
Les sujets débattus pouvaient être le
baptême, que ce soit pour les enfants ou
les croyants,
ou par immersion ou
aspersion ; l’autorité de l’Écriture ; la
nature de l’Église ; la nature et la divinité
du Christ ; la nécessité de rites extérieurs;
la « lumière intérieure » ; et le sabbat du
septième jour. Parfois, les baptistes
débattaient entre eux sur l’expiation,
l’imposition des mains, le chant dans le
culte public, la prédestination, la
communion ouverte ou fermée, la perte
de la grâce et l’obligation d’obéir à un
gouvernement terrestre.
L’impact de ces discussions était
considérable. Plusieurs baptistes sont
devenus d’habiles débatteurs ; ils
cultivaient l’approche directe, mettant
l’accent sur l’Écriture et la logique. Alors
que plusieurs de leurs savants adversaires
enveloppaient leurs arguments dans un
langage touffu et pédant, les baptistes
(avec quelques exceptions) préféraient
parler comme « tout le monde ». Cela ne
veut pas dire qu’il n’y avait pas de
savants chez les baptistes ; en fait,
plusieurs des débatteurs baptistes étaient
des diplômés d’université, comme
Tombes, Jessey, Blackwood et autres.
Certains baptistes ont développé,
pourrait-on dire, des « spécialités » dans
les débats. Ainsi, Tombes était connu
pour ses arguments efficaces contre le
baptême des enfants et pour la liberté de
religion ; John Bunyan était connu pour
savoir réfuter les idées des quakers,
Page 24
contre lesquels il a mené six débats
publics.9
En lisant McBeth, on s’imagine voir Tommy
Douglas, un baptiste canadien du XXe siècle
qui, à sa manière, s’est engagé dans des
débats.
Pour les baptistes, le christianisme est
une manière de vivre, une sorte de
comportement. Mais le christianisme suppose
certainement un ensemble d’enseignements,
une manière de voir la réalité et soi-même, et
une perspective à partir de laquelle toute
expérience devient compréhensible. Les
enseignements ont souvent dû être
reformulés. Ainsi, les théologies baptistes
diffèrent, selon qu’elles ont été écrites dans
un contexte antérieur aux Lumières, moderne,
ou postmoderne. Dans ce dernier cas, le
regretté Stanley Grenz, théologien baptiste
canadien, a été un chef de file dans le
développement de la théologie dans un
contexte postmoderne.
2. Qu’est-ce qui est considéré
comme déclaration dogmatique ?
Les déclarations doctrinales baptistes peuvent
être très longues ou très courtes. Certaines
comprennent des références scripturaires,
d’autres non. La courte confession de John
Smyth, de 1609, ne remplit que deux pages
dans les Baptist Confessions de Lumpkin.
Elle contient vingt articles. La Confession de
Thomas Helwys, de 1611, contient vingt-sept
articles et couvre environ sept pages. Le
Catéchisme orthodoxe de 1678 contient
cinquante articles et couvre à près quarante
pages dans l’ouvrage de Lumpkin.
3. Qui peut faire des déclarations
dogmatiques ?
Lorsque le groupe de Thomas Helwys est
revenu d’Amsterdam en Angleterre en 1612,
il n’y avait, à l’époque, qu’une douzaine de
baptistes. Malgré la diversité de longueur,
d’auteurs ou de contenu, toutes les
confessions baptistes primitives n’étaient que
cela, des confessions. La confession était la
norme et n’avait pas le statut de credo. Dans
son excellent ouvrage, Credo, Jaroslav
Pelikan,
théologien
luthérien
devenu
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
orthodoxe, démontre de façon convaincante
qu’il n’y a pas de distinction entre credo et
confession. Pourtant, les premiers baptistes
pensaient qu’il y avait de réelles et
importantes différences. Une confession
affirme ce qu’un groupe de baptiste, petit ou
important, croit à une certain époque et dans
un certain lieu ; un credo prescrit que ce que
les membres doivent croire. Les premiers
baptistes prenaient soin de souligner que les
confessions n’étaient que des déclarations
humaines qui pouvaient être révisées plus
tard. Elles sont censées indiquer un consensus
de croyances et non quelque chose que
chaque membre doit signer pour montrer
qu’ils l’affirment.
Bien que l’Alliance baptiste mondiale
n’ait pas de confession de foi, plusieurs
congrégations, associations et conventions
baptistes particulières ont des confessions ou
déclarations de foi. Elles viennent souvent
d’un individu et d’un petit groupe de
personnes et sont étudiées et améliorées par
un plus large groupe jusqu’à ce que le texte
devienne une déclaration approuvée. Dans le
contexte baptiste canadien, les quatre
associations/conventions ont des déclarations
doctrinales officielles (l’Union d’Églises
baptistes françaises au Canada, la Convention
des Églises baptistes de l’Atlantique, les
Baptistes canadiens de l’Ontario et du
Québec, autrefois la Convention baptiste de
l’Ontario et du Québec, et les Baptistes
canadiens de l’ouest du Canada). Les
Baptistes canadiens de l’Ontario et du
Québec ont formalisé le document d’étude
This We Believe lors de leur assemblée de
2008. Quant aux Baptistes canadiens de
l’ouest du Canada, ils ont une déclaration de
mission qui affirme le symbole de Nicée et le
symbole des Apôtres. Mais ils ont aussi une
déclaration de foi qui reflète les croyances
adoptées par le Carey Theological College.
La Convention des Églises baptistes de
l’Atlantique a adopté la déclaration
théologique Basis of Union en 1905/1906.
L’Union d’Églises baptistes françaises au
Canada a une déclaration de foi depuis
plusieurs années.
4. Quelle est la relation entre la
doctrine et la révélation ?
Nous croyons que la doctrine découle des
enseignements des Écritures. Historiquement,
les baptistes ont cherché à déterminer le «
sens littéral » de l’Écriture. Mais ils insistent
aussi sur le fait que tout croyant a le droit de
lire et d’interpréter la Bible par lui-même. Ils
croient aussi, avec Roger Williams, qu’il y a
toujours plus de lumière à découvrir dans les
Écritures. Plus récemment, l’attention aux
genres dans l’Écriture a aussi été considérée
comme importante. Les confessions n’ont
jamais l’autorité des Écritures. Elles sont
toujours sujettes à changement et sont
généralement acceptées par un groupe, grand
ou petit. Par exemple, les confessions peuvent
être modifiées selon qu’un groupe accepte ou
rejette la nouvelle interprétation de l’Apôtre
Paul promue par des gens comme James
Dunn et N. T. Wright et contestée par
Stephen Westerholm et Scot Simon
Gathercole. La doctrine en cause est celle de
l’expiation.
Les baptistes croient en l’autorité des
soixante-six livres de l’Ancien et du Nouveau
Testament. Les apocryphes n’ont jamais été
considérés comme aussi importants, bien que
plusieurs baptistes en trouvent la lecture
intéressante.
Après avoir souligné la nature locale et
régionale des confessions, il faudrait
souligner que la seconde Confession de
Londres a été suivie de plusieurs, dont la
Confession de Philadelphie, la Confession du
New Hampshire et toutes les déclarations des
baptistes du Sud. Certaines offrent une
interprétation plus large et d’autres, comme la
déclaration de foi de l’an 2000, ont pour but
d’exclure. Cependant, même ce dernier
document, intitulé Baptist Faith and Message,
se décrit, dans son préambule, comme une
déclaration générale de foi. Cependant, les
missionnaires baptistes du Sud, entre autres,
ont dû la signer. Elle est souvent une
condition préalable pour être appelé à une
église locale dans la famille baptiste du Sud.
Les baptistes canadiens, à l’opposé, ne
limitent pas l’adhésion d’une manière aussi
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 25
étroite. Nous ferions bien de nous rappeler les
paroles de deux baptistes du Sud décédés :
La vie dans l’Église, à laquelle nous
sommes appelés par la grâce de Dieu, est
une vie de fraternité. Cela signifie
naturellement plus que le plaisir de la
compagnie, d’autres qui pensent comme
nous ou qui aiment les choses qui nous
enchantent. Lorsque la fraternité se limite
à un niveau aussi superficiel, elle ne peut
supporter les tensions des désaccords ou
des déceptions. La fraternité de l’Église
qui vient, ou qui fait partie d’une
conversion, est en premier lieu une
fraternité de participation commune à
l’appel et au don de la miséricorde de
Dieu. Ce qui en résulte est un autre
partage, quand les chrétiens reconnaissent
leur responsabilité commune non
seulement les uns envers les autres, mais
aussi envers le reste du monde10.
1. W. L. Lumpkin, Baptist Confessions of Faith,
Judson Press, 1974, p. 326.
2. Lumpkin, p. 326.
3. Lumpkin, p. 260-263.
4. Lumpkin, p. 299-301.
5. Philip Schaff, The Creeds of Christendom with
a History and Critical Notes, Sixth Edition, Harper
and Row, 1931, volume one, p. 16.
6. Jarold Zeman, They Speak in Other Tongues:
Witness Among Immigrants in Baptists in
Canada: Search for Identity Amidst Diversity, G.
R. Welch Company, Limited, 1980, p. 67-86.
7. Clark H. Pinnock, « Baptists and the ‘Latter
Rain’: A Contemporary Challenge and Hope for
Tomorrow » in Costly Vision: The Baptist
Pilgrimage in Canada, Welch Publishing
Company, Incorporated, 1988, p. 255-272. Il y a
lieu de noter qu’il n’y a pas unanimité parmi les
baptistes canadiens sur la déclaration de Clark
Pinnock. Il est probable qu’on puisse dire la même
chose des baptistes brésiliens qui font du ministère
au Canada en ce qui a trait à leur point de vue sur
les manifestations des dons charismatiques.
8. Alexander Campbell, un des fondateurs des
Disciples du Christ, dénigrait l’importance des
credos. Pour un exemple de son point de vue, voir
Curtis W. Freeman, James William McClendon
Jr., et C. Rosalee Velloso Ewell, Baptist Roots: A
Reader in the Theology of a Christian People
Judson Press, 1999,pp. 227, 231. On en trouvera
un autre exemple sous la plume de Harry Emerson
Fosdick, à la page 313 de Baptist Roots. En dépit
d’aberrations occasionnelles chez les baptistes à
propos des credos, les éditeurs de Baptist Roots
résument ainsi les points de vue baptistes à la page
14 : « Les baptistes, dans l’ensemble, n’ont pas
renié les credos chrétiens historiques. »
9. H. Leon McBeth, The Baptist Heritage: Four
Centuries of Baptist Witness, Broadman Press,
1987, p. 64-65.
Brooks Hays et John E. Steely, The Baptist Way
of Life: What It Means to Live and Worship as a
Baptist, Mercer University Press, 1981.
Photo de groupe des membres de la Commission Foi et témoignage, avec
l’aimable autorisation du Conseil canadien des Églises.
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Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
La Société religieuse des Amis (Quakers)
« Être doctrine dans le monde »
Keith R. Maddock
Keith R. Maddock est membre de l’Assemblée mensuelle de Toronto, dans
le cadre de l’Assemblée annuelle canadienne de la Société religieuse des
Amis Canadian (Quakers). Détenteur de maîtrises en éducation religieuse
et en théologie d’Emmanuel College, il a écrit des articles pour des
journaux et des antologies, dont The Canadian Friend, Friends Journal, et
Spirituality (Dominican Publications). Mais son inspiration première pour
« être doctrine dans le monde » a été la visite de détenus dans la prison de
Toronto, la « Don Jail ».
La source principale de la vérité doit être
la Vérité elle-même. Lorsque nous suivons un
ruisseau jusqu’à l’endroit d’où il surgit de la
terre, nous ne pouvons aller plus loin. Cela
doit être considéré comme la source, car nous
ne pouvons sonder l’intérieur de la terre et ses
ramifications sont impénétrables, Rober
Barclay, Apology (1678)
Robert Barclay, Apology (1678)
(Barclay’s Apology in Modern English, édité par Dean
Freiday (Newburg, OR: The Barclay Press, 1991), p.
46.
Nés de la réforme radicale survenue dans
l’Angleterre du XVIIe siècle, les premiers
Amis ont rejeté l’apparat institutionel de la
religion organisée, y compris ce qu’ils
appelaient « maisons à clocher », « prêtreslaquais », les credos traditionnels et presque
toutes les formes de liturgie. Dans la tradition
des Amis, le terme « doctrine » a souvent été
suspect, bien qu’on puisse le considérer
comme le moyen de transmettre nos
témoignages de foi aux futures générations. À
cet égard, les premiers Amis fondaient leur
système de croyances sur les enseignements
essentiels de Jésus, particulièrement ceux qui
se rapportaient à des principes tels la paix, la
simplicité, l’égalité et l’intégrité relative à la
Vérité en tant que norme de notre
témoignage. L’expérience de la présence de
Dieu,
intervenant
à
travers
ces
enseignements,
peut
être
connue
intérieurement par quiconque est ouvert à la
révélation dans le moment présent et préparé
dans son cœur et son esprit à vérifier leur
expérience par la lecture des Écritures,
cherchant le discernement dans des
assemblées silencieuses pour le culte et
travaillant activement à réaliser la paix et le
bien-être de tous.
Alors que les dialogues œcuméniques sur
la doctrine tendent à se centrer sur des credos
comme points de référence, les Amis évitent
explicitement toute formule de croyance. La
règle générale est que la révélation de la
Vérité est un processus continu. Ce processus
est équilibré par des pratiques, comme tenir
un journal personnel et rechercher le
discernement dans des comités de clarté ou de
petites réunions d’Amis qui s’encouragent les
uns les autres à discerner la Vérité à travers
des défis spécifiques et des ouvertures au
service.
Dans ce cas, comment la doctrine est-elle
transmise de génération en génération sans
que le message originel soit déformé? Cela
est un défi permanent, particulièrement
lorsque les Amis se sentent appelés à être des
partenaires œcuméniques, et maintenant
interreligieux, responsables dans la mission
pour la justice et la paix. À mon avis, être des
partenaires responsables suppose être fidèles
à la tradition reçue des ancêtres tout en étant
ouverts à la possibilité que d’autres puissent
être également fidèles à leurs croyances, bien
qu’exprimées en termes différents. Parmi les
moyens d’atteindre la cohérence, une forme
élémentaire de catéchèse connue sous le nom
de « conseils et questions » a été développée
traditionnellement par chaque Assemblée
annuelle lorsqu’elle sent le besoin de produire
une déclaration unifiante. Voici un exemple
tiré des Advices and Queries of Britain Yearly
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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Meeting (l’Assemblée annuelle canadienne
est à élaborer sa propre Assemblée annuelle) :
Cherchez-vous à vous réserver des
moments de calme pour l’ouverture à
l’Esprit Saint? Nous avons tous besoin de
trouver un chemin vers le silence qui
permet d’approfondir notre conscience du
divin et de trouver la source intérieure de
notre force. Cherchez à connaître la
tranquillité intérieure, même au milieu
des activités quotidiennes. Encouragezvous, en vous-même et dans les autres,
l’habitude de dépendre de la direction de
Dieu pour chaque jour? Tenez-vous,
vous-même et les autres, dans la Lumière,
sachant que nous sommes tous aimés de
Dieu.
Query # 3, Advices and Queries, Britain Yearly
Meeting (1995)
Faire jouer l’imagination dogmatique
Alors que je terminais ma maîtrise à la
Toronto School of Theology, un des derniers
cours portait le titre énigmatique « L’histoire
du protestantisme radical ». Il semblait offrir
quelque chose qui avait manqué à mon
éducation jusque-là, une approche intégrante
à la doctrine chrétienne qui aiderait à combler
les
différences
entre
les
diverses
dénominations.
Le protestantisme radical couvre une
variété de systèmes de croyances, depuis les
premiers
mennonites
et
anabaptistes
jusqu’aux formes plus contemporaines du
méthodisme et du pentecôtisme. La Société
religieuse des Amis, à laquelle j’adhérais déjà
à l’époque, était elle-même un produit du
ferment spirituel qui s’était répandu à travers
l’Europe au cours du XVIIe siècle. Les Amis
avaient beaucoup en commun avec les
baptistes, les pentecôtistes, les mennonites,
les anabaptistes et des mouvements plus
tardifs comme les méthodistes et l’Armée du
salut. Chacune de ces dénominations était
bien représentée dans la classe, avec en plus
deux séminaristes jésuites qui nous
rappelaient le ferment qui a aussi contribué à
réformer l’Église catholique à l’époque de la
contre-réforme.
Le cours était donné par le professeur A.
James Reimer, de la faculté du Mennonite
Conrad Grebel College de Kitchener, Ontario,
Page 28
dont le livre, The Dogmatic Imagination:The
Dynamics of Christian Belief (Waterloo, ON,
Herald Press, 2003), aide à comprendre la
doctrine à une époque où des mots comme «
doctrine » et « dogme » en rebutent plusieurs
qui se sentent aliénés par des institutions
religieuses inflexibles. Toutefois, lorsque
qu’on les lie au mot « imagination », le
dogme ou la doctrine, compris comme
enseignement traditionnel, est moins rebutant.
Alors que plusieurs d’entre nous avons
souvent eu envie de nous débarrasser du
bagage doctrinal au cours de notre
cheminement spirituel, Reimer nous rappelle
que le langage théologique (qui est aussi le
langage de la Bible) est « le riche langage
multidimensionnel de l’imagination, le
langage de la transparence. »
Si
l’expression
«
imagination
dogmatique » peut sembler contradictoire,
elle suggère que la doctrine est un travail (à
l’imitation de la Création elle-même) en
chantier. Le langage et la métaphore sont des
phénomènes culturels qui permettent aux
gens de communiquer ce qu’ils considèrent
comme les plus importantes (ou ultimes)
dimensions de leur vie dans la communauté.
La recherche de la foi n’est jamais statique,
mais constamment ouverte à l’engagement
imaginatif avec la tradition et avec le monde
dans lequel nous vivons. À cet égard, nous
comprenons pourquoi Jésus, en enseignant
des vérités profondes pour ranimer la
mémoire religieuse par des paraboles, a cité
les paroles d’Isaïe : « … parce qu’ils
regardent sans regarder et qu’ils entendent
sans entendre ni comprendre » (Mt 13, 13
TOB). Comment pouvons-nous dialoguer
avec le monde en vue du changement, sans
les outils pour discerner comment l’Esprit est
déjà à l’œuvre dans le monde ?
Reimer souligne le fait que « le défi n’est
pas de rejeter les dogmes (enseignements) de
l’Église, mais de stimuler notre imagination à
leur sujet – d’aller plus en profondeur en
enrichissant notre langage. » Les Amis,
comme nous le verrons, ont profité d’une
approche semblable. Être capable de formuler
des croyances communes d’une manière
intègre demande de résister au modèle
dualiste du monde, qui sépare le religieux et
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
le spirituel des affaires séculières et la foi de
la compréhension rationnelle.
Les Amis et la source
Robert Barclay (1648-1690) a été le
premier, et certains pourraient dire le seul,
théologien systématique dans les débuts de la
Société religieuse des Amis. Il a écrit son
œuvre profonde et influente, Apologie, à une
époque où les Amis se relevaient de la
persécution par les institutions laïques et
religieuses en Angleterre. Au début, le
mouvement était uni dans sa croyance que la
révélation continue de l’Esprit de Dieu
pouvait être perçue intérieurement. Mais,
avec l’arrivée du siècle des Lumières,
plusieurs Amis ressentaient aussi le besoin
d’un
fondement
rationnel
de
leur
compréhension du « christianisme primitif »,
une foi plus proche de l’enseignement
originel de Jésus et de l’Église primitive.
Bien que l’ouvrage de Barclay n’ait jamais
été considéré comme une déclaration
définitive de la foi quaker, il est fidèle à la
conviction des Amis concernant une
révélation personnelle inspirée, confirmée par
l’Écriture et éprouvée selon les normes
évoluantes acceptées par la communauté de
foi. En ce qui concerne Barclay, on l’a aussi
décrite comme une « réflexion constante » à
partir du calvinisme strict de sa jeunesse, de
son éducation théologique catholique sur le
continent et, finalement, de sa « conviction »
quaker.
Dans le préambule à une discussion sur
l’Écriture, il écrit : « Parce que les Écritures
ne sont qu’une déclaration sur la source, et
non la source elle-même, elles ne peuvent
être considérée comme le fondement de toute
vérité et connaissance. Elles ne sauraient
même pas être considérées comme une règle
première suffisante de toute foi et pratique.
Cependant, parce qu’elles donnent un vrai et
fidèle témoignage de la source elle-même,
elles sont et peuvent être vues comme une
règle secondaire subordonnée à l’Esprit, de
qui elles reçoivent toute leur excellence et
leur certitude » (Barclay, 47).
L’Écriture est une forme de témoignage
qui reflète les limites humaines. Cette
proposition devrait nous faire prendre
conscience du fait que l’interprétation de la «
bonne nouvelle » pour nos contemporains est
aussi sujette à des préjugés personnels et à
des
déformations
culturelles.
Ainsi,
quiconque aborde la vie à partir d’une
perspective religieuse a la vocation et la
responsabilité d’affronter les questions
soulevées par les enseignements traditionnels.
Bien que nous ne possédions pas tous les
outils pour faire de la théologie systématique
classique, nous pouvons être rassurés en
sachant que l’Écriture parle de différentes
manières à différentes personnes, à travers
nos
capacités,
intérêts
et
besoins
différemment accordés. La reconnaissance de
nos dons individuels de compréhension
conduit aussi à un autre niveau
d’interdépendance et de responsabilité.
John Barclay comprenait les Écritures
comme un miroir incomparable « dans lequel
nous pouvons voir les conditions et
expériences des anciens croyants. » En
trouvant que notre propre expérience est
analogue à la leur, nous sommes confortés et
raffermis dans notre espérance de la
rédemption qu’ils ont connue. Il poursuit :
« En observant la providence qui a veillé sur
eux, et les pièges qu’ils ont rencontrés, et en
voyant par quels moyens ils ont été délivrés,
nous pouvons nous trouver conduits vers le
salut et réprimandés de manière appropriée et
instruits dans la vertu. »
L’œcuménisme: la puce dans l’oreille
de l’éléphant
Les Amis au Canada ne s’identifient pas
comme une « Église ». J’ajouterais que ce
n’est pas le cas pour tous les Amis à travers le
monde, dont plusieurs s’identifient à l’Église
chrétienne et emploient des pasteurs pour les
conduire dans le culte et les soins pastoraux.
Cependant, tous continuent d’éviter les
confessions de foi officielles et les formes
extérieures de sacrements, en éprouvant les
directions individuelles dans un temps de
silence à l’intérieur du culte commun et en
encourageant les pratiques disciplinaires du
journal personnel et des assemblées de clarté.
Il y a eu des périodes dans notre histoire où
les Amis étaient ou bien hostiles à l’égard des
autres groupes religieux, ou bien repliés dans
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 29
un isolement quiétiste. Ces caractéristiques
n’ont pas fait des Amis des partenaires faciles
dans les efforts œcuméniques. Pourtant,
malgré cela, les Amis ont été continuellement
interpellés par l’affirmation qu’il y a
« quelque chose de Dieu » dans toutes les
personnes, indépendamment des formes
extérieures de leurs croyances, et qu’il faut
être ouvert à la « Vérité » d’où qu’elle
vienne.
Pour être franc, en tant qu’organisation
relativement petite en dialogue avec de plus
considérables Églises institutionnelles, nous
nous sentons parfois comme une famille de
puces qui aurait élu domicile dans l’oreille
d’un éléphant. Les puces demandent poliment
à l’éléphant la permission d’établir leur
résidence et, comme l’éléphant ne dit rien,
elles prennent son silence pour une forme de
consentement. Beaucoup plus tard, quand les
puces décident de déménager ailleurs, elles
assurent l’éléphant que leur déménagement
ne remet nullement en cause l’hospitalité de
l’éléphant. De nouveau, l’éléphant ne dit rien
et les puces supposent qu’il n’y a pas eu
d’offense. Ce silence est rarement pris pour
de l’indifférence, bien que nous nous
demandons parfois si notre présence a été
remarquée.
En gardant à l’esprit cette parabole, nous
espérons que vous ne serez pas offensés si, à
l’occasion, nous semblons montrer de la
tiédeur envers les doctrines et credos
religieux comme sujet de dialogue. À ce
moment de notre histoire, l’Assemblée
annuelle canadienne se débat honnêtement
pour se faire à l’idée des « racines
chrétiennes » de notre tradition, tout en
s’adaptant aux défis multireligieux et
séculiers du XXIe siècle. Bien que les
origines uniques de notre mouvement nous
soient chères, nous sommes plus que jamais
conscients du gouffre qui sépare la réforme
radicale du XVIIe siècle de la réforme
radicale qui continue de se déployer dans le
Page 30
XXIe. La poursuite du dialogue avec des
Églises institutionnelles professant un credo
nous offre la consolation de nous rappeler
notre famille d’origine. En retour, cependant,
nous pouvons seulement espérer avoir donné
à nos partenaires l’envie de réfléchir sur
l’importance de l’humilité et de l’ouverture à
l’ineffable mouvement de l’Esprit.
Alors que les Amis réfléchissent sur la
source de leur foi, les paroles de George Fox
(premier fondateur de notre mouvement),
écrites dans la prison de Launceston en 1656,
nous inspirent ce modèle œcuménique pour
« être doctrine dans le monde. »
Ceci est la parole du Seigneur Dieu pour
vous tous et une responsabilité pour vous
en présnce du Dieu vivant : Soyez des
modèles, des exemples dans tous les
pays, lieux, îles, nations, où que vous
alliez, afin que votre comportement et
votre vie prêchent parmi et à toutes sortes
de gens. Alors, vous marcherez
joyeusement au-dessus du monde,
répondant à ce qui est de Dieu en chacun.
Vous pourrez ainsi être une bénédiction
en eux et faire que le témoignage de Dieu
en eux vous bénisse. Vous serez alors une
douce saveur et une bénédiction au
Seigneur Dieu.
Assemblée annuelle canadienne de la Société
religieuse des Amis
Buckley, Paul & Angell, Stephen W., éditeurs,
The Quaker Bible Reader, Richmond, IN: The
Earlham School of Religion, 2006.
Freiday, Dean, éditeur, Barclay’s Apology in
Modern English, Newberg, OR, The Barclay
Press. 1991.
Maddock, Keith R, A Rainbow of Opportunity:
Friends and the Ecumenical Spirit, Canadian
Quaker Pamphlet Series No. 61. 2005.
Steere, Douglas V., éditeur, Quaker Spirituality:
Selected Writings, NY, Paulist Press (Classics of
Western Spirituality Series), 1984.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
La Doctrine, le Dogme et les Disciples
Neil Bergman
Neil Bergman est natif d’Edmonton, Alberta. Il est diplômé de l’université
de l’Alberta, du Lexington Theological Seminary (M.Div.) et de l’Atlantic
School of Theology (M.Th.). Il est marié à Shirley (Ramey) et ils ont deux
fils, Andrew et Karl. Depuis 1978, Neil fait du ministère dans des églises
des Disciples en Nouvelle-Écosse. Il est un ancien président de l’Atlantic
Ecumenical Council.
Lorsque les Disciples et
les Chrétiens du Midwest
américain se réunirent, en 1832, une tradition
d’unité des chrétiens délibérément exempte
de doctrines et de dogmes, sauf la foi en Jésus
comme Christ et Sauveur du monde et dans la
Bible comme révélation de Dieu au monde,
s’était déjà développée des deux côtés de
l’union. Les Disciples sont toujours une
Église sans credo.
Le rêve des Disciples, c’est que l’unité
était et est toujours fondée sur le don de Dieu
en Jesus-Christ, qu’elle peut se conserver
dans une riche diversité de croyances, et
qu’aucune doctrine ne doit diviser la
fraternité des chrétiens. L’autorité de
proposer une doctrine en complément à
l’enseignement des Écritures ou une
interprétation des Écritures repose en premier
lieu sur l’individu et seulement en deuxième
lieu sur la communauté des fidèles. Bien que
les Disciples aient une ecclésiologie qui
affirme que « l’Église » s’exprime dans des
congrégations, des régions et dans l’Église en
général (avec des unités générales et
l’Assemblée générale), pour les Disciples,
aucune forme de l’Église ne peut imposer une
doctrine sur toute autre expression ou
ministère de l’Église.
Une des questions de la Commission foi
et témoignage du Conseil canadien des
Églises est de savoir ce qui constitue une
doctrine et ce qui constitue un dogme dans
chacune de nos deux traditions. Pour les
Disciples, il s’agit d’une question très
intéressante et insaisissable, une question que
nous n’avons pas l’habitude de prendre en
considération.
Les Disciples ont en fait un corps
d’enseignements et, par conséquent, ce qu’on
pourrait considérer comme des doctrines.
Cependant,
un
de
nos
principes
fondamentaux est de ne jamais demander à
quelqu’un de juger une autre personne sur des
questions de doctrine afin que nous puissions
exprimer notre unité fondamentale en tant
que chrétiens, don de Dieu et non réalisation
humaine. Les Disciples ont été fondés afin de
ne pas avoir à exiger d’affirmation de
confession de foi avant d’être admis à la
Table du Seigneur. L’adhésion aux Disciples
suppose l’affirmation (confession) de la foi
en Jésus comme Seigneur et Sauveur
personnel, mais non une déclaration de ce
qu’on croit à propos de Jésus.
En ce qui a trait au dogme, la seule norme
est l’acceptation du Nouveau Testament en
tant qu’autorité absolue pour le plan et
l’enseignement de l’Église. Ainsi, pour les
premiers Disciples, le Nouveau Testament
faisait partie du dogme, mais l’Ancien
Testament, si utile qu’il soit pour l’étude et
les discussions doctrinales et théologiques,
n’était pas un dogme. L’interprétation du
Nouveau Testament par les premiers
Disciples tendait à être littérale, mais aussi
rationnelle. Les Disciples étaient une Église
des Lumières, née de la période
postrévolutionnaire en Amérique et en
Grande-Bretagne. Cependant, les Chrétiens
auxquels ils se sont unis en 1832 sont nés du
second grand réveil, et leurs premiers leaders
n’étaient
pas
tous
aussi
rationnels
qu’Alexander Campbell et Walter Scott.
Les Disciples qui ont suivi n’ont pas
rejeté la critique textuelle du Nouveau
Testament survenue à la fin du XIXe siècle.
Par conséquent, on ne pouvait plus citer le
Nouveau Testament de façon dogmatique et
hors contexte. Les Écritures étaient toutes
perçues comme se développant de manière
progressive,
et
pas
nécessairement
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 31
cohérentes. Pourtant les Écritures, l’Ancien et
le Nouveau Testaments et les apocryphes,
étaient vues davantage comme un ensemble
complet d’enseignements et l’histoire du
salut, avec une autorité relative et
contextuelle. Chacun des « écrits » (le mot
grec que nous traduisons par écritures) était
utile mais aussi enraciné dans son propre
contexte.
Ce qui suit est tiré de la page Web des
Disciples :
Comme la plupart des chrétiens, les
Disciples affirment que :
Jésus-Christ est le fils du Dieu Vivant.
Toutes les personnes sont enfants de Dieu.
Les croyances et pratiques généralement
associées aux Disciples sont :
La Communion ouverte. La Cène du
Seigneur ou Communion est célébrée dans
un culte hebdomadaire. Elle est ouverte à
tous ceux qui croient en Jésus-Christ.
La liberté de croyances. Les Disciples
sont unis autour d’un élément essentiel de
la foi : la foi en Jésus-Christ comme
Seigneur et Sauveur. Les gens sont libres
de suivre leur conscience, guidés par la
Bible, le Saint Esprit, l’étude et la prière et
doivent reconnaître cette liberté aux autres.
Le baptême par immersion. Par le
baptême, l’ancienne vie centrée sur soi est
abandonnée et une nouvelle vie de
confiance en Dieu commence. Bien que les
Disciples pratiquent le baptême par
immersion, d’autres traditions baptismales
sont respectées.
La croyance dans l’unité de l’Église.
Tous les chrétiens sont appelés à être un
dans le Christ et à rechercher les occasions
de témoignage et de service.
Le ministère des croyants. Les ministres
ainsi que les laïcs dirigent le culte, le
service et la croissance spirituelle.
Les congrégations des Disciples célèbrent
la Cène du Seigneur chaque dimanche. La
table est ouverte. Cela signifie que tous les
chrétiens sont invités à répondre à
l’invitation du Christ de se rapprocher de
Lui autour de la table de communion. Pour
les Disciples, la table ouverte est un
puissant symbole de notre engagement
profond envers l’unité chrétienne. La table
ouverte respecte la diversité même
lorsqu’elle célèbre l’unité en Christ.
Page 32
L’expression
Mouvement
de
la
Restauration a été largement utilisée dans
notre histoire pour décrire un fondement
quelque peu différent pour l’unité que la
formule « pas de credo mais le Christ » : que
l’unité se trouve chez ceux qui sont d’accord
sur ce que l’Église primitive pratiquait et
croyait. Cela faisait partie de l’erreur de la
pensée moderne des Lumières, qu’on pouvait
trouver une seule vérité statique. L’étude de
la Bible a conduit plusieurs théologiens et
autres étudiants à remarquer qu’il y avait
beaucoup de diversité dans l’Église primitive,
aussi bien dans les croyances que dans les
prescriptions. Il n’y a pas une seule Église
primitive. Le Nouveau Testament, comme
l’Ancien, contient une grande variété de
théologies et de contextes. Le mouvement
Stone-Campbell n’est pas le seul corps
religieux qui se soit appelé ou qui ait été
appelé historiquement mouvement de la
restauration. Dans le contexte de l’Ouest
américain au XIXe siècle, les Mormons sont
aussi une Église de la Restauration, si peu
orthodoxes qu’ils puissent paraître aux yeux
des autres. La plupart des Églises au XXe
siècle s’efforcent de poser des questions
propres à la Restauration. Je crois que
l’aspect le plus important d’une tentative de
restaurationnisme, c’est l’étude de l’Église
avant qu’elle ne fasse partie de l’empire
romain (avant la chrétienté). Particulièrement
à une époque où il faut être Église dans une
culture postchrétienne, nous avons besoin de
redécouvrir ce que signifie être une Église en
marge tout en étant unis à la création de Dieu.
La pratique des Disciples est de préparer
les candidats au baptême, ainsi que ceux qui
ont été baptisés dans d’autres Églises mais
qui désirent devenir membres d’une
congrégation des Disciples, par une
confession de foi. Il n’y a pas de catéchisme
comme tel, mais l’instruction a toujours
inclus des enseignements sur Dieu et
l’Alliance, les enseignements de Jésus, la
signification des confessions et du baptême,
la Table du Seigneur, la nature de l’Église et
la recherche de l’unité chrétienne.
Les Disciples ont pris part à toutes les
manifestations du mouvement œcuménique
depuis 1910. Les rencontres avec d’autres
chrétiens dans des consultations conciliaires
ou autres continuent d’informer les Disciples.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
La doctrine dans l’Église Unie du Canada
Dr. Gail Allan et Rev. Dr. Margaret Trapnell
Gail Allan, Th.D., est coordonnatrice du programme inter-Églises et
interreligieux du secteur des relations globales et œcuméniques de l’Église
unie du Canada. Cela comprend la participation à des groupes nationaux et
internationaux ainsi que le soutien aux personnes engagées dans le
dialogue et l’action dans leurs communautés locales. Elle détient un
doctorat en éthique de l’Emmanuel College de la Toronto School of
Theology. Membre actif de l’Église unie, elle a travaillé pendant plusieurs
années sur les questions de justice globale et sociale, particulièrement la
justice économique et la justice pour les femmes. Elle a aussi travaillé
pendant neuf ans auprès du Presbyterian World Service and Development pour l’éducation au
développement dans l’Ouest du Canada, et a fait des travaux en recherche, évaluation,
planification de programme et facilitation pour des groupes confessionnels
et œcuméniques.
La révérende Dr Margaret A. Trapnell est ministre ordonnée de l’Église
unie du Canada et exerce son ministère dans une paroisse du sud-ouest de
l’Ontario. Elle s’intéresse à l’exploration de l’esprit créatif par
l’iconographie, la photographie et la poésie.
L’Église unie du Canada est souvent
perçue comme mettant l’accent sur des
questions de justice plutôt que sur des
questions doctrinales, au point où certains
prétendent que l’Église n’a pas de doctrine.
Selon le dictionnaire Oxford, la doctrine « est
ce qui est enseigné, un ensemble
d’enseignements
religieux,
politiques,
scientifiques, etc., croyances, dogmes ou
opinions ». Selon cette perspective, l’Église
unie a en fait une doctrine, une doctrine
fermement fondée sur le quadrilatère
wesleyen de l’Écriture, de la raison, de la
tradition et de l’expérience. Le rôle de la
révélation est aussi vu dans la présence de
l’Esprit Saint que nous prions pour qu’il
inspire notre travail et nous guide quand nous
réfléchissons ensemble à ce que nous
croyons. Ainsi, plusieurs membres de l’Église
unie pourraient affirmer que l’engagement
envers la mission et la justice est fermement
enraciné dans la doctrine que l’Église
continue de formuler depuis sa fondation en
1925.
La déclaration doctrinale originelle de
l’Église unie est contenue dans les « Principes
d’union » adoptés en 1925. Cette déclaration
a été rédigée par des
représentants
des
dénominations
fondatrices
:
l’Église
presbytérienne
au
Canada,
l’Église
méthodiste, les Églises congrégationalistes du
Canada et un groupe d’Églises locales
formées en vue de l’union. Ses Vingt Articles
de Foi constituent un document fondateur
accepté par les dénominations fondatrices et
qui a rendu possible la fusion. Le préambule
aux vingt articles les affirme comme
« substance de la foi chrétienne, telle que
nous y adhérons de manière générale » et « en
substance conforme à l’enseignement des
Saintes Écritures » Avant d’être admis à
l’ordination dans l’Église unie du Canada, les
ministres
doivent
déclarer
être
« essentiellement d’accord » avec ces vingt
articles1. Et, comme c’est généralement le cas
dans notre Église, cela signifie quelque chose
de différent pour à peu près toutes les
personnes qui doivent faire cette déclaration.
Pour certains, les Principes d’Union sont un
document historique sans grand rapport avec
le monde contemporain et pour d’autres, c’est
la seule déclaration doctrinale qui compte,
toute autre déclaration étant, au mieux, du
camouflage ou, au pire, de l’hérésie.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 33
À diverses périodes de son histoire,
l’Église unie du Canada a reformulé sa foi
dans un langage qu’elle a voulu à la portée de
ses contemporains. L’importance d’agir ainsi
a été reconnue même alors qu’on élaborait les
Principes d’Union. Un membre du comité
écrivait, en 1928 : « Qu’il soit noté, en outre,
que ce document doctrinal ne prétend en
aucune manière être infaillible ou définitif…
Il sera du devoir de ceux qui nous
succéderont de trouver une expression
intellectuelle plus adéquate pour la vérité
immuable et inépuisable de l’Évangile2. » La
Déclaration de foi émise en 1940 déclare,
dans le préambule, « chaque chrétien, chaque
chrétienne, de chaque nouvelle génération, est
appelé-e à en refaire la formulation dans
l'esprit de son époque et dans le ton qui
convient à son contexte ». En 1968, un
« nouveau credo » a été développé et révisé
en 1980 et en 1994. Plus récemment, en 2006,
le document « Notre foi chante » a été
accepté comme reformulation de la foi de
l’Église unie du Canada pour le monde
d’aujourd’hui. Cependant, quels que soient
les mots couramment employés, la doctrine
de l’Église unie dépend de l’Écriture, de la
formulation de la tradition chrétienne à
travers les âges, y compris les credos
historiques de l’Église, et la foi dans le Dieu
Trine. Quelle qu’en soit la formulation,
l’affirmation d’une foi trinitaire est
fondamentale, même lorsque les conceptions
théologiques se développent sur un large
éventail allant du conservatisme extrême au
libéralisme extrême.
À cause de la structure conciliaire de
l’Église unie, les documents doctrinaux
proviennent ordinairement de comités,
généralement à la demande du Conseil
général qui se réunit tous les trois ans et se
compose de représentants de tout le pays.
L’Église se trouve souvent confrontée à un
problème qui l’oblige à revoir et reformuler
des aspects de notre doctrine (souvent plus en
profondeur que la partie doctrinale des
Principes d’Union). Cela peut comprendre de
nouvelles conceptions informées par le
contexte, l’expérience et les études
théologiques. Le processus de développement
de ces déclarations implique généralement le
Comité de théologie et des relations avec les
autres Églises et les autres religions (anc.
Page 34
Comité théologie et foi) du Conseil général.
Le plus souvent, le travail théologique du
comité résultera en un document d’étude
envoyé à l’ensemble de l’Église pour
discussion et réponse. Selon la question, la
consultation peut aussi s’étendre aux
partenaires œcuméniques et globaux. Les
membres du comité sont ensuite chargés de
joindre leur propre sagesse et expertise aux
réponses pour préparer une déclaration qui
sera soumise à la considération du Conseil
général. Ce processus a donné lieu, au cours
des dernières années, à des documents tels
que The Authority and Interpretation of
Scripture (1992) et Reconciling and Making
New: Who Is Jesus Christ for the World
Today? (2000).
En même temps, l’Église unie s’est
constamment engagée dans un processus
semblable d’étude, de réponse et d’action
pour discerner les manières de vivre la
doctrine dans la mission et le ministère
auxquels nous sommes appelés. Ainsi que le
déclare Notre foi chante :
Le Christ nous appelle à lui répondre
ensemble,
communauté de gens de foi, brisés
mais pleins d’espoir,
qui aiment ce qu’il a aimé,
vivent ce qu’il a enseigné,
cherchent à servir Dieu dans la
fidélité,
ici et maintenant
L’Église n’a pas toujours été fidèle à sa
vision.
Elle a besoin de l’Esprit pour se
renouveler,
pour l’aider à vivre une foi qui émerge
tout en préservant la tradition,
pour l’appeler à vivre par la grâce plutôt
que par ses privilèges,
car nous devons être bénédiction pour la
terre.
Ainsi, les décisions prises en 1988 et
après concernant les rapports entre sexualité
et ministère ordonné et le mariage égalitaire
ont été précédées des études In God’s Image
…Male and Female (1980) et Gift, Dilemma
and Promise: A Report and Affirmations on
Human Sexuality (1984). Ces documents ont
suscité la réflexion sur un certain nombre de
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
doctrines fondamentales (y compris les
croyances concernant l’humanité, la création,
le péché et l’interprétation de l’Écriture) à la
lumière des questions posées sur la sexualité
humaine. De même, dans To Seek Justice and
Resist Evil: Towards a Global Economy for
All God’s People, adopté par le Conseil
général en 2000, l’Église unie affirme qu’une
« justice économique globale est essentielle à
l’intégrité de notre foi en Dieu et à notre
mission de disciples en tant que chrétiens »,
et confesse que « le système actuel de
capitalisme de marché effréné … constitue un
faux dieu … et est de ce fait un péché contre
Dieu, contre notre prochain et contre la
création. » Ces convictions quant à la
souveraineté de Dieu et la mission de justice
des disciples du Christ continuent de se
refléter dans notre travail en cours sur
« Living Faithfully in the Midst of Empire ».
Tout ce travail a informé le
développement de notre plus récente
déclaration de foi qui a commencé par une
demande faite au comité théologie et foi de la
37e assemblée du Conseil général, en 2000,
pour une « déclaration de foi opportune et
contextuelle ». Après une période initiale de
consultations sur les questions relatives à une
telle déclaration, un projet de déclaration a été
envoyé pour commentaires à l’ensemble de
l’Église. Après un nombre considérable de
révisions, le projet final, Notre foi chante, a
été soumis au Conseil général et accepté en
2006. Comme le dit le préambule de cette
déclaration : « Il ne s’agit pas d’une
déclaration pour tous les temps mais pour
notre temps. En autant que l’Esprit a foi en
nous, nous pouvons exprimer notre
compréhension de ce qui est Saint avec
confiance. Et en autant que l’Esprit est large
et sans limite, nous reconnaissons que notre
compréhension de ce qui est Saint est
toujours partielle et limitée. Néanmoins, nous
avons confiance et cette déclaration traduit le
sens de notre chant. »
Un autre pas important dans le
développement de la doctrine de l’Église unie
sera franchi si l’Église adopte une proposition
soumise au 40e Conseil général en 2009.
Cette proposition ajouterait à la section
doctrinale existante des Principes d’Union
trois autres déclarations doctrinales : la
Déclaration de foi (1940), le Nouveau Credo
(adopté en 1968, révisé en 1980 et en 1994)
et Notre foi chante (2006). Ces quatre
déclarations seraient reconnues comme
« normes subordonnées », normes pour notre
foi subordonnées à la primauté de l’Écriture.
Il s’agirait d’un important développement
puisqu’il donnerait aux formulations tardives
le poids de l’inclusion dans les Principes
d’Union à côté des Vingt Articles de Foi, et
placerait ces normes subordonnées en
dialogue les unes avec les autres. Cette
décision ne peut être prise que si elle est
appuyée par la majorité des responsables des
charges presbytérales et pastorales de l’Église
à la suite d’un remit (vote), puis ratifiée par le
41e Conseil général en 2012. Les
congrégations sont présentement engagées
dans l’étude des implications de cette
proposition afin de se préparer au vote3.
L’Église unie du Canada est une Église
constituée par acte du Parlement. Depuis ses
débuts, l’Église a cherché à intégrer un large
éventail
de
croyances
théologiques.
Aujourd’hui, cet éventail est encore plus large
et l’endroit où l’on se place sur cet éventail
détermine habituellement l’endroit où l’on se
place au plan doctrinal. Cela donne lieu à
d’intéressantes interactions entre les membres
et les adhérents, mais il existe bien un
système de croyances central qui reçoit une
formulation « opportune et contextuelle » et
qui fait bel et bien partie de ce que nous
sommes en tant qu’Église unie du Canada.
1. Cette formulation a été adoptée après que les
Église congrégationalistes, en particulier, aient
mené la résistance à toute obligation de souscrire
littéralement à la déclaration doctrinale. John H.
Young, « Sacred Cow or White Elephant? The
Doctrine Section of the Basis of Union »,
Touchstone 16, no 2, mai 1998, 41-44.
2. T.B. Kilpatrick, Our Common Faith, Toronto,
Ryerson Press, 1928, 63-64.
3. Voir Our Words of Faith: Cherished, Honoured
and Living, a resource document prepared for the
remit (January to May 2012) concerning the
Doctrine section of the Basis of Union of The
United Church of Canada, Toronto, The United
Church of Canada/L’Église Unie du Canada, 2010
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 35
La doctrine dans la tradition de l’Armée du salut
Major Kester Trim et James E. Pedlar
Le major Kester Trim a été affecté à différents postes comme officier de
l’Armée du salut au Canada, au Zaïre et au Zimbabwe. Il est présentement
commandant divisionnaire pour la division du Québec du territoire du
Canada et des Bermudes et président de la commission foi et témoignage.
James E. Pedlar est assistant coordonnateur de la
Commission Foi et Témoignage du Conseil canadien des
Églises. Il est doctorant en théologie systématique à la Toronto School of
Theology et se spécialise en ecclésiologie œcuménique. Il a auparavant été
directeur des ministères communautaires de l’Armée du Salut dans la région
de Quinte en Ontario.
L’Armée du salut n’est pas connue pour
l’importance qu’elle accorde à la doctrine. Ce
n’est pas parce que la doctrine n’a pas
d’importance pour les salutistes, mais parce
que l’Armée du salut a d’ordinaire privilégié
l’évangélisme et le service plutôt que la
théologie.
Néanmoins,
les
doctrines
officielles de l’Armée du salut sont
considérées comme essentielles pour sa vie
communautaire et son témoignage. Alors que
les officiers et soldats de l’Armée du salut
essaient sur le terrain de servir parmi « les
plus petits de ceux-ci », leur ministère
quotidien est façonné par des engagements
doctrinaux. Bien que la théologie ne soit pas
un aspect prééminent de la tradition salutiste,
la doctrine joue définitivement un rôle
significatif pour donner une direction et un
but à tous les aspects du ministère salutiste.
La mission de l’Armée du salut a toujours
été de nature évangélique. Si la doctrine
concerne les idées, les propositions, les
enseignements et les croyances, alors elle
joue un rôle central dans le message qu’une
Église apporte à ses fidèles. À sa fondation,
l’Armée du salut a adopté onze articles de foi
Page 36
qui traduisent les aspects essentiels de la
vérité théologique pour l’Armée du salut.1
•
•
•
•
•
Nous croyons que les Écritures de
l’Ancien et du Nouveau Testament ont
été données par l’inspiration de Dieu, et
qu’elles seules constituent la règle divine
de la Foi et de la vie chrétiennes.
Nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu,
infiniment parfait, Créateur, Conservateur
et Gouverneur de toutes choses, unique
objet digne de l’adoration religieuse.
Nous croyons qu’il y a dans ce Dieu
unique, trois personnes réellement
distinctes, mais égales en puissance et en
gloire : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Nous croyons que dans la personne de
Jésus-Christ la nature divine est unie à la
nature humaine, de sorte que Jésus-Christ
est véritablement Dieu et véritablement
homme.
Nous croyons que nos premiers parents
furent créés en état d’innocence, mais
que, par leur désobéissance, ils perdirent
leur pureté primitive et le bonheur. En
conséquence de la chute, tous les
hommes
sont
devenus
pécheurs,
entièrement mauvais, et pour cette raison,
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
•
•
•
•
•
•
ils sont à bon droit exposés à la colère de
Dieu.
Nous croyons que notre Seigneur JésusChrist, par ses souffrances et sa mort, a
réconcilié le monde entier avec Dieu;
ainsi quiconque le veut, peut être sauvé.
Nous croyons que la repentance envers
Dieu, la foi en notre Seigneur JésusChrist, et la régénération par le SaintEsprit sont nécessaires au salut.
Nous croyons que c’est par grâce que
nous sommes justifiés, par la foi en notre
Seigneur Jésus-Christ, et que celui qui
croit en a le témoignage en lui-même.
Nous croyons que la possession
permanente du salut dépend de la foi
constante en Christ et de l’obéissance à sa
parole.
Nous croyons que c’est le privilège de
tous les enfants de Dieu d’être sanctifiés
tout entiers, et que tout leur être, l’esprit,
l’âme et le corps, peut être conservé
irrépréhensible, pour l’avènement de
notre Seigneur Jésus-Christ.
Nous croyons à l’immortalité de l’âme, à
la résurrection du corps, au jugement
universel lors de la fin du monde, au
bonheur éternel des justes et au châtiment
éternel des méchants.
En les relisant, on remarque rapidement
que ces onze articles sont centrés sur la grâce
salvifique de Dieu par le sang versé du Christ.
Il n’y a pas d’enseignement sur l’Église, le
ministère ou les sacrements. En fait, ces
articles de foi sont délibérément peu
nombreux et minimalistes. Les premiers
salutistes se voyaient comme une force
évangéliste libre des complications des
controverses doctrinales et, par conséquent,
ils ont adopté ce qu’ils croyaient être les seuls
éléments essentiels de la foi que leurs
membres devaient croire. La place de la
doctrine dans la vie de l’Armée du salut est
bien résumée dans un passage des Orders and
Regulations for Officers of The Salvation
Army, où il est recommandé aux officiers de
« transmettre la saine doctrine en relation
avec l’ensemble du travail »2 et aussi «
d’enseigner la doctrine de l’Armée à ses gens
de la manière la plus simple et la plus
pratique en évitant, autant que possible, toute
controverse ou argument. »3
Ces onze articles de foi viennent de la
tradition méthodiste4. Baptisé dans l’Église
d’Angleterre mais élevé dans le méthodisme,
William Booth a été pasteur de la Nouvelle
Connexion méthodiste avant de fonder
l’Armée du salut5. Il est demeuré un ardent
promoteur de la doctrine wesleyenne durant
toute sa vie et son ministère6. Dans ces onze
courts articles de foi, on peut voir les thèmes
wesleyens fondamentaux de la totale
corruption (article 5), de la réconciliation
universelle (article 6), de la justification par
la foi (article 8), de l’assurance par le
témoignage de l’Esprit (article 8), et une forte
insistance sur la sanctification (articles 9 et
10).
L’absence de sacrements dans l’Armée
du salut n’était pas exprimée dans ses articles
doctrinaux. Cela est dû en partie au fait que la
décision d’abolir l’usage des sacrements du
baptême et de l’eucharistie n’a été prise qu’en
1883, dix-huit ans après la fondation de
l’Armée du salut et cinq ans après la
rédaction de sa constitution7. Les principales
convictions théologiques qui sous-tendent
l’absence de sacrements dans l’Armée du
salut étaient : 1) la croyance que la grâce est
disponible immédiatement pour tous,
indépendamment
de
toute
pratique
particulière ; et ce qui en découle, 2) aucune
pratique particulière n’est « nécessaire au
salut ». Un troisième point qui a été
développé avec le temps et dont il sera
question plus bas concerne la sacramentalité
potentielle de tous les aspects de la vie
humaine. La position de l’Armée sur les
sacrements a un précédent historique dans la
tradition de la Société des Amis, mais se
justifiait aussi par le désir, mentionné plus
haut, d’éviter les controverses théologiques
(puisque les sacrements ont souvent été un
sujet de disputes dans l’histoire de la
chrétienté). Booth n’avait pas l’intention de
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 37
manquer de respect envers les autres
traditions ni d’en faire un sujet de dispute8.
De plus, on n’a jamais interdit aux salutistes
de prendre part à la Cène du Seigneur dans
d’autres traditions où ils sont acceptés, et ils
sont libres de se faire baptiser s’ils croient
que c’est important9.
C’est dans cet amalgame de traditions
méthodistes et quakers que l’Armée du salut a
grandi et a cherché à démontrer que le salut
est accessible à tous et que chacun a la
possibilité de changer. Le pécheur peut être
sauvé d’une vie de péché à une vie de sainteté
grâce à la puissance sanctifiante du Saint
Esprit. Plusieurs des premiers salutistes
étaient de vivants témoignages de ces vérités.
C’est peut-être la doctrine de la sainteté
qui a eu la plus grande influence sur la vie de
l’Armée du salut à travers son histoire. Bien
que les salutistes n’aient pas de liturgie
officielle et n’aient pas l’habitude de répéter
régulièrement leurs articles de foi, on peut
voir l’influence de la doctrine de la sainteté
dans la forte tradition de la musique de
l’Armée du salut. En vérité, The Songbook of
The Salvation Army, le livre de chants
religieux de l’Armée, est parfois comparé au
Livre de la prière commune en termes de son
importance pour la foi et la vie des salutistes.
Ces chants sont remplis d’invitations à
répondre à l’appel à une vie sainte. Le chant
de William Pearson, Jesus, save me through
and through (Jésus sauve-moi tout entier),
publié dans la revue salutiste The War Cry en
1881, n’est qu’un exemple de la relation
intime entre la grâce salvifique de la mort et
de la résurrection du Christ et une vie de
sainteté. Le refrain l’illustre clairement :
Through « Tout entier, tout entier,
Jésus sanctifie-moi;
Sauve-moi jusqu’à la fin
Jusqu’au bout vers la gloire.10 »
Les premières expressions du salutisme
étaient caractérisées par une prédication et un
enseignement clairs sur la sainteté
Page 38
personnelle. William Booth et sa femme
Catherine parlaient souvent et en profondeur
de ce sujet11. À la suite de leurs ministères,
une voix non moins importante que la leur,
celle de Logan Brengle, un converti
américain au salutisme, a produit de
nombreux textes pratiques pour expliquer la
sainteté. Il est connu comme le « prophète de
la sainteté » dans les cercles salutistes12. La
tradition de l’Armée du salut a été pavée par
des hommes et des femmes qui ont enseigné
la vie de sainteté et encourage les croyants à
la rechercher.
En relation avec la vie de sainteté, les
salutistes ont souvent fait une distinction
entre l’être intérieur et les choses extérieures.
La vie spirituelle intérieure a une valeur
capitale. On n’est pas sauvé par l’adhésion à
l’Église ou la pratique, mais en acceptant
Jésus Christ comme sauveur et en étant
baptisé dans l’Esprit Saint. Dans son essai «
A Mock Salvation vs. Deliverance from Sin
», Catherine Booth a écrit : « Nous n’avons
rien à dire contre les formes, mais elles ne
sont, en quelque sorte, que les corps dans
lesquels sont manifestées les idées et les fins
spirituelles ; sans la VIE, elles sont inutiles et
pire qu’inutiles13. » Plus récemment, le
Conseil de doctrine affirmait : « L’Armée,
dans ses enseignements, ne met pas en
évidence les choses extérieures mais le besoin
de chaque croyant de faire personnellement
l’expérience de la grâce spirituelle intérieure
dont témoigne la pratique extérieure 14. » Plus
récemment, le Conseil de doctrine affirmait :
Cela nous conduit au rapport entre
l’interprétation salutiste de la sainteté et sa
position sur les sacrements. À mesure que la
tradition de l’Armée du salut évoluait, les
salutistes en sont venus à voir une vie sainte
comme une vie sacramentelle. Le général
Albert Osborne a présenté cette image
lorsqu’il a composé le chant suivant qui est
souvent cité dans les discussions de l’Armée
du salut sur les sacrements 15 :
Ma vie doit être le pain rompu du Christ,
Mon amour, son sang versé ;
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Une coupe débordante, une table dressée
Sous son nom et son signe,
Afin que d’autres âmes, rafraîchies et
nourries,
Puissent partager sa vie à travers la
mienne.
Mon être est dans les mains du Maître
Pour qu’il le bénisse et le rompe ;
Au-delà du ruisseau se trouve son
pressoir
Et c’est le chemin que je prends,
Résolu à donner, pour son amour,
Tout ce que l’amour demande.
Seigneur, laisse-moi partager cette grâce
qui vient de toi
Par laquelle tu as soutenu
Le poids de la vigne féconde,
Le don du grain enfoui.
Celui qui meurt avec toi, Ô divine Parole,
Ressuscitera et vivra de nouveau16.
À partir de cette perspective, les
publications plus récentes de l’Armée du
salut ont commencé à souligner la
sacramentalité potentielle de toute la vie,
soutenant par là que la vie de l’Armée du
salut est « sacramentelle », bien qu’on n’y
pratique pas les sacrements traditionnels17.
En tant que tradition relativement jeune,
l’Armée du salue continue de développer son
intérêt pour les questions de doctrine. À
l’opposé des premiers salutistes, qui, dans les
mots de William Booth « n’avaient ni le
temps ni l’inclination pour écrire des livres,
devant les terribles nécessités de millions de
gens qui meurent autour de nous18 », les
salutistes
contemporains
essaient
de
poursuivre le développement de la théologie
salutiste. En 2001, le tout premier
« Symposium international sur la théologie et
l’éthique » de l’Armée du salut, tenu à
Winnipeg, portait sur la question de la
théologie trinitaire19. En 2006, les salutistes
se réunissaient de nouveau en Afrique du sud
autour du thème de l’ecclésiologie20. Un
troisième symposium international, sur la
sainteté, doit se tenir à Londres en octobre
2010. Un autre développement important a
été la publication d’une revue de théologie
pour les salutistes – Word and Deed: A
Journal of Salvation Army Theology and
Ministry, qui en est à sa douzième année.
Finalement, les partenaires œcuméniques
seront intéressés de savoir qu’au cours des
dernières années, le Conseil international de
doctrine de l’Armée du salut s’est engagé
dans des dialogues avec les Adventistes du
septième jour et le Conseil méthodiste
mondial et, plus récemment, avec le Conseil
Pontifical pour la Promotion de l’Unité
chrétienne.
Il est essentiel pour les salutistes,
cependant, de ne pas perdre de vue la sainteté
personnelle. La doctrine n’est pas vue comme
une fin en soi, mais comme un guide pour la
vie chrétienne. Récemment, le général Shaw
Clifton, l’actuel directeur international de
l’Armée du salut, appelle l’Armée du salut,
dans un de ses livres, une « Armée de
sanctification » et invite les salutistes à
s’engager dans la vie de sainteté « inscrite
dans notre dixième doctrine21 ». Peut-être ce
qui frappe le plus est la manière personnelle
dont la doctrine salutiste fonctionne, c’est-àdire la manière dont la vie du salutiste est
guidée par les onze articles de foi : une vie
fondée sur la Bible, gouvernée par le Dieu
Trine qui connaît notre état de pécheur,
sauvée et régénérée, sanctifiée par l’Esprit
Saint jusqu’au jugement général à la fin du
monde. Il y a un lien direct entre ce que nous
sommes, ce que nous faisons et ce que nous
croyons, et l’appel à la sainteté est, ou devrait
être, au premier rang dans l’esprit du salutiste
et devrait être la base de toutes ses autres
décisions concernant la foi.
Un résultat remarquable de cette vision
de la sainteté est une réponse sociale
d’envergure aux besoins de l’humanité, où
qu’on
les
trouve.
Chaque
poste
d’évangélisation de l’Armée du salut ne se
réunit pas seulement pour des services de
culte et procurer une éducation chrétienne et
la fraternité, mais aussi pour chercher à
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 39
répondre aux besoins humains dans la
communauté. Dans certains cas, on connaît
davantage l’Armée du salut pour son travail
humanitaire que pour son ministère
d’évangélisation. Cependant, à l’intérieur de
chaque unité, division et territoire, la même
question centrale se pose dans les rapports
annuels : « jusqu’à quel point le programme
ou service mis sur pied contribue-t-il à la
mission de l’Armée ? Est-il compatible avec
nos gens qui se réclament de la sainteté
comme valeur ? »
Par conséquent, la doctrine est de grande
importance pour l’Armée du salut. Plus
spécifiquement, sa mission est fondée
presque exclusivement sur la tranche de
doctrine comprise dans la grâce salvifique
accessible à travers le Christ et le désir
personnel de répondre en esprit d’obéissance
à Son appel à vivre une vie sainte,
caractérisée par l’amour de Dieu et le service
envers l’humanité souffrante. Il serait difficile
d’imaginer l’Armée du salut sans le salut, et il
serait encore plus difficile d’imaginer que la
recherche de la sainteté ne soit pas la base
pour l’intégrité de la mission salutiste. Il ne
suffit pas d’adhérer à un article de foi qui
affirme que le Christ est mort pour nos
péchés et a accompli l’acte salvifique. Il faut
plutôt chercher à vivre ce salut, à présenter le
message évangélique d’espoir à travers une
vie qui illustre le pouvoir régénérateur de
l’Esprit Saint, en réponse à l’appel à vivre
une vie de sainteté.
1. La plus récente interprétation autorisée des onze
articles se trouve The Salvation Army Handbook
of Doctrine, Londres, Salvation Books, 2010),
téléchargeable sur le site www.salvationarmy.org.
2. Booth, William. Orders and Regulations for
Officers of The Salvation Army, Londres,
Salvation Army International Headquarters, 1925,
§IV.VI.3.2, p. 225
3. Ibid., §IV.VI.3.1, p. 225
4. Voir Salvation Story: Salvationist Handbook of
Doctrine, Londres, The Salvation Army
International Headquarters, 1998, 130 pour une
discussion sur les origines des onze articles de foi.
5. Pour une excellente biographie de William
Booth, voir l’ouvrage récent de Roger Green, The
Page 40
Life and Ministry of William Booth, Nashville,
Abingdon, 2005.
6. Parlant de ses premières années, Booth a
déclaré : « Pour moi, il n’y avait qu’un seul Dieu
et John Wesley était son prophète. » Frederick
Booth-Tucker, The Life of Catherine Booth,
London: The Salvation Army, n.d., 1:52. Roger
Green note qu’il a répété cette déclaration lors de
son soixantième anniversaire. Green, The Life and
Ministry of William Booth, 231, n. 34.
7. L’historique de cette décision est bien résumé
par Green, The Life and Ministry of William
Booth, 145-151. Pour un traitement historique et
théologique plus développé de ce sujet, voir David
R. Rightmire, Sacraments and The Salvation
Army: Pneumatological Foundations, Metuchen,
NJ, Scarecrow Press, 1990.
8. Roger Green cite une interview de 1895 dans
laquelle Booth déclare : « Nous ne parlons jamais
contre les sacrements, nous ne disons même pas
quelle est notre position. Nous avons à cœur de ne
pas détruire la confiance des chrétiens dans des
institutions qui leur sont utiles. » The Life and
Ministry of William Booth, 148.
9. Un témoignage intéressant de cette liberté se
trouve dans l’histoire des débuts de l’Armée du
salut au Canada. Lorsque l’Armée a commencé à
s’enraciner à Kingston, Ontario, la capitaine Abby
Thomson avait l’habitude d’amener tout son
groupe de soldats à la cathédrale anglicane Saint
George pour recevoir la communion. Cela a causé
un certain scandale à la cathédrale et le jeune
vicaire, le Rév. Dr. Henry Wilson, a fini par être
chassé de la ville à cause de son association avec
les salutistes chahuteurs. Cette histoire fascinante
est racontée dans l’article de Norman Knowles
« Irreverent and Profane Buffoonery: The
Salvation Army and St. George’s », in St.
George’s Cathedral: Two Hundred Years of
Community, édité par Donald Swainson,
Kingston: Quarry Press, 1991, 247-262.
10. The Songbook of The Salvation Army,
Londres, The Salvation Army, 1987, #340.
11. The Beauty of Holiness: an Unchanging
Doctrine, The Salvation Army in Canada &
Bermuda, 1963, est une anthologie de sermons par
des prédicateurs salutistes qui comprend des textes
de William et Catherine Booth. Voir aussi, de
Catherine Booth, Papers on Practical Religion,
London: The Salvation Army, 1891, et Popular
Christianity, Londres, The Salvation Army, 1887.
12. Samuel Logan Brengle était un écrivain
salutiste prolifique. Deux de ses ouvrages les plus
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
populaires sur la sainteté sont Heart talks on
Holiness et Helps to Holiness, tous deux imprimés
par Salvationist Publishing and Supplies, première
édition en 1896, réimpression en 1965.
13. « A Mock Salvation v. Deliverance from Sin »
in Popular Christianity, 43
14. The Salvation Army in the Body of Christ,
London: Salvation Books, 2008, 13.
15. Albert Osborne a été le sixième Général de
l’Armée du salut, de 1946 à 1954. Ce chant a été
publié pour la première fois dans The War Cry, 3
mai 1947. Le Companion to the Song Book
compilé par Gordon Avery, Londres, The
Salvation Army, 1962, note dans l’article 462,
page 150, qu’après avoir rencontré des officiers de
l’Armée du salut en Allemagne, dans une salle
ravagée par la guerre, il a compris que « nous ne
pouvons espérer être une bénédiction pour
d’autres âmes si notre vie ne participe pas à la
consécration sacramentelle du Sauveur. »
16. The Song Book of The Salvation Army, # 512
17. « Nous pratiquons les sacrements, non en les
limitant à deux ou trois, mais en invitant le Christ
à des soupers, des célébrations d’amour, des
célébrations de naissances, des fêtes, des
dédicaces, auprès de lits de maladies, à des noces,
des anniversaires, des nominations, des
ordinations, des retraites – et une foule d’autres
événements significatifs – et, là où il est vraiment
reçu, le voir donner des grâces au-delà de notre
compréhension », Salvation Story: Salvationist
Handbook of Doctrine, Londres, The Salvation
Army, 1998, 114.
18. William Booth, Salvation Soldiery, Londres,
The Salvation Army, 1889, 1.
19. Les actes de ce symposium ont été publiés
dans Word & Deed: A Journal of Salvation Army
Theology and Ministry, Volumes 4/1, novembre
2001, 4/2, May 2002, et 5/1, novembre 2002).
20. Les actes de ce symposium ont été publiés
dans Word & Deed: A Journal of Salvation Army
Theology and Ministry, Volumes 9/1, novembre
2006, 9/2, mai 2007. On peut trouver le texte de la
conférence du général Shaw Clifton au
symposium, « People of God – Salvationist
Ecclesiology », sur le site web du général
http://www.salvationarmy.org/thegeneral.
21. Shaw, Clifton, New Love: Thinking Aloud
about Practical Holiness, Auckland, NZ, Flag
Publications, 2006, 9. Il y dit aussi que « la plus
grande menace de toutes pour les salutistes est une
négligence perceptible de l’enseignement sur la
sainteté ». Ibid., 19.
Pour en savoir davantage :
The Salvation Army Handbook of Doctrine.
London: Salvation Books, 2010.
Green, Roger. The Life and Ministry of William
Booth, Founder of The Salvation Army. Nashville:
Abingdon, 2005.
Gariepy, Henry. Christianity in Action: The
International History of The Salvation Army.
Grand Rapids: Eerdmans, 2009.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 41
Les mennonites, la doctrine et les credos
Conseil canadien des Églises
Commission Foi et Témoignage
Arnold Neufeldt-Fast
représentant de l’Église mennonite du Canada
Arnold Neufeldt-Fast est un ministre ordonné de l’Église mennonite au
Canada. Il est doyen associé et professeur associé de théologie au Tyndale
Seminary, Toronto.
Selon
une
perspective mennoniteanabaptiste, la doctrine
chrétienne est ce que doit enseigner une
Église, aujourd’hui, pour être une Église
authentique dans son contexte, c’est-à-dire les
convictions partagées par tous sans lesquelles
la mission et l’existence de l’Église seraient
sérieusement compromises. Les mennonites
reconnaissent que l’Église enseigne de
diverses manières, par les enseignements
qu’elle donne, les hymnes qu’elle chante et le
témoignage visible, vulnérable et transparent
de la vie de ses membres. La doctrine, dans
ce sens large, la vérité enseignée et incarnée,
le développement de convictions communes
et la formation à la suivance du Christ,
constitue l’existence communautaire de
l’Église. Exprimée en d’autres termes, les
convictions engagent l’être en profondeur et
se montrent non seulement dans notre
profession de foi, mais dans nos attitudes et
actions mêmes (McClendon 1994, 21ff.).
Plusieurs supposent et, même des
mennonites ! que les mennonites n’ont pas de
credo ni même de confession de foi. D’une
part, les mennonites n’ont pas de credo ou de
confession de foi dans le sens d’une adhésion
à une seule confession qui fasse autorité et
qui possède un certain degré d’autorité
ecclésiastique. D’autre part, les mennonites
ont une confession en ce sens qu’ils ont
formulé et adopté plusieurs déclarations de
foi englobantes, contextuellement enracinées,
peut-être davantage que les trois plus
importantes traditions de la Réforme (Dyck
Page 42
1985, 17) qui ont, à leur tour, joué un rôle
important à des époques critiques de la vie de
l’Église. Cette tension s’explique peut-être
davantage par la conviction non écrite que
l’éthique et le mode de vie sont les fruits les
plus importants de l’existence chrétienne. La
pratique chrétienne, surtout quand elle est
marquée par les valeurs de communauté, de
simplicité et de paix, sert de critère principal
pour une compréhension mennonite de
l’apostolicité : « cette insistance sur le
comportement constitue probablement leur
principale contribution au christianisme
œcuménique », c’est-à-dire que la confession
de foi, pour les mennonites, « signifie, pardessus tout, le témoignage d’une manière de
vivre en général » (Finger 2002). Certains ont
appelé cela une « perspective incarnée »,
c’est-à-dire que « les doctrines de l’Église
n’ont davantage de sens pour les mennonites
que lorsqu’elles sont réellement incarnées, ou
vécues, au quotidien » (Roth 2005, 13).
Une
Église
sans
credo,
christocentrique et trinitaire
mais
Les credos sont généralement compris
comme des déclarations de foi chrétienne
universellement acceptées comme faisant
autorité. Pour les grands réformateurs du
XVIe siècle, les anciennes formules
œcuméniques des credos représentaient le
consensus de l’Église primitive et une
interprétation autorisée de l’Écriture. Toutes
les branches de l’anabaptisme ont aussi
enseigné régulièrement en se fondant sur le
symbole des Apôtres. Les autres credos
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
œcuméniques ont été largement soutenus par
les confessions mennonites tardives. En
général, lorsque les premiers anabaptistes
étaient accusés d’hérésie par leurs
contemporains, ce n’était pas parce qu’ils
rejetaient des affirmations chrétiennes
communes, mais à cause de leurs pratiques,
comme
le
baptême
des
croyants,
l’excommunication et le caractère exclusif et
mémorial de la Cène du Seigneur (Snyder
1995, 84).
Tout en respectant la formulation précise
des convictions communes, les mennonites
n’ont jamais donné aux credos, en tant que
tels, une place centrale dans leur liturgie. Le
symbole des Apôtres et le symbole de Nicée
de 381 étaient inclus dans l’hymnaire nordaméricain de 1969, mais celui de 1992,
Hymnal: A Worship Book, ne comprend que
le symbole des Apôtres. Même le symbole
des Apôtres est « pour une oreille mennonite
[…] étrangement muet sur la vie et les
enseignements du Christ, la partie cruciale du
récit évangélique entre ‘né de la Vierge
Marie’ et ‘a souffert sous Ponce Pilate’ »
(Roth 2005, 25). Au plan théologique, le
refus mennonite d’affirmer que les credos
sont obligatoires repose sur une assertion plus
large concernant la primauté et l’autorité du
canon des Écritures. Historiquement,
l’expérience des persécutions par d’autres
chrétiens, au XVIe siècle, a rendu les
anabaptistes sensibles à la tentation de
substituer des déclarations doctrinales à une
foi vécue, incarnée, qui ne passe pas sous
silence les « paroles dures » de l’Écriture (par
exemple, le rejet de la violence). À tort ou à
raison, cette méfiance demeure. « La vérité de
ces assertions ne prennent de sens que
lorsqu’elles sont réellement incarnées dans la
vie du croyant ou dans le travail collectif de
l’Église » (Roth 2005, 29), selon le résumé du
point de vue mennonite par un historien
mennonite. À cet égard, on peut à juste titre
dire que « les mennonites n’ont pas de credo
dans le sens de vénérer, ou même de
réellement connaître, la tradition primitive »
(Finger 2002). Cette méfiance a parfois pris
un tour anti-intellectuel.
Ce point de vue sur les credos n’a
cependant pas amené les mennonites à douter
de leur validité. L’introduction au récent
document nord-américain, Confession of
Faith in a Mennonite Perspective (1995),
déclare que « les credos historiques de
l’Église chrétienne primitive, qui ont été
tenus comme fondateurs par les confessions
mennonites depuis les origines, sont
fondamentaux
pour
cette
confession
également » (Confession of Faith in a
Mennonite Perspective, 1995, 7). Plus
spécifiquement, lorsque les mennonites sont
entrés dans des discussions trinitaires, leur
approche a été résolument christocentrique :
le point de départ de la formulation
théologique mennonite est normalement le
récit de l’histoire de Jésus Christ. Ainsi, les
mennonites enseignent que le refus de la
violence par Jésus et son acceptation de la
croix afin de vaincre le mal par l’amour
révèle qui est vraiment le Dieu trine, qui est
Dieu dans les profondeurs de l’être de Dieu.
La Confession de 1995 souligne les
conséquences
de
cette
approche
christocentrique
trinitaire
et
rejette
l’hypothèse qu’on peut opposer une éthique
des ordres créés dérivés du Père à l’éthique
plus radicale du Fils (Confession of Faith in a
Mennonite Perspective, 1995, 11). Cet
énoncé fondé sur l’unité des personnes
divines (perichoresis) ne cherche rien de
moins que d’être radicalement nicéen et
chalcédonien. Concernant la théologie
mennonite
dans
les
conversations
œcuméniques, John H. Yoder insiste pour que
les implications de ce que l’Église a toujours
confessé sur Jésus comme Parole du Père,
vrai Dieu et vrai homme, « soient plus que
jamais prises au sérieux dans leurs rapports
avec nos problèmes sociaux » (Yoder 1994,
102). La question n’est pas le pacifisme en
tant que principe, mais Jésus Christ et
l’orthodoxie
classique,
trinitaire
et
christologique des credos. Pour Yoder, les
credos peuvent rejeter avec succès les
déclarations sur Dieu qui sont incompatibles
avec les récits bibliques centrés sur JésusChrist en tant que Dieu incarné. Dans ces
récits, le témoignage de paix est entièrement
lié à la protection, à la proclamation et à la
présentation des affirmations de la
christologie classique. Dans les conversations
œcuméniques, les mennonites demandent à
l’Église élargie d’examiner l’assertion que la
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 43
paix est au cœur de l’Évangile tel qu’inscrit
dans les credos du christianisme orthodoxe.
Les mennonites reconnaissent les
Écritures comme source autorisée et norme
de la prédication et de l’enseignement sur la
foi et la vie et sur la dévotion envers Dieu. Ils
reconnaissent que les 39 livres de l’Ancien
Testament et les 27 livres du Nouveau
Testament appartiennent à l’Écriture inspirée
que nous acceptons comme la Parole de Dieu
écrite. Tout en partageant avec les protestants
l’importance accordée à l’autorité des
Écritures pour la doctrine et le discernement
de la vérité et de l’erreur, nous soulignons
aussi ce qui suit :
 Les Écritures doivent faire autorité en ce
qui concerne l’éthique, les relations de
l’Église avec la société et les politiques
de l’Église ;
 Les Écritures doivent être interprétées en
harmonie avec Jésus-Christ, en ce sens
que sa vie, ses enseignements, sa mort et
sa Résurrection sont des éléments
essentiels pour notre compréhension de la
Bible dans son ensemble (cela donne une
certaine priorité au Nouveau Testament
sur l’Ancien) ;
 La congrégation de croyants est le lieu ou
les compréhensions et interprétations
individuelles des Écritures, la vérité et
l’erreur doivent être mises à l’épreuve (la
« communauté herméneutique »)
Pour les mennonites, l’autorité de l’Église
pour discerner « la vérité de l’erreur » revient
finalement à la congrégation. Pour soutenir
l’intégrité du témoignage de l’Église en
paroles et en actes, les personnes reçues
comme membres de l’Église doivent
s’engager à « donner et recevoir des conseils
au sein de la communauté de foi sur les
questions importantes de doctrine et de
conduite » (Confession of Faith in a
Mennonite Perspective 1995, 55). Bien que
les pasteurs et autres responsables de l’Église
aient une responsabilité spéciale pour la
direction et la discipline, cela est, selon la
tradition mennonite, lié en premier lieu à la
sollicitude mutuelle des membres les uns
pour les autres. Les ministres ordonnés sont
aussi responsables envers l’Église élargie à
cause de leur rôle représentatif. Les
mennonites trouvent dans le Nouveau
Page 44
Testament plusieurs raisons de suspendre
l’adhésion ou pour excommunier, par
exemple nier que Jésus Christ s’est incarné (1
Jn 4, 1-6), persister dans une conduite
scandaleuse sans se repentir (1 Co 5, 1-13) et
causer des divisions dans l’Église en
s’opposant aux enseignements des Apôtres
(Rm 16,17sq).
Une Église confessionnelle
Les
confessions
comprennent
généralement les croyances particulières et
les points principaux qui sont l’apanage d’une
dénomination donnée. À la suite de la
Réforme, toutes les Églises chrétiennes ont
subi des pressions considérables pour
s’identifier et expliquer leurs différences. La
définition de la doctrine et le souci pour
l’exactitude doctrinale se sont avérés des
caractéristiques particulières de l’orthodoxie
protestante. Les nombreuses confessions
formulées par les mennonites de Hollande et
d’Allemagne du nord, au XVIIe siècle, ont
suivi ce modèle. Elles étaient à la fois
englobantes et systématiques, suivant
généralement l’ordre des thèmes du symbole
des Apôtres, et ont établi les jalons d’un
espace dénominationnel distinct. Aux XVIIIe
et XIXe siècles, les mennonites d’Europe et
d’Amérique du Nord ont été diversement
influencés
par
les
attitudes
anticonfessionnelles du piétisme primitif
(« pas de réforme de la doctrine sans réforme
de la vie »), le rationalisme des Lumières et
(plus tard) le libéralisme protestant du XIXe
siècle.
Au début du XXe siècle, des mennonites
qui avaient trouvé un nouveau foyer en
Amérique du Nord ont cherché à tracer leur
propre
sentier
entre
les
courants
fondamentaliste et libéral qui dominaient le
paysage protestant nord-américain. Leur
nouvelle vision ne mettait pas l’accent sur la
croyance
doctrinale
ou
l’expérience
subjective, mais était construite sur trois
caractéristiques distinctives de l’anabaptisme
du XVIe siècle : premièrement, « une
nouvelle conception de l’essence du
christianisme comme suivance du Christ ;
deuxièmement, une nouvelle conception de
l’Église comme fraternité ; et troisièmement,
une nouvelle éthique d’amour et de non-
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
résistance » (Bender 1957, 37). Après la
Seconde Guerre mondiale, les mennonites
nord-américains en sont venus à s’identifier à
une tradition chrétienne axée sur l’incarnation
communautaire de la praxis juste (orthopraxis) plutôt que sur l’orthodoxie comprise
comme une « simple » adhésion à la doctrine.
Ce modèle communautaire de suivance était
aussi compris comme l’alternative à un
christianisme défini principalement en termes
d’une expérience individuelle, intérieure.
Dans la dernière partie du XXe siècle les
mennonites manifestèrent un intérêt marqué
pour les credos chrétiens traditionnels ainsi
que
pour
leur
propre
tradition
confessionnelle. Au début des années 1980,
deux
conférences
mennonites
nordaméricaines discutèrent de la question
d’élaborer une déclaration confessionnelle
commune. En 1986, les conseils généraux des
deux conférences formèrent un « comité pour
une confession de foi inter-mennonite », qui
regroupait des aînés et des jeunes, des
femmes et des hommes, des pasteurs et des
laïcs, des minorités ethniques, des historiens
et des théologiens, et un éventail de
perspectives théologiques. L’objectif du
comité était de développer un consensus
autour des croyances et pratiques chrétiennes
fondamentales
selon une
perspective
spécifiquement mennonite. Des projets furent
soumis aux congrégations ; chaque article
comportait, outre un résumé, un commentaire
accompagné d’informations dans le but de
bâtir un consensus interne ainsi qu’entre les
deux groupes au plan théologique mais aussi
concernant la praxis. Une version finale fut
recommandée aux conseils généraux et, lors
des assemblées annuelles de 1995 de la
conférence générale de l’Église mennonite et
de l’Église mennonite, Confession of Faith in
a Mennonite Perspective fut adoptée par les
délégués des congrégations (avec 98% des
voix) comme leur déclaration de foi pour
enseigner et nourrir la foi dans la vie de
l’Église.
Le caractère distinctif anabaptiste et
mennonite de cette confession n’est pas
compris seulement comme particulièrement
mennonite ou comme une autodéfinition,
mais comme des demandes de l’Évangile qui
méritent d’être recommandées à la plus large
communauté de foi. Par exemple, l’article sur
le baptême souligne, entre autres, que le sens
du baptême devrait inclure une disposition à
souffrir pour l’amour du Christ et un
engagement à le suivre. À cet égard,
Confession of Faith in a Mennonite
Perspective a été écrit pour encourager la
conversation et être éventuellement soumis à
l’examen de l’Église œcuménique élargie. La
confession sert ainsi de témoignage et de
ressource de ce que les mennonites
considèrent comme important pour une
interprétation fidèle de l’Écriture pour la foi
et la vie d’aujourd’hui.
Bien que la confession ne soit pas
obligatoire, elle traduit les croyances que les
mennonites considèrent comme normatives,
telles que le salut par Jésus Christ, le baptême
des croyants et le rejet de la violence. Les
candidats au ministère doivent identifier des
secteurs « de forte affirmation, des secteurs
incertains ou des secteurs de désaccord. » On
s’attend à ce que les candidats à l’ordination
comprennent et incarnent les valeurs et le
témoignage de base anabaptistes tels que
formulés dans Confession of Faith in a
Mennonite Perspective.
L’impact de la Confession sur les
congrégations mennonites au Canada a été
mitigé, dépendant largement du contexte et de
la manière dont elle a été employée. Elle a
servi
d’instrument
pour
promouvoir
l’engagement, l’identité et l’unité, pour
mettre en valeur le culte, la mission,
l’enseignement, le comportement éthique et
la réflexion théologique. Mais, comme l’a
écrit le secrétaire général de l’Église
mennonite du Canada après avoir visité toutes
les 230 congrégations, en 2006, elle a aussi
éloigné
certaines
congrégations
du
discernement collectif, joyeux et patient de la
Bible et de la présence et de la direction de
l’Esprit de Dieu dans le corps du Christ. Dans
certains cas, elle a servi à accroître la
polarisation plutôt qu’à construire un terrain
d’entente, ou comme un écran pour tester la
fidélité à la Bible plutôt que comme un miroir
qui montre que nous sommes tous bien loin
de la gloire de Dieu (Suderman 2007, 65-75).
Il y a aujourd’hui dans le monde environ
1,5 million de membres baptisés d’Églises de
la mouvance mennoniste. La plupart d’entre
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 45
eux appartiennent à l’une ou l’autre des 97
Églises nationales dans 53 pays différents ;
soixante pour cent environ sont Africains,
Asiatiques ou Latino-Américains. En 1990,
104 des 126 conférences mennonites à travers
le monde reliées à la Conférence mennonite
mondiale ont rapporté qu’elles ont écrit une
confession.
À mesure que les occasions d’échanges et
de fraternisation ont augmenté au cours des
dernières décennies, les Églises nationales ont
montré un plus grand intérêt à recevoir des
conseils et à être responsables les unes envers
les autres. Bien que les mennonites, à
l’échelle mondiale, n’aient pas de déclaration
confessionnelle commune, au cours des cinq
dernières années, les Églises membres ont
reçu, étudié et approuvé par consensus en
2006 un document de 325 mots intitulé
« Shared Convictions of Global Anabaptists »
(Mennonite World Conference 2007).
Conclusion
Bien que les mennonites n’aient pas de credo,
les fondements théologiques de l’Église
mennonite s’enracinent dans une plus longue
tradition partagée par des millions d’autres
chrétiens. La doctrine se trouve dans
l’enseignement ; elle n’est pas arbitraire, mais
une réponse à la propre autorité de Dieu en
Jésus Christ. Les mennonites reconnaissent
que la doctrine est importante pour le
témoignage de l’Église en paroles et en actes,
et nous demeurons engagés à poursuivre les
conversations œcuméniques pour l’unité du
corps du Christ.
Ouvrages cités
Bender, Harold. « The Anabaptist Vision. »
In The Recovery of the Anabaptist Vision: A
Sixtieth Anniversary Tribute to Harold S.
Bender, ed. Guy F. Herschberger, 29-54.
Scottdale, PA: Herald Press, 1957.
Confession of Faith in a Mennonite
Perspective, publié et édité avec le General
Board of the Conference Mennonite Church
Page 46
et le Mennonite Church General Board,
Waterloo, ON, Herald Press, 1995.
Dyck, C. J. « Forward » in One Lord, One
Church, One Hope, and One God: Mennonite
Confessions of Faith, ed. Howard John
Loewen, 15-17. Elkhart, IN, Institute for
Mennonite Studies, 1985.
Finger, Thomas, « Confessions of Faith in the
Anabaptist/Mennonite Tradition » Mennonite
Quarterly Review, 2002.
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Autres ressources
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2003.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Réflexions sur une approche luthérienne de la doctrine, de la
Tradition et de la Révélation
Richard Crossman
Le pasteur (Ph.D. Université de Chicago) Richard Crossman est un
directeur retraité et professeur émérite du Waterloo Lutheran
Seminary, Waterloo, Ontario, Canada. Il a publié de nombreux
articles et donné de nombreuses présentations sur divers sujets
théologiques au cours de trente-cinq années d’enseignement. Il siège
présentement à la Commission Foi et Témoignage et au groupe de
référence en biotechnologie du Conseil canadien des Églises ainsi
qu’au groupe de travail de l’Église évangélique luthérienne au
Canada qui est à préparer une déclaration sociale sur la sexualité.
Le but de ce court article est de dire
comment quelqu’un appartenant à la tradition
luthérienne
de
l’Église
évangélique
luthérienne pourrait répondre aux questions
suivantes :
1. Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine
selon votre tradition ?
2. Qu’est-ce qu’on pourrait considérer
comme des déclarations doctrinales ?
3. Qui peut émettre des déclarations
doctrinales ?
4. Quel est le rapport entre la doctrine et la
révélation ??
À mon sens, la tradition luthérienne de
l’ELCIC répondrait en commençant par
l’affirmation de la Trinité comme « Père, Fils
et Esprit Saint » et la dynamique de leur
relation. Pour moi, c’est le rapport dynamique
entre les trois personnes de la Trinité qui
informe la doctrine et la vie luthériennes.
C’est-à-dire que le Père est à l’œuvre dans la
vie du Fils et de l’Esprit Saint, le Fils est à
l’œuvre dans la vie du Père et de l’Esprit
Saint et l’Esprit Saint est à l’œuvre dans la
vie du Père et du Fils. Tout cela est une
dynamique égale et continue qui est à l’œuvre
dans l’histoire jusqu’à la fin des temps, où
Dieu sera tout en tous.
vous le savez, on a écrit beaucoup plus sur les
luthériens que ce que je pourrais dire. Plus
spécifiquement :
Sous la dynamique du Père, la «
continuité », selon la tradition luthérienne, je
mettrais:
1. La justification par la grâce au moyen
de la foi.
Une manière plus concrète de voir cette
dynamique à l’intérieur de la tradition
luthérienne est de voir dans la Trinité la
« continuité » (intégration/identité), le
« changement » (changement/croissance) et la
« vision » (transcendance/transformation). Je
dois nécessairement être bref, mais, comme
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Les luthériens croient que le pardon et le
salut ne nous viennent que par la grâce de
Dieu,
indépendamment
de
toute
« bonne » œuvre de notre part. C’est cette
croyance qui sous-tend l’activité du
baptême, tant pour les enfants que pour
les adultes. La relation fondamentale de
Dieu au monde est à travers l’amour
manifesté par l’incarnation et l’œuvre de
Jésus Christ, l’activité permanente de
l’Esprit Saint et le soutien de la Création.
Une bonne relation avec Dieu peut et
devrait conduire à de bonnes œuvres,
mais le comportement de chacun ne
fournit aucun fondement pour le salut
final. Selon les mots de Luther, nous
sommes tous « simul justus et peccator ».
Dans notre vie, nous sommes toujours
captifs du péché et toujours l’objet de
l’œuvre salvatrice de Dieu en Christ.
Pour les luthériens, le baptême a pour
complément la confirmation qui est,
normalement, un temps d’étude et
d’affirmation vers l’âge de douze ans.
2. Les Écritures bibliques.
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Les Écritures bibliques sont le
fondement de la tradition luthérienne.
L’ELCIC entend la Bible comme un
document qui doit être compris comme
un tout (l’Ancien et le Nouveau
Testament) à la lumière de son contexte
historique,
tout
en
témoignant
fidèlement de la Parole de Dieu. Pour
les luthériens, les Écritures bibliques
sont elles-mêmes l’œuvre de la Trinité,
sujettes à toutes les dynamiques notées
ici.
3. Le Livre de concorde (de la
Réforme), les symboles des Apôtres,
de Nicée et d’Athanase ainsi que
l’histoire de l’Église (y compris les
écrits de Luther et d’autres), et les
catéchismes de Luther ainsi que la
Confession d’Augsbourg.
Les luthériens, tout en affirmant que le
Livre de concorde, les symboles et les
actions de l’Église dans l’histoire
donnent un témoignage fidèle de
l’œuvre et de la parole de Dieu bien
comprises, reconnaissent aussi qu’il
peut
y
avoir
une
variété
d’interprétations de ces documents et de
ces actions. Par conséquent, ils
cherchent, à la lumière des Écritures et
de la grâce divine, à découvrir de
manière dialectique une compréhension
de ces matériaux qui clarifie la variété
de positions sur les valeurs et
d’interprétations de ceux qui en font
diverses évaluations. Tout jugement qui
en résulte, si nécessaire, procédera donc
de cette dialectique à l’intérieur de la
communauté
luthérienne
comme
d’actions de l’ensemble. Cela est
conforme à la pratique, à l’époque de
l’élaboration du Livre de concorde,
ainsi qu’à la pratique qui a été suivie
lors de la récente entente avec l’Église
anglicane et celle avec l’Église
catholique sur la question de la
justification.
4. La Loi et l’Évangile.
In the Lutheran tradition, the Law, as
seen in the Ten Commandments and
other moral injunctions in the Old and
Dans la tradition luthérienne, la Loi
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telle que vue dans les Dix
Commandements et autres prescriptions
morales dans l’Ancien et le Nouveau
Testament, accomplit trois choses :
1. La Loi révèle le péché dans notre
vie et notre besoin de l’Évangile
de grâce.
2. La Loi nous aide à identifier les
frontières qui seraient utiles pour
résister aux injustices et autres
activités mauvaises à l’œuvre
pour miner l’Évangile de grâce
de Dieu.
3. La Loi agit comme un guide pour
une vie de disciple sous la grâce
divine.
Pour les luthériens, tout cela est affirmé
par la reconnaissance que l’Évangile est
toujours uni à la Loi, que nous avons
tous besoin de la grâce de Dieu dans
notre vie quotidienne à cause du péché
(la rupture permanente de notre relation
à Dieu) et que nous devons tenir à la
réalité de la Loi et de l’Évangile
ensemble dans notre vie. Cette réalité
est un fait constant de notre vie comme
luthériens.
5. La théologie de la croix.
Dans la tradition luthérienne, on
reconnaît que le bien que Dieu travaille
à établir est souvent caché dans ce qui
semble être une perception opposée par
la plupart des autres personnes. Le
premier exemple est la crucifixion de
Jésus-Christ et sa Résurrection. Bref, la
théologie de la Croix reconnaît la
souffrance de tous et affirme que Dieu
s’identifie à elle. Mais elle reconnaît
aussi que Dieu, en réponse à cette
souffrance, est à l’œuvre à travers la
réalité ambigüe des personnes pour
recréer la vie dans l’avenir (par des
moyens peut-être cachés), pour le
renouveau de toute la création (dont
elles font partie maintenant et dans le
futur). La théologie de la Croix
reconnaît l’ambiguïté fondamentale de
la vie historique et la volonté de Dieu
de se placer en son centre et de la
transformer. En d’autres termes, le
problème n’est pas que souvent les gens
ne reconnaissent pas, ou n’ont pas la
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
volonté de faire, ce qu’ils doivent faire
pour leur prochain en tant de chrétiens,
mais qu’ils ont souvent plus d’un
prochain à servir, dont les besoins sont
simultanément incompatibles à un
certain moment ou dans un certain lieu
dans l’histoire.
6.
les humains, pouvons être une partie
plus responsable de la création, avec
ses défis et les occasions qu’elle nous
offre en tant que créatures de Dieu. Les
luthériens croient que, en tant que
chrétiens, nous devons être conscients
des conceptions changeantes qui
émergent à travers la science, afin
d’être mieux informés sur la meilleure
manière de comprendre le sens de ce
qui peut le mieux enraciner la théologie
luthérienne dans le monde et, par
conséquent, agir mieux.
L’appel à la mission envers le prochain.
Les luthériens de l’ELCIC croient au
sacerdoce de tous les croyants, ce qui
signifie qu’ils sont appelés à exercer
leur foi de manière active dans
l’amour. C’est un appel à la mission
avec et pour les autres. Selon les
termes d’une assemblée nationale de
l’ELCIC, « Nous croyons, enseignons
et confessons que l’Esprit Saint appelle
et rassemble pour la mission de Dieu
l’Église tout entière qui prend au
sérieux la réalité du monde aussi bien
que la réalité du Christ, avec la même
sollicitude. » Cela exige évidemment
de prêter attention au contexte, de se
demander
si
les
gens
ou
l’environnement sont blessés et de
demander où agit la grâce divine pour
s’occuper de cette détresse à laquelle
les chrétiens peuvent prendre part. Il
est clair que c’est une tâche qui n’est
jamais achevée, mais qui, selon les
luthériens, est toujours devant nous en
tant que chrétiens.
Sous
la
dynamique
« changement »,
selon
luthérienne, j’identifierais:
du
la
3.
La culture.
Les luthériens sont conscients que leur
tradition existe dans plusieurs parties
du monde et dans différentes cultures.
Comme les personnes dans chacune de
ces cultures développent leur propre
manière de recevoir la tradition
luthérienne à la lumière de leur culture,
la tradition luthérienne et le
témoignage chrétien dans son ensemble
en sont enrichis. À travers le dialogue
et les relations avec des personnes de
différentes cultures, tous peuvent
obtenir une connaissance plus complète
de Dieu et de l’activité de Dieu dans le
monde.
4.
Le péché.
Dans la tradition luthérienne, le péché
est le résultat de la tendance constante
de toutes les personnes de remplacer la
volonté de Dieu par leur propre volonté
et, par conséquent, de vivre une
relation rompue avec Dieu. C’est d’une
telle relation rompue que naissent
l’injustice, la cupidité, la luxure,
l’envie, l’idolâtrie et la marginalisation.
C’est aussi dans ce contexte que se
présente la grâce divine. Selon les
termes du pasteur Paul Gehrs, « la
théologie luthérienne nous rappelle
sans cesse à une relation (non rompue)
avec Dieu. C’est la première relation
restaurée par la grâce. C’est la relation
rompue par chaque péché. Ce sont la
terre ferme et les vents frais qui nous
aident à construire une vraie relation
avec les autres [et la création] dans
notre vie. »
5.
Le pouvoir.
Fils,
le
tradition
1.
La raison.
Faisant partie de la création des êtres
humains, nous avons reçu de Dieu de
grands pouvoirs de raison intellectuelle
(que nous n’avons pas toujours utilisés
avec sagesse, je le reconnais).
Néanmoins, à la lumière de ce don, les
luthériens croient que nous sommes
appelés par Dieu à utiliser ce don au
bénéfice de toutes les personnes,
communautés et cultures, ainsi que de
la création.
2.
La science.
La science a fourni des explications
significatives sur la manière dont nous,
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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Dans la création, toutes les parties ont
reçu de Dieu le pouvoir et le lieu «
d’être » comme un tout interdépendant
se soutenant mutuellement. En
soulignant ce pouvoir, nous soutenons
le désir de Dieu que toutes les parties
de la création (y compris les personnes)
deviennent davantage ce à quoi Dieu
les appelle. La tradition luthérienne
affirme cela et reconnaît aussi que
toute attaque contre ce pouvoir en
quelque partie de la création que ce soit
(par ex., la discrimination concernant la
classe sociale, le sexe, la communauté,
la race, l’âge, la pollution, etc.)
constitue un abus de pouvoir auquel on
doit résister. Les luthériens croient
plutôt qu’en tant que chrétiens, nous
sommes appelés à aider à la croissance
et à l’accomplissement de toutes les
parties de la création, humaine et non
humaine, en tant que tout dynamique
mutuellement intégré.
6.
Le dialogue avec d’autres croyants
(dialogues chrétiens et interreligieux qui
réfléchissent sur leur expérience et leur
foi)
Les luthériens reconnaissent que Dieu
est à l’œuvre à travers toute la création
(ainsi
que
parmi
toutes
les
dénominations et fidèles d’autres
religions). Ils reconnaissent aussi que
toute formulation ou interprétation
doctrinale de Dieu (qui est infini) et des
actions de Dieu est toujours limitée,
parce qu’elle se fait à une époque et
dans un lieu donnés et qu’elle est
élaborée ou rapportée par des
personnes qui ne sont pas infinies. Par
conséquent, une plus complète
compréhension théologique ne peut
survenir que si des personnes de
différentes
traditions
dialoguent
ensemble
selon
leurs
diverses
conceptions et perspectives (à travers
des organisations comme le Conseil
canadien des Églises et le Conseil
œcuménique des Églises). Le but, ici,
n’est pas de trouver quelque
dénominateur commun minimaliste,
mais plutôt un tableau plus riche pour
voir la relation de Dieu avec tous les
humains et la création et l’action
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constante de Dieu dans le monde.
Même à l’intérieur de l’Église
luthérienne ELCIC, les décisions sur
des questions théologiques sont
finalement
présentées
par
des
représentants des Églises locales ou des
synodes en dialogue et résolues dans
une assemblée (synodale, nationale ou
par
la
Fédération
luthérienne
mondiale).
Sous la dynamique de l’Esprit Saint, « une
vision transformante », j’identifierais, pour la
tradition luthérienne :
1.
L’accomplissement eschatologique.
À la suite de la célébration du
dimanche de tous les saints (un rappel
qui est cher aussi aux luthériens tout au
long de l’année liturgique), les
luthériens affirment que Dieu a
rassemblé le peuple de Dieu (passé,
présent et futur) dans une même
communion dans le corps mystique de
Jésus-Christ. C’est dans cette optique
qu’ils demandent à Dieu de leur
accorder la grâce de suivre les
bienheureux saints de Dieu dans leurs
vies et leurs engagements, et de
connaître cette joie inexprimable que
Dieu a préparée pour ceux qui aiment
Dieu maintenant et dans le futur.
2.
L’espérance.
Les luthériens disent dans la prière du
Seigneur : « Que ton Règne vienne,
que ta volonté soit faite sur la terre
comme au Ciel. » Tout en
reconnaissant la réalité envahissante du
péché dans le monde, ils célèbrent
aussi la puissance de la grâce divine
dans le salut et l’action de Dieu dans le
monde, transformant l’activité humaine
selon le dessein de Dieu. Ils croient que
la puissance de Dieu repose finalement
non dans la prévention du mal que les
gens peuvent faire, mais dans sa
transformation selon les desseins de
Dieu. C’est ainsi que les luthériens
vivent dans l’espérance, en résistant au
péché autant qu’ils le peuvent et en
espérant ce que Dieu va encore
accomplir et à quoi ils pourraient
participer.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
3.
4.
5.
La justice en tant qu’avenir voulu par
Dieu.
Les luthériens savent que lorsque des
humains forment des communautés, il
faut qu’il y ait des structures ou
procédures pour que le bien de
l’ensemble soit réalisé et protégé. À
cause du péché et parce que l’attention
aux besoins de certains peut exclure
l’attention aux besoins d’autres
personnes (ce qui va contre la justice
ou crée de l’injustice), les luthériens
croient qu’il ne peut y avoir de
structure ou procédure parfaite (au
mieux, la justice ne peut être
qu’approximative), sauf la justice
finale dans le Royaume de Dieu.
Néanmoins, les luthériens espèrent la
venue du Royaume de Dieu en vue
duquel Dieu est à l’œuvre même
maintenant, à travers l’histoire. Par
conséquent, ils cherchent à participer à
cette action de Dieu, en la discernant à
travers l’action de l’Esprit Saint en tout
temps et en tout lieu.
La prière.
Les luthériens affirment l’importance
de la prière régulière et de la dévotion
dans leur vie quotidienne. Ils croient
que par la prière, ils sont mis en
communion avec Dieu et qu’ils
peuvent, par conséquent, avec l’aide de
l’Esprit Saint, mieux discerner ce que
Dieu fait dans leur vie et comment
avoir une relation plus intime avec
Dieu. Cependant, ils reconnaissent
aussi que, dans leurs prières, c’est la
volonté
de
Dieu
qui
doit
nécessairement être faite et non la leur.
Néanmoins, les luthériens trouvent
dans la prière une action de Dieu qui
les soutient pour devenir un avec le
futur que Dieu désire pour toutes les
personnes et la création.
L’amour.
En accord avec les écrits de saint Paul,
les luthériens affirment les trois signes
distinctifs du chrétien, soit la foi,
l’espérance et l’amour. Ils sont aussi
d’accord avec saint Paul en déclarant
que le plus grand des trois est l’amour.
C’est l’amour qui est le vrai fondement
de notre manière de communiquer avec
autrui, comme il est le fondement de la
relation de Dieu au monde à travers
Jésus-Christ. Par conséquent, les
luthériens cherchent à incarner dans
leur vie une foi agissante par amour et
recherchent des moyens de le réaliser
maintenant et dans l’avenir.
6.
Le renouveau spirituel pour la mission.
Les luthériens se perçoivent comme
étant en mission pour et avec les autres.
Ils croient aussi que cette mission n’est
pas possible dans des occasions de
renouveau spirituel régulier, étant
donné les défis que posent l’histoire et
le péché. Comme il a été dit plus haut,
ce renouveau peut venir à travers la
prière comme partie des dévotions
communautaires
et
personnelles.
Cependant, les luthériens croient que
ce renouveau doit aussi venir de la
communion régulière au sacrement de
l’Eucharistie. Les luthériens croient
que dans l’Eucharistie, ils ne trouvent
pas seulement un mémorial, mais la
« présence réelle » du Christ toujours
disponible et que, dans cette rencontre,
ils sont renouvelés dans leur mission de
disciples de Dieu.
Courte bibliographie :
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Theodore G. Tappert, trad. et éd., The Book
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Martin Luther, traduit et révisé par Dr Carl
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Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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La doctrine dans l’Église presbytérienne au Canada
Tim Purvis
Tim Purvis est un ministre ordonné de l’Église presbytérienne au Canada (PCC), présentement
affecté à la Westview Presbyterian Church de Toronto. Il est le représentant de la PCC auprès
de la Commission foi et témoignage depuis 2006. Il représente aussi la Commission en tant que
membre du National Advisory Group for Emergency Planning (NAGEP).
L’histoire de l’Église presbytérienne au
Canada (PCC) remonte au XVIe siècle, au
moment de la Réforme dont John Knox,
fortement influencé par Jean Calvin, a été une
figure clé. La théologie réformée (calviniste)
et un système presbytéral (collégial, nonépiscopal,
non-congrégationnel)
de
gouvernement
ecclésial
sont
les
caractéristiques du presbytérianisme. Les
presbytériens se décrivent eux-mêmes comme
une « Église confessionnelle » où les
confessions de foi publiques et les
déclarations de foi jouent un rôle significatif.
Mais alors, qu’est-ce que la « théologie
réformée » ? Une tentative trop simple de
répondre à cette question serait d’énoncer ce
qui passe souvent pour en être les doctrines
fondamentales, les cinq points du calvinisme
communément appelés en anglais TULIP :
La corruption totale : l’image de Dieu
dans l’humanité a été tellement défigurée
par le péché que l’humanité est incapable
de bien et ne peut être rachetée que par la
grâce divine et l’œuvre du Christ.
L’élection inconditionnelle : Dieu, par
souverain décret, choisit ceux qui seront
sauvés et ceux qui seront damnés, ce
qu’on appelle aussi la prédestination.
Le rachat limité : le sacrifice expiatoire
du Christ ne rachète que les péchés des
élus
La grâce irrésistible : La grâce de Dieu
aura toujours l’effet voulu sur les élus qui
sont prédestinés au salut en les amenant à
la foi salvatrice.
La persévérance des saints : ceux qui sont
réellement sauvés, les élus, ne peuvent
être perdus ; on l’appelle aussi
l’assurance du salut)
Page 52
Malheureusement TULIP réduit la
théologie réformée à une poignée de
doctrines statiques tout en laissant de côté
d’autres aspects clés de la tradition réformée.
Brian Gerrish, dans son article Tradition in
the Modern World: The Reformed Habit of
Mind, avance que plutôt que d’essayer de
donner une liste de contrôle de cinq doctrines
réformées centrales, nous devons considérer
ce qu’il appelle les cinq habitudes de l’esprit
réformé:
(1) La déférence à l’égard du passé dans
l’Écriture et la tradition
(2) Une approche critique de l’Écriture et
de la tradition
(3) L’ouverture à la sagesse, à l’intuition
et à la vérité où qu’elles se trouvent
(4) Le sens pratique : savoir ce qu’il est
nécessaire
de
savoir
pour
la
transformation personnelle et sociale tout
en évitant la spéculation
(5) Semper reformanda : se réformer sans
cesse par la Parole de Dieu.
(1) Qu’est-ce que le dogme ou la
doctrine dans votre tradition ?
La « doctrine » et le « dogme » se
réfèrent aux enseignements autorisés de la foi
tenus pour vrais et normatifs. Les
presbytériens emploient plus souvent le mot
« doctrine » que « dogme », bien que ce
dernier soit employé à titre d’exemple, Karl
Barth, certainement le plus important
théologien réformé du XXe siècle, a intitulé
son œuvre théologique principale die
kirchliche Dogmatik. Un « credo » est un bref
formulaire de ce que nous affirmons avec
toute l’Église, alors qu’une « confession » est
une déclaration plus longue qui tend à naître
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
d’un contexte historique spécifique (par
exemple, les débats théologiques de la
Réforme du XVIe siècle) et à souligner les
caractéristiques dénominationnelles.
(2) Qu’est-ce qui est considéré comme
déclarations doctrinales ?
Le préambule aux questions posées aux
candidats à l’ordination dans le Book of
Forms de la PCC énumère les déclarations
doctrinales officiellement reconnues :
L’Église presbytérienne au Canada n’est
liée qu’à Jésus-Christ, Roi et Tête de l’Église.
Les Écritures de l’Ancien et du Nouveau
Testament, en tant que Parole écrite de Dieu
témoignant du Christ Parole vivante, sont les
canons de toute la doctrine par laquelle le
Christ régit notre foi et notre vie. Nous
reconnaissons notre continuité historique
avec la sainte Église catholique et notre
héritage
doctrinal
dans
les
credos
œcuméniques et les confessions de la
Réforme. Nos normes subordonnées sont la
Confession de foi de Westminster telle
qu’adoptée en 1875 et en 1889, la Declaration
of Faith concerning Church and Nation de
1954, Living Faith (Foi Vivante) adoptée en
1998, et toute doctrine que l’Église, obéissant
à l’Écriture et sous la guidance promise de
l’Esprit Saint, pourrait encore confesser selon
la fonction permanente de l’Église de
reformuler la foi (Book of Forms 447).
Les « credos œcuméniques » dont il est
question ici sont les symboles des Apôtres et
de Nicée. La Confession de foi de
Westminster comprend aussi le Grand
catéchisme et le Petit catéchisme. Des
générations de presbytériens se rappellent
aisément la première question du Petit
catéchisme qu’ils ont apprise dans leur cours
préparatoire à la confirmation : « Q. Quelle
est la fin première de l’homme ? R. La fin
première de l’homme est de glorifier Dieu et
d’être heureux avec lui pendant l’éternité. »
(Les théologiens de Westminster au XVIIe
siècle ne se préoccupaient évidemment pas de
langage inclusif.)
(3) Qui peut faire des déclarations
doctrinales ?
L’Assemblée générale (AG) est la plus
haute autorité décisionnelle dans le système
de gouvernance ecclésiale de la PCC, et
possède seule l’autorité de faire des
déclarations doctrinales officielles. L’AG a
un comité de la doctrine de l’Église auquel
elle soumet les problèmes et questions qui
peuvent survenir sur des questions
doctrinales. Le comité de la doctrine de
l’Église, après étude, délibérations et
consultations avec l’Église, soumet ses
recommandations à l’AG, mais c’est l’AG
dans son ensemble qui prend la décision
finale.
(4) Quelle est la relation entre la
doctrine et la révélation ?
La tradition réformée soutient que la doctrine
provient de la révélation. Le préambule à
l’ordination présente la hiérarchie de la
révélation :
(1) Jésus Christ = la Parole vivante de
Dieu, l’ultime révélation de Dieu ;
(2) Les Écritures de l’Ancien et du
Nouveau Testament = la Parole écrite
de Dieu, qui porte témoignage au
Christ, Parole Vivante ; et
(3) Les normes subordonnées = la
Confession de Westminster ; la
Declaration Concerning Church and
Nation, et Living Faith (Foi Vivante),
toutes dérivées de (1) et (2) et
reconnues comme autorisées par
l’Assemblée Générale.
Le préambule déclare aussi que la
doctrine peut se développer et changer quand
l’Esprit Saint apporte à la compréhension
collective de l’Église des aspects de la
révélation du Christ dont elle n’était pas
consciente auparavant.
Un exemple serait la conscience
croissante de ce que signifie le baptême (« Il
n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni
esclave, ni homme libre ; il n’y a plus
l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes
qu’un en Jésus Christ » Ga 3,27-28) qui a
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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éventuellement conduit à la décision de l’AG
en 1966 d’admettre les femmes au ministère
ordonné et à la fonction d’ancien. Cette
décision, incidemment, a généré une
discussion sur la « liberté de conscience » et
la « liberté d’action » au début des années
1980, alors que les ministres ordonnés
masculins qui n’étaient pas d’accord avec la
décision de l’AG se sont manifestement
abstenus de participer aux services
presbytériens d’ordination de femmes. L’AG
a affirmé que ceux qui n’étaient pas d’accord
avec la décision d’ordonner des femmes
avaient la « liberté de conscience » de croire
que l’AG avait erré, mais n’avaient pas la
« liberté d’action » de refuser de participer à
des services où des femmes étaient
ordonnées. L’AG a stipulé qu’il y aurait un
« délai de grâce » au cours duquel ceux qui
ne pouvaient appuyer l’ordination des
femmes devaient examiner leur conscience et
décider si oui ou non ils pouvaient demeurer
dans la PCC. À l’expiration du « délai de
grâce », le refus de participer à des services
d’ordination de femmes devenait sujet à la
discipline de l’Église.
conduit à la subordination de la Bible, avec
ses éléments historiquement et culturellement
conditionnés, à l’éternelle Parole Vivante
manifestée dans la personne de Jésus Christ.
Ce passage est évident dans Living Faith qui
commence par quatre chapitres sur Dieu
avant de parler de la Bible et dans cette
affirmation remarquable :
La Bible doit se comprendre à la lumière
de la révélation de l’œuvre de Dieu dans
le Christ.
L’écriture de la Bible a été influencée
par le langage, la pensée et le cadre de
son époque.
La Bible doit être lue dans son contexte
historique.
Nous
interprétons
l’Écriture
en
comparant les passages,
en considérant les deux Testaments à la
lumière l’un de l’autre
et en écoutant les commentateurs d’hier
et aujourd’hui.
Confiants dans le Saint-Esprit,
nous cherchons à savoir comment la
parole de Dieu
s’applique à notre époque.
Un passage intéressant est survenu entre
la Confession de Westminster du XVIIe
siècle et le document de la fin du XXe siècle,
Living Faith (Foi vivante) en ce qui a trait au
point de départ fonctionnel de la révélation.
La compréhension de la révélation, selon la
tradition réformée, établit une distinction
entre le Christ, Parole Vivante de Dieu
connue par la Parole écrite de Dieu dans les
Écritures et subordonne la seconde à la
première. Cependant, les théologiens de
Westminster ne se sont pas beaucoup
préoccupés de cette subordination et se sont
centrés sur les Écritures comme dépôt
autorisé de la révélation et point de départ de
la doctrine. Il n’est pas étonnant que la
Confession de Westminster commence par le
chapitre 1 sur « L’Écriture sainte », avant de
passer au chapitre 2 sur « Dieu, la Sainte
Trinité ». L’arrivée de la critique biblique a
mis fortement en relief la distinction entre la
Parole Vivante et la Parole écrite. Elle a
Book of Forms, The Presbyterian Church in
Canada, Toronto, 2009. Accessible sur
http://www.presbyterian.ca/files/webfm/ourresour
ces/officialdocs/2009BoF.pdf
Gerrish, Brian, « Tradition in the Modern World:
The Reformed Habit of Mind », non date,
accessible
sur
http://reformedtheology.org/
SiteFiles/GerrishArticle.html; Internet, dernière
consultation : 20 avril 2010.
Living Faith: A Statement of Christian Belief,
Kelowna, Colombie-Britannique, Wood Lake
Books, 1984. Accessible sur http://www.presby
terian.ca/files/webfm/ourfaith/officialdocuments/li
vingfaith/livingfaith.pdf
Westminster Confession of Faith. Accessible sur :
http://www.presbyterian.ca/files/webfm/ourresour
ces/officialdocs/Westminster_Confession.pdf
En français : http://www.erq.qc.ca/francais/
westminster_fr.html
Westminster Shorter Catechism. Accessible sur :
http://www.presbyterian.ca/files/webfm/ourfaith/o
fficialdocuments/catechism/WestminsterShorterC
atechism.pdf
Page 54
(Foi Vivante 5.4)
Brève bibliographie:
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Le dogme et la doctrine des Églises chrétiennes réformées
d’Amérique du Nord
Dr. M. Elaine Botha
M. Elaine Botha est professeur à la retraite de la North West University
à Potchefstroom, Afrique du Sud, et du Redeemer University College,
Ancaster, Ontario, Canada. Elle a enseigné la philosophie dans ces
deux institutions et dans plusieurs universités et collèges internationaux.
Elle a été vice-présidente, directrice de la recherche et du
développement du personnel enseignant et directrice du Dooyeweerd
Centre au Redeemer University College. En Afrique du Sud, elle a été
activement engagée dans la lutte contre l’apartheid et a enseigné la
philosophie à Potchefstroom pendant 25 ans. Elle a publié des ouvrages
sur la philosophie de la science et la métaphore.
I L’accent théologique réformé
L’accent théologique réformé est plus grand
que ses seules manifestations dans la famille
des Églises chrétiennes réformées (CRC). Les
Églises réformées se situent dans la tradition
du protestantisme, et plus spécifiquement du
calvinisme, qui a pour principe fondamental la
doctrine de la souveraineté de Dieu et
l’autorité des Écritures et « … le besoin d’une
sainteté disciplinée dans une vie personnelle
chrétienne et, finalement, sur le christianisme
comme religion du Royaume » (De Moor,
[2001] ; citation de CRC-Publications. A Sure
Thing, 2001, 281. Cf. aussi Meeter, Henry
H.1990: 16).
Les chrétiens réformés confessent leur foi
avec l’Église universelle dans les mots du
symbole des Apôtres. La Réforme du XVIe
siècle a redécouvert le message central de la
Bible qu’on est sauvé par la grâce seule au
moyen de la foi, selon la formule simple :
Sola Scriptura, Sola fides, Sola gratia. De la
Réforme sont venues quatre branches
principales :
Les anabaptistes,
Les réformés,
Les luthériens et les anglicans.
La formulation théologique de la vision du
monde des Églises chrétiennes réformées ne
présente pas une image uniforme, mais des
accentuations qui se recouvrent en partie.
Dans la déclaration d’identité du CRC « What
it means to be Reformed » (2006), on
distingue trois approches à l’identité réformée
qui se chevauchent : doctrinaliste, piétiste et
transformationaliste.
L’approche piétiste met l’accent sur la vie
chrétienne et la relation personnelle à Dieu, et
est partagée par des groupes importants à
l’intérieur de la tradition réformée. La
question, pour les piétistes, est : comment
faisons-nous l’expérience de Dieu dans notre
vie de tous les jours.
L’approche doctrinaliste met l’accent sur
l’adhésion aux doctrines, telles qu’enseignées
dans les Écritures et reflétées dans les
Confessions dans lesquelles les Églises
croient. Elle se caractérise par un certain
nombre de thèmes centraux :
La vision réformée des Écritures
La Bible est l’autorité inspirée et justifiée de
la parole de Dieu sur la vie des croyants,
appelés à être ses subordonnés et à obéir à Sa
Parole. Sola Scriptura signifie que les
Réformateurs prenaient leurs distances par
rapport à l’Église catholique qui affirmait que
l’Écriture, la Tradition et les enseignements
de l’Église ont une égale autorité. Les
chrétiens réformés affirment que Dieu se
révèle aux humains par Ses Écritures qui sont
un message saisissant du plan de salut de Dieu
pour l’humanité. Le cœur de la Bible est la
révélation rédemptrice (2 Tim 3,16-17 et 2
Pierre 1,20-21).
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 55
La création, la chute et la rédemption et la
nouvelle création
Cette confession est le moyen par lequel les
chrétiens réformés essaient de comprendre le
message biblique et son histoire. Elle propose
aussi une lecture et une interprétation
« historico-rédemptrices »
de
l’Écriture,
associées à Augustin, à Calvin et aux
théologiens réformés hollandais des XIXe et
XXe siècles. Elle met l’accent sur le récit
biblique progressif, ou drame, de la
rédemption sur quatre étapes majeures : la
création, la chute, la rédemption et la nouvelle
création (Col. 1,15 -20).
La seigneurie de Jésus Christ
Cette confession suppose qu’il n’y a pas un
centimètre carré du monde de Dieu où les
chrétiens ne soient pas appelés à proclamer la
seigneurie du Christ sur la création. Elle
représente une rupture radicale avec les
dichotomies
« sacré/séculier »
et
« nature/grâce » qui se retrouvent dans
plusieurs traditions. Tout ce qui est de la vie
humaine et de sa réalité est entièrement
« religieux », soit au service du Dieu Trine ou
de quelque idole. Aucune dimension de la vie
n’est plus sacrée qu’une autre.
L’Église
L’Église réformée met fortement l’accent sur
la nécessité pour le croyant qui appartient au
Corps du Christ, ou à la communauté de
l’Église, de participer à l’Église locale appelée
à proclamer l’Évangile aux nations (1 Pi 2,9).
L’Église est une Église mondiale dans toute
son histoire et sa diversité et s’exprime
localement dans l’Église institutionnelle et les
congrégations. La justice et la réconciliation
ne sont pas seulement des choses qu’une
Église peut faire, ce sont des choses qu’une
Église doit faire, car elle est aussi appelée à
un constant renouveau par une réforme
continue. L’Église institutionnelle est aussi
appelée à s’attaquer à une foule de problèmes
d’ordre
social
et
culturel,
comme
l’avortement, l’euthanasie, les questions
raciales, la pauvreté, l’éducation, la politique,
le mariage, la sexualité, la justice, la peine de
mort, la paix et la guerre, etc. D’autre part,
l’Église en tant que Corps du Christ est
appelée à s’engager dans tous les aspects de la
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société au moyen de divers cadres
institutionnels tels que les écoles chrétiennes,
les affaires, l’État, les organisations
bénévoles, les syndicats, etc.
La grâce
La foi réformée met l’accent sur la condition
radicalement pécheresse de l’humanité et sur
le besoin de la grâce salvifique de Dieu. La
grâce de Dieu est la faveur de Dieu envers
ceux qui ne la méritent pas. Dans cette grâce,
les œuvres du croyant ne jouent aucun rôle
méritoire, elles ne sont que des expressions de
gratitude pour le don de la grâce divine (Ep
2,8 -10). La grâce de Dieu en Jésus Christ est
la racine de toute la vie humaine, y compris la
vie du non-croyant qui existe par la grâce de
Dieu. Une dimension importante de la grâce
est la compréhension réformée de la grâce
commune. Elle (Mt 5, 43 -48) empêche la
société, corrompue par le péché, de se
désintégrer complètement. On peut discerner
dans le monde trois évidences distinctes de la
grâce commune
Dieu donne des dons naturels aussi bien
aux croyants qu’aux incroyants.
Dieu limite le péché dans tous les humains.
Dieu permet aux incroyants d’accomplir
des actes positifs pour le bien commun.
La grâce commune rappelle au croyant que le
conflit de ce temps (que le théologien
hollandais
Abraham
Kuyper
appelait
antithèse) se livre entre deux puissances
spirituelles qui traversent toute la réalité et la
société et le cœur humain.
L’alliance
L’Ancien et le Nouveau Testament révèlent
tous deux l’alliance de grâce de Dieu. Les
sacrements du baptême et de la Cène du
Seigneur sont des signes de la nouvelle
alliance de Dieu avec Son peuple. Cela
appelle Son peuple à l’engagement et à
l’obéissance et se développe sur les promesses
et engagements fidèles de Dieu qu’il
renouvelle dans la proclamation de Sa parole.
La troisième approche réformée est le
transformationalisme. Cette approche incarne
un profond désir de relier la seigneurie du
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Christ à tous les secteurs de la culture, de la
société et du monde qui nous entoure. Elle
doit beaucoup au travail du théologien et
homme d’État hollandais Abraham Kuyper
qui a dirigé le mouvement des « doleantie »
(ceux qui pleurent) en Hollande en 1886. La
philosophie et la théologie de Kuyper ont
exercé une forte influence sur les chrétiens
réformés d’Amérique du Nord. Les fruits du
règne du Christ dans le monde et la venue de
Son Royaume sont évidents dans les
organisations chrétiennes : collèges et
universités, organisations pour la justice
publique et associations de travailleurs. Une
des caractéristiques les plus importantes de
l’Église chrétienne réformée en Amérique du
Nord est sans doute l’accent sur l’instruction
chrétienne. Dans l’ensemble, ces écoles et
collèges sont financièrement indépendants et
ne reçoivent aucune forme de subventions des
gouvernements.
Voici
quelques
caractéristiques importantes de l’approche
transformationaliste :
Une relation personnelle à Jésus
Le Catéchisme d’Heidelberg, qui est l’un des
trois documents confessionnels de l’Église
chrétienne réformée, met un fort accent sur
cette relation personnelle, comme il est
évident dans la première question/réponse du
Catéchisme d’Heidelberg : « Quelle est ton
unique consolation dans la vie et dans la
mort ? — C’est que, de corps et d’âme, tant
dans la vie que dans la mort, j'appartiens, non
pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon
fidèle Sauveur. »
Il est caractéristique de l’accent réformé, qu’il
va toujours plus loin que la seule relation
personnelle.
Le Saint Esprit
Les chrétiens réformés ont une sincère
appréciation de l’œuvre de la Trinité : Dieu le
Père dans la création, le Fils dans la
rédemption et le Saint Esprit dans la
sanctification. L’œuvre de l’Esprit Saint est
universelle. Elle englobe toutes les
dimensions de la vie du croyant et de la vie de
l’Église, du ministère de l’Église et de
l’œuvre divine de rédemption. « L’Esprit
Saint est au centre de la compréhension de la
présence réelle du Christ dans les sacrements
et de la prédication comme de rencontres avec
Dieu remplies de l’Esprit » (Déclaration
d’identité: 22).
La reconnaissance
Le Catéchisme d’Heidelberg enseigne que la
prière est au centre de la vie de
reconnaissance du croyant envers le Seigneur
(Col. 3,15-17). Une de ses caractéristiques les
plus importantes est que l’enseignement sur
les Dix Commandements est placé dans la
partie consacrée à la reconnaissance. Les
chrétiens n’obéissent pas à Dieu afin de se
débarrasser de la culpabilité ou de mériter le
salut. Ils obéissent parce que Dieu a déjà
supprimé leur culpabilité et leur a donné le
don gratuit du salut. Toute obéissance, dans la
vie chrétienne, doit finalement venir de la
source profonde de la reconnaissance.
La Parole et les sacrements
Les pasteurs de la CRC sont ordonnés au
ministère de la Parole et des sacrements. La
prédication comme exégèse et interprétation
de l’Écriture joue un rôle important dans
l’Église. D’autre part, les sacrements sont
reliés à une variété d’autres thèmes bibliques.
La réception de l’Esprit Saint, la nouvelle
naissance, la purification des péchés, la mort
et la résurrection avec le Christ, etc., le
renouveau spirituel, le pardon, l’espérance
eschatologique, etc. La relation de la Parole
de Dieu au monde est le point central de
l’approche transformationaliste.
II Déclarations doctrinales et confessions
de foi.
Deux séries de credos constituent le
fondement de la doctrine réformée. La
première série comprend les symboles
œcuméniques qui ont été écrits bien avant que
l’Église ne se divise en diverses branches et
qui sont acceptés par la plupart des Églises
chrétiennes. Les symboles œcuméniques sont :
Le symbole des Apôtres
Le symbole de Nicée, la réponse chrétienne
à l’arianisme
Le symbole d’Athanase, les plus claires
définitions de la Trinité et de l’incarnation.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
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La seconde série est composée des trois
Confessions réformées qui sont des
confessions de foi distinctement réformées,
écrites à l’époque où les divisions entre
protestants sont devenues permanentes. Elles
appartiennent à la famille des credos réformés
et presbytériens qui comprennent aussi les
confessions de Westminster, gallicane et
écossaise.
Les
confessions
réformées
comprennent :
Le Catéchisme d’Heidelberg - 1563 –
composé à Heidelberg à la demande de
l’Électeur Frédéric III.
La Confession de foi belge -1561. Claire
déclaration de foi à l’époque de
l’Inquisition espagnole
Les Canons de Dordt. 1618-19. Jugement
sur la controverse théologique avec les
arminiens.
Certaines nouvelles déclarations de foi et
témoignages ont été ajoutés aux confessions
de foi :

A Contemporary Testimony. Our
world belongs to God

La Confession de Belhar – rédigée
par l’Église réformée hollandaise
d’Afrique du Sud et présentée au CRCNA

La Confession d’Accra ou Alliance
pour la justice économique et écologique.
Quelques brèves notes d’introduction aux
trois premiers credos devraient suffire.
La Confession de foi belge
Les plus anciennes normes doctrinales de
l’Église chrétienne réformée sont la
Confession de foi généralement connue
comme la Confession de foi belge, d’après la
désignation latine du XVIIe siècle « Confessio
Belgica ». « Belgica » faisait référence à
l’ensemble des Pays-Bas, le nord et le sud, qui
sont aujourd’hui divisés entre les Pays-Bas et
la Belgique. L’auteur principal de la
confession était Guy de Brès, prédicateur des
Églises réformées des Pays-Bas, mort martyr
de la foi en l’année 1567. Le texte, non le
contenu, a été révisé de nouveau au synode de
Dordt, en 1618-1619, et adopté comme l’une
des normes doctrinales auxquelles doivent
souscrire toutes les personnes qui détiennent
une fonction dans les Églises réformées.
Page 58
Le Catéchisme d’Heidelberg :
Le nom du Catéchisme d’Heidelberg vient de
la ville où il a été compilé et imprimé pour la
première fois. Afin de mettre un terme aux
disputes religieuses dans ses domaines,
Frédéric III a décidé de publier un catéchisme,
ou confession de foi, et en a confié la
rédaction à Zacharias Ursinus et Gaspard
Olevianus qui avait été professeur à
l’université d’Heidelberg, puis prédicateur de
la cour. Ils utilisèrent les catéchismes
existants, particulièrement ceux de Calvin et
de Jean de Lasco. Ursinus en a toujours été
considéré comme l’auteur principal et il a été,
par la suite, le premier défenseur et interprète
du Catéchisme.
Le Catéchisme, dans sa forme actuelle,
consiste en 129 questions et réponses, divisées
en trois parties :
De la misère de l’homme.
De la délivrance de l’homme.
De la reconnaissance (due à Dieu par
l’homme).
Les Canons de Dordt
Les Canons de Dordt sont issus de la
controverse arminienne dans les Églises
réformées des Pays-Bas, au début du XVIIe
siècle. Les arminiens étaient les disciples de
Jacques Arminius, professeur de théologie de
l’université de Leyde qui avait rédigé cinq
articles de foi qui furent présentés au synode
de Dordt (Dordrecht) en « remonstrance »
contre les croyances de l’Église à cette
époque.
1. Dieu élit ou réprouve selon la foi ou
l’incroyance prévue.
2. Le Christ est mort pour tous les hommes
et pour chaque homme, bien que seuls les
croyants soient sauvés.
3. L’homme est si mauvais que la grâce
divine est nécessaire pour la foi ou toute
bonne action.
4. On peut résister à la grâce.
5. La question de savoir si tous ceux qui
sont vraiment régénérés vont certainement
persévérer dans la foi doit être étudiée
davantage.
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Ces cinq points ont été rejetés par le synode
qui répondit à la Remonstrance par les cinq
points du calvinisme communément appelés
TULIP. Ce sont : la corruption totale et
absolue, l’élection inconditionnelle, le rachat
limité, la grâce irrésistible et la persévérance
des saints. La grâce salvifique de Dieu n’est
pas universelle, mais particulière et donnée
seulement à ceux que Dieu a choisis de toute
éternité (Rm 8, 29-30) qui ne peuvent être
perdus (Jean 10.27-28). Le salut est assuré
dans la main de Dieu.
S’il y a une doctrine qui imprègne les Canons,
c’est bien la souveraineté de Dieu ainsi que sa
corollaire, la fidélité de Dieu (Mouw,
2004:37). Les Canons soutiennent que,
d’après les Écritures, Dieu est souverain dans
le salut du pécheur et que la position
arminienne contredit cette vérité (Petersen
Henry, 1968).
manipulations génétiques, du féminisme, de la
futurologie, du fatalisme et de l’utopie, etc.
Une addition plus récente aux déclarations
doctrinales du CRCNA est la Confession de
Belhar, originellement développée en Afrique
du Sud en réponse au rôle de l’Église dans
une société qui avait connu l’apartheid. Le
synode 2009 de la CRC a présenté la
Confession de Belhar à l’Église pour étude,
déclarant que le synode partage avec l’Église
tout entière la nature profonde de ce moment
dans la vie de l’Église et que, par conséquent,
il ne faut pas y pénétrer à la légère, mais avec
crainte et tremblement, humblement confiants
que l’Église restera fidèle à l’Évangile. Le
synode projette de proposer au synode 2012
l’adoption de la Confession de Belhar comme
quatrième confession de l’Église chrétienne
réformée
en
Amérique
du
Nord.
Bibliographie
Les plus récents témoignages comprennent
Our World Belongs to God: A Contemporary
Testimony.
Le mouvement qui a produit le Contemporary
Testimony a débuté vers 1970. Il est né du fait
que les credos traditionnels de la CRC ne
semblaient pas parler clairement à une
nouvelle génération de croyants vivant dans
un monde sécularisé. En 1983, le synode de
l’Église chrétienne réformée a approuvé le
texte de Our World Belongs to God comme
voix prophétique de l’Église pour répondre
aux questions cruciales de notre temps.
L’approbation finale est venue en 1986 et une
version révisée a été acceptée en 2008. On l’a
appelé « témoignage », plutôt que confession,
pour le distinguer des confessions historiques
du XVIe siècle et préserver leur place centrale.
Il a été décidé d’aborder le « Témoignage
contemporain » à partir d’une perspective
unique : l’idée biblique du Royaume à venir
avec pour thème du témoignage « Notre
monde appartient à Dieu ». Le témoignage
colle de près au récit de la Bible. Il traite,
entre autres, de l’esprit de notre temps, de
l’évolution, des droits humains, de la prière,
de la conservation de la terre, de l’argent, du
scientisme,
de
la
technologie,
des
Christian Reformed Church. What it means to be
Reformed. An Identity Statement. CRCpublications, 2006.
CRC Ecumenical creeds and Reformed
confessions. CRC Publications Grand Rapids.
De Moor, Robert. 2001 Reformed. What it means.
Why it matters. Grand Rapids. CRC Publications.
Gootjes, Nicolas H. 2007.
The Belgic Confessions. Its history and sources.
Grand Rapids. Baker Academic.
Meeter, Henry H. The Basic Ideas of Calvinism. 6e
édition. 1990. Édition révisée par Paul Marshall.
Grand Rapids, Baker Book House.
Mouw, Richard J. Calvinism in the Las Vegas
Airport. Making connections in today’s world.
2004 Grand Rapids, Zondervan.
Our world belongs to God. A Contemporary
Testimony. Document d’étude. 1987 et 2008 Grand
Rapids, Michigan.
Palmer Edwin H. The five points of Calvinism.
Grand Rapids, Baker Book House
Petersen Henry. 1968. The Canons of Dordt. A
Study Guide. Grand Rapids. Baker Book house.
Convention de la Poste-publications : 40036616
Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010
Page 59
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