ŒCUMÉNISME Automne/Hiver 2010 45e année, no 179-180, pp. 5-59. L’Église et la doctrine: Une réponse à Dieu qui tend la main à l’humanité par Jésus Christ Photo de groupe des membres de la Commission Foi et témoignage, avec l’aimable autorisation du Conseil canadien des Églises. ŒCUMÉNISME Revue trimestrielle publiée par le Centre canadien d’œcuménisme, au service de l’unité Chrétienne et du rapprochement interreligieux. Tout en gardant le titre Œcuménisme, cette revue fait la distinction entre les relations œcuméniques (inter-Églises) et les relations interreligieuses, vu la différence entre leurs objectifs respectifs. 1819, boul. Réné-Lévesque ouest. #003, Montréal, QC, H3H 2P5 Tél.: (514) 937-9176; Fax: (514) 937-4986; Site web: www.oikoumene.ca; Courriel: [email protected] Bibliothèque: [email protected] 1-877-oikoumene (1-877-645-6863) Comité de rédaction: Brian Cordeiro (président), David Fines, Jacqueline Frioud, Pamela Gebauer, Ann Herbert, Laura Ieraci, Anthony Mansour Abonnement d’un an: Canada – $17; ÉU – $19.50 US; étranger – $19.50; soutien – $35 et plus; prix d’un numéro – $5 Numéro international des publications en serie: ISSN 0383-4301X Convention de la Poste-publications: 40036616 Dépôt légal: Bibliothèque nationale du Québec; Bibliothèque nationale du Canada N.D.L.R.: Les articles publiés dans Œcuménisme n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Autorisation de reproduire les articles en entier ou en partie, à la condition d’en indiquer la provenance. Ecumenism is also published in English. Rédacteur de ce numéro: Responsable de la production: En bref et ressources: Traduction: Abonnements: Page 2 James Pedlar Ann Herbert Bernice Baranowski Helen Mukabadege Belva Webb Natacha Roussy Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Table des matières Églises et doctrines 4 La Commission Foi et Témoignage 5 Introduction aux documents de travail sur la doctrine 7 Tradition, dogme et doctrine dans l’Église orthodoxe en Amérique Paul Ladouceur 11 Notes sur la doctrine, la tradition et le dogme dans l’Église Catholique Sylvain Destrempes et Gilles Mongeau, S.J. 17 Le développement de la doctrine anglicane Ian Ritchie 22 La doctrine dans la tradition baptiste Rev. Kevin Smith 27 La Société religieuse des Amis (Quakers) « Être doctrine dans le monde » Keith R. Maddock 31 La Doctrine, le Dogme et les Disciples Neil Bergman 33 La doctrine dans l’Église Unie du Canada Dr. Gail Allan et Rev. Dr. Margaret Trapnell 36 La doctrine dans la tradition de l’Armée du salut Major Kester Trim et James E. Pedlar 42 Les mennonites, la doctrine et les credos Arnold Neufeldt-Fast 47 Réflexions sur une approche luthérienne de la doctrine, de la Tradition et de la Révélation Richard Crossman 52 La doctrine dans l’Église presbytérienne au Canada Tim Purvis 55 Le dogme et la doctrine des Églises chrétiennes réformées d’Amérique du Nord Dr. M. Elaine Botha Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 3 La Commission Foi et Témoignage Conseil canadien des Églises Depuis 1950, la Commission Foi et Témoignage invite les Églises membres du Conseil canadien des Églises à l’étude de la théologie afin de promouvoir une plus grande compréhension de notre foi commune et fournir un témoignage œcuménique de la mission du Christ dans le monde. Le Conseil canadien des Églises fonctionne sous forme d’un « forum » où toutes les voix ont de l’importance et sont égales. Nous attendons des Églises membres – et de leurs représentants au sein de la direction – qu’elles apportent à la table œcuménique le témoignage le plus complet possible de la vérité de l’Évangile, telle que leur tradition la comprend. Tous les participants, dans quelque action œcuménique que ce soit, ne parlent et ne s’engagent que selon la voix authentique de leur propre Église. Les initiatives qui obtiennent un consensus de 100 pour cent peuvent agir en tant qu’initiatives communes de quelques Églises membres. Même les débats où il y a de forts désaccords sont vus comme des expériences œcuméniques importantes parce qu’ils permettent aux Églises membres de se comprendre les unes les autres. Par les représentants des Églises membres, la Commission Foi et Témoignage constitue un forum où les Églises se rencontrent et partagent une réflexion théologique. Les questions à l’étude peuvent venir d’une décision des membres eux-mêmes, de l’actualité ou d’autres groupes du CCE. Les sujets théologiques abordés au cours des dernières années sont le baptême, la souffrance et l’espoir, être disciple et la vie chrétienne, et l’anthropologie biblique. La Commission se penche aussi sur les préoccupations sociales comme les questions de fin de vie. Comme fruit du dialogue entre ses membres, la Commission publie des ressources et accueille des colloques ou des conférences. Les publications récentes sont : Le roseau meurtri : une réflexion chrétienne sur la souffrance et l’espoir (2010); Liturgies for Christian Unity: The First Hundred Years, 1908-2008 (2008) ; et Becoming Human: on Theological Anthropology in an Age of Engineering Life (2004). Chaque année, Foi et Témoignage coordonne et publie la documentation canadienne pour la Semaine de prière pour l’unité chrétienne. Elle coordonne le comité consultatif sur la gestion des urgences. La Commission apporte aussi son aide à la participation des Églises au dialogue interreligieux, particulièrement en participant au Groupe consultatif interreligieux et en travaillant avec des groupes interreligieux nationaux. Par sa participation au Groupe de référence en biotechnologie, Foi et Témoignage contribue à la formation sur des sujets à portée éthique comme la génétique et la xénogreffe. Les membres de la Commission sont présentement engagés dans un dialogue sur le sens du salut et de la vie chrétienne, afin de pouvoir répondre à la question « Pourquoi être chrétien ? » dans notre contexte social contemporain. Quinze dénominations chrétiennes font actuellement partie de la Commission. Page 4 Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Conseil canadien des Églises Introduction aux documents de travail sur la doctrine Au printemps 2007, la Commission Foi et Témoignage du Conseil canadien des Églises a entrepris un dialogue de trois ans sur la nature et le rôle de la doctrine dans la vie des Églises membres. Au cours de ces trois années, des représentants des Églises membres ont présenté des documents de travail sur la nature et le rôle de la doctrine ou du dogme dans leurs Églises respectives. Ils ont été initialement guidés par quatre grandes questions : 1. Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine dans votre tradition ? 2. Que considère-t-on comme des déclarations doctrinales ? 3. Qui est autorisé à faire des déclarations doctrinales ? 4. Quelle est la relation entre la doctrine et la révélation ? À mesure que s’approfondissait l’expérience du dialogue, trois nouvelles questions commencèrent à prendre forme : 5. Quel est le point de vue de votre tradition sur les sept premiers conciles œcuméniques ? 6. Comment votre tradition comprend-elle la crédibilité de l’Écriture ? 7. Quelles sont les convictions communes sans lesquelles la mission de l’Église serait sérieusement compromise ou même rendue impossible ? Les documents réunis dans ce volume sont des présentations personnelles par des membres de la Commission, qui ont servi de base aux très riches discussions au cours de la période d’étude. Le style et la méthode de chaque auteur reflète la nature de sa tradition, le point où en était rendue la discussion et la manière dont le dialogue lui-même tend à enrichir l’autocompréhension des participants. Certains documents ne traitent que des questions originales, alors que d’autres, soumis plus tardivement, traitent aussi de quelques-unes ou de toutes les trois nouvelles questions. Certains auteurs, venant de traditions qui se considèrent « sans credo », ont été étonnés de découvrir qu’ils avaient tout de même une importante contribution à apporter à partir des « doctrines » implicites de leurs propres communautés. Des membres de traditions fortement liées à des déclarations doctrinales ont appris que nombre de communautés chrétiennes engagées fonctionnent sans credo officiel. Pour une certaine approche au dialogue, le fait que tous n’ont pas répondu aux mêmes questions pourrait représenter une limite, mais, loin d’être une limite, cette variété de styles, de contenu et de méthodes nous a donné une nouvelle compréhension de la riche « écologie » des Églises chrétiennes au Canada. Nous devons reconnaître que, sur la base de ce dialogue, la Commission n’est pas parvenue à des positions communes sur la doctrine. Néanmoins, certaines convergences intéressantes et fructueuses ont émergé qui méritent d’être étudiées davantage. Si nous définissons la doctrine de manière large et efficace comme « ce qu’une Église doit enseigner aujourd’hui pour être authentique », alors tous les auteurs s’entendent pour dire que les « doctrines » sont le fruit de notre tentative de traduire en mots humains l’expérience de la volonté et de la sagesse divines. La doctrine est, dans ce sens, une réponse à Dieu qui rejoint l’humanité à travers Jésus Christ. Bien qu’il y ait peu de choses explicitement communes dans les contenus doctrinaux spécifiques des Églises membres, ou sur le rapport de la doctrine à l’Écriture, à l’autorité et à l’expérience chrétienne au cours des siècles, les articles saisissent un certain nombre de similitudes remarquables dans le processus et les efforts pour formuler la doctrine. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 5 Chaque Église membre maintient la nécessité d’une doctrine, explicite ou implicite, comme point de référence. Dans tous les cas, il y a un ou plusieurs documents qui exposent cette doctrine, bien que l’autorité et la forme de ces documents varient grandement. Dans tous les cas, l’Écriture, la tradition, la raison et l’expérience religieuse interagissent d’une certaine manière dans l’émergence d’une doctrine. De même, le rôle d’une certaine forme de réception par la communauté des croyants est une forte composante de toutes les traditions représentées. En définitive, les auteurs des articles s’entendent pour dire que la plénitude de la vérité existe en Dieu seul et que la vérité des doctrines est eschatologique, c’est-à-dire orientée vers la plénitude finale. Il y avait, naturellement, de profondes divergences sur la formulation de la doctrine de manière appropriée, sur l’autorité qui fonde un enseignement authentique, sur la hiérarchie des vérités à l’intérieur de la doctrine, sur le rapport spécifique entre la doctrine et la révélation, sur la nature de l’autorité de la doctrine dans la vie des chrétiens et des communautés, et sur la diversité des personnes et des situations auxquelles la doctrine s’applique. La seule doctrine acceptée par toutes les Églises représentées est que la foi en Jésus Christ comme Sauveur est la base de toutes les autres doctrines, bien qu’il y ait des différences dans la conception que chacune se fait de la manière dont la doctrine vient de la foi au Christ comme fondement du christianisme. Cette convergence fondamentale soulève un point important concernant le processus du dialogue au cours des trois dernières années : bien qu’il y ait certaines similitudes et de vastes divergences au niveau des idées et des définitions, une étude de l’ensemble des articles révèle une gestalt esthétique-dramatique ou existentielleexpérientielle significative qui les tient ensemble : toutes les interventions soulignent la réalité vivante et dynamique de Dieu œuvrant dans l’histoire à travers Jésus Christ et l’Esprit Saint, comme fondement de la Page 6 doctrine. La doctrine existe ; elle doit être ; c’est la vérité mise en pratique et incarnée dans des personnes et des communautés. Même les traditions qui ont un minimum de documents doctrinaux, ou même aucun qui soit officiel, expriment un lien vivant au Christ, une expérience de l’Esprit Saint qui donne forme à la vie chrétienne et à la communauté chrétienne, et la signification du culte et du service du récit évangélique dans toute sa richesse. Elle suppose une vivante découverte de l’Esprit Saint en notre temps, montrant le Christ, Verbe fait chair. C’est un exemple frappant de l’adage lex orandi, lex credendi. À l’intérieur de cette gestalt, cette forme concrète-existentielle de la doctrine comme praxis du culte et du service, d’importants thèmes et relations reviennent comme une sorte de refrain : la doctrine comme exégèse de l’Écriture, la doctrine comme expression de la révélation ; la proportion ou disproportion « sacramentelle » ou « iconique » entre les mots humains et la vérité divine ; la doctrine comme confession de foi et de culte. Ces thèmes et relations pourraient servir de point de départ pour de futurs dialogues bilatéraux. Nous avons découvert des secteurs où un accord potentiel pourrait être cherché, exploré et testé, « éprouvé » par le feu d’un échange plus ciblé entre deux partenaires œcuméniques. En ce sens, nous offrons nos efforts comme une sorte de défrichage, dans le style des encyclopédies médiévales ou des anthologies d’adages patristiques qui recueillaient les données d’où sont issus les grands développements théologiques d’Orient et d’Occident. La Commission Foi et Témoignage a formé un sous-comité de rédaction pour préparer les documents de travail présentés au cours de l’étude de la question de la doctrine. Les membres du sous-comité présentent ces remarques d’introduction comme orientation du recueil de documents de travail. Paul Ladouceur (orthodoxe) Gilles Mongeau, S.J. (catholique) Arnold Neufeldt-Fast (mennonite) Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Tradition, dogme et doctrine dans l’Église orthodoxe en Amérique Paul Ladouceur Dr M. Paul Ladouceur est un théologien et écrivain orthodoxe qui réside à Québec. Canada. Il enseigne la théologie et la spiritualité orthodoxes à l’Université de Sherbrooke et au Trinity College, Université de Toronto. Il est responsable du site francophone Pages orthodoxes La Transfiguration et du bulletin électronique Lumière du Thabor. Il a écrit plusieurs livres et un certain nombre d’articles sur l’orthodoxie. « Garde le dépôt » 1 Tm 6,20 « La tradition est la vie de l’Esprit Saint dans l’Église » Vladimir Lossky Dans les premiers siècles du christianisme, il n’y avait pas de déclarations officielles sur la doctrine ou les dogmes, même s’il existait diverses formules pour exprimer la foi, comme, par exemple, celles que récitaient les catéchumènes à leur baptême. Certaines de ces formules sont devenues la base de déclarations officielles ultérieures sur la doctrine, bien que les Pères de l’Église aient été réticents à prononcer des déclarations dogmatiques de la foi. L’Église n’a commencé à formuler des déclarations dogmatiques qu’en réponse aux enseignements qui n’étaient pas en accord avec le contenu de la foi généralement accepté. Les premières de ces définitions doctrinales ont été décrétées au premier concile œcuménique de Nicée, en 325. Le symbole de Nicée a été composé en réponse aux enseignements d’Arius et de ses compagnons qui prétendaient que le Christ n’était qu’humain et non divin et Fils de Dieu. Le symbole de Nicée a été davantage développé au second concile œcuménique, en 381, pour devenir le symbole de NicéeConstantinople encore en usage dans l’Église orthodoxe. D’autres déclarations doctrinales ont aussi été prononcées par la suite pour clarifier le contenu de la foi en réponse à des enseignements erronés. Toute considération de doctrine ou de dogme dans l’Église orthodoxe doit se situer dans le contexte de la nature et du rôle de la Tradition de l’Église. Au début du XVIIIe siècle, dans des mots qui rappellent le langage des conciles œcuméniques, les patriarches orthodoxes écrivaient aux nonjureurs anglais : Nous préservons la doctrine du Seigneur sans corruption et adhérons fermement à la Foi qu’Il nous a donnée, et la gardons sans tache ni diminution, comme un Trésor royal et un monument de grand prix, sans y ajouter ni en retrancher quoi que ce soit.1 Pour les chrétiens orthodoxes, la notion d’une continuité vivante de la Foi se résume dans le mot Tradition : « Nous ne changeons pas les bornes éternelles que nos pères ont placées, a écrit Jean Damascène, mais nous gardons la Tradition comme nous l’avons reçue. »2 Qu’est-ce que l’Orthodoxie entend par « Tradition »? Une tradition est comprise généralement comme une opinion, croyance ou coutume transmise par les ancêtres à la postérité. Dans ce cas, la Tradition chrétienne est la foi et la pratique données par le Christ à ses apôtres et transmises par l’Église de génération en génération (cf. 1 Co 15, 3). Mais, pour un chrétien orthodoxe, la Tradition signifie quelque chose de plus grand que simplement des déclarations dogmatiques. La Tradition comprend la Bible, le Credo, les décrets des conciles œcuméniques et les écrits patristiques, mais aussi les canons, les livres liturgiques, les icônes, en fait, tout le système que forment la doctrine, le gouvernement de l’Église, le culte, la spiritualité et l’art exprimé au cours des âges. Ces aspects de la Tradition sont parfois appelés « sources de la Foi ». Les orthodoxes se voient comme les héritiers et les gardiens d’un riche héritage reçu du passé et d’abord les enseignements que les Apôtres ont reçus du Christ Lui-même. Ils croient Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 7 qu’ils ont le devoir sacré de transmettre cet héritage aux générations futures. Tout en respectant cet héritage, les orthodoxes sont cependant conscients que tout ce qu’il renferme n’est pas d’égale valeur. Parmi les divers éléments de la Tradition, la Bible, le credo et les définitions dogmatiques des conciles œcuméniques viennent au premier rang : les orthodoxes les considèrent comme absolus et immuables. D’autres aspects de la Tradition n’ont pas la même autorité. Les décrets des conciles de Jassy ou de Jérusalem ne se situent pas sur le même plan que le symbole de Nicée, et les écrits d’un Athanase, d’un Jean Chrysostome ou d’un Syméon le Nouveau Théologien n’occupent pas un rang égal à l’Évangile de saint Jean. Tout ce qui a été reçu du passé n’est pas nécessairement vrai. Comme l’a fait remarquer un des évêques au concile de Carthage, en 257 : « Le Seigneur a dit ‘Je suis la vérité’ (Jn 14,6). Il n’a pas dit ‘je suis la coutume’. » Il y a une différence entre la « Tradition » et les « traditions » et coutumes : plusieurs traditions qui viennent du passé sont d’origine humaine et dérivent de circonstances particulières, des opinions ou pratiques pieuses qui sont plus ou moins reliées à la Tradition, mais qui ne sont pas des expressions essentielles ou complètes de l’unique Tradition, le message chrétien fondamental. Il est absolument essentiel d’interroger le passé. Des normes intellectuelles plus élevées, des contacts de plus en plus nombreux avec les chrétiens occidentaux et la pénétration du sécularisme et de l’athéisme ont obligé les orthodoxes contemporains à examiner de plus près leur héritage et à distinguer entre la Tradition et les traditions. Il n’est jamais facile d’établir des distinctions. Il faut éviter les erreurs des vieux croyants (schisme dans l’Église de Russie au XVIe siècle) et celles de « l’Église Vivante » (« réformateurs » soutenus par les bolchéviques après la révolution russe de 1917). Les premiers sont tombés dans un conservatisme extrême qui n’admettait aucun changement dans les traditions et pratiques ; la seconde s’est pliée à des compromis doctrinaux qui minaient des aspects essentiels de la foi. Souvent, c’est précisément le contact avec l’Occident qui aide les orthodoxes à Page 8 distinguer plus clairement ce qui est indispensable dans leur propre héritage de ce qui est culturel ou lié à des circonstances particulières. La véritable fidélité orthodoxe au passé doit toujours être une fidélité créatrice. La véritable orthodoxie ne peut jamais se satisfaire d’une stérile « théologie de répétition » qui ne fait que rabâcher des formules convenues sans chercher à comprendre ce qu’il y a derrière. La loyauté envers la Tradition, bien comprise, n’est pas quelque chose de mécanique, un processus passif et automatique de transmission de la sagesse acceptée à une époque d’un lointain passé. Les orthodoxes doivent voir la Tradition de l’intérieur, entrer dans son esprit profond, redécouvrir le sens de la Tradition d’une manière qui soit exploratoire, courageuse et créatrice. Afin de vivre dans la Tradition, il ne suffit pas simplement d’adhérer intellectuellement à un système de doctrine, car la Tradition est bien plus qu’un ensemble de propositions abstraites – c’est la vie, une rencontre personnelle avec le Christ dans l’Esprit Saint. La Tradition n’est pas seulement conservée par l’Église – elle vit dans l’Église. La conception orthodoxe de la Tradition n’est pas statique, mais dynamique, elle n’est pas une morte acceptation du passé, mais une vivante découverte de l’Esprit Saint dans le présent, la vie de l’Esprit dans l’Église. La Tradition, tout en étant immuable dans l’essentiel (car Dieu ne change pas), prend constamment de nouvelles formes qui complètent les anciennes, sans nécessairement les remplacer. Les orthodoxes parlent souvent du temps de la formulation doctrinale comme s’il était achevé, mais ce n’est pas le cas. Plusieurs théologiens orthodoxes contemporains parlent de la « Tradition vivante » pour souligner ce point3. Il se peut qu’à notre propre époque, de nouveaux conciles œcuméniques se réunissent et que la Tradition s’enrichisse de nouvelles déclarations de foi. Ce concept de la Tradition comme quelque chose de vivant a été très bien exprimé par le Père Georges Florovsky : La Tradition est le témoin de l’Esprit ; l’incessante révélation de l’Esprit et la prédication de la bonne nouvelle … Pour accepter et comprendre la Tradition, nous Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 devons vivre dans l’Église, nous devons être conscients de la présence en elle du Seigneur donneur de grâces … La Tradition n’est pas seulement un principe qui protège et conserve, c’est essentiellement un principe de croissance et de régénération… La Tradition est la demeure éternelle de l’Esprit et non seulement la mémoire des mots.4 plus haut, alors que la « doctrine » consiste dans les enseignements généralement acceptés, particulièrement ceux des Pères de l’Église, qui cependant ne sont pas sujets aux définitions officielles de la foi du symbole de Nicée. Les « théologoumènes » sont des principes théologiques qui ont un statut moins officiel que le dogme ou la doctrine. La Tradition est donc le témoignage de l’Esprit pour notre temps. Selon les paroles du Christ, « Quand Il viendra, Lui, l’Esprit de Vérité, Il vous conduira vers la Vérité toute entière » (Jean 16, 13). Cette promesse divine est la source de l’attachement orthodoxe à la Tradition. Que peut-on considérer comme déclarations doctrinales ? C’est à l’intérieur de ce contexte général que nous allons maintenant aborder les questions spécifiques que pose la Commission foi et témoignage. Que représente le dogme ou la doctrine dans votre tradition ? Bien qu’il soit peu probable que tous les orthodoxes s’entendent sur ce qui constitue le contenu du dogme ou de la doctrine, la plupart conviendraient que les plus importantes déclarations doctrinales des conciles œcuméniques constituent certainement une doctrine fondamentale. Le symbole de Nicée contient la plupart de ces déclarations fondamentales. Des exemples de doctrines absentes du credo sont le titre de Theotokos – Mère de Dieu – donné à la Bienheureuse Vierge Marie au troisième concile œcuménique à Éphèse, en 431, et les décisions du septième concile œcuménique, en 787, concernant la vénération des icônes. Les « maximalistes » à l’intérieur de l’Église orthodoxe verraient plusieurs pratiques liturgiques et disciplinaires comme faisant partie du contenu inaltérable de la Tradition, mais ce point de vue est rejeté par la plupart des théologiens orthodoxes. Cette manière de voir a conduit à de nombreux schismes, dont celui des vieux-croyants et des vieuxcalendaristes qui n’ont pas accepté la décision de la majorité des Églises orthodoxes d’adopter le calendrier grégorien pour la célébration des fêtes à date fixe. Plusieurs théologiens orthodoxes font une distinction entre « dogme» et « doctrine». Le « dogme » consisterait principalement dans les déclarations doctrinales officielles des conciles œcuméniques dont nous avons parlé Comme il a été avancé, la plupart des orthodoxes conviendraient que seules les principales déclarations doctrinales des conciles œcuméniques, particulièrement le symbole de Nicée, peuvent être considérées comme doctrinales. D’autres décisions des conciles œcuméniques, souvent de nature organisationnelle ou disciplinaire, pourraient être vues comme des déclarations importantes, reflétant les valeurs et besoins de leur époque, mais qui ne valent pas pour tous et en tout temps. Ainsi, l’usage du calendrier julien a été accepté par un concile œcuménique, mais cette décision pourrait être vue comme dérivant de la coutume, valide à l’époque où la décision a été prise, mais non obligatoire pour toutes les époques. L’Église orthodoxe ne reconnaît comme concile œcuméniques que les sept premiers conciles, dont le dernier a eu lieu en 787, parce que ces conciles ont réuni des représentants de toute l’Église alors en communion, d’Orient et d’Occident.5 Les conciles des Églises d’Orient tenus après 787 ne sont pas mis au même rang que les sept premiers conciles. Cela comprend certains conciles qui ont émis des déclarations doctrinales majeures, comme les conciles de Constantinople, au milieu du XIVe siècle, qui ont confirmé la théologie de saint Grégoire Palamas concernant la distinction entre l’essence divine et les énergies divines. Même ces déclarations théologiques majeures ne sont pas considérées comme « dogme » dans le même sens que les articles du credo. Qui peut émettre des déclarations doctrinales ? La plupart des orthodoxes soutiendraient que les déclarations dogmatiques ne peuvent être faites que par un concile œcuménique et qu’elles exigent l’adhésion des fidèles avant d’être vraiment considérées comme faisant partie du contenu de la foi. Les orthodoxes Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 9 n’ont jamais accepté qu’un individu, fût-il un patriarche ou un saint, ou qu’un groupe d’individus, fussent-ils patriarches ou évêques, puissent posséder l’autorité sans équivoque de prononcer des déclarations dogmatiques. Le dogme est un reflet de l’Esprit Saint dans l’Église et doit, d’une certaine manière, être accepté par l’Église tout entière. L’infaillibilité réside dans l’Église tout entière en tant que Corps du Christ vivifié par la présence constante et renouvelée de l’Esprit Saint, et non dans un individu ou un groupe. Il y a de nombreux exemples de conciles dont les décisions ont été par la suite rejetées par les fidèles et n’ont jamais fait partie du contenu de la foi. On compte parmi eux le « brigandage d’Éphèse », en 449, qui avait accepté une christologie monophysite, et le concile de Ferrare-Florence, en 1438-1439, au cours duquel presque tous les représentants orthodoxes avaient accepté la doctrine latine de la procession du Saint Esprit du Père et du Fils et celle du purgatoire. Les fidèles ont refusé ces doctrines et, en fait, rejeté le rétablissement de l’unité avec l’Église latine qui avait été accepté à Ferrare-Florence. Aujourd’hui, on ne sait pas clairement quel corps, quel concile aurait l’autorité de prononcer des déclarations dogmatiques. Serait-ce un concile réunissant uniquement les Églises orthodoxes en communion avec l’Église de Constantinople, ou un corps plus large qui comprendrait, par exemple, l’Église de Rome ainsi que les Églises orthodoxes orientales ? Quel que soit le concile ou corps ecclésial en cause, les orthodoxes resteraient fermement attachés au principe que les décisions dogmatiques doivent être reçues par l’Église tout entière avant d’être considérées comme définitives. Toute initiative concernant une déclaration dogmatique serait considérée comme très sérieuse au sein de l’Église orthodoxe et provoquerait inévitablement un débat de taille sur les principes fondamentaux en cause. Comme nous l’avons souligné, la plupart des orthodoxes considèrent que les déclarations essentielles de la foi sont contenues dans le symbole de Nicée, auquel Page 10 on ne peut ajouter que quelques autres déclarations dogmatiques prononcées par des conciles œcuméniques. Quelle est la relation entre la doctrine et la révélation ? La doctrine, ou plutôt le dogme, est l’expression formelle de vérités continues dans la révélation. Il ne peut y avoir de conflit entre le dogme et la Révélation ; tout dogme doit s’enraciner dans la Révélation, qui est la parole inspirée de Dieu à l’humanité. Dans ce sens, le dogme peut être vu comme l’expression de vérités éternelles fondamentales qui se trouvent dans la Révélation divine. Si précis que puisse être ou paraître le langage des déclarations dogmatiques, les orthodoxes affirment que le langage humain ne peut jamais exprimer pleinement la nature divine, qui demeure un mystère qui ne peut être connu que dans la foi et l’amour plutôt que saisi intellectuellement. Selon les mots de la liturgie de saint Jean Chrysostome : Il est digne et juste de te chanter, de te bénir, de te louer, de te rendre grâce, de t’adorer en tout lieu de ta domination, car tu es un Dieu inexprimable, incompréhensible, invisible, insaisissable, existant de toute éternité, identique à toimême, toi, ton Fils Unique et ton Esprit Saint. 1. Lettre de 1718, in G. Williams, The Orthodox Church of the East in the Eighteenth Century, p. 17. 2. On Icons, 11, 12 (PG 94, 1297B). 3. Voir, par exemple, Serge Boulgakov et al, Living Tradition: Orthodoxy in the Modern World (Paris, 1937), et Jean Meyendorff, Living Tradition: Orthodox Witness in the Contemporary World, Crestwood NY: St. Vladimir’s Seminary Press, 1978. 4. “The Catholicity of the Church”, in Bible, Church, Tradition, p. 46-7. 5. Les Églises d’Assyrie (Perse) et les Églises « préchalcédoniennes » ou orthodoxes orientales n’étaient plus en communion avec les Églises byzantine et latine après le quatrième concile œcuménique, en 451. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Notes sur la doctrine, la tradition et le dogme dans l’Église Catholique Sylvain Destrempes et Gilles Mongeau, S.J. M. Sylvain Destrempes, après son Doctorat (Ph.D.) en philosophie de la religion (McGill University), où il a consacré sa thèse à l’étude comparative du théologien luthérien Dietrich Bonhoeffer et de la mystique catholique Thérèse de Lisieux (Cerf, Paris, 2002), enseigne la théologie et les sciences religieuses au niveau universitaire depuis une décennie. Il a aussi servi à titre de Conseiller théologique principal de la Conférence des Évêques Catholiques du Canada (2007-2009). Dans ces fonctions, il a agi notamment comme secrétaire de la Commission pour la Doctrine, et a servi comme délégué sur diverses instances oecuméniques — dont la commission « Foi et témoignage » (CCÉ), où il a présenté une version plus élaborée de cet article. Il reste délégué de la CECC au « North American Orthodox-Catholic Theological Consultation », tout en étant membre du corps professoral de l’Institut de Formation théologique de Montréal. En outre, il a donné plusieurs conférences en spiritualité au Québec et en France. Gilles Mongeau, S.J. est directeur du programme de maîtrise en théologie et professeur associé de théologie systématique au Regis College de Toronto. Ses domaines de spécialisation sont la christologie, la Trinité, Thomas d’Aquin et Bernard Lonergan. 1. La foi et la Révélation La foi, dans la théologie catholique, est corrélative à la Révélation : « … la révélation en tant que telle s’actualise lorsqu’elle est acceptée dans la foi1. » La Révélation reçoit une existence publique et historique lorsque le témoignage des premiers témoins devient partie intégrante d’une communauté de foi stable, l’Église. « L’expression ‘parole de Dieu’ s’applique très clairement aux paroles dites et écrites par ceux qui ont reçu de Dieu l’inspiration de traduire le message divin en langage humain2. » Dans un sens plus large, c’est un synonyme de révélation. « La parole de Dieu subsiste dans l’Église sous deux formes intimement reliées, l’Écriture et la Tradition… l’Église catholique reçoit la Sainte Écriture et les traditions apostoliques avec une égale dévotion et un égal respect comme incarnation de la vérité évangélique3. » L’Église catholique utilise le terme « doctrine » pour désigner l’ensemble des déclarations ou explications qui font connaître l’objet de la foi. On peut dire avec justesse que la foi possède un certain nombre d’objets, toutes les vérités révélées par Dieu. Mais, à un niveau plus profond, l’objet de la foi est un, car dans tout assentiment de foi, le croyant a l’intention de réaliser, et réalise réellement, l’union à Dieu. En croyant, nous donnons notre assentiment en premier lieu à Dieu, et seulement en second lieu à telle ou telle vérité particulière que nous croyons être d’autorité divine. Ainsi, l’autorité de Dieu est la raison profonde ou le fondement de l’assentiment à des vérités particulières révélées par lui. Les articles du credo et les dogmes de l’Église sont des expressions de l’unique et indivise vérité révélée qui vient de Dieu. Par conséquent, lorsque nous faisons un acte de foi, nous n’adhérons pas d’abord à des Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 11 propositions ou déclarations, mais en premier lieu et directement à Dieu, qui est trine, et au Fils qui s’est incarné. Le croyant consent d’une manière secondaire à des propositions sans lesquelles les réalités de la foi ne pourraient être humainement affirmées4. Il ne peut y avoir de foi sans vérité révélée. Le porteur prééminent de la révélation est Jésus Christ, le Verbe fait chair, qui a donné une expression humaine à la parole de Dieu. Dieu, en tant que Dieu, nous parle par le Christ. En plus d’être divine et christocentrée, la foi a pour intermédiaire l’Église, vue comme un instrument sûr par lequel la parole de Dieu parvient aux fidèles. La foi est « divine » dans la mesure où elle donne son assentiment à la parole de Dieu, « chrétienne », dans la mesure où elle accepte le Christ comme Médiateur et plénitude de toute la révélation et « catholique » dans la mesure où elle consent à être guidée par l’Église considérée comme médiatrice autorisée de la révélation. Dans l’acte de foi catholique, ces trois dimensions sont présentes simultanément5. 2. La transmission de la Révélation 2.1 Bible et Tradition L’Église catholique accepte comme normatifs pour la foi et la pratique les livres bibliques reconnus comme Écriture Sainte par l’Église au cours des cinq premiers siècles, et qui ont été officiellement déclarés canoniques par les conciles de Florence et de Trente. Dieu est dit « auteur » de la Bible, non en ce qu’il aurait remplacé les auteurs humains, mais en ce que la grâce divine les a guidés et inspirés, afin qu’ils transmettent une juste expression de la foi au peuple de Dieu. « La Bible est par conséquent un point de référence critique pour la proclamation de l’Église5. » Selon Vatican II, … la Bible tout entière fait autorité et est digne de foi dans ce qu’elle affirme sur la révélation de Dieu et le plan du salut. Les passages individuels, cependant, doivent être interprétés selon les intentions des auteurs et leur contexte historique et littéraire. Le concile Vatican II ne favorise pas une interprétation fondamentaliste où chaque Page 12 phrase, par elle-même, tend à être prise dans un sens absolu7. La totalité de la révélation est donnée dans l’Écriture. « Mais la révélation n’est jamais contenue dans un seul livre. La Bible ne serait pas correctement comprise si on la séparait de la vivante communauté de foi dans laquelle et pour laquelle elle a été écrite8. » Le concile de Trente « insistait sur le fait que les traditions venues des Apôtres n’ont pas moins d’autorité que les livres de l’Écriture9. » L’Église a plutôt toujours affirmé que la Tradition n’enseigne rien qui ne se trouve de quelque manière dans l’Écriture10. » L’Écriture et la Tradition, comme l’affirme Vatican II, sont si intimement liées et unifiées qu’elles « constituent l’unique dépôt sacré de la parole de Dieu qui a été confié à l’Église » (Dei Verbum 10). Le catholicisme contemporain jette un nouvel éclairage sur la nature de la Tradition, qui n’est plus comprise comme un simple recueil de vérités communiquées aux Apôtres et conservées dans l’Église (comme on le comprenait à l’époque de la Contre-réforme), ou comme un corpus d’enseignements explicites, mais plutôt comme embrassant « tout ce qui contribue à diriger saintement la vie du peuple de Dieu et à accroître sa foi » (D.V. 8). Selon cette perspective plus large, la Tradition n’est plus comprise comme une réalité statique, parce qu’elle se développe de façon dynamique avec l’aide de l’Esprit Saint dans l’Église qui, « à mesure que se déroulent les siècles, tend toujours à la plénitude de la vérité divine, jusqu’à ce que les paroles de Dieu reçoivent en elle leur consommation » (D.V. 8). Il y a, en fait, trois erreurs d’interprétation fondamentales sur la nature de la Tradition à éviter du point de vue catholique : (1) La Tradition en tant qu’identité statique, c’est-à-dire la Tradition vue comme s’il n’y avait ni changement ni croissance. Une telle vision déforme le sens réel de la Tradition, qui n’est pas la simple répétition du passé (dépôt de la foi), mais plutôt une transmission vivante du dépôt à travers l’histoire humaine, transmission qui elle-même suppose une interaction dynamique entre le contenu éternel de la foi et la culture de l’époque ; Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 (2) La Tradition en tant que décadence par rapport aux origines, plus précisément comme si la période postbiblique en était une de décadence. « Ce point de vue saisit correctement le sens premier des premiers témoins de Jésus dans le Nouveau Testament. Cependant, il ne tient pas compte des développements ultérieurs11 » (dans l’Antiquité, le Moyen-Âge et les temps modernes jusqu’à aujourd’hui) ; (3) La Tradition en tant que développement progressif ou évolution, ce qui présuppose un modèle organique de Tradition dans lequel tout développement est vu comme une amélioration progressive. « Une telle vision ne tient pas compte de déformations possibles12 » et pourrait laisser imaginer que les époques antérieures du christianisme sont, par rapport au présent, comme l’enfance ou l’adolescence par rapport à la maturité, alors qu’en fait, il arrive parfois que l’altérité ou la différence radicale d’un stage antérieur puisse devenir un réel défi aux préjugés des développements modernes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour le développement du dogme. La manière dont l’autorité enseignante de l’Église fait de la théologie et contribue à l’histoire ininterrompue de la Tradition suppose un certain « dialogue » entre la Tradition elle-même et de nouvelles expériences et théories qui l’interpellent. « La Commission biblique pontificale [par exemple] après avoir eu une attitude prudente, pour ne pas dire négative, vis-à-vis la méthode historico-critique en est venue à une acceptation plus positive13 ». Ce changement a contribué en partie à une nouvelle lecture de la Tradition qui a favorisé le dialogue entre de nouvelles théories scientifiques sur l’origine de l’homme et la foi chrétienne dans la création. 2.2 La doctrine, le dogme et la question de l’autorité Ce que nous appelons « doctrine » est toute vérité enseignée par l’Église qui doit nécessairement être acceptée par les fidèles. Ce qui en fait une doctrine, c’est que l’autorité de l’Église enseigne qu’il faut y croire. Les dogmes sont des propositions que l’Église enseigne révélées par Dieu14. formellement comme L’Écriture, particulièrement le Nouveau Testament, n’est pas l’unique source de la doctrine chrétienne, bien qu’elle en soit la source première. « L’Église interprète et enseigne le sens de la vie du Christ de diverses manières : par la prédication, la liturgie, les écrits de ses théologiens à travers l’histoire, la vie des saints et des saintes, des décrets spécifiques des conciles œcuméniques ainsi que des déclarations et encycliques papales15. » Comme nous le rappelle Vatican II (D.V. 10), ces divers modes d’enseignement doivent être au service de l’Écriture et placés sous son autorité pour être considérés comme authentiques. Depuis les débuts du christianisme, l’Église croit que l’Esprit Saint protège son interprétation de l’erreur. « Par conséquent, l’enseignement authentique ne s’exerce pas de manière arbitraire. La doctrine n’est pas extrinsèque à la communauté, mais l’expression de la compréhension par la communauté des paroles et des actions du Christ16. » La grande majorité des enseignements catholiques sont communiqués et reçus à l’intérieur de la Tradition, sans avoir été spécifiquement définis par le magistère. Des exemples de ces doctrines sont l’importance de la prière, l’obligation d’aimer son prochain comme soi-même et l’option préférentielle pour les pauvres. Personne ne saurait nier que cela se trouve au cœur de la foi chrétienne. D’autre part, puisque la communauté de foi est le lieu non seulement de l’Esprit Saint mais aussi de développements historiques ainsi que de déformations, il y a eu des cas où le magistère a répondu à des crises particulières en définissant ce qui est jugé être authentique et vrai. Ce fut le cas, par exemple, lors des grands conciles œcuméniques de Nicée (325), de Constantinople (381) d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). Si l’autocompréhension du catholicisme devait se limiter à des dogmes formellement définis, la richesse et la vitalité de la vie catholique en seraient certainement appauvries. La première fonction de Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 13 l’enseignement de l’Église (ou doctrine), sous toutes ses formes, prédication, liturgie, déclarations de l’Église, travail des théologiens, vie des saints et saintes est de permettre à chaque personne de s’approprier et d’intérioriser le sens du monde que Dieu a révélé par le Christ. 2.3 La Tradition, partie I: patristique et « sensus fidelium » liturgie, La liturgie (ou vie cultuelle) est le lieu où de nombreux fidèles éprouvent le plus vivement les mystères du salut et réfléchissent sur le contenu de leur foi dans la prière. À travers les siècles, l’adage lex orandi, lex credendi (telle est la prière telle est la croyance) a exprimé l’interaction continue entre le culte et la croyance. Il arrive que des formes de culte approuvées donnent naissance à des doctrines ou que le culte soit délibérément modifié pour refléter les enseignements de l’Église. Les écrits des Pères de l’Église (patristique) sont un autre véhicule important de la Tradition. Les Pères, écrivains de l’antiquité chrétienne reconnus pour leur sainteté et leur orthodoxie, « ont joué un rôle providentiel en établissant le canon des Écritures, les articles du credo, les dogmes fondamentaux de la foi, les structures de base de l’Église et les formes essentielles de la liturgie17. » Le « sens des fidèles » ( sensus fidelium ) dépend en partie des autres vecteurs de la Tradition et est, par conséquent, inséparable des deux que nous venons de mentionner. Il « peut souvent aider à identifier le contenu et le sens réels de la Tradition, particulièrement lorsqu’il confirme ce qui est aussi attesté par d’autres sources18. » Le « sens des fidèles » peut se comprendre ainsi : l’Esprit Saint, en animant l’Église, produit dans les membres de l’Église un sentiment « instinctif » de ce qui s’accorde et de ce qui ne s’accorde pas avec la révélation. « [Au moyen de ce sens surnaturel], les fidèles peuvent accueillir la parole de Dieu, y adhérer indéfectiblement, l’approfondir correctement et la mettre plus pleinement en œuvre » (Lumen Gentium 12). 2.4 La Tradition, Partie II : l’enseignement infaillible et non infaillible Page 14 2.4.1 Le Magistère : « extraordinaire » « ordinaire » et Vatican II, et plusieurs conciles avant lui, ont confié la responsabilité première de l’enseignement de l’Église aux successeurs des Apôtres, les évêques. « Les évêques sont les enseignants ‘authentiques’ c’est-à-dire, ‘autorisés’ de la Parole de Dieu ; leur enseignement est considéré par les catholiques comme étant ‘donné à la lumière de l’Esprit Saint’19. » La Révélation est publique, et l’Église proclame publiquement la doctrine qui sauvegarde cette Révélation. « Le terme généralement utilisé dans l’Église contemporaine pour définir ce pouvoir d’enseignement des évêques est ‘Magistère’. Le terme en est venu à signifier aussi bien le pouvoir d’enseignement que ceux qui le détiennent20 », c’est-à-dire tous les évêques en communion avec le Pape en tant que successeur de Pierre. « Une de leurs tâches les plus importantes est de garder l’Église dans la vérité de l’Évangile en proclamant la saine doctrine et en condamnant les déviations doctrinales21. » Le Christ a promis qu’il serait avec les successeurs des Apôtres jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20). « Il a envoyé l’Esprit de vérité pour guider le collège apostolique dans le témoignage de sa révélation (Jn 15,26-27 ; 16,13). En raison de ces promesses, les catholiques croient que le Magistère est généralement digne de confiance et n’induira jamais l’Église en erreur en enseignant de manière définitive ce qui est faux ou contraire à la Révélation22. » Cela n’exclut pas cependant une diversité de degrés d’autorité dans l’ensemble des déclarations magistérielles au sein de l’Église catholique. Vatican II, conformément avec la Tradition elle-même, déclare que l’Église enseigne selon divers degrés d’autorité (Lumen Gentium 25). Certaines fois, la mission d’enseignement du collège épiscopal est exercée pleinement par le chef du collège épiscopal, c’est-à-dire le Pape. Mais d’autres fois, cette mission s’exerce sur une base quotidienne par les évêques dans leurs diocèses respectifs23. En fait, un bonne partie de l’enseignement de l’Église, même sur des questions importantes, n’a pas été enseignée solennellement, et encore moins définie de façon dogmatique par un concile. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 L’enseignement commun par le collège épiscopal (dispersé à travers le monde) s’appelle « magistère ordinaire et universel », qui demande un assentiment de foi dans des conditions solennelles spécifiques, c’est-àdire lorsque le collège épiscopal, en communion avec le Pape (en tant que chef du collège) propose de manière définitive une question de foi ou de morale comme révélée par Dieu et qui doit, par conséquent, être acceptée par tous les fidèles24. Par ailleurs, il y a un enseignement au jour le jour auquel est dû normalement un assentiment religieux de l’intelligence et de la volonté. Cet enseignement par les évêques individuellement dans leurs diocèses respectifs, ou collectivement dans les conférences épiscopales nationales, ainsi que par le Pape dans diverses déclarations, discours ou écrits s’appelle « magistère ordinaire » et couvre un large éventail de croyances et pratiques proposées avec divers degrés d’autorité. Le magistère extraordinaire désigne en premier lieu l’enseignement solennel d’un concile, où le collège épiscopal tout entier, avec le Pape à sa tête, est réuni et exerce publiquement la plénitude du pouvoir d’enseignement de l’Église. Si le concile décide de définir une doctrine particulière comme révélée par Dieu et comme question de foi ou de morale proposée définitivement qui doit par conséquent être acceptée par tous les fidèles, partout et toujours, on dit alors qu’il s’agit d’un enseignement infaillible qui exige un assentiment de foi. Mais un concile peut aussi décider de ne pas prononcer d’enseignement infaillible. Ainsi, Vatican II a publié quelque 700 pages de déclarations, mais a choisi de ne pas invoquer l’infaillibilité pour aucun de ses enseignements. Le « magistère extraordinaire » désigne aussi une déclaration solennelle par le Pape, en tant que chef du collège épiscopal, se prononçant « ex cathedra », selon certaines conditions spécifiques. 2.4.2 Les conditions l’infaillibilité spécifiques de « Lorsque les catholiques parlent de l’infaillibilité du Magistère, ils veulent dire que lorsque par des actes spécifiques les papes et les évêques enseignent des doctrines concernant la foi et les mœurs d’une manière qui oblige l’Église tout entière, ils sont préservés par grâce de toute erreur25. » Comme il est expliqué dans Lumen Gentium, le Pape enseigne de manière infaillible lorsque, dans sa capacité de successeur de Pierre (« ex cathedra »), il proclame solennellement et définitivement une doctrine à laquelle tous les fidèles sont tenus d’adhérer sur la base de la révélation divine. L’infaillibilité réside aussi dans l’ensemble du collège des évêques lorsqu’ils exercent leur pouvoir suprême d’enseignement en union avec le successeur de Pierre. « Les évêques, même dispersés, peuvent enseigner infailliblement s’ils soutiennent unanimement une doctrine sur des questions de foi ou de morale à laquelle il faut adhérer dans l’obéissance de la foi26 » (L.G. 25). « Lorsqu’un pape ou un concile œcuménique définit un dogme, la définition qui en résulte est la formulation humaine d’une vérité révélée. Les catholiques considèrent cet enseignement comme vrai de façon irrévocable et, en ce sens, « irréformable ». Chaque dogme de l’Église exprime un aspect authentique de la révélation chrétienne, mais la manière dont le mystère divin indivisible est réparti dans des dogmes, dépend des manières humaines de penser et de parler et sont, jusqu’à un certain point, conditionnées culturellement… Ainsi l’« irréformabilité » des dogmes n’empêche pas leur reformulation et leur approfondissement27 » au cours de l’histoire, sans changement de la substance du contenu, autre signe du caractère dynamique de la Tradition comme transmission vivante du dépôt de la foi de génération en génération. En fait, depuis le cardinal John Henry Newman, « l’idée que le dogme « se développe » est généralement acceptée dans l’Église catholique28. » 1. Cardinal Avery Dulles, « Faith and Revelation », in: Francis Schüssler Fiorenza et John P. Galvin (Ed.), Systematic Theology: Roman Catholic Perspectives (Vol. 1), Fortress Press, 1991, pp. 91128; p.116. 2. Dulles, ibid., p.118. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 15 3. Idem – en référence aux enseignements du concile de Trente, réaffirmés par les conciles Vatican I et Vatican II. 4. Voir Dulles, ibid., pp. 106-107. 5. « Lorsqu’il professe un article particulier du credo, le croyant l’accepte comme partie de la révélation divine donnée dans le Christ et proclamée par l’Église » (Dulles, p. 108). 6. Dulles, ibid., p. 119. 7. Dulles, ibid., pp. 119-120. 8. Dulles, ibid., p. 120. 9. Idem. 10. « Dans le contexte de l’autorité de la tradition, le rôle de l’Écriture et sa relation avec la tradition sont des questions importantes qui sont controversées depuis la Réforme. Elles ont pris une nouvelle signification depuis le second concile du Vatican… L’émergence du mouvement biblique dans l’Église catholique a montré l’importance des Écritures pour la spiritualité, la vie ecclésiale et la doctrine catholiques. Ce mouvement a conduit à un réexamen des enseignements du concile de Trente en relation à l’adage de la Réforme ‘sola scriptura’ » (Francis Schüssler Fiorenza, « Systematic Theology: Task and Methods », in: F.S.Fiorenza et J.P.Galvin, Ed., Systematic Theology: Roman Catholic Perspectives (Vol. 1), Fortress Press, 1991, pp. 387; p. 71). 11. Schüssler Fiorenza, ibid., p. 73. 12. Idem. 13. Schüssler Fiorenza, ibid., pp. 81-82. 14. John A. Hardon S.J., Pocket Catholic Dictionary, NY, Doubleday, 1985, article « Doctrine», p. 117. Page 16 15. Nancy C. Ring, Article « Doctrine », in : Joseph A. Komonchak, Mary Collins, Dermot A. Lane (éd.), The New Dictionary of Theology, The Liturgical Press, 1990, pp. 291-293; p. 291. 16. Ibid., p. 292. 17. Dulles, p. 122. 18. Ibid., p. 123. 19. John P. Boyle, « The Teaching Office of the Church », in Peter C. Phan (Ed.), The Gift of the Church: A Textbook on Ecclesiology in Honor of Patrick Granfield O.S.B., The Liturgical Press, 2000, pp. 355-371; p. 357. 20. Ibid., p. 357. 21. Dulles, p. 123. 22. Dulles, p. 124. 23. Voir Boyle, pp. 359-370, pour cette section 3.1.1. 24. Il est intéressant de noter qu’il n’existe pas de prescriptions pour ce genre d’enseignement et qu’« il reste donc à savoir comment établir que l’ensemble du collège épiscopal enseigne de fait une doctrine particulière et qu’il l’enseigne de manière définitive comme question de foi ou de morale » (Boyle, p. 361). Un exemple pourrait être les consultations faites auprès de tous les évêques par les papes Pie IX et Pie XII avant la définition des dogmes mariaux (1854 et 1950) – qui sont en fait les deux seuls cas au cours des deux derniers siècles où un Pape ait défini une doctrine « ex cathedra », la reconnaissant ainsi comme une composante dogmatique de la foi catholique. 25. Dulles, p. 124. 26. Idem. 27. Idem. 28. Idem. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Le développement de la doctrine anglicane Ian Ritchie Le révérend Dr Ian Ritchie est recteur de l’église anglicane St. Luke à Kingston, Ontario, et délégué pour les affaires interreligieuses du diocèse de l’Ontario. Il a représenté l’Église anglicane du Canada auprès de la commission foi et témoignage du Conseil canadien des Églises de 2003 à 2009. Dans les années 1970, l’idée que l’expression « doctrine anglicane » était une contradiction dans les termes était devenue tellement répandue que plusieurs considéraient cela comme évident. Cette idée a été habilement réfutée par Stephen Sykes dans son livre de 1978 The Integrity of Anglicanism. Malgré tout, quand on aborde le sujet de la doctrine anglicane, il faut y aller prudemment, sachant que si, dans la plus grande partie du monde occidental, il peut sembler que la doctrine anglicane soit quelque chose de tellement amorphe qu’on peut à peine la définir, dans le reste de l’Église la doctrine anglicane demeure clairement définissable. Ici, au Canada, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer avec autorité sur le statut de la doctrine dans d’autres parties du monde, pas plus qu’ils ne sont en mesure de se prononcer avec autorité sur ce qu’elle est ici. Donc, pour commencer, quelques définitions de base seraient appropriées. 1. Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine ? Au début de l’Église, « doctrine » signifiait simplement « enseignement », et cela est encore vrai aujourd’hui. À mesure que l’Église se transformait en institution, il est devenu nécessaire de préciser ce que signifiait la doctrine de l’Église, mais, encore aujourd’hui, les anglicans définissent la doctrine (ou dogme) comme : « L’enseignement de notre foi, ce que nous croyons à la lumière du témoignage de l’Écriture et de la tradition vivante de l’Église, sous la guidance de l’Esprit Saint. »1 2. Qu’est-ce qui est considéré comme déclarations doctrinales ? Ce qui peut être dit avec la plus grande certitude sont les credos de l’« Église indivise ». Les credos de l’Église primitive ont été acceptés par l’Église du Moyen-Âge, mais la question de savoir ce qui était essentiel dans le dépôt de la foi est devenue cruciale au milieu du tumulte de la Réforme protestante. Durant la période de la Réforme, l’Église d’Angleterre a tenté de définir sa doctrine plus clairement dans les 39 articles de la religion. L’article 8 se lit comme suit : VIII. Sur les trois Credos. Les trois Credos, le Symbole de Nicée, le Credo d’Athanase, et ce qui est communément appelé le Symbole des Apôtres, doivent être entièrement reçus et crus, car ils peuvent être prouvés par les décrets incontestables de la Sainte Écriture. (trad. de Canadian BCP, 1962, p. 701) Durant le temps de la Réforme, le Livre de la prière commune, publié en 1542 par Thomas Cranmer, est devenu l’un des fondements doctrinaux de l’Église d’Angleterre. Dans son édition révisée de 1662, il a atteint une forme qui est toujours considérée comme autorisée par l’ensemble de la communion anglicane aujourd’hui, du moins officiellement. La Déclaration solennelle de 1893, laquelle, en tant que l’un des documents fondateurs de l’Église anglicane du Canada, fait partie de sa constitution, se lit comme suit : NOUS déclarons que cette Église est, et nous désirons qu’elle continue d’être en Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 17 pleine communion avec l’Église d’Angleterre partout dans le monde, en tant que partie intégrante du seul Corps du Christ. Ce Corps est composé des Églises qui, unies sous le seul Divin Chef et dans la communion de l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, gardent la seule Foi révélée dans l’Écriture Sainte et définie dans les Credos agréés par l’Église primitive dans les Conciles Œcuméniques qui jouissent d’une autorité incontestée (Canadian BCP. 1962, p. viii). Pour certains, cependant, recourir à l’expression « cœur de la doctrine » est un manque de sincérité lorsqu’elle est utilisée par les membres de l’Église qui ne veulent rien affirmer de ce qui est dans les credos, ou qui les accepte seulement dans le sens le plus restreint ou codifié. Dans ce cas, elle peut sembler être un accessoire utile pour une position politique de transition, plutôt que comme une approche durable enracinée dans la théologie. On s’accorde généralement pour dire que les « credos », ici, sont au moins les symboles des Apôtres et de Nicée. Les 39 articles et le BCP canadien de 1962 incluent le symbole d’Athanase et, par conséquent, plusieurs anglicans l’incluent aussi. Certaines déclarations comprennent aussi les sept premiers conciles œcuméniques en corollaire. 3. Qui peut faire des déclarations doctrinales ? Il y a eu à ce sujet des changements considérables dans la pensée anglicane. Les évêques ont toujours joué un rôle important. Les théologiens ont eu un certain rôle à jouer dans la formulation des doctrines, bien que leurs déclarations ne fassent généralement pas autorité sauf bien des années après leur mort. La couronne d’Angleterre a joué un rôle clé dans la direction de l’Église au XVIe siècle. La reine Elizabeth a joué un rôle clé dans la préparation du Settlement qui traçait une voie de compromis entre les doctrines catholiques et protestantes en englobant les deux. Depuis cette période, les monarques ont généralement eu peu à dire sur les questions de doctrine. Les credos semblent avoir acquis dans l’Église canadienne le statut de « cœur de la doctrine », expression rendue populaire dans le St. Michael Report de 2005, et approuvé par résolution du synode général de Winnipeg, en 2007. Il n’est même pas du tout certain que « le cœur » soit une bonne façon de désigner la doctrine, car cela, pour certains, suppose que tout ce qui n’est pas « le cœur » est, par conséquent, adiaphore, ou non essentiel pour la foi. Dans les débats anglicans actuels, on fait parfois remarquer que plusieurs doctrines qui ne sont pas mentionnées dans les credos, comme les questions du mariage ou des mœurs sexuelles, sont pourtant si importantes que la manière de les aborder peut affecter la relation à Dieu et aux êtres humains jusqu’à mettre en danger le shalom/salut. Ainsi, bien qu’on ne puisse dire que ces doctrines font partie du « cœur de la doctrine » dans le sens des credos, elles peuvent néanmoins être liées à la doctrine des credos de telle manière qu’elles ont le même degré d’importance. Cela est reconnu dans le Saint Michael Report. Page 18 On dit de la communion anglicane qu’elle est « dirigée épiscopalement et gouvernée synodalement ». Les synodes sont nés dans le haut Moyen-Âge et leurs pouvoirs se sont accrus au cours des siècles. Le mouvement anglican dans son ensemble, issu de l’Église d’Angleterre, partage cette approche du gouvernement de l’Église. À mesure que la communion anglicane s’accroissait, il devenait évident que des questions controversées nécessiteraient un mécanisme international de consultation et de résolution. C’est ainsi qu’est née, en 1867, la Conférence de Lambeth des évêques anglicans. En 1886/1888, le « Quadrilatère de Chicago-Lambeth » a été développé comme définition concise des règles qui maintiennent l’anglicanisme. Il est toujours considéré Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 comme vital aujourd’hui, comme le reconnaît The Lambeth Commission on Communion The Windsor Report 2004 (p.73). Ses quatre éléments sont : (a) Les Saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, Parole révélée de Dieu. (b) Le symbole de Nicée, expression suffisante de la foi chrétienne. (c) Les deux sacrements institués par le Christ lui-même, le baptême et la sainte cène administrés en employant sans variations les paroles d’institution du Christ et les éléments qu’Il a ordonnés. (d) L’épiscopat historique, adapté localement dans ses méthodes administratives aux besoins divers des peuples et des nations que Dieu appelle dans l’unité de son Église. Aujourd’hui, les œcuménistes noteront avec intérêt que le quadrilatère était considéré non seulement comme vital pour l’unité de l’Église anglicane à travers le monde, mais aussi comme « essentiel pour restaurer l’unité parmi les branches divisées de la chrétienté. » Au Canada, des synodes généraux se réunissent depuis 1893, alors que l’Église anglicane du Canada est devenue un organisme autonome à l’intérieur de la communion anglicane mondiale. Trois des quatre provinces ecclésiastiques au Canada ont alors cédé leurs pouvoirs au synode général nouvellement formé. La province de Rupert’s Land n’a pas officiellement cédé ses pouvoirs ; ainsi, toutes les résolutions du synode général doivent être aussi entérinées par le synode provincial de Rupert’s Land. Au cours des dernières décennies, l’indifférence générale à l’égard de toute forme d’autorité a mis en cause aussi bien l’autorité de la doctrine elle-même que toute personne ou institution qui l’exprime. Philip Turner décrit ce qu’il appelle « la théologie réalisable » de l’Église dans un article de 2005 dans First Things intitulé « An Unworkable Theology » : Toute dénomination a ses articles et ses livres de théologie, ses liturgies et ses confessions de foi. Néanmoins, le contenu de ces documents ne contrôle pas nécessairement ce qu’on pourrait appeler la « théologie réalisable » d’une Église. … il faut revoir les résolutions adoptées dans des réunions officielles et écouter ce que le clergé dit dimanche après dimanche du haut de la chaire. Il faut écouter les conversations lors des réunions du clergé et écouter les conseils donnés aux paroissiens inquiets. En un mot, la théologie réalisable d’une Église se définit mieux en devenant ce que l’anthropologie sociale appelle un « observateur participant ». La crise et les divisions récentes dans la communion anglicane ont mis de nouveau sur le devant de la scène, avec plus d’acuité qu’auparavant, la question de savoir qui fait la doctrine et qui peut résoudre les disputes doctrinales. Des propositions, telles que donner plus d’autorité aux rencontres de primats, ou à l’archevêque de Cantorbéry pour résoudre les disputes, entrent en conflit avec la tradition qui veut que les détenteurs de ces fonctions ne puissent exercer de juridiction en dehors de leurs propres provinces, dans la plupart des cas, bien qu’il y ait des exceptions même à cette règle. 4. La relation entre doctrine et Révélation Depuis les temps apostoliques jusqu’aux Lumières, on enseignait généralement que la totalité de l’Écriture était d’inspiration divine. Au cours de la Réforme, il y a eu des débats considérables concernant la nature de la révélation de Dieu à l’humanité. Les réformateurs anglais ont choisi de dire que la Bible était « la Parole de Dieu écrite » en tant que distincte de la Parole de Dieu incarnée dans le Christ. La Parole écrite témoigne et montre le Christ, de la même manière que Jean le Baptiste a témoigné du Christ en disant : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » L’article 6 des 39 articles adopte la position suivante : VI. De la suffisance des Saintes Écritures pour le salut. Les Saintes Écritures contiennent toutes les choses nécessaires au salut : de sorte Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 19 qu’on ne peut exiger d’aucun homme que ce qui n’y est pas écrit ou qui ne peut être prouvé par elles soit cru comme article de foi, ou jugé nécessaire au salut. Par Saintes Écritures, nous comprenons ces livres canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament dont l’autorité n’a jamais fait de doute dans l’Église (Canadian BCP. 1962, p. 700). L’Écriture n’est pas un exposé exhaustif de la vérité, mais seulement un exposé de « toutes les choses nécessaires au salut. » Certains groupes étendent le champ de son autorité, mais les anglicans évitent les extrêmes en faveur de la modération. Stephen Sykes a soigneusement documenté les effets sur la doctrine des développements de la pensée anglicane après la Réforme. Il note que le mot « compromis », si souvent utilisé pour décrire la via media qui marque la voie anglicane entre le catholicisme et les formes les plus extrême du protestantisme, est incorrect, du moins lorsqu’on l’applique aux développements tardifs depuis la fin du XIXe siècle. La via media anglicane englobait à l’origine une Église qui se voulait à la fois réformée et catholique et dont on pouvait toujours dire qu’elle contenait des points de vue qui penchaient tantôt d’un côté plus « catholique », tantôt d’un côté plus « réformé ». S’il faut parler de « camps », il y avait aussi entre les deux, au XVIIIe siècle, un vaste « camp » à qui on a attribué le nom de « latitudinaire » à cause de la grande latitude entre les divers points de vue qu’on y trouvait. Mais une nouvelle force théologique s’est développée au XIXe siècle, d’abord en Allemagne, puis, plus tard en Angleterre, souvent avec des effets plus modérés : le « modernisme » libéral où tous les aspects de l’autorité biblique pouvaient dorénavant être mis sous la loupe de la critique historique. Sykes soutient que la montée de ces points de vue dans l’Église d’Angleterre a suscité un Page 20 problème bien plus grand que celui de faire place à un quatrième « camp » à l’intérieur de la « grande tente » anglicane. Pour lui, le vrai problème était que, en tant que « camp », la vision libérale créait un précédent en ne présentant pas une nouvelle approche doctrinale, mais en apportant, à la place, la liberté de ne pas avoir de vision doctrinale. Il y avait donc maintenant un quatrième camp dont la caractéristique était de ne pas tenir aux anciennes doctrines. Dès les années 1920, un grand nombre de membres du clergé étaient influencés, à des degrés divers, par les points de vue critiques modernes. Une des lumières de cette époque, l’évêque Charles Gore, prêchait pour une critique libérale modérée et passait pour un dangereux libéral aux yeux de plusieurs. Mais lorsque certains radicaux prétendirent que la foi dans les anciens credos était périmée, il écrivit que les membres du clergé devaient rester fidèles aux symboles des Apôtres et de Nicée. Une crise s’ensuivit et, en 1925, l’archevêque de Cantorbéry nomma une commission sur la doctrine chrétienne qui a fini par faire plus de place à ceux qui n’adhéraient plus aux credos et acceptaient la critique historique. Le libéralisme était devenu simplement une nouvelle « école de pensée » à l’intérieur de l’Église d’Angleterre, au grand désarroi de l’évêque Gore. Mais encore plus significatif, cependant, a été le glissement de plus en plus évident qui s’est produit à partir du milieu du XIXe siècle : alors que le libéralisme latitudinaire opposait « la simplicité et la diversité de l’Écriture à la complexité et à la rigueur uniforme de l’orthodoxie dogmatique subséquente, la critique biblique soumettait la Bible elle-même à l’interprétation libérale » (Sykes 1978, 29). Une fois que des affirmations claires de la Bible et des credos concernant des sujets longtemps tenus comme essentiels au récit du salut, comme la naissance virginale ou la Résurrection, étaient sujettes à la critique et au doute, personne ne pouvait prévoir jusqu’où cela allait mener. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Au Canada, la scission entre la pensée conservatrice et la critique libérale moderniste, déjà présente dans les années 18802, est devenue beaucoup plus marquée au tournant du XXe siècle. Les révisions subséquentes des conditions préalables à l’ordination, telles que présentées dans l’examen en vue de l’ordination, ont adouci l’interprétation de l’autorité de l’Écriture et omis la mention des 39 articles. Le rituel d’ordination, dans le Book of Alternative Services canadien (1985, p. 6467), a enlevé l’obligation, pour les ordinands, d’être « prêts, avec un fidèle empressement, à bannir et chasser toutes doctrines erronées et étranges contraires à la Parole de Dieu » (BCP. 1962 p. 652). Toute considération de la relation entre la révélation et la doctrine doit affronter les divers points de vue sur la « révélation » qui sont survenus à l’époque moderne. L’ancienne Église voyait le message de Dieu à l’humanité comme révélé séparément, d’abord à travers les prophètes et, à la fin de tout, à travers notre Seigneur Jésus Christ, une révélation qui ne peut être atteinte par le seul raisonnement philosophique ; à l’opposé, l’époque moderne a généralement relégué les paroles prophétiques dans le domaine de la superstition. La montée de ces points de vue ou d’autres semblables a changé à jamais le débat sur la « révélation ». Le mouvement vers une plus grande inclusivité théologique étire jusqu’à la limite le concept de « tension créatrice » qui a depuis si longtemps encouragé et béni les anglicans. Vu l’amoindrissement actuel de l’autorité biblique, il n’est pas rare d’entendre dire qu’« on trouve de tout dans l’Église anglicane ». Ce n’est toutefois évidemment pas le cas : si ça l’était, pourquoi faudrait-il encore des ordinations ? De plus, le Book of Common Prayer (1962) demeure la norme doctrinale officielle de l’Église anglicane du Canada, selon le droit canonique3, et réaffirmée dans des résolutions adoptées lors de récents synodes généraux (2004, 2007). Lorsque les anglicans parlent de lex orandi lex credendi, ils font souvent allusion aux livres de prières, soulignant que la liturgie a une importance capitale dans la vie de l’anglican moyen pour réaffirmer sa croyance fondamentale dans le récit du salut de la race humaine dans le Christ. Dans la mesure où la révélation de ce récit est exprimée dans les Écritures et contenue dans le Book of Common Prayer (principalement), le Book of Alternative Services et autres liturgies approuvées principalement par le synode général ou par les évêques (secondairement), ces liturgies continuent d’exprimer la doctrine de l’Église anglicane du Canada. 1. Ainsi, le glossaire de travail de The Report of the DOCTRINAL COMMISSION on the Blessing of Same-sex Unions soumis à l’évêque, Pâques, 2004. 2. Notons que le Trinity College de Toronto a été fondé en 1851. En 1877, le Wycliffe College a été fondé pour appuyer le droit des laïcs à une bonne formation théologique selon des croyances évangéliques. L’arrivée de la controverse fondamentaliste/moderniste qui a fait rage depuis 1906 jusque dans les années 1930 a approfondi la scission entre les deux écoles et, selon plusieurs observateurs, continue encore aujourd’hui d’empoisonner l’anglicanisme dans le diocèse de Toronto et au-delà. 3. Stephen Sykes a noté (1978, p. 45) qu’en termes de discipline ecclésiale, l’Église d’Angleterre est « tout probablement la moins respectueuse des lois de toutes les provinces de la communion anglicane, … prétendre que le droit canon est lettre morte dans l’anglicanisme pourrait bien être un reste de provincialisme anglais. » Certains pourraient ergoter que l’expression « moins respectueuse des lois » appartient en fait à l’Église épiscopalienne des États-Unis (TEC). Mais l’idée la plus importante, ici, c’est qu’il existe un provincialisme qui tend à ne considérer comme important que ce qui se passe dans les provinces blanches d’Occident. Plusieurs théologiens africains et asiatiques appellent cela à juste titre de l’« eurocentrisme ». Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 21 La doctrine dans la tradition baptiste Rev. Kevin Smith Présenté par le Rév. Kevin Smith, First Baptist Church, Kingston, Ontario, au nom de la Convention baptiste de l’Ontario et du Québec et des Baptistes canadiens de l’ouest du Canada. Les baptistes canadiens, comme plusieurs autres dénominations chrétiennes du Canada qui ont une longue histoire, ont glané leurs croyances dans plusieurs traditions. En plus de l’histoire des premiers baptistes qui s’est développée en Europe puis s’est répandue dans d’autres parties du monde, les baptistes accordent une très grande importance aux racines néotestamentaires telles que nous les percevons à l’intérieur de notre tradition. Ces perceptions peuvent varier d’une association baptiste à une autre et, en fait, d’individu à individu. On accorde aussi un certain poids aux développements doctrinaux de l’Église primitive. Au long de leur histoire, les baptistes ont respecté les credos de l’Église primitive. Quatre, je crois, sont dignes de mention. Le symbole d’Athanase est cité dans le Catéchisme orthodoxe de 16781, œuvre des baptistes généraux, comme étant de grande importance, avec le symbole de Nicée et le symbole des Apôtres : Les trois symboles, c’est-à-dire, le symbole de Nicée, le symbole d’Athanase et le symbole des Apôtres, comme on les appelle couramment, doivent être reçus et crus dans leur totalité. Car nous croyons qu’ils peuvent être prouvés par l’autorité indubitable de la Sainte Écriture et doivent nécessairement être compris par tous les chrétiens ; lesquels doivent en être instruits par les ministres du Christ, conformément à l’analogie de la foi, rapportés dans les Saintes Écritures sur lesquelles ces symboles sont fondés, interprétés par le catéchisme et expliqués dans toutes les familles chrétiennes pour l’édification des jeunes et des vieillards, comme moyen de prévenir l’hérésie dans la doctrine et la pratique, car ces Page 22 symboles contiennent en résumé tout ce que nous devons savoir, fondamentalement, pour notre salut. Afin qu’ils soient considérés et mieux compris par tous les hommes, nous les avons imprimés ici sous leurs nombreux titres comme suit...2 Un quatrième credo qui est estimé dans les cercles baptistes est le symbole de Chalcédoine, adopté au quatrième concile œcuménique. Nous n’avons pas trouvé de référence où il soit explicitement déclaré qu’il est important. Cependant, dans la Seconde confession de Londres des baptistes réformés (1677)3 et le Catéchisme orthodoxe des baptistes généraux (1678)4, il est implicitement accepté. Il y a une autre remarque importante à faire à propos des credos. Le symbole de Nicée a émané du concile de Nicée, en 325 apr. J.C. et a été légèrement modifié au concile œcuménique de Constantinople, en 381. Bien que le symbole des Apôtres puisse avoir connu des formulations primitives dans les écrits d’Irénée et de Tertullien (fin du IIe et début du IIIe siècle), il n’a été officiellement accepté que bien après le symbole de Nicée. Bien que les premiers baptistes aient reconnu la primauté du symbole de Nicée sur le symbole des Apôtres, les baptistes canadiens n’ont pas toujours été sensibles à cette distinction significative. Philip Schaff est probablement celui qui a le mieux défini les limites du symbole des Apôtres : En même temps, il faut reconnaître qu’à cause de sa simplicité et de sa brièveté mêmes, ce symbole, si admirablement adapté à toutes les classes de chrétiens et au culte public, n’est pas suffisant comme Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 règle de la doctrine publique à un niveau plus avancé de connaissances théologiques.... Ainsi, le symbole de Nicée exprime de manière plus claire et plus forte la doctrine de la divinité du Christ contre les ariens, et le symbole d’Athanase, l’ensemble de la doctrine de la Trinité et de la personne du Christ contre les diverses hérésies postnicéennes. Les confessions de la Réforme sont plus explicites quant à l’autorité et à l’inspiration des Écritures et aux doctrines du péché et de la grâce, qui sont ignorées ou simplement tacites dans le symbole des Apôtres.5 Un autre facteur qui a contribué à la réflexion théologique dans le contexte baptiste canadien est l’immigration. Comme l’a fait remarquer Jerald Zeman, les baptistes canadiens sont, avec les catholiques6, la communauté la plus culturellement diversifiée au pays. Bien que les baptistes canadiens se réjouissent et célèbrent cette réalité, ils reconnaissent aussi que leurs croyances, venues d’autres lieux que le Royaume-Uni et les États-Unis, ne sont pas nécessairement les mêmes. Les nouveaux immigrants apportent avec eux les défis théologiques qu’ils ont affrontés dans d’autres pays. On pourrait citer de nombreuses anecdotes. Je ne mentionnerai qu’une situation. Le théologien baptiste Clark H. Pinnock, dans son article « Baptists and the ‘Latter Rain’: A Contemporary Challenge and Hope for Tomorrow » plaide pour plus de présence charismatique à l’intérieur de la famille baptiste canadienne lorsque l’effusion de l’Esprit Saint est manifestée7. En même temps, de nombreux missionnaires baptistes brésiliens arrivent de leur Brésil natal pour s’associer aux congrégations baptistes canadiennes. À cause de controverses doctrinales au Brésil à l’intérieur de la Convention baptiste brésilienne, on s’est opposé fermement au parler en langues, etc. Malgré ces différences, on note, la plupart du temps, un respect mutuel au Canada. 1. Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine dans votre tradition ? Les baptistes, comme les anabaptistes, ont, tout au long de leur histoire, cherché dans ce qu’ils croient être les idéaux du Nouveau Testament ce que l’Église doit être et doit croire. Cependant, ils ont aussi cherché à éviter les excès de la réforme radicale. S’il y a eu une influence significative de la tradition anabaptiste, les baptistes viennent en fait du mouvement séparatiste anglais qui a célébré son 400e anniversaire en 2009. Ils s’étaient réunis dans la ville de la première congrégation baptiste, Amsterdam, aux PaysBas, où vivaient un groupe de chrétiens anglais exilés qui avaient fui la tyrannie de Jacques 1er. En étudiant les Écritures, ils sont passés de sous-section du mouvement puritain à une toute nouvelle dénomination. On entend souvent, chez les baptistes, des gens dire « aucun credo mais le Christ ». En fait, cela semble avoir été emprunté aux débuts du mouvement des Disciples du Christ8. La réalité, c’est que depuis le début du baptisme, il y a eu de nombreuses confessions de foi et au moins un credo. Comme ce fut le cas pour l’Église primitive, les baptistes étaient toujours en train de « faire de la théologie » en rapport avec les problèmes du temps. Par exemple, durant le règne de Charles II, les baptistes devaient se distinguer des quinto-monarchistes séditieux qui complotaient contre le gouvernement et qui ont nui à la réputation des baptistes. La plupart des baptistes ont suivi la voie non violente de Kiffin et de Collier. the nonviolent views of Kiffin and Collier. Leon McBeth, dans The Baptist Heritage, explique comment cela s’est fait au cours historiquement : Il n’y a peut-être pas de groupe en Angleterre qui se soit livré à plus de discussions publiques que les baptistes. Entre 1641 et 1700, il y eut en Angleterre au moins 109 débats publics impliquant des baptistes, dont 79 entre 1641 et 1660. Lors de ces discussions, des champions baptistes se mesuraient à des adversaires anglicans, indépendants, quakers ou parfois catholiques. Les baptistes recherchaient ces occasions, car elles leur permettaient de prêcher l’Évangile à de Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 23 grandes foules, les aidaient à se défendre contre d’injustes calomnies et conduisaient parfois à de nombreuses conversions et à l’implantation de nouvelles églises baptistes. Plusieurs leaders baptistes de l’époque ont été convertis lors de ces débats publics, comme John Tombes, Henry Vessey et Christopher Blackwood. Ils sont tous devenus eux-mêmes des leaders de débats, avec d’autres baptistes comme William Kiffin, Jeremiah Ives et John Bunyan. Les sujets débattus pouvaient être le baptême, que ce soit pour les enfants ou les croyants, ou par immersion ou aspersion ; l’autorité de l’Écriture ; la nature de l’Église ; la nature et la divinité du Christ ; la nécessité de rites extérieurs; la « lumière intérieure » ; et le sabbat du septième jour. Parfois, les baptistes débattaient entre eux sur l’expiation, l’imposition des mains, le chant dans le culte public, la prédestination, la communion ouverte ou fermée, la perte de la grâce et l’obligation d’obéir à un gouvernement terrestre. L’impact de ces discussions était considérable. Plusieurs baptistes sont devenus d’habiles débatteurs ; ils cultivaient l’approche directe, mettant l’accent sur l’Écriture et la logique. Alors que plusieurs de leurs savants adversaires enveloppaient leurs arguments dans un langage touffu et pédant, les baptistes (avec quelques exceptions) préféraient parler comme « tout le monde ». Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de savants chez les baptistes ; en fait, plusieurs des débatteurs baptistes étaient des diplômés d’université, comme Tombes, Jessey, Blackwood et autres. Certains baptistes ont développé, pourrait-on dire, des « spécialités » dans les débats. Ainsi, Tombes était connu pour ses arguments efficaces contre le baptême des enfants et pour la liberté de religion ; John Bunyan était connu pour savoir réfuter les idées des quakers, Page 24 contre lesquels il a mené six débats publics.9 En lisant McBeth, on s’imagine voir Tommy Douglas, un baptiste canadien du XXe siècle qui, à sa manière, s’est engagé dans des débats. Pour les baptistes, le christianisme est une manière de vivre, une sorte de comportement. Mais le christianisme suppose certainement un ensemble d’enseignements, une manière de voir la réalité et soi-même, et une perspective à partir de laquelle toute expérience devient compréhensible. Les enseignements ont souvent dû être reformulés. Ainsi, les théologies baptistes diffèrent, selon qu’elles ont été écrites dans un contexte antérieur aux Lumières, moderne, ou postmoderne. Dans ce dernier cas, le regretté Stanley Grenz, théologien baptiste canadien, a été un chef de file dans le développement de la théologie dans un contexte postmoderne. 2. Qu’est-ce qui est considéré comme déclaration dogmatique ? Les déclarations doctrinales baptistes peuvent être très longues ou très courtes. Certaines comprennent des références scripturaires, d’autres non. La courte confession de John Smyth, de 1609, ne remplit que deux pages dans les Baptist Confessions de Lumpkin. Elle contient vingt articles. La Confession de Thomas Helwys, de 1611, contient vingt-sept articles et couvre environ sept pages. Le Catéchisme orthodoxe de 1678 contient cinquante articles et couvre à près quarante pages dans l’ouvrage de Lumpkin. 3. Qui peut faire des déclarations dogmatiques ? Lorsque le groupe de Thomas Helwys est revenu d’Amsterdam en Angleterre en 1612, il n’y avait, à l’époque, qu’une douzaine de baptistes. Malgré la diversité de longueur, d’auteurs ou de contenu, toutes les confessions baptistes primitives n’étaient que cela, des confessions. La confession était la norme et n’avait pas le statut de credo. Dans son excellent ouvrage, Credo, Jaroslav Pelikan, théologien luthérien devenu Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 orthodoxe, démontre de façon convaincante qu’il n’y a pas de distinction entre credo et confession. Pourtant, les premiers baptistes pensaient qu’il y avait de réelles et importantes différences. Une confession affirme ce qu’un groupe de baptiste, petit ou important, croit à une certain époque et dans un certain lieu ; un credo prescrit que ce que les membres doivent croire. Les premiers baptistes prenaient soin de souligner que les confessions n’étaient que des déclarations humaines qui pouvaient être révisées plus tard. Elles sont censées indiquer un consensus de croyances et non quelque chose que chaque membre doit signer pour montrer qu’ils l’affirment. Bien que l’Alliance baptiste mondiale n’ait pas de confession de foi, plusieurs congrégations, associations et conventions baptistes particulières ont des confessions ou déclarations de foi. Elles viennent souvent d’un individu et d’un petit groupe de personnes et sont étudiées et améliorées par un plus large groupe jusqu’à ce que le texte devienne une déclaration approuvée. Dans le contexte baptiste canadien, les quatre associations/conventions ont des déclarations doctrinales officielles (l’Union d’Églises baptistes françaises au Canada, la Convention des Églises baptistes de l’Atlantique, les Baptistes canadiens de l’Ontario et du Québec, autrefois la Convention baptiste de l’Ontario et du Québec, et les Baptistes canadiens de l’ouest du Canada). Les Baptistes canadiens de l’Ontario et du Québec ont formalisé le document d’étude This We Believe lors de leur assemblée de 2008. Quant aux Baptistes canadiens de l’ouest du Canada, ils ont une déclaration de mission qui affirme le symbole de Nicée et le symbole des Apôtres. Mais ils ont aussi une déclaration de foi qui reflète les croyances adoptées par le Carey Theological College. La Convention des Églises baptistes de l’Atlantique a adopté la déclaration théologique Basis of Union en 1905/1906. L’Union d’Églises baptistes françaises au Canada a une déclaration de foi depuis plusieurs années. 4. Quelle est la relation entre la doctrine et la révélation ? Nous croyons que la doctrine découle des enseignements des Écritures. Historiquement, les baptistes ont cherché à déterminer le « sens littéral » de l’Écriture. Mais ils insistent aussi sur le fait que tout croyant a le droit de lire et d’interpréter la Bible par lui-même. Ils croient aussi, avec Roger Williams, qu’il y a toujours plus de lumière à découvrir dans les Écritures. Plus récemment, l’attention aux genres dans l’Écriture a aussi été considérée comme importante. Les confessions n’ont jamais l’autorité des Écritures. Elles sont toujours sujettes à changement et sont généralement acceptées par un groupe, grand ou petit. Par exemple, les confessions peuvent être modifiées selon qu’un groupe accepte ou rejette la nouvelle interprétation de l’Apôtre Paul promue par des gens comme James Dunn et N. T. Wright et contestée par Stephen Westerholm et Scot Simon Gathercole. La doctrine en cause est celle de l’expiation. Les baptistes croient en l’autorité des soixante-six livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les apocryphes n’ont jamais été considérés comme aussi importants, bien que plusieurs baptistes en trouvent la lecture intéressante. Après avoir souligné la nature locale et régionale des confessions, il faudrait souligner que la seconde Confession de Londres a été suivie de plusieurs, dont la Confession de Philadelphie, la Confession du New Hampshire et toutes les déclarations des baptistes du Sud. Certaines offrent une interprétation plus large et d’autres, comme la déclaration de foi de l’an 2000, ont pour but d’exclure. Cependant, même ce dernier document, intitulé Baptist Faith and Message, se décrit, dans son préambule, comme une déclaration générale de foi. Cependant, les missionnaires baptistes du Sud, entre autres, ont dû la signer. Elle est souvent une condition préalable pour être appelé à une église locale dans la famille baptiste du Sud. Les baptistes canadiens, à l’opposé, ne limitent pas l’adhésion d’une manière aussi Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 25 étroite. Nous ferions bien de nous rappeler les paroles de deux baptistes du Sud décédés : La vie dans l’Église, à laquelle nous sommes appelés par la grâce de Dieu, est une vie de fraternité. Cela signifie naturellement plus que le plaisir de la compagnie, d’autres qui pensent comme nous ou qui aiment les choses qui nous enchantent. Lorsque la fraternité se limite à un niveau aussi superficiel, elle ne peut supporter les tensions des désaccords ou des déceptions. La fraternité de l’Église qui vient, ou qui fait partie d’une conversion, est en premier lieu une fraternité de participation commune à l’appel et au don de la miséricorde de Dieu. Ce qui en résulte est un autre partage, quand les chrétiens reconnaissent leur responsabilité commune non seulement les uns envers les autres, mais aussi envers le reste du monde10. 1. W. L. Lumpkin, Baptist Confessions of Faith, Judson Press, 1974, p. 326. 2. Lumpkin, p. 326. 3. Lumpkin, p. 260-263. 4. Lumpkin, p. 299-301. 5. Philip Schaff, The Creeds of Christendom with a History and Critical Notes, Sixth Edition, Harper and Row, 1931, volume one, p. 16. 6. Jarold Zeman, They Speak in Other Tongues: Witness Among Immigrants in Baptists in Canada: Search for Identity Amidst Diversity, G. R. Welch Company, Limited, 1980, p. 67-86. 7. Clark H. Pinnock, « Baptists and the ‘Latter Rain’: A Contemporary Challenge and Hope for Tomorrow » in Costly Vision: The Baptist Pilgrimage in Canada, Welch Publishing Company, Incorporated, 1988, p. 255-272. Il y a lieu de noter qu’il n’y a pas unanimité parmi les baptistes canadiens sur la déclaration de Clark Pinnock. Il est probable qu’on puisse dire la même chose des baptistes brésiliens qui font du ministère au Canada en ce qui a trait à leur point de vue sur les manifestations des dons charismatiques. 8. Alexander Campbell, un des fondateurs des Disciples du Christ, dénigrait l’importance des credos. Pour un exemple de son point de vue, voir Curtis W. Freeman, James William McClendon Jr., et C. Rosalee Velloso Ewell, Baptist Roots: A Reader in the Theology of a Christian People Judson Press, 1999,pp. 227, 231. On en trouvera un autre exemple sous la plume de Harry Emerson Fosdick, à la page 313 de Baptist Roots. En dépit d’aberrations occasionnelles chez les baptistes à propos des credos, les éditeurs de Baptist Roots résument ainsi les points de vue baptistes à la page 14 : « Les baptistes, dans l’ensemble, n’ont pas renié les credos chrétiens historiques. » 9. H. Leon McBeth, The Baptist Heritage: Four Centuries of Baptist Witness, Broadman Press, 1987, p. 64-65. Brooks Hays et John E. Steely, The Baptist Way of Life: What It Means to Live and Worship as a Baptist, Mercer University Press, 1981. Photo de groupe des membres de la Commission Foi et témoignage, avec l’aimable autorisation du Conseil canadien des Églises. Page 26 Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 La Société religieuse des Amis (Quakers) « Être doctrine dans le monde » Keith R. Maddock Keith R. Maddock est membre de l’Assemblée mensuelle de Toronto, dans le cadre de l’Assemblée annuelle canadienne de la Société religieuse des Amis Canadian (Quakers). Détenteur de maîtrises en éducation religieuse et en théologie d’Emmanuel College, il a écrit des articles pour des journaux et des antologies, dont The Canadian Friend, Friends Journal, et Spirituality (Dominican Publications). Mais son inspiration première pour « être doctrine dans le monde » a été la visite de détenus dans la prison de Toronto, la « Don Jail ». La source principale de la vérité doit être la Vérité elle-même. Lorsque nous suivons un ruisseau jusqu’à l’endroit d’où il surgit de la terre, nous ne pouvons aller plus loin. Cela doit être considéré comme la source, car nous ne pouvons sonder l’intérieur de la terre et ses ramifications sont impénétrables, Rober Barclay, Apology (1678) Robert Barclay, Apology (1678) (Barclay’s Apology in Modern English, édité par Dean Freiday (Newburg, OR: The Barclay Press, 1991), p. 46. Nés de la réforme radicale survenue dans l’Angleterre du XVIIe siècle, les premiers Amis ont rejeté l’apparat institutionel de la religion organisée, y compris ce qu’ils appelaient « maisons à clocher », « prêtreslaquais », les credos traditionnels et presque toutes les formes de liturgie. Dans la tradition des Amis, le terme « doctrine » a souvent été suspect, bien qu’on puisse le considérer comme le moyen de transmettre nos témoignages de foi aux futures générations. À cet égard, les premiers Amis fondaient leur système de croyances sur les enseignements essentiels de Jésus, particulièrement ceux qui se rapportaient à des principes tels la paix, la simplicité, l’égalité et l’intégrité relative à la Vérité en tant que norme de notre témoignage. L’expérience de la présence de Dieu, intervenant à travers ces enseignements, peut être connue intérieurement par quiconque est ouvert à la révélation dans le moment présent et préparé dans son cœur et son esprit à vérifier leur expérience par la lecture des Écritures, cherchant le discernement dans des assemblées silencieuses pour le culte et travaillant activement à réaliser la paix et le bien-être de tous. Alors que les dialogues œcuméniques sur la doctrine tendent à se centrer sur des credos comme points de référence, les Amis évitent explicitement toute formule de croyance. La règle générale est que la révélation de la Vérité est un processus continu. Ce processus est équilibré par des pratiques, comme tenir un journal personnel et rechercher le discernement dans des comités de clarté ou de petites réunions d’Amis qui s’encouragent les uns les autres à discerner la Vérité à travers des défis spécifiques et des ouvertures au service. Dans ce cas, comment la doctrine est-elle transmise de génération en génération sans que le message originel soit déformé? Cela est un défi permanent, particulièrement lorsque les Amis se sentent appelés à être des partenaires œcuméniques, et maintenant interreligieux, responsables dans la mission pour la justice et la paix. À mon avis, être des partenaires responsables suppose être fidèles à la tradition reçue des ancêtres tout en étant ouverts à la possibilité que d’autres puissent être également fidèles à leurs croyances, bien qu’exprimées en termes différents. Parmi les moyens d’atteindre la cohérence, une forme élémentaire de catéchèse connue sous le nom de « conseils et questions » a été développée traditionnellement par chaque Assemblée annuelle lorsqu’elle sent le besoin de produire une déclaration unifiante. Voici un exemple tiré des Advices and Queries of Britain Yearly Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 27 Meeting (l’Assemblée annuelle canadienne est à élaborer sa propre Assemblée annuelle) : Cherchez-vous à vous réserver des moments de calme pour l’ouverture à l’Esprit Saint? Nous avons tous besoin de trouver un chemin vers le silence qui permet d’approfondir notre conscience du divin et de trouver la source intérieure de notre force. Cherchez à connaître la tranquillité intérieure, même au milieu des activités quotidiennes. Encouragezvous, en vous-même et dans les autres, l’habitude de dépendre de la direction de Dieu pour chaque jour? Tenez-vous, vous-même et les autres, dans la Lumière, sachant que nous sommes tous aimés de Dieu. Query # 3, Advices and Queries, Britain Yearly Meeting (1995) Faire jouer l’imagination dogmatique Alors que je terminais ma maîtrise à la Toronto School of Theology, un des derniers cours portait le titre énigmatique « L’histoire du protestantisme radical ». Il semblait offrir quelque chose qui avait manqué à mon éducation jusque-là, une approche intégrante à la doctrine chrétienne qui aiderait à combler les différences entre les diverses dénominations. Le protestantisme radical couvre une variété de systèmes de croyances, depuis les premiers mennonites et anabaptistes jusqu’aux formes plus contemporaines du méthodisme et du pentecôtisme. La Société religieuse des Amis, à laquelle j’adhérais déjà à l’époque, était elle-même un produit du ferment spirituel qui s’était répandu à travers l’Europe au cours du XVIIe siècle. Les Amis avaient beaucoup en commun avec les baptistes, les pentecôtistes, les mennonites, les anabaptistes et des mouvements plus tardifs comme les méthodistes et l’Armée du salut. Chacune de ces dénominations était bien représentée dans la classe, avec en plus deux séminaristes jésuites qui nous rappelaient le ferment qui a aussi contribué à réformer l’Église catholique à l’époque de la contre-réforme. Le cours était donné par le professeur A. James Reimer, de la faculté du Mennonite Conrad Grebel College de Kitchener, Ontario, Page 28 dont le livre, The Dogmatic Imagination:The Dynamics of Christian Belief (Waterloo, ON, Herald Press, 2003), aide à comprendre la doctrine à une époque où des mots comme « doctrine » et « dogme » en rebutent plusieurs qui se sentent aliénés par des institutions religieuses inflexibles. Toutefois, lorsque qu’on les lie au mot « imagination », le dogme ou la doctrine, compris comme enseignement traditionnel, est moins rebutant. Alors que plusieurs d’entre nous avons souvent eu envie de nous débarrasser du bagage doctrinal au cours de notre cheminement spirituel, Reimer nous rappelle que le langage théologique (qui est aussi le langage de la Bible) est « le riche langage multidimensionnel de l’imagination, le langage de la transparence. » Si l’expression « imagination dogmatique » peut sembler contradictoire, elle suggère que la doctrine est un travail (à l’imitation de la Création elle-même) en chantier. Le langage et la métaphore sont des phénomènes culturels qui permettent aux gens de communiquer ce qu’ils considèrent comme les plus importantes (ou ultimes) dimensions de leur vie dans la communauté. La recherche de la foi n’est jamais statique, mais constamment ouverte à l’engagement imaginatif avec la tradition et avec le monde dans lequel nous vivons. À cet égard, nous comprenons pourquoi Jésus, en enseignant des vérités profondes pour ranimer la mémoire religieuse par des paraboles, a cité les paroles d’Isaïe : « … parce qu’ils regardent sans regarder et qu’ils entendent sans entendre ni comprendre » (Mt 13, 13 TOB). Comment pouvons-nous dialoguer avec le monde en vue du changement, sans les outils pour discerner comment l’Esprit est déjà à l’œuvre dans le monde ? Reimer souligne le fait que « le défi n’est pas de rejeter les dogmes (enseignements) de l’Église, mais de stimuler notre imagination à leur sujet – d’aller plus en profondeur en enrichissant notre langage. » Les Amis, comme nous le verrons, ont profité d’une approche semblable. Être capable de formuler des croyances communes d’une manière intègre demande de résister au modèle dualiste du monde, qui sépare le religieux et Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 le spirituel des affaires séculières et la foi de la compréhension rationnelle. Les Amis et la source Robert Barclay (1648-1690) a été le premier, et certains pourraient dire le seul, théologien systématique dans les débuts de la Société religieuse des Amis. Il a écrit son œuvre profonde et influente, Apologie, à une époque où les Amis se relevaient de la persécution par les institutions laïques et religieuses en Angleterre. Au début, le mouvement était uni dans sa croyance que la révélation continue de l’Esprit de Dieu pouvait être perçue intérieurement. Mais, avec l’arrivée du siècle des Lumières, plusieurs Amis ressentaient aussi le besoin d’un fondement rationnel de leur compréhension du « christianisme primitif », une foi plus proche de l’enseignement originel de Jésus et de l’Église primitive. Bien que l’ouvrage de Barclay n’ait jamais été considéré comme une déclaration définitive de la foi quaker, il est fidèle à la conviction des Amis concernant une révélation personnelle inspirée, confirmée par l’Écriture et éprouvée selon les normes évoluantes acceptées par la communauté de foi. En ce qui concerne Barclay, on l’a aussi décrite comme une « réflexion constante » à partir du calvinisme strict de sa jeunesse, de son éducation théologique catholique sur le continent et, finalement, de sa « conviction » quaker. Dans le préambule à une discussion sur l’Écriture, il écrit : « Parce que les Écritures ne sont qu’une déclaration sur la source, et non la source elle-même, elles ne peuvent être considérée comme le fondement de toute vérité et connaissance. Elles ne sauraient même pas être considérées comme une règle première suffisante de toute foi et pratique. Cependant, parce qu’elles donnent un vrai et fidèle témoignage de la source elle-même, elles sont et peuvent être vues comme une règle secondaire subordonnée à l’Esprit, de qui elles reçoivent toute leur excellence et leur certitude » (Barclay, 47). L’Écriture est une forme de témoignage qui reflète les limites humaines. Cette proposition devrait nous faire prendre conscience du fait que l’interprétation de la « bonne nouvelle » pour nos contemporains est aussi sujette à des préjugés personnels et à des déformations culturelles. Ainsi, quiconque aborde la vie à partir d’une perspective religieuse a la vocation et la responsabilité d’affronter les questions soulevées par les enseignements traditionnels. Bien que nous ne possédions pas tous les outils pour faire de la théologie systématique classique, nous pouvons être rassurés en sachant que l’Écriture parle de différentes manières à différentes personnes, à travers nos capacités, intérêts et besoins différemment accordés. La reconnaissance de nos dons individuels de compréhension conduit aussi à un autre niveau d’interdépendance et de responsabilité. John Barclay comprenait les Écritures comme un miroir incomparable « dans lequel nous pouvons voir les conditions et expériences des anciens croyants. » En trouvant que notre propre expérience est analogue à la leur, nous sommes confortés et raffermis dans notre espérance de la rédemption qu’ils ont connue. Il poursuit : « En observant la providence qui a veillé sur eux, et les pièges qu’ils ont rencontrés, et en voyant par quels moyens ils ont été délivrés, nous pouvons nous trouver conduits vers le salut et réprimandés de manière appropriée et instruits dans la vertu. » L’œcuménisme: la puce dans l’oreille de l’éléphant Les Amis au Canada ne s’identifient pas comme une « Église ». J’ajouterais que ce n’est pas le cas pour tous les Amis à travers le monde, dont plusieurs s’identifient à l’Église chrétienne et emploient des pasteurs pour les conduire dans le culte et les soins pastoraux. Cependant, tous continuent d’éviter les confessions de foi officielles et les formes extérieures de sacrements, en éprouvant les directions individuelles dans un temps de silence à l’intérieur du culte commun et en encourageant les pratiques disciplinaires du journal personnel et des assemblées de clarté. Il y a eu des périodes dans notre histoire où les Amis étaient ou bien hostiles à l’égard des autres groupes religieux, ou bien repliés dans Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 29 un isolement quiétiste. Ces caractéristiques n’ont pas fait des Amis des partenaires faciles dans les efforts œcuméniques. Pourtant, malgré cela, les Amis ont été continuellement interpellés par l’affirmation qu’il y a « quelque chose de Dieu » dans toutes les personnes, indépendamment des formes extérieures de leurs croyances, et qu’il faut être ouvert à la « Vérité » d’où qu’elle vienne. Pour être franc, en tant qu’organisation relativement petite en dialogue avec de plus considérables Églises institutionnelles, nous nous sentons parfois comme une famille de puces qui aurait élu domicile dans l’oreille d’un éléphant. Les puces demandent poliment à l’éléphant la permission d’établir leur résidence et, comme l’éléphant ne dit rien, elles prennent son silence pour une forme de consentement. Beaucoup plus tard, quand les puces décident de déménager ailleurs, elles assurent l’éléphant que leur déménagement ne remet nullement en cause l’hospitalité de l’éléphant. De nouveau, l’éléphant ne dit rien et les puces supposent qu’il n’y a pas eu d’offense. Ce silence est rarement pris pour de l’indifférence, bien que nous nous demandons parfois si notre présence a été remarquée. En gardant à l’esprit cette parabole, nous espérons que vous ne serez pas offensés si, à l’occasion, nous semblons montrer de la tiédeur envers les doctrines et credos religieux comme sujet de dialogue. À ce moment de notre histoire, l’Assemblée annuelle canadienne se débat honnêtement pour se faire à l’idée des « racines chrétiennes » de notre tradition, tout en s’adaptant aux défis multireligieux et séculiers du XXIe siècle. Bien que les origines uniques de notre mouvement nous soient chères, nous sommes plus que jamais conscients du gouffre qui sépare la réforme radicale du XVIIe siècle de la réforme radicale qui continue de se déployer dans le Page 30 XXIe. La poursuite du dialogue avec des Églises institutionnelles professant un credo nous offre la consolation de nous rappeler notre famille d’origine. En retour, cependant, nous pouvons seulement espérer avoir donné à nos partenaires l’envie de réfléchir sur l’importance de l’humilité et de l’ouverture à l’ineffable mouvement de l’Esprit. Alors que les Amis réfléchissent sur la source de leur foi, les paroles de George Fox (premier fondateur de notre mouvement), écrites dans la prison de Launceston en 1656, nous inspirent ce modèle œcuménique pour « être doctrine dans le monde. » Ceci est la parole du Seigneur Dieu pour vous tous et une responsabilité pour vous en présnce du Dieu vivant : Soyez des modèles, des exemples dans tous les pays, lieux, îles, nations, où que vous alliez, afin que votre comportement et votre vie prêchent parmi et à toutes sortes de gens. Alors, vous marcherez joyeusement au-dessus du monde, répondant à ce qui est de Dieu en chacun. Vous pourrez ainsi être une bénédiction en eux et faire que le témoignage de Dieu en eux vous bénisse. Vous serez alors une douce saveur et une bénédiction au Seigneur Dieu. Assemblée annuelle canadienne de la Société religieuse des Amis Buckley, Paul & Angell, Stephen W., éditeurs, The Quaker Bible Reader, Richmond, IN: The Earlham School of Religion, 2006. Freiday, Dean, éditeur, Barclay’s Apology in Modern English, Newberg, OR, The Barclay Press. 1991. Maddock, Keith R, A Rainbow of Opportunity: Friends and the Ecumenical Spirit, Canadian Quaker Pamphlet Series No. 61. 2005. Steere, Douglas V., éditeur, Quaker Spirituality: Selected Writings, NY, Paulist Press (Classics of Western Spirituality Series), 1984. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 La Doctrine, le Dogme et les Disciples Neil Bergman Neil Bergman est natif d’Edmonton, Alberta. Il est diplômé de l’université de l’Alberta, du Lexington Theological Seminary (M.Div.) et de l’Atlantic School of Theology (M.Th.). Il est marié à Shirley (Ramey) et ils ont deux fils, Andrew et Karl. Depuis 1978, Neil fait du ministère dans des églises des Disciples en Nouvelle-Écosse. Il est un ancien président de l’Atlantic Ecumenical Council. Lorsque les Disciples et les Chrétiens du Midwest américain se réunirent, en 1832, une tradition d’unité des chrétiens délibérément exempte de doctrines et de dogmes, sauf la foi en Jésus comme Christ et Sauveur du monde et dans la Bible comme révélation de Dieu au monde, s’était déjà développée des deux côtés de l’union. Les Disciples sont toujours une Église sans credo. Le rêve des Disciples, c’est que l’unité était et est toujours fondée sur le don de Dieu en Jesus-Christ, qu’elle peut se conserver dans une riche diversité de croyances, et qu’aucune doctrine ne doit diviser la fraternité des chrétiens. L’autorité de proposer une doctrine en complément à l’enseignement des Écritures ou une interprétation des Écritures repose en premier lieu sur l’individu et seulement en deuxième lieu sur la communauté des fidèles. Bien que les Disciples aient une ecclésiologie qui affirme que « l’Église » s’exprime dans des congrégations, des régions et dans l’Église en général (avec des unités générales et l’Assemblée générale), pour les Disciples, aucune forme de l’Église ne peut imposer une doctrine sur toute autre expression ou ministère de l’Église. Une des questions de la Commission foi et témoignage du Conseil canadien des Églises est de savoir ce qui constitue une doctrine et ce qui constitue un dogme dans chacune de nos deux traditions. Pour les Disciples, il s’agit d’une question très intéressante et insaisissable, une question que nous n’avons pas l’habitude de prendre en considération. Les Disciples ont en fait un corps d’enseignements et, par conséquent, ce qu’on pourrait considérer comme des doctrines. Cependant, un de nos principes fondamentaux est de ne jamais demander à quelqu’un de juger une autre personne sur des questions de doctrine afin que nous puissions exprimer notre unité fondamentale en tant que chrétiens, don de Dieu et non réalisation humaine. Les Disciples ont été fondés afin de ne pas avoir à exiger d’affirmation de confession de foi avant d’être admis à la Table du Seigneur. L’adhésion aux Disciples suppose l’affirmation (confession) de la foi en Jésus comme Seigneur et Sauveur personnel, mais non une déclaration de ce qu’on croit à propos de Jésus. En ce qui a trait au dogme, la seule norme est l’acceptation du Nouveau Testament en tant qu’autorité absolue pour le plan et l’enseignement de l’Église. Ainsi, pour les premiers Disciples, le Nouveau Testament faisait partie du dogme, mais l’Ancien Testament, si utile qu’il soit pour l’étude et les discussions doctrinales et théologiques, n’était pas un dogme. L’interprétation du Nouveau Testament par les premiers Disciples tendait à être littérale, mais aussi rationnelle. Les Disciples étaient une Église des Lumières, née de la période postrévolutionnaire en Amérique et en Grande-Bretagne. Cependant, les Chrétiens auxquels ils se sont unis en 1832 sont nés du second grand réveil, et leurs premiers leaders n’étaient pas tous aussi rationnels qu’Alexander Campbell et Walter Scott. Les Disciples qui ont suivi n’ont pas rejeté la critique textuelle du Nouveau Testament survenue à la fin du XIXe siècle. Par conséquent, on ne pouvait plus citer le Nouveau Testament de façon dogmatique et hors contexte. Les Écritures étaient toutes perçues comme se développant de manière progressive, et pas nécessairement Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 31 cohérentes. Pourtant les Écritures, l’Ancien et le Nouveau Testaments et les apocryphes, étaient vues davantage comme un ensemble complet d’enseignements et l’histoire du salut, avec une autorité relative et contextuelle. Chacun des « écrits » (le mot grec que nous traduisons par écritures) était utile mais aussi enraciné dans son propre contexte. Ce qui suit est tiré de la page Web des Disciples : Comme la plupart des chrétiens, les Disciples affirment que : Jésus-Christ est le fils du Dieu Vivant. Toutes les personnes sont enfants de Dieu. Les croyances et pratiques généralement associées aux Disciples sont : La Communion ouverte. La Cène du Seigneur ou Communion est célébrée dans un culte hebdomadaire. Elle est ouverte à tous ceux qui croient en Jésus-Christ. La liberté de croyances. Les Disciples sont unis autour d’un élément essentiel de la foi : la foi en Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur. Les gens sont libres de suivre leur conscience, guidés par la Bible, le Saint Esprit, l’étude et la prière et doivent reconnaître cette liberté aux autres. Le baptême par immersion. Par le baptême, l’ancienne vie centrée sur soi est abandonnée et une nouvelle vie de confiance en Dieu commence. Bien que les Disciples pratiquent le baptême par immersion, d’autres traditions baptismales sont respectées. La croyance dans l’unité de l’Église. Tous les chrétiens sont appelés à être un dans le Christ et à rechercher les occasions de témoignage et de service. Le ministère des croyants. Les ministres ainsi que les laïcs dirigent le culte, le service et la croissance spirituelle. Les congrégations des Disciples célèbrent la Cène du Seigneur chaque dimanche. La table est ouverte. Cela signifie que tous les chrétiens sont invités à répondre à l’invitation du Christ de se rapprocher de Lui autour de la table de communion. Pour les Disciples, la table ouverte est un puissant symbole de notre engagement profond envers l’unité chrétienne. La table ouverte respecte la diversité même lorsqu’elle célèbre l’unité en Christ. Page 32 L’expression Mouvement de la Restauration a été largement utilisée dans notre histoire pour décrire un fondement quelque peu différent pour l’unité que la formule « pas de credo mais le Christ » : que l’unité se trouve chez ceux qui sont d’accord sur ce que l’Église primitive pratiquait et croyait. Cela faisait partie de l’erreur de la pensée moderne des Lumières, qu’on pouvait trouver une seule vérité statique. L’étude de la Bible a conduit plusieurs théologiens et autres étudiants à remarquer qu’il y avait beaucoup de diversité dans l’Église primitive, aussi bien dans les croyances que dans les prescriptions. Il n’y a pas une seule Église primitive. Le Nouveau Testament, comme l’Ancien, contient une grande variété de théologies et de contextes. Le mouvement Stone-Campbell n’est pas le seul corps religieux qui se soit appelé ou qui ait été appelé historiquement mouvement de la restauration. Dans le contexte de l’Ouest américain au XIXe siècle, les Mormons sont aussi une Église de la Restauration, si peu orthodoxes qu’ils puissent paraître aux yeux des autres. La plupart des Églises au XXe siècle s’efforcent de poser des questions propres à la Restauration. Je crois que l’aspect le plus important d’une tentative de restaurationnisme, c’est l’étude de l’Église avant qu’elle ne fasse partie de l’empire romain (avant la chrétienté). Particulièrement à une époque où il faut être Église dans une culture postchrétienne, nous avons besoin de redécouvrir ce que signifie être une Église en marge tout en étant unis à la création de Dieu. La pratique des Disciples est de préparer les candidats au baptême, ainsi que ceux qui ont été baptisés dans d’autres Églises mais qui désirent devenir membres d’une congrégation des Disciples, par une confession de foi. Il n’y a pas de catéchisme comme tel, mais l’instruction a toujours inclus des enseignements sur Dieu et l’Alliance, les enseignements de Jésus, la signification des confessions et du baptême, la Table du Seigneur, la nature de l’Église et la recherche de l’unité chrétienne. Les Disciples ont pris part à toutes les manifestations du mouvement œcuménique depuis 1910. Les rencontres avec d’autres chrétiens dans des consultations conciliaires ou autres continuent d’informer les Disciples. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 La doctrine dans l’Église Unie du Canada Dr. Gail Allan et Rev. Dr. Margaret Trapnell Gail Allan, Th.D., est coordonnatrice du programme inter-Églises et interreligieux du secteur des relations globales et œcuméniques de l’Église unie du Canada. Cela comprend la participation à des groupes nationaux et internationaux ainsi que le soutien aux personnes engagées dans le dialogue et l’action dans leurs communautés locales. Elle détient un doctorat en éthique de l’Emmanuel College de la Toronto School of Theology. Membre actif de l’Église unie, elle a travaillé pendant plusieurs années sur les questions de justice globale et sociale, particulièrement la justice économique et la justice pour les femmes. Elle a aussi travaillé pendant neuf ans auprès du Presbyterian World Service and Development pour l’éducation au développement dans l’Ouest du Canada, et a fait des travaux en recherche, évaluation, planification de programme et facilitation pour des groupes confessionnels et œcuméniques. La révérende Dr Margaret A. Trapnell est ministre ordonnée de l’Église unie du Canada et exerce son ministère dans une paroisse du sud-ouest de l’Ontario. Elle s’intéresse à l’exploration de l’esprit créatif par l’iconographie, la photographie et la poésie. L’Église unie du Canada est souvent perçue comme mettant l’accent sur des questions de justice plutôt que sur des questions doctrinales, au point où certains prétendent que l’Église n’a pas de doctrine. Selon le dictionnaire Oxford, la doctrine « est ce qui est enseigné, un ensemble d’enseignements religieux, politiques, scientifiques, etc., croyances, dogmes ou opinions ». Selon cette perspective, l’Église unie a en fait une doctrine, une doctrine fermement fondée sur le quadrilatère wesleyen de l’Écriture, de la raison, de la tradition et de l’expérience. Le rôle de la révélation est aussi vu dans la présence de l’Esprit Saint que nous prions pour qu’il inspire notre travail et nous guide quand nous réfléchissons ensemble à ce que nous croyons. Ainsi, plusieurs membres de l’Église unie pourraient affirmer que l’engagement envers la mission et la justice est fermement enraciné dans la doctrine que l’Église continue de formuler depuis sa fondation en 1925. La déclaration doctrinale originelle de l’Église unie est contenue dans les « Principes d’union » adoptés en 1925. Cette déclaration a été rédigée par des représentants des dénominations fondatrices : l’Église presbytérienne au Canada, l’Église méthodiste, les Églises congrégationalistes du Canada et un groupe d’Églises locales formées en vue de l’union. Ses Vingt Articles de Foi constituent un document fondateur accepté par les dénominations fondatrices et qui a rendu possible la fusion. Le préambule aux vingt articles les affirme comme « substance de la foi chrétienne, telle que nous y adhérons de manière générale » et « en substance conforme à l’enseignement des Saintes Écritures » Avant d’être admis à l’ordination dans l’Église unie du Canada, les ministres doivent déclarer être « essentiellement d’accord » avec ces vingt articles1. Et, comme c’est généralement le cas dans notre Église, cela signifie quelque chose de différent pour à peu près toutes les personnes qui doivent faire cette déclaration. Pour certains, les Principes d’Union sont un document historique sans grand rapport avec le monde contemporain et pour d’autres, c’est la seule déclaration doctrinale qui compte, toute autre déclaration étant, au mieux, du camouflage ou, au pire, de l’hérésie. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 33 À diverses périodes de son histoire, l’Église unie du Canada a reformulé sa foi dans un langage qu’elle a voulu à la portée de ses contemporains. L’importance d’agir ainsi a été reconnue même alors qu’on élaborait les Principes d’Union. Un membre du comité écrivait, en 1928 : « Qu’il soit noté, en outre, que ce document doctrinal ne prétend en aucune manière être infaillible ou définitif… Il sera du devoir de ceux qui nous succéderont de trouver une expression intellectuelle plus adéquate pour la vérité immuable et inépuisable de l’Évangile2. » La Déclaration de foi émise en 1940 déclare, dans le préambule, « chaque chrétien, chaque chrétienne, de chaque nouvelle génération, est appelé-e à en refaire la formulation dans l'esprit de son époque et dans le ton qui convient à son contexte ». En 1968, un « nouveau credo » a été développé et révisé en 1980 et en 1994. Plus récemment, en 2006, le document « Notre foi chante » a été accepté comme reformulation de la foi de l’Église unie du Canada pour le monde d’aujourd’hui. Cependant, quels que soient les mots couramment employés, la doctrine de l’Église unie dépend de l’Écriture, de la formulation de la tradition chrétienne à travers les âges, y compris les credos historiques de l’Église, et la foi dans le Dieu Trine. Quelle qu’en soit la formulation, l’affirmation d’une foi trinitaire est fondamentale, même lorsque les conceptions théologiques se développent sur un large éventail allant du conservatisme extrême au libéralisme extrême. À cause de la structure conciliaire de l’Église unie, les documents doctrinaux proviennent ordinairement de comités, généralement à la demande du Conseil général qui se réunit tous les trois ans et se compose de représentants de tout le pays. L’Église se trouve souvent confrontée à un problème qui l’oblige à revoir et reformuler des aspects de notre doctrine (souvent plus en profondeur que la partie doctrinale des Principes d’Union). Cela peut comprendre de nouvelles conceptions informées par le contexte, l’expérience et les études théologiques. Le processus de développement de ces déclarations implique généralement le Comité de théologie et des relations avec les autres Églises et les autres religions (anc. Page 34 Comité théologie et foi) du Conseil général. Le plus souvent, le travail théologique du comité résultera en un document d’étude envoyé à l’ensemble de l’Église pour discussion et réponse. Selon la question, la consultation peut aussi s’étendre aux partenaires œcuméniques et globaux. Les membres du comité sont ensuite chargés de joindre leur propre sagesse et expertise aux réponses pour préparer une déclaration qui sera soumise à la considération du Conseil général. Ce processus a donné lieu, au cours des dernières années, à des documents tels que The Authority and Interpretation of Scripture (1992) et Reconciling and Making New: Who Is Jesus Christ for the World Today? (2000). En même temps, l’Église unie s’est constamment engagée dans un processus semblable d’étude, de réponse et d’action pour discerner les manières de vivre la doctrine dans la mission et le ministère auxquels nous sommes appelés. Ainsi que le déclare Notre foi chante : Le Christ nous appelle à lui répondre ensemble, communauté de gens de foi, brisés mais pleins d’espoir, qui aiment ce qu’il a aimé, vivent ce qu’il a enseigné, cherchent à servir Dieu dans la fidélité, ici et maintenant L’Église n’a pas toujours été fidèle à sa vision. Elle a besoin de l’Esprit pour se renouveler, pour l’aider à vivre une foi qui émerge tout en préservant la tradition, pour l’appeler à vivre par la grâce plutôt que par ses privilèges, car nous devons être bénédiction pour la terre. Ainsi, les décisions prises en 1988 et après concernant les rapports entre sexualité et ministère ordonné et le mariage égalitaire ont été précédées des études In God’s Image …Male and Female (1980) et Gift, Dilemma and Promise: A Report and Affirmations on Human Sexuality (1984). Ces documents ont suscité la réflexion sur un certain nombre de Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 doctrines fondamentales (y compris les croyances concernant l’humanité, la création, le péché et l’interprétation de l’Écriture) à la lumière des questions posées sur la sexualité humaine. De même, dans To Seek Justice and Resist Evil: Towards a Global Economy for All God’s People, adopté par le Conseil général en 2000, l’Église unie affirme qu’une « justice économique globale est essentielle à l’intégrité de notre foi en Dieu et à notre mission de disciples en tant que chrétiens », et confesse que « le système actuel de capitalisme de marché effréné … constitue un faux dieu … et est de ce fait un péché contre Dieu, contre notre prochain et contre la création. » Ces convictions quant à la souveraineté de Dieu et la mission de justice des disciples du Christ continuent de se refléter dans notre travail en cours sur « Living Faithfully in the Midst of Empire ». Tout ce travail a informé le développement de notre plus récente déclaration de foi qui a commencé par une demande faite au comité théologie et foi de la 37e assemblée du Conseil général, en 2000, pour une « déclaration de foi opportune et contextuelle ». Après une période initiale de consultations sur les questions relatives à une telle déclaration, un projet de déclaration a été envoyé pour commentaires à l’ensemble de l’Église. Après un nombre considérable de révisions, le projet final, Notre foi chante, a été soumis au Conseil général et accepté en 2006. Comme le dit le préambule de cette déclaration : « Il ne s’agit pas d’une déclaration pour tous les temps mais pour notre temps. En autant que l’Esprit a foi en nous, nous pouvons exprimer notre compréhension de ce qui est Saint avec confiance. Et en autant que l’Esprit est large et sans limite, nous reconnaissons que notre compréhension de ce qui est Saint est toujours partielle et limitée. Néanmoins, nous avons confiance et cette déclaration traduit le sens de notre chant. » Un autre pas important dans le développement de la doctrine de l’Église unie sera franchi si l’Église adopte une proposition soumise au 40e Conseil général en 2009. Cette proposition ajouterait à la section doctrinale existante des Principes d’Union trois autres déclarations doctrinales : la Déclaration de foi (1940), le Nouveau Credo (adopté en 1968, révisé en 1980 et en 1994) et Notre foi chante (2006). Ces quatre déclarations seraient reconnues comme « normes subordonnées », normes pour notre foi subordonnées à la primauté de l’Écriture. Il s’agirait d’un important développement puisqu’il donnerait aux formulations tardives le poids de l’inclusion dans les Principes d’Union à côté des Vingt Articles de Foi, et placerait ces normes subordonnées en dialogue les unes avec les autres. Cette décision ne peut être prise que si elle est appuyée par la majorité des responsables des charges presbytérales et pastorales de l’Église à la suite d’un remit (vote), puis ratifiée par le 41e Conseil général en 2012. Les congrégations sont présentement engagées dans l’étude des implications de cette proposition afin de se préparer au vote3. L’Église unie du Canada est une Église constituée par acte du Parlement. Depuis ses débuts, l’Église a cherché à intégrer un large éventail de croyances théologiques. Aujourd’hui, cet éventail est encore plus large et l’endroit où l’on se place sur cet éventail détermine habituellement l’endroit où l’on se place au plan doctrinal. Cela donne lieu à d’intéressantes interactions entre les membres et les adhérents, mais il existe bien un système de croyances central qui reçoit une formulation « opportune et contextuelle » et qui fait bel et bien partie de ce que nous sommes en tant qu’Église unie du Canada. 1. Cette formulation a été adoptée après que les Église congrégationalistes, en particulier, aient mené la résistance à toute obligation de souscrire littéralement à la déclaration doctrinale. John H. Young, « Sacred Cow or White Elephant? The Doctrine Section of the Basis of Union », Touchstone 16, no 2, mai 1998, 41-44. 2. T.B. Kilpatrick, Our Common Faith, Toronto, Ryerson Press, 1928, 63-64. 3. Voir Our Words of Faith: Cherished, Honoured and Living, a resource document prepared for the remit (January to May 2012) concerning the Doctrine section of the Basis of Union of The United Church of Canada, Toronto, The United Church of Canada/L’Église Unie du Canada, 2010 Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 35 La doctrine dans la tradition de l’Armée du salut Major Kester Trim et James E. Pedlar Le major Kester Trim a été affecté à différents postes comme officier de l’Armée du salut au Canada, au Zaïre et au Zimbabwe. Il est présentement commandant divisionnaire pour la division du Québec du territoire du Canada et des Bermudes et président de la commission foi et témoignage. James E. Pedlar est assistant coordonnateur de la Commission Foi et Témoignage du Conseil canadien des Églises. Il est doctorant en théologie systématique à la Toronto School of Theology et se spécialise en ecclésiologie œcuménique. Il a auparavant été directeur des ministères communautaires de l’Armée du Salut dans la région de Quinte en Ontario. L’Armée du salut n’est pas connue pour l’importance qu’elle accorde à la doctrine. Ce n’est pas parce que la doctrine n’a pas d’importance pour les salutistes, mais parce que l’Armée du salut a d’ordinaire privilégié l’évangélisme et le service plutôt que la théologie. Néanmoins, les doctrines officielles de l’Armée du salut sont considérées comme essentielles pour sa vie communautaire et son témoignage. Alors que les officiers et soldats de l’Armée du salut essaient sur le terrain de servir parmi « les plus petits de ceux-ci », leur ministère quotidien est façonné par des engagements doctrinaux. Bien que la théologie ne soit pas un aspect prééminent de la tradition salutiste, la doctrine joue définitivement un rôle significatif pour donner une direction et un but à tous les aspects du ministère salutiste. La mission de l’Armée du salut a toujours été de nature évangélique. Si la doctrine concerne les idées, les propositions, les enseignements et les croyances, alors elle joue un rôle central dans le message qu’une Église apporte à ses fidèles. À sa fondation, l’Armée du salut a adopté onze articles de foi Page 36 qui traduisent les aspects essentiels de la vérité théologique pour l’Armée du salut.1 • • • • • Nous croyons que les Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament ont été données par l’inspiration de Dieu, et qu’elles seules constituent la règle divine de la Foi et de la vie chrétiennes. Nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu, infiniment parfait, Créateur, Conservateur et Gouverneur de toutes choses, unique objet digne de l’adoration religieuse. Nous croyons qu’il y a dans ce Dieu unique, trois personnes réellement distinctes, mais égales en puissance et en gloire : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Nous croyons que dans la personne de Jésus-Christ la nature divine est unie à la nature humaine, de sorte que Jésus-Christ est véritablement Dieu et véritablement homme. Nous croyons que nos premiers parents furent créés en état d’innocence, mais que, par leur désobéissance, ils perdirent leur pureté primitive et le bonheur. En conséquence de la chute, tous les hommes sont devenus pécheurs, entièrement mauvais, et pour cette raison, Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 • • • • • • ils sont à bon droit exposés à la colère de Dieu. Nous croyons que notre Seigneur JésusChrist, par ses souffrances et sa mort, a réconcilié le monde entier avec Dieu; ainsi quiconque le veut, peut être sauvé. Nous croyons que la repentance envers Dieu, la foi en notre Seigneur JésusChrist, et la régénération par le SaintEsprit sont nécessaires au salut. Nous croyons que c’est par grâce que nous sommes justifiés, par la foi en notre Seigneur Jésus-Christ, et que celui qui croit en a le témoignage en lui-même. Nous croyons que la possession permanente du salut dépend de la foi constante en Christ et de l’obéissance à sa parole. Nous croyons que c’est le privilège de tous les enfants de Dieu d’être sanctifiés tout entiers, et que tout leur être, l’esprit, l’âme et le corps, peut être conservé irrépréhensible, pour l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous croyons à l’immortalité de l’âme, à la résurrection du corps, au jugement universel lors de la fin du monde, au bonheur éternel des justes et au châtiment éternel des méchants. En les relisant, on remarque rapidement que ces onze articles sont centrés sur la grâce salvifique de Dieu par le sang versé du Christ. Il n’y a pas d’enseignement sur l’Église, le ministère ou les sacrements. En fait, ces articles de foi sont délibérément peu nombreux et minimalistes. Les premiers salutistes se voyaient comme une force évangéliste libre des complications des controverses doctrinales et, par conséquent, ils ont adopté ce qu’ils croyaient être les seuls éléments essentiels de la foi que leurs membres devaient croire. La place de la doctrine dans la vie de l’Armée du salut est bien résumée dans un passage des Orders and Regulations for Officers of The Salvation Army, où il est recommandé aux officiers de « transmettre la saine doctrine en relation avec l’ensemble du travail »2 et aussi « d’enseigner la doctrine de l’Armée à ses gens de la manière la plus simple et la plus pratique en évitant, autant que possible, toute controverse ou argument. »3 Ces onze articles de foi viennent de la tradition méthodiste4. Baptisé dans l’Église d’Angleterre mais élevé dans le méthodisme, William Booth a été pasteur de la Nouvelle Connexion méthodiste avant de fonder l’Armée du salut5. Il est demeuré un ardent promoteur de la doctrine wesleyenne durant toute sa vie et son ministère6. Dans ces onze courts articles de foi, on peut voir les thèmes wesleyens fondamentaux de la totale corruption (article 5), de la réconciliation universelle (article 6), de la justification par la foi (article 8), de l’assurance par le témoignage de l’Esprit (article 8), et une forte insistance sur la sanctification (articles 9 et 10). L’absence de sacrements dans l’Armée du salut n’était pas exprimée dans ses articles doctrinaux. Cela est dû en partie au fait que la décision d’abolir l’usage des sacrements du baptême et de l’eucharistie n’a été prise qu’en 1883, dix-huit ans après la fondation de l’Armée du salut et cinq ans après la rédaction de sa constitution7. Les principales convictions théologiques qui sous-tendent l’absence de sacrements dans l’Armée du salut étaient : 1) la croyance que la grâce est disponible immédiatement pour tous, indépendamment de toute pratique particulière ; et ce qui en découle, 2) aucune pratique particulière n’est « nécessaire au salut ». Un troisième point qui a été développé avec le temps et dont il sera question plus bas concerne la sacramentalité potentielle de tous les aspects de la vie humaine. La position de l’Armée sur les sacrements a un précédent historique dans la tradition de la Société des Amis, mais se justifiait aussi par le désir, mentionné plus haut, d’éviter les controverses théologiques (puisque les sacrements ont souvent été un sujet de disputes dans l’histoire de la chrétienté). Booth n’avait pas l’intention de Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 37 manquer de respect envers les autres traditions ni d’en faire un sujet de dispute8. De plus, on n’a jamais interdit aux salutistes de prendre part à la Cène du Seigneur dans d’autres traditions où ils sont acceptés, et ils sont libres de se faire baptiser s’ils croient que c’est important9. C’est dans cet amalgame de traditions méthodistes et quakers que l’Armée du salut a grandi et a cherché à démontrer que le salut est accessible à tous et que chacun a la possibilité de changer. Le pécheur peut être sauvé d’une vie de péché à une vie de sainteté grâce à la puissance sanctifiante du Saint Esprit. Plusieurs des premiers salutistes étaient de vivants témoignages de ces vérités. C’est peut-être la doctrine de la sainteté qui a eu la plus grande influence sur la vie de l’Armée du salut à travers son histoire. Bien que les salutistes n’aient pas de liturgie officielle et n’aient pas l’habitude de répéter régulièrement leurs articles de foi, on peut voir l’influence de la doctrine de la sainteté dans la forte tradition de la musique de l’Armée du salut. En vérité, The Songbook of The Salvation Army, le livre de chants religieux de l’Armée, est parfois comparé au Livre de la prière commune en termes de son importance pour la foi et la vie des salutistes. Ces chants sont remplis d’invitations à répondre à l’appel à une vie sainte. Le chant de William Pearson, Jesus, save me through and through (Jésus sauve-moi tout entier), publié dans la revue salutiste The War Cry en 1881, n’est qu’un exemple de la relation intime entre la grâce salvifique de la mort et de la résurrection du Christ et une vie de sainteté. Le refrain l’illustre clairement : Through « Tout entier, tout entier, Jésus sanctifie-moi; Sauve-moi jusqu’à la fin Jusqu’au bout vers la gloire.10 » Les premières expressions du salutisme étaient caractérisées par une prédication et un enseignement clairs sur la sainteté Page 38 personnelle. William Booth et sa femme Catherine parlaient souvent et en profondeur de ce sujet11. À la suite de leurs ministères, une voix non moins importante que la leur, celle de Logan Brengle, un converti américain au salutisme, a produit de nombreux textes pratiques pour expliquer la sainteté. Il est connu comme le « prophète de la sainteté » dans les cercles salutistes12. La tradition de l’Armée du salut a été pavée par des hommes et des femmes qui ont enseigné la vie de sainteté et encourage les croyants à la rechercher. En relation avec la vie de sainteté, les salutistes ont souvent fait une distinction entre l’être intérieur et les choses extérieures. La vie spirituelle intérieure a une valeur capitale. On n’est pas sauvé par l’adhésion à l’Église ou la pratique, mais en acceptant Jésus Christ comme sauveur et en étant baptisé dans l’Esprit Saint. Dans son essai « A Mock Salvation vs. Deliverance from Sin », Catherine Booth a écrit : « Nous n’avons rien à dire contre les formes, mais elles ne sont, en quelque sorte, que les corps dans lesquels sont manifestées les idées et les fins spirituelles ; sans la VIE, elles sont inutiles et pire qu’inutiles13. » Plus récemment, le Conseil de doctrine affirmait : « L’Armée, dans ses enseignements, ne met pas en évidence les choses extérieures mais le besoin de chaque croyant de faire personnellement l’expérience de la grâce spirituelle intérieure dont témoigne la pratique extérieure 14. » Plus récemment, le Conseil de doctrine affirmait : Cela nous conduit au rapport entre l’interprétation salutiste de la sainteté et sa position sur les sacrements. À mesure que la tradition de l’Armée du salut évoluait, les salutistes en sont venus à voir une vie sainte comme une vie sacramentelle. Le général Albert Osborne a présenté cette image lorsqu’il a composé le chant suivant qui est souvent cité dans les discussions de l’Armée du salut sur les sacrements 15 : Ma vie doit être le pain rompu du Christ, Mon amour, son sang versé ; Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Une coupe débordante, une table dressée Sous son nom et son signe, Afin que d’autres âmes, rafraîchies et nourries, Puissent partager sa vie à travers la mienne. Mon être est dans les mains du Maître Pour qu’il le bénisse et le rompe ; Au-delà du ruisseau se trouve son pressoir Et c’est le chemin que je prends, Résolu à donner, pour son amour, Tout ce que l’amour demande. Seigneur, laisse-moi partager cette grâce qui vient de toi Par laquelle tu as soutenu Le poids de la vigne féconde, Le don du grain enfoui. Celui qui meurt avec toi, Ô divine Parole, Ressuscitera et vivra de nouveau16. À partir de cette perspective, les publications plus récentes de l’Armée du salut ont commencé à souligner la sacramentalité potentielle de toute la vie, soutenant par là que la vie de l’Armée du salut est « sacramentelle », bien qu’on n’y pratique pas les sacrements traditionnels17. En tant que tradition relativement jeune, l’Armée du salue continue de développer son intérêt pour les questions de doctrine. À l’opposé des premiers salutistes, qui, dans les mots de William Booth « n’avaient ni le temps ni l’inclination pour écrire des livres, devant les terribles nécessités de millions de gens qui meurent autour de nous18 », les salutistes contemporains essaient de poursuivre le développement de la théologie salutiste. En 2001, le tout premier « Symposium international sur la théologie et l’éthique » de l’Armée du salut, tenu à Winnipeg, portait sur la question de la théologie trinitaire19. En 2006, les salutistes se réunissaient de nouveau en Afrique du sud autour du thème de l’ecclésiologie20. Un troisième symposium international, sur la sainteté, doit se tenir à Londres en octobre 2010. Un autre développement important a été la publication d’une revue de théologie pour les salutistes – Word and Deed: A Journal of Salvation Army Theology and Ministry, qui en est à sa douzième année. Finalement, les partenaires œcuméniques seront intéressés de savoir qu’au cours des dernières années, le Conseil international de doctrine de l’Armée du salut s’est engagé dans des dialogues avec les Adventistes du septième jour et le Conseil méthodiste mondial et, plus récemment, avec le Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité chrétienne. Il est essentiel pour les salutistes, cependant, de ne pas perdre de vue la sainteté personnelle. La doctrine n’est pas vue comme une fin en soi, mais comme un guide pour la vie chrétienne. Récemment, le général Shaw Clifton, l’actuel directeur international de l’Armée du salut, appelle l’Armée du salut, dans un de ses livres, une « Armée de sanctification » et invite les salutistes à s’engager dans la vie de sainteté « inscrite dans notre dixième doctrine21 ». Peut-être ce qui frappe le plus est la manière personnelle dont la doctrine salutiste fonctionne, c’est-àdire la manière dont la vie du salutiste est guidée par les onze articles de foi : une vie fondée sur la Bible, gouvernée par le Dieu Trine qui connaît notre état de pécheur, sauvée et régénérée, sanctifiée par l’Esprit Saint jusqu’au jugement général à la fin du monde. Il y a un lien direct entre ce que nous sommes, ce que nous faisons et ce que nous croyons, et l’appel à la sainteté est, ou devrait être, au premier rang dans l’esprit du salutiste et devrait être la base de toutes ses autres décisions concernant la foi. Un résultat remarquable de cette vision de la sainteté est une réponse sociale d’envergure aux besoins de l’humanité, où qu’on les trouve. Chaque poste d’évangélisation de l’Armée du salut ne se réunit pas seulement pour des services de culte et procurer une éducation chrétienne et la fraternité, mais aussi pour chercher à Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 39 répondre aux besoins humains dans la communauté. Dans certains cas, on connaît davantage l’Armée du salut pour son travail humanitaire que pour son ministère d’évangélisation. Cependant, à l’intérieur de chaque unité, division et territoire, la même question centrale se pose dans les rapports annuels : « jusqu’à quel point le programme ou service mis sur pied contribue-t-il à la mission de l’Armée ? Est-il compatible avec nos gens qui se réclament de la sainteté comme valeur ? » Par conséquent, la doctrine est de grande importance pour l’Armée du salut. Plus spécifiquement, sa mission est fondée presque exclusivement sur la tranche de doctrine comprise dans la grâce salvifique accessible à travers le Christ et le désir personnel de répondre en esprit d’obéissance à Son appel à vivre une vie sainte, caractérisée par l’amour de Dieu et le service envers l’humanité souffrante. Il serait difficile d’imaginer l’Armée du salut sans le salut, et il serait encore plus difficile d’imaginer que la recherche de la sainteté ne soit pas la base pour l’intégrité de la mission salutiste. Il ne suffit pas d’adhérer à un article de foi qui affirme que le Christ est mort pour nos péchés et a accompli l’acte salvifique. Il faut plutôt chercher à vivre ce salut, à présenter le message évangélique d’espoir à travers une vie qui illustre le pouvoir régénérateur de l’Esprit Saint, en réponse à l’appel à vivre une vie de sainteté. 1. La plus récente interprétation autorisée des onze articles se trouve The Salvation Army Handbook of Doctrine, Londres, Salvation Books, 2010), téléchargeable sur le site www.salvationarmy.org. 2. Booth, William. Orders and Regulations for Officers of The Salvation Army, Londres, Salvation Army International Headquarters, 1925, §IV.VI.3.2, p. 225 3. Ibid., §IV.VI.3.1, p. 225 4. Voir Salvation Story: Salvationist Handbook of Doctrine, Londres, The Salvation Army International Headquarters, 1998, 130 pour une discussion sur les origines des onze articles de foi. 5. Pour une excellente biographie de William Booth, voir l’ouvrage récent de Roger Green, The Page 40 Life and Ministry of William Booth, Nashville, Abingdon, 2005. 6. Parlant de ses premières années, Booth a déclaré : « Pour moi, il n’y avait qu’un seul Dieu et John Wesley était son prophète. » Frederick Booth-Tucker, The Life of Catherine Booth, London: The Salvation Army, n.d., 1:52. Roger Green note qu’il a répété cette déclaration lors de son soixantième anniversaire. Green, The Life and Ministry of William Booth, 231, n. 34. 7. L’historique de cette décision est bien résumé par Green, The Life and Ministry of William Booth, 145-151. Pour un traitement historique et théologique plus développé de ce sujet, voir David R. Rightmire, Sacraments and The Salvation Army: Pneumatological Foundations, Metuchen, NJ, Scarecrow Press, 1990. 8. Roger Green cite une interview de 1895 dans laquelle Booth déclare : « Nous ne parlons jamais contre les sacrements, nous ne disons même pas quelle est notre position. Nous avons à cœur de ne pas détruire la confiance des chrétiens dans des institutions qui leur sont utiles. » The Life and Ministry of William Booth, 148. 9. Un témoignage intéressant de cette liberté se trouve dans l’histoire des débuts de l’Armée du salut au Canada. Lorsque l’Armée a commencé à s’enraciner à Kingston, Ontario, la capitaine Abby Thomson avait l’habitude d’amener tout son groupe de soldats à la cathédrale anglicane Saint George pour recevoir la communion. Cela a causé un certain scandale à la cathédrale et le jeune vicaire, le Rév. Dr. Henry Wilson, a fini par être chassé de la ville à cause de son association avec les salutistes chahuteurs. Cette histoire fascinante est racontée dans l’article de Norman Knowles « Irreverent and Profane Buffoonery: The Salvation Army and St. George’s », in St. George’s Cathedral: Two Hundred Years of Community, édité par Donald Swainson, Kingston: Quarry Press, 1991, 247-262. 10. The Songbook of The Salvation Army, Londres, The Salvation Army, 1987, #340. 11. The Beauty of Holiness: an Unchanging Doctrine, The Salvation Army in Canada & Bermuda, 1963, est une anthologie de sermons par des prédicateurs salutistes qui comprend des textes de William et Catherine Booth. Voir aussi, de Catherine Booth, Papers on Practical Religion, London: The Salvation Army, 1891, et Popular Christianity, Londres, The Salvation Army, 1887. 12. Samuel Logan Brengle était un écrivain salutiste prolifique. Deux de ses ouvrages les plus Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 populaires sur la sainteté sont Heart talks on Holiness et Helps to Holiness, tous deux imprimés par Salvationist Publishing and Supplies, première édition en 1896, réimpression en 1965. 13. « A Mock Salvation v. Deliverance from Sin » in Popular Christianity, 43 14. The Salvation Army in the Body of Christ, London: Salvation Books, 2008, 13. 15. Albert Osborne a été le sixième Général de l’Armée du salut, de 1946 à 1954. Ce chant a été publié pour la première fois dans The War Cry, 3 mai 1947. Le Companion to the Song Book compilé par Gordon Avery, Londres, The Salvation Army, 1962, note dans l’article 462, page 150, qu’après avoir rencontré des officiers de l’Armée du salut en Allemagne, dans une salle ravagée par la guerre, il a compris que « nous ne pouvons espérer être une bénédiction pour d’autres âmes si notre vie ne participe pas à la consécration sacramentelle du Sauveur. » 16. The Song Book of The Salvation Army, # 512 17. « Nous pratiquons les sacrements, non en les limitant à deux ou trois, mais en invitant le Christ à des soupers, des célébrations d’amour, des célébrations de naissances, des fêtes, des dédicaces, auprès de lits de maladies, à des noces, des anniversaires, des nominations, des ordinations, des retraites – et une foule d’autres événements significatifs – et, là où il est vraiment reçu, le voir donner des grâces au-delà de notre compréhension », Salvation Story: Salvationist Handbook of Doctrine, Londres, The Salvation Army, 1998, 114. 18. William Booth, Salvation Soldiery, Londres, The Salvation Army, 1889, 1. 19. Les actes de ce symposium ont été publiés dans Word & Deed: A Journal of Salvation Army Theology and Ministry, Volumes 4/1, novembre 2001, 4/2, May 2002, et 5/1, novembre 2002). 20. Les actes de ce symposium ont été publiés dans Word & Deed: A Journal of Salvation Army Theology and Ministry, Volumes 9/1, novembre 2006, 9/2, mai 2007. On peut trouver le texte de la conférence du général Shaw Clifton au symposium, « People of God – Salvationist Ecclesiology », sur le site web du général http://www.salvationarmy.org/thegeneral. 21. Shaw, Clifton, New Love: Thinking Aloud about Practical Holiness, Auckland, NZ, Flag Publications, 2006, 9. Il y dit aussi que « la plus grande menace de toutes pour les salutistes est une négligence perceptible de l’enseignement sur la sainteté ». Ibid., 19. Pour en savoir davantage : The Salvation Army Handbook of Doctrine. London: Salvation Books, 2010. Green, Roger. The Life and Ministry of William Booth, Founder of The Salvation Army. Nashville: Abingdon, 2005. Gariepy, Henry. Christianity in Action: The International History of The Salvation Army. Grand Rapids: Eerdmans, 2009. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 41 Les mennonites, la doctrine et les credos Conseil canadien des Églises Commission Foi et Témoignage Arnold Neufeldt-Fast représentant de l’Église mennonite du Canada Arnold Neufeldt-Fast est un ministre ordonné de l’Église mennonite au Canada. Il est doyen associé et professeur associé de théologie au Tyndale Seminary, Toronto. Selon une perspective mennoniteanabaptiste, la doctrine chrétienne est ce que doit enseigner une Église, aujourd’hui, pour être une Église authentique dans son contexte, c’est-à-dire les convictions partagées par tous sans lesquelles la mission et l’existence de l’Église seraient sérieusement compromises. Les mennonites reconnaissent que l’Église enseigne de diverses manières, par les enseignements qu’elle donne, les hymnes qu’elle chante et le témoignage visible, vulnérable et transparent de la vie de ses membres. La doctrine, dans ce sens large, la vérité enseignée et incarnée, le développement de convictions communes et la formation à la suivance du Christ, constitue l’existence communautaire de l’Église. Exprimée en d’autres termes, les convictions engagent l’être en profondeur et se montrent non seulement dans notre profession de foi, mais dans nos attitudes et actions mêmes (McClendon 1994, 21ff.). Plusieurs supposent et, même des mennonites ! que les mennonites n’ont pas de credo ni même de confession de foi. D’une part, les mennonites n’ont pas de credo ou de confession de foi dans le sens d’une adhésion à une seule confession qui fasse autorité et qui possède un certain degré d’autorité ecclésiastique. D’autre part, les mennonites ont une confession en ce sens qu’ils ont formulé et adopté plusieurs déclarations de foi englobantes, contextuellement enracinées, peut-être davantage que les trois plus importantes traditions de la Réforme (Dyck Page 42 1985, 17) qui ont, à leur tour, joué un rôle important à des époques critiques de la vie de l’Église. Cette tension s’explique peut-être davantage par la conviction non écrite que l’éthique et le mode de vie sont les fruits les plus importants de l’existence chrétienne. La pratique chrétienne, surtout quand elle est marquée par les valeurs de communauté, de simplicité et de paix, sert de critère principal pour une compréhension mennonite de l’apostolicité : « cette insistance sur le comportement constitue probablement leur principale contribution au christianisme œcuménique », c’est-à-dire que la confession de foi, pour les mennonites, « signifie, pardessus tout, le témoignage d’une manière de vivre en général » (Finger 2002). Certains ont appelé cela une « perspective incarnée », c’est-à-dire que « les doctrines de l’Église n’ont davantage de sens pour les mennonites que lorsqu’elles sont réellement incarnées, ou vécues, au quotidien » (Roth 2005, 13). Une Église sans credo, christocentrique et trinitaire mais Les credos sont généralement compris comme des déclarations de foi chrétienne universellement acceptées comme faisant autorité. Pour les grands réformateurs du XVIe siècle, les anciennes formules œcuméniques des credos représentaient le consensus de l’Église primitive et une interprétation autorisée de l’Écriture. Toutes les branches de l’anabaptisme ont aussi enseigné régulièrement en se fondant sur le symbole des Apôtres. Les autres credos Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 œcuméniques ont été largement soutenus par les confessions mennonites tardives. En général, lorsque les premiers anabaptistes étaient accusés d’hérésie par leurs contemporains, ce n’était pas parce qu’ils rejetaient des affirmations chrétiennes communes, mais à cause de leurs pratiques, comme le baptême des croyants, l’excommunication et le caractère exclusif et mémorial de la Cène du Seigneur (Snyder 1995, 84). Tout en respectant la formulation précise des convictions communes, les mennonites n’ont jamais donné aux credos, en tant que tels, une place centrale dans leur liturgie. Le symbole des Apôtres et le symbole de Nicée de 381 étaient inclus dans l’hymnaire nordaméricain de 1969, mais celui de 1992, Hymnal: A Worship Book, ne comprend que le symbole des Apôtres. Même le symbole des Apôtres est « pour une oreille mennonite […] étrangement muet sur la vie et les enseignements du Christ, la partie cruciale du récit évangélique entre ‘né de la Vierge Marie’ et ‘a souffert sous Ponce Pilate’ » (Roth 2005, 25). Au plan théologique, le refus mennonite d’affirmer que les credos sont obligatoires repose sur une assertion plus large concernant la primauté et l’autorité du canon des Écritures. Historiquement, l’expérience des persécutions par d’autres chrétiens, au XVIe siècle, a rendu les anabaptistes sensibles à la tentation de substituer des déclarations doctrinales à une foi vécue, incarnée, qui ne passe pas sous silence les « paroles dures » de l’Écriture (par exemple, le rejet de la violence). À tort ou à raison, cette méfiance demeure. « La vérité de ces assertions ne prennent de sens que lorsqu’elles sont réellement incarnées dans la vie du croyant ou dans le travail collectif de l’Église » (Roth 2005, 29), selon le résumé du point de vue mennonite par un historien mennonite. À cet égard, on peut à juste titre dire que « les mennonites n’ont pas de credo dans le sens de vénérer, ou même de réellement connaître, la tradition primitive » (Finger 2002). Cette méfiance a parfois pris un tour anti-intellectuel. Ce point de vue sur les credos n’a cependant pas amené les mennonites à douter de leur validité. L’introduction au récent document nord-américain, Confession of Faith in a Mennonite Perspective (1995), déclare que « les credos historiques de l’Église chrétienne primitive, qui ont été tenus comme fondateurs par les confessions mennonites depuis les origines, sont fondamentaux pour cette confession également » (Confession of Faith in a Mennonite Perspective, 1995, 7). Plus spécifiquement, lorsque les mennonites sont entrés dans des discussions trinitaires, leur approche a été résolument christocentrique : le point de départ de la formulation théologique mennonite est normalement le récit de l’histoire de Jésus Christ. Ainsi, les mennonites enseignent que le refus de la violence par Jésus et son acceptation de la croix afin de vaincre le mal par l’amour révèle qui est vraiment le Dieu trine, qui est Dieu dans les profondeurs de l’être de Dieu. La Confession de 1995 souligne les conséquences de cette approche christocentrique trinitaire et rejette l’hypothèse qu’on peut opposer une éthique des ordres créés dérivés du Père à l’éthique plus radicale du Fils (Confession of Faith in a Mennonite Perspective, 1995, 11). Cet énoncé fondé sur l’unité des personnes divines (perichoresis) ne cherche rien de moins que d’être radicalement nicéen et chalcédonien. Concernant la théologie mennonite dans les conversations œcuméniques, John H. Yoder insiste pour que les implications de ce que l’Église a toujours confessé sur Jésus comme Parole du Père, vrai Dieu et vrai homme, « soient plus que jamais prises au sérieux dans leurs rapports avec nos problèmes sociaux » (Yoder 1994, 102). La question n’est pas le pacifisme en tant que principe, mais Jésus Christ et l’orthodoxie classique, trinitaire et christologique des credos. Pour Yoder, les credos peuvent rejeter avec succès les déclarations sur Dieu qui sont incompatibles avec les récits bibliques centrés sur JésusChrist en tant que Dieu incarné. Dans ces récits, le témoignage de paix est entièrement lié à la protection, à la proclamation et à la présentation des affirmations de la christologie classique. Dans les conversations œcuméniques, les mennonites demandent à l’Église élargie d’examiner l’assertion que la Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 43 paix est au cœur de l’Évangile tel qu’inscrit dans les credos du christianisme orthodoxe. Les mennonites reconnaissent les Écritures comme source autorisée et norme de la prédication et de l’enseignement sur la foi et la vie et sur la dévotion envers Dieu. Ils reconnaissent que les 39 livres de l’Ancien Testament et les 27 livres du Nouveau Testament appartiennent à l’Écriture inspirée que nous acceptons comme la Parole de Dieu écrite. Tout en partageant avec les protestants l’importance accordée à l’autorité des Écritures pour la doctrine et le discernement de la vérité et de l’erreur, nous soulignons aussi ce qui suit : Les Écritures doivent faire autorité en ce qui concerne l’éthique, les relations de l’Église avec la société et les politiques de l’Église ; Les Écritures doivent être interprétées en harmonie avec Jésus-Christ, en ce sens que sa vie, ses enseignements, sa mort et sa Résurrection sont des éléments essentiels pour notre compréhension de la Bible dans son ensemble (cela donne une certaine priorité au Nouveau Testament sur l’Ancien) ; La congrégation de croyants est le lieu ou les compréhensions et interprétations individuelles des Écritures, la vérité et l’erreur doivent être mises à l’épreuve (la « communauté herméneutique ») Pour les mennonites, l’autorité de l’Église pour discerner « la vérité de l’erreur » revient finalement à la congrégation. Pour soutenir l’intégrité du témoignage de l’Église en paroles et en actes, les personnes reçues comme membres de l’Église doivent s’engager à « donner et recevoir des conseils au sein de la communauté de foi sur les questions importantes de doctrine et de conduite » (Confession of Faith in a Mennonite Perspective 1995, 55). Bien que les pasteurs et autres responsables de l’Église aient une responsabilité spéciale pour la direction et la discipline, cela est, selon la tradition mennonite, lié en premier lieu à la sollicitude mutuelle des membres les uns pour les autres. Les ministres ordonnés sont aussi responsables envers l’Église élargie à cause de leur rôle représentatif. Les mennonites trouvent dans le Nouveau Page 44 Testament plusieurs raisons de suspendre l’adhésion ou pour excommunier, par exemple nier que Jésus Christ s’est incarné (1 Jn 4, 1-6), persister dans une conduite scandaleuse sans se repentir (1 Co 5, 1-13) et causer des divisions dans l’Église en s’opposant aux enseignements des Apôtres (Rm 16,17sq). Une Église confessionnelle Les confessions comprennent généralement les croyances particulières et les points principaux qui sont l’apanage d’une dénomination donnée. À la suite de la Réforme, toutes les Églises chrétiennes ont subi des pressions considérables pour s’identifier et expliquer leurs différences. La définition de la doctrine et le souci pour l’exactitude doctrinale se sont avérés des caractéristiques particulières de l’orthodoxie protestante. Les nombreuses confessions formulées par les mennonites de Hollande et d’Allemagne du nord, au XVIIe siècle, ont suivi ce modèle. Elles étaient à la fois englobantes et systématiques, suivant généralement l’ordre des thèmes du symbole des Apôtres, et ont établi les jalons d’un espace dénominationnel distinct. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les mennonites d’Europe et d’Amérique du Nord ont été diversement influencés par les attitudes anticonfessionnelles du piétisme primitif (« pas de réforme de la doctrine sans réforme de la vie »), le rationalisme des Lumières et (plus tard) le libéralisme protestant du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, des mennonites qui avaient trouvé un nouveau foyer en Amérique du Nord ont cherché à tracer leur propre sentier entre les courants fondamentaliste et libéral qui dominaient le paysage protestant nord-américain. Leur nouvelle vision ne mettait pas l’accent sur la croyance doctrinale ou l’expérience subjective, mais était construite sur trois caractéristiques distinctives de l’anabaptisme du XVIe siècle : premièrement, « une nouvelle conception de l’essence du christianisme comme suivance du Christ ; deuxièmement, une nouvelle conception de l’Église comme fraternité ; et troisièmement, une nouvelle éthique d’amour et de non- Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 résistance » (Bender 1957, 37). Après la Seconde Guerre mondiale, les mennonites nord-américains en sont venus à s’identifier à une tradition chrétienne axée sur l’incarnation communautaire de la praxis juste (orthopraxis) plutôt que sur l’orthodoxie comprise comme une « simple » adhésion à la doctrine. Ce modèle communautaire de suivance était aussi compris comme l’alternative à un christianisme défini principalement en termes d’une expérience individuelle, intérieure. Dans la dernière partie du XXe siècle les mennonites manifestèrent un intérêt marqué pour les credos chrétiens traditionnels ainsi que pour leur propre tradition confessionnelle. Au début des années 1980, deux conférences mennonites nordaméricaines discutèrent de la question d’élaborer une déclaration confessionnelle commune. En 1986, les conseils généraux des deux conférences formèrent un « comité pour une confession de foi inter-mennonite », qui regroupait des aînés et des jeunes, des femmes et des hommes, des pasteurs et des laïcs, des minorités ethniques, des historiens et des théologiens, et un éventail de perspectives théologiques. L’objectif du comité était de développer un consensus autour des croyances et pratiques chrétiennes fondamentales selon une perspective spécifiquement mennonite. Des projets furent soumis aux congrégations ; chaque article comportait, outre un résumé, un commentaire accompagné d’informations dans le but de bâtir un consensus interne ainsi qu’entre les deux groupes au plan théologique mais aussi concernant la praxis. Une version finale fut recommandée aux conseils généraux et, lors des assemblées annuelles de 1995 de la conférence générale de l’Église mennonite et de l’Église mennonite, Confession of Faith in a Mennonite Perspective fut adoptée par les délégués des congrégations (avec 98% des voix) comme leur déclaration de foi pour enseigner et nourrir la foi dans la vie de l’Église. Le caractère distinctif anabaptiste et mennonite de cette confession n’est pas compris seulement comme particulièrement mennonite ou comme une autodéfinition, mais comme des demandes de l’Évangile qui méritent d’être recommandées à la plus large communauté de foi. Par exemple, l’article sur le baptême souligne, entre autres, que le sens du baptême devrait inclure une disposition à souffrir pour l’amour du Christ et un engagement à le suivre. À cet égard, Confession of Faith in a Mennonite Perspective a été écrit pour encourager la conversation et être éventuellement soumis à l’examen de l’Église œcuménique élargie. La confession sert ainsi de témoignage et de ressource de ce que les mennonites considèrent comme important pour une interprétation fidèle de l’Écriture pour la foi et la vie d’aujourd’hui. Bien que la confession ne soit pas obligatoire, elle traduit les croyances que les mennonites considèrent comme normatives, telles que le salut par Jésus Christ, le baptême des croyants et le rejet de la violence. Les candidats au ministère doivent identifier des secteurs « de forte affirmation, des secteurs incertains ou des secteurs de désaccord. » On s’attend à ce que les candidats à l’ordination comprennent et incarnent les valeurs et le témoignage de base anabaptistes tels que formulés dans Confession of Faith in a Mennonite Perspective. L’impact de la Confession sur les congrégations mennonites au Canada a été mitigé, dépendant largement du contexte et de la manière dont elle a été employée. Elle a servi d’instrument pour promouvoir l’engagement, l’identité et l’unité, pour mettre en valeur le culte, la mission, l’enseignement, le comportement éthique et la réflexion théologique. Mais, comme l’a écrit le secrétaire général de l’Église mennonite du Canada après avoir visité toutes les 230 congrégations, en 2006, elle a aussi éloigné certaines congrégations du discernement collectif, joyeux et patient de la Bible et de la présence et de la direction de l’Esprit de Dieu dans le corps du Christ. Dans certains cas, elle a servi à accroître la polarisation plutôt qu’à construire un terrain d’entente, ou comme un écran pour tester la fidélité à la Bible plutôt que comme un miroir qui montre que nous sommes tous bien loin de la gloire de Dieu (Suderman 2007, 65-75). Il y a aujourd’hui dans le monde environ 1,5 million de membres baptisés d’Églises de la mouvance mennoniste. La plupart d’entre Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 45 eux appartiennent à l’une ou l’autre des 97 Églises nationales dans 53 pays différents ; soixante pour cent environ sont Africains, Asiatiques ou Latino-Américains. En 1990, 104 des 126 conférences mennonites à travers le monde reliées à la Conférence mennonite mondiale ont rapporté qu’elles ont écrit une confession. À mesure que les occasions d’échanges et de fraternisation ont augmenté au cours des dernières décennies, les Églises nationales ont montré un plus grand intérêt à recevoir des conseils et à être responsables les unes envers les autres. Bien que les mennonites, à l’échelle mondiale, n’aient pas de déclaration confessionnelle commune, au cours des cinq dernières années, les Églises membres ont reçu, étudié et approuvé par consensus en 2006 un document de 325 mots intitulé « Shared Convictions of Global Anabaptists » (Mennonite World Conference 2007). Conclusion Bien que les mennonites n’aient pas de credo, les fondements théologiques de l’Église mennonite s’enracinent dans une plus longue tradition partagée par des millions d’autres chrétiens. La doctrine se trouve dans l’enseignement ; elle n’est pas arbitraire, mais une réponse à la propre autorité de Dieu en Jésus Christ. Les mennonites reconnaissent que la doctrine est importante pour le témoignage de l’Église en paroles et en actes, et nous demeurons engagés à poursuivre les conversations œcuméniques pour l’unité du corps du Christ. Ouvrages cités Bender, Harold. « The Anabaptist Vision. » In The Recovery of the Anabaptist Vision: A Sixtieth Anniversary Tribute to Harold S. Bender, ed. Guy F. Herschberger, 29-54. Scottdale, PA: Herald Press, 1957. Confession of Faith in a Mennonite Perspective, publié et édité avec le General Board of the Conference Mennonite Church Page 46 et le Mennonite Church General Board, Waterloo, ON, Herald Press, 1995. Dyck, C. J. « Forward » in One Lord, One Church, One Hope, and One God: Mennonite Confessions of Faith, ed. Howard John Loewen, 15-17. Elkhart, IN, Institute for Mennonite Studies, 1985. Finger, Thomas, « Confessions of Faith in the Anabaptist/Mennonite Tradition » Mennonite Quarterly Review, 2002. McClendon, James William, Jr. Doctrine: Systematic Theology, Vol. 2, Nashville, TN, Abingdon Press, 1994. Mennonite World Conference, General Council. « Statement of ‘Shared Convictions’ (2006) » in What We Believe Together. Exploring the « Shared Convictions » of Anabaptist-Related Churches, by Alfred Neufeld, 4-5. Intercourse, PA, Good Books, 2007. Roth, John D, Beliefs. Mennonite Faith and Practice, Waterloo, ON, Herald Press, 2005. Snyder, C. Arnold. Anabaptist History and Theology, Kitchener, Pandora, 1995. Suderman, Robert J. God’s People Now! Face to Face with Mennonite Church Canada, Waterloo, Herald Press, 2007. Yoder, John H. The Politics of Jesus, 2nd edition, Grand Rapids, MI, Eerdmans, 1994. Autres ressources Enns, Fernando, The Peace Church and the Ecumenical Community. Ecclesiology and the Ethics of Non-Violence, trad. H. Harder, Kitchener, ON, Pandora Press/World Council of Churches Publications. Finger, Thomas, A Contemporary Anabaptist Theology, Downers Grove, IL, InterVarsity, 2004. Koop, Karl, Anabaptist-Mennonite Confessions of Faith. The Development of a Tradition, Kitchener, ON, Pandora Press, 2003. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Réflexions sur une approche luthérienne de la doctrine, de la Tradition et de la Révélation Richard Crossman Le pasteur (Ph.D. Université de Chicago) Richard Crossman est un directeur retraité et professeur émérite du Waterloo Lutheran Seminary, Waterloo, Ontario, Canada. Il a publié de nombreux articles et donné de nombreuses présentations sur divers sujets théologiques au cours de trente-cinq années d’enseignement. Il siège présentement à la Commission Foi et Témoignage et au groupe de référence en biotechnologie du Conseil canadien des Églises ainsi qu’au groupe de travail de l’Église évangélique luthérienne au Canada qui est à préparer une déclaration sociale sur la sexualité. Le but de ce court article est de dire comment quelqu’un appartenant à la tradition luthérienne de l’Église évangélique luthérienne pourrait répondre aux questions suivantes : 1. Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine selon votre tradition ? 2. Qu’est-ce qu’on pourrait considérer comme des déclarations doctrinales ? 3. Qui peut émettre des déclarations doctrinales ? 4. Quel est le rapport entre la doctrine et la révélation ?? À mon sens, la tradition luthérienne de l’ELCIC répondrait en commençant par l’affirmation de la Trinité comme « Père, Fils et Esprit Saint » et la dynamique de leur relation. Pour moi, c’est le rapport dynamique entre les trois personnes de la Trinité qui informe la doctrine et la vie luthériennes. C’est-à-dire que le Père est à l’œuvre dans la vie du Fils et de l’Esprit Saint, le Fils est à l’œuvre dans la vie du Père et de l’Esprit Saint et l’Esprit Saint est à l’œuvre dans la vie du Père et du Fils. Tout cela est une dynamique égale et continue qui est à l’œuvre dans l’histoire jusqu’à la fin des temps, où Dieu sera tout en tous. vous le savez, on a écrit beaucoup plus sur les luthériens que ce que je pourrais dire. Plus spécifiquement : Sous la dynamique du Père, la « continuité », selon la tradition luthérienne, je mettrais: 1. La justification par la grâce au moyen de la foi. Une manière plus concrète de voir cette dynamique à l’intérieur de la tradition luthérienne est de voir dans la Trinité la « continuité » (intégration/identité), le « changement » (changement/croissance) et la « vision » (transcendance/transformation). Je dois nécessairement être bref, mais, comme Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Les luthériens croient que le pardon et le salut ne nous viennent que par la grâce de Dieu, indépendamment de toute « bonne » œuvre de notre part. C’est cette croyance qui sous-tend l’activité du baptême, tant pour les enfants que pour les adultes. La relation fondamentale de Dieu au monde est à travers l’amour manifesté par l’incarnation et l’œuvre de Jésus Christ, l’activité permanente de l’Esprit Saint et le soutien de la Création. Une bonne relation avec Dieu peut et devrait conduire à de bonnes œuvres, mais le comportement de chacun ne fournit aucun fondement pour le salut final. Selon les mots de Luther, nous sommes tous « simul justus et peccator ». Dans notre vie, nous sommes toujours captifs du péché et toujours l’objet de l’œuvre salvatrice de Dieu en Christ. Pour les luthériens, le baptême a pour complément la confirmation qui est, normalement, un temps d’étude et d’affirmation vers l’âge de douze ans. 2. Les Écritures bibliques. Page 47 Les Écritures bibliques sont le fondement de la tradition luthérienne. L’ELCIC entend la Bible comme un document qui doit être compris comme un tout (l’Ancien et le Nouveau Testament) à la lumière de son contexte historique, tout en témoignant fidèlement de la Parole de Dieu. Pour les luthériens, les Écritures bibliques sont elles-mêmes l’œuvre de la Trinité, sujettes à toutes les dynamiques notées ici. 3. Le Livre de concorde (de la Réforme), les symboles des Apôtres, de Nicée et d’Athanase ainsi que l’histoire de l’Église (y compris les écrits de Luther et d’autres), et les catéchismes de Luther ainsi que la Confession d’Augsbourg. Les luthériens, tout en affirmant que le Livre de concorde, les symboles et les actions de l’Église dans l’histoire donnent un témoignage fidèle de l’œuvre et de la parole de Dieu bien comprises, reconnaissent aussi qu’il peut y avoir une variété d’interprétations de ces documents et de ces actions. Par conséquent, ils cherchent, à la lumière des Écritures et de la grâce divine, à découvrir de manière dialectique une compréhension de ces matériaux qui clarifie la variété de positions sur les valeurs et d’interprétations de ceux qui en font diverses évaluations. Tout jugement qui en résulte, si nécessaire, procédera donc de cette dialectique à l’intérieur de la communauté luthérienne comme d’actions de l’ensemble. Cela est conforme à la pratique, à l’époque de l’élaboration du Livre de concorde, ainsi qu’à la pratique qui a été suivie lors de la récente entente avec l’Église anglicane et celle avec l’Église catholique sur la question de la justification. 4. La Loi et l’Évangile. In the Lutheran tradition, the Law, as seen in the Ten Commandments and other moral injunctions in the Old and Dans la tradition luthérienne, la Loi Page 48 telle que vue dans les Dix Commandements et autres prescriptions morales dans l’Ancien et le Nouveau Testament, accomplit trois choses : 1. La Loi révèle le péché dans notre vie et notre besoin de l’Évangile de grâce. 2. La Loi nous aide à identifier les frontières qui seraient utiles pour résister aux injustices et autres activités mauvaises à l’œuvre pour miner l’Évangile de grâce de Dieu. 3. La Loi agit comme un guide pour une vie de disciple sous la grâce divine. Pour les luthériens, tout cela est affirmé par la reconnaissance que l’Évangile est toujours uni à la Loi, que nous avons tous besoin de la grâce de Dieu dans notre vie quotidienne à cause du péché (la rupture permanente de notre relation à Dieu) et que nous devons tenir à la réalité de la Loi et de l’Évangile ensemble dans notre vie. Cette réalité est un fait constant de notre vie comme luthériens. 5. La théologie de la croix. Dans la tradition luthérienne, on reconnaît que le bien que Dieu travaille à établir est souvent caché dans ce qui semble être une perception opposée par la plupart des autres personnes. Le premier exemple est la crucifixion de Jésus-Christ et sa Résurrection. Bref, la théologie de la Croix reconnaît la souffrance de tous et affirme que Dieu s’identifie à elle. Mais elle reconnaît aussi que Dieu, en réponse à cette souffrance, est à l’œuvre à travers la réalité ambigüe des personnes pour recréer la vie dans l’avenir (par des moyens peut-être cachés), pour le renouveau de toute la création (dont elles font partie maintenant et dans le futur). La théologie de la Croix reconnaît l’ambiguïté fondamentale de la vie historique et la volonté de Dieu de se placer en son centre et de la transformer. En d’autres termes, le problème n’est pas que souvent les gens ne reconnaissent pas, ou n’ont pas la Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 volonté de faire, ce qu’ils doivent faire pour leur prochain en tant de chrétiens, mais qu’ils ont souvent plus d’un prochain à servir, dont les besoins sont simultanément incompatibles à un certain moment ou dans un certain lieu dans l’histoire. 6. les humains, pouvons être une partie plus responsable de la création, avec ses défis et les occasions qu’elle nous offre en tant que créatures de Dieu. Les luthériens croient que, en tant que chrétiens, nous devons être conscients des conceptions changeantes qui émergent à travers la science, afin d’être mieux informés sur la meilleure manière de comprendre le sens de ce qui peut le mieux enraciner la théologie luthérienne dans le monde et, par conséquent, agir mieux. L’appel à la mission envers le prochain. Les luthériens de l’ELCIC croient au sacerdoce de tous les croyants, ce qui signifie qu’ils sont appelés à exercer leur foi de manière active dans l’amour. C’est un appel à la mission avec et pour les autres. Selon les termes d’une assemblée nationale de l’ELCIC, « Nous croyons, enseignons et confessons que l’Esprit Saint appelle et rassemble pour la mission de Dieu l’Église tout entière qui prend au sérieux la réalité du monde aussi bien que la réalité du Christ, avec la même sollicitude. » Cela exige évidemment de prêter attention au contexte, de se demander si les gens ou l’environnement sont blessés et de demander où agit la grâce divine pour s’occuper de cette détresse à laquelle les chrétiens peuvent prendre part. Il est clair que c’est une tâche qui n’est jamais achevée, mais qui, selon les luthériens, est toujours devant nous en tant que chrétiens. Sous la dynamique « changement », selon luthérienne, j’identifierais: du la 3. La culture. Les luthériens sont conscients que leur tradition existe dans plusieurs parties du monde et dans différentes cultures. Comme les personnes dans chacune de ces cultures développent leur propre manière de recevoir la tradition luthérienne à la lumière de leur culture, la tradition luthérienne et le témoignage chrétien dans son ensemble en sont enrichis. À travers le dialogue et les relations avec des personnes de différentes cultures, tous peuvent obtenir une connaissance plus complète de Dieu et de l’activité de Dieu dans le monde. 4. Le péché. Dans la tradition luthérienne, le péché est le résultat de la tendance constante de toutes les personnes de remplacer la volonté de Dieu par leur propre volonté et, par conséquent, de vivre une relation rompue avec Dieu. C’est d’une telle relation rompue que naissent l’injustice, la cupidité, la luxure, l’envie, l’idolâtrie et la marginalisation. C’est aussi dans ce contexte que se présente la grâce divine. Selon les termes du pasteur Paul Gehrs, « la théologie luthérienne nous rappelle sans cesse à une relation (non rompue) avec Dieu. C’est la première relation restaurée par la grâce. C’est la relation rompue par chaque péché. Ce sont la terre ferme et les vents frais qui nous aident à construire une vraie relation avec les autres [et la création] dans notre vie. » 5. Le pouvoir. Fils, le tradition 1. La raison. Faisant partie de la création des êtres humains, nous avons reçu de Dieu de grands pouvoirs de raison intellectuelle (que nous n’avons pas toujours utilisés avec sagesse, je le reconnais). Néanmoins, à la lumière de ce don, les luthériens croient que nous sommes appelés par Dieu à utiliser ce don au bénéfice de toutes les personnes, communautés et cultures, ainsi que de la création. 2. La science. La science a fourni des explications significatives sur la manière dont nous, Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 49 Dans la création, toutes les parties ont reçu de Dieu le pouvoir et le lieu « d’être » comme un tout interdépendant se soutenant mutuellement. En soulignant ce pouvoir, nous soutenons le désir de Dieu que toutes les parties de la création (y compris les personnes) deviennent davantage ce à quoi Dieu les appelle. La tradition luthérienne affirme cela et reconnaît aussi que toute attaque contre ce pouvoir en quelque partie de la création que ce soit (par ex., la discrimination concernant la classe sociale, le sexe, la communauté, la race, l’âge, la pollution, etc.) constitue un abus de pouvoir auquel on doit résister. Les luthériens croient plutôt qu’en tant que chrétiens, nous sommes appelés à aider à la croissance et à l’accomplissement de toutes les parties de la création, humaine et non humaine, en tant que tout dynamique mutuellement intégré. 6. Le dialogue avec d’autres croyants (dialogues chrétiens et interreligieux qui réfléchissent sur leur expérience et leur foi) Les luthériens reconnaissent que Dieu est à l’œuvre à travers toute la création (ainsi que parmi toutes les dénominations et fidèles d’autres religions). Ils reconnaissent aussi que toute formulation ou interprétation doctrinale de Dieu (qui est infini) et des actions de Dieu est toujours limitée, parce qu’elle se fait à une époque et dans un lieu donnés et qu’elle est élaborée ou rapportée par des personnes qui ne sont pas infinies. Par conséquent, une plus complète compréhension théologique ne peut survenir que si des personnes de différentes traditions dialoguent ensemble selon leurs diverses conceptions et perspectives (à travers des organisations comme le Conseil canadien des Églises et le Conseil œcuménique des Églises). Le but, ici, n’est pas de trouver quelque dénominateur commun minimaliste, mais plutôt un tableau plus riche pour voir la relation de Dieu avec tous les humains et la création et l’action Page 50 constante de Dieu dans le monde. Même à l’intérieur de l’Église luthérienne ELCIC, les décisions sur des questions théologiques sont finalement présentées par des représentants des Églises locales ou des synodes en dialogue et résolues dans une assemblée (synodale, nationale ou par la Fédération luthérienne mondiale). Sous la dynamique de l’Esprit Saint, « une vision transformante », j’identifierais, pour la tradition luthérienne : 1. L’accomplissement eschatologique. À la suite de la célébration du dimanche de tous les saints (un rappel qui est cher aussi aux luthériens tout au long de l’année liturgique), les luthériens affirment que Dieu a rassemblé le peuple de Dieu (passé, présent et futur) dans une même communion dans le corps mystique de Jésus-Christ. C’est dans cette optique qu’ils demandent à Dieu de leur accorder la grâce de suivre les bienheureux saints de Dieu dans leurs vies et leurs engagements, et de connaître cette joie inexprimable que Dieu a préparée pour ceux qui aiment Dieu maintenant et dans le futur. 2. L’espérance. Les luthériens disent dans la prière du Seigneur : « Que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. » Tout en reconnaissant la réalité envahissante du péché dans le monde, ils célèbrent aussi la puissance de la grâce divine dans le salut et l’action de Dieu dans le monde, transformant l’activité humaine selon le dessein de Dieu. Ils croient que la puissance de Dieu repose finalement non dans la prévention du mal que les gens peuvent faire, mais dans sa transformation selon les desseins de Dieu. C’est ainsi que les luthériens vivent dans l’espérance, en résistant au péché autant qu’ils le peuvent et en espérant ce que Dieu va encore accomplir et à quoi ils pourraient participer. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 3. 4. 5. La justice en tant qu’avenir voulu par Dieu. Les luthériens savent que lorsque des humains forment des communautés, il faut qu’il y ait des structures ou procédures pour que le bien de l’ensemble soit réalisé et protégé. À cause du péché et parce que l’attention aux besoins de certains peut exclure l’attention aux besoins d’autres personnes (ce qui va contre la justice ou crée de l’injustice), les luthériens croient qu’il ne peut y avoir de structure ou procédure parfaite (au mieux, la justice ne peut être qu’approximative), sauf la justice finale dans le Royaume de Dieu. Néanmoins, les luthériens espèrent la venue du Royaume de Dieu en vue duquel Dieu est à l’œuvre même maintenant, à travers l’histoire. Par conséquent, ils cherchent à participer à cette action de Dieu, en la discernant à travers l’action de l’Esprit Saint en tout temps et en tout lieu. La prière. Les luthériens affirment l’importance de la prière régulière et de la dévotion dans leur vie quotidienne. Ils croient que par la prière, ils sont mis en communion avec Dieu et qu’ils peuvent, par conséquent, avec l’aide de l’Esprit Saint, mieux discerner ce que Dieu fait dans leur vie et comment avoir une relation plus intime avec Dieu. Cependant, ils reconnaissent aussi que, dans leurs prières, c’est la volonté de Dieu qui doit nécessairement être faite et non la leur. Néanmoins, les luthériens trouvent dans la prière une action de Dieu qui les soutient pour devenir un avec le futur que Dieu désire pour toutes les personnes et la création. L’amour. En accord avec les écrits de saint Paul, les luthériens affirment les trois signes distinctifs du chrétien, soit la foi, l’espérance et l’amour. Ils sont aussi d’accord avec saint Paul en déclarant que le plus grand des trois est l’amour. C’est l’amour qui est le vrai fondement de notre manière de communiquer avec autrui, comme il est le fondement de la relation de Dieu au monde à travers Jésus-Christ. Par conséquent, les luthériens cherchent à incarner dans leur vie une foi agissante par amour et recherchent des moyens de le réaliser maintenant et dans l’avenir. 6. Le renouveau spirituel pour la mission. Les luthériens se perçoivent comme étant en mission pour et avec les autres. Ils croient aussi que cette mission n’est pas possible dans des occasions de renouveau spirituel régulier, étant donné les défis que posent l’histoire et le péché. Comme il a été dit plus haut, ce renouveau peut venir à travers la prière comme partie des dévotions communautaires et personnelles. Cependant, les luthériens croient que ce renouveau doit aussi venir de la communion régulière au sacrement de l’Eucharistie. Les luthériens croient que dans l’Eucharistie, ils ne trouvent pas seulement un mémorial, mais la « présence réelle » du Christ toujours disponible et que, dans cette rencontre, ils sont renouvelés dans leur mission de disciples de Dieu. Courte bibliographie : Carl E. Braaten, Principles of Lutheran Theology, Fortress Press, 1983. Theodore G. Tappert, trad. et éd., The Book of Concord, Fortress Press, 1959. Martin Luther, traduit et révisé par Dr Carl Balslev, Petit catéchisme, Lutheran Publishing House, 1947. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 51 La doctrine dans l’Église presbytérienne au Canada Tim Purvis Tim Purvis est un ministre ordonné de l’Église presbytérienne au Canada (PCC), présentement affecté à la Westview Presbyterian Church de Toronto. Il est le représentant de la PCC auprès de la Commission foi et témoignage depuis 2006. Il représente aussi la Commission en tant que membre du National Advisory Group for Emergency Planning (NAGEP). L’histoire de l’Église presbytérienne au Canada (PCC) remonte au XVIe siècle, au moment de la Réforme dont John Knox, fortement influencé par Jean Calvin, a été une figure clé. La théologie réformée (calviniste) et un système presbytéral (collégial, nonépiscopal, non-congrégationnel) de gouvernement ecclésial sont les caractéristiques du presbytérianisme. Les presbytériens se décrivent eux-mêmes comme une « Église confessionnelle » où les confessions de foi publiques et les déclarations de foi jouent un rôle significatif. Mais alors, qu’est-ce que la « théologie réformée » ? Une tentative trop simple de répondre à cette question serait d’énoncer ce qui passe souvent pour en être les doctrines fondamentales, les cinq points du calvinisme communément appelés en anglais TULIP : La corruption totale : l’image de Dieu dans l’humanité a été tellement défigurée par le péché que l’humanité est incapable de bien et ne peut être rachetée que par la grâce divine et l’œuvre du Christ. L’élection inconditionnelle : Dieu, par souverain décret, choisit ceux qui seront sauvés et ceux qui seront damnés, ce qu’on appelle aussi la prédestination. Le rachat limité : le sacrifice expiatoire du Christ ne rachète que les péchés des élus La grâce irrésistible : La grâce de Dieu aura toujours l’effet voulu sur les élus qui sont prédestinés au salut en les amenant à la foi salvatrice. La persévérance des saints : ceux qui sont réellement sauvés, les élus, ne peuvent être perdus ; on l’appelle aussi l’assurance du salut) Page 52 Malheureusement TULIP réduit la théologie réformée à une poignée de doctrines statiques tout en laissant de côté d’autres aspects clés de la tradition réformée. Brian Gerrish, dans son article Tradition in the Modern World: The Reformed Habit of Mind, avance que plutôt que d’essayer de donner une liste de contrôle de cinq doctrines réformées centrales, nous devons considérer ce qu’il appelle les cinq habitudes de l’esprit réformé: (1) La déférence à l’égard du passé dans l’Écriture et la tradition (2) Une approche critique de l’Écriture et de la tradition (3) L’ouverture à la sagesse, à l’intuition et à la vérité où qu’elles se trouvent (4) Le sens pratique : savoir ce qu’il est nécessaire de savoir pour la transformation personnelle et sociale tout en évitant la spéculation (5) Semper reformanda : se réformer sans cesse par la Parole de Dieu. (1) Qu’est-ce que le dogme ou la doctrine dans votre tradition ? La « doctrine » et le « dogme » se réfèrent aux enseignements autorisés de la foi tenus pour vrais et normatifs. Les presbytériens emploient plus souvent le mot « doctrine » que « dogme », bien que ce dernier soit employé à titre d’exemple, Karl Barth, certainement le plus important théologien réformé du XXe siècle, a intitulé son œuvre théologique principale die kirchliche Dogmatik. Un « credo » est un bref formulaire de ce que nous affirmons avec toute l’Église, alors qu’une « confession » est une déclaration plus longue qui tend à naître Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 d’un contexte historique spécifique (par exemple, les débats théologiques de la Réforme du XVIe siècle) et à souligner les caractéristiques dénominationnelles. (2) Qu’est-ce qui est considéré comme déclarations doctrinales ? Le préambule aux questions posées aux candidats à l’ordination dans le Book of Forms de la PCC énumère les déclarations doctrinales officiellement reconnues : L’Église presbytérienne au Canada n’est liée qu’à Jésus-Christ, Roi et Tête de l’Église. Les Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, en tant que Parole écrite de Dieu témoignant du Christ Parole vivante, sont les canons de toute la doctrine par laquelle le Christ régit notre foi et notre vie. Nous reconnaissons notre continuité historique avec la sainte Église catholique et notre héritage doctrinal dans les credos œcuméniques et les confessions de la Réforme. Nos normes subordonnées sont la Confession de foi de Westminster telle qu’adoptée en 1875 et en 1889, la Declaration of Faith concerning Church and Nation de 1954, Living Faith (Foi Vivante) adoptée en 1998, et toute doctrine que l’Église, obéissant à l’Écriture et sous la guidance promise de l’Esprit Saint, pourrait encore confesser selon la fonction permanente de l’Église de reformuler la foi (Book of Forms 447). Les « credos œcuméniques » dont il est question ici sont les symboles des Apôtres et de Nicée. La Confession de foi de Westminster comprend aussi le Grand catéchisme et le Petit catéchisme. Des générations de presbytériens se rappellent aisément la première question du Petit catéchisme qu’ils ont apprise dans leur cours préparatoire à la confirmation : « Q. Quelle est la fin première de l’homme ? R. La fin première de l’homme est de glorifier Dieu et d’être heureux avec lui pendant l’éternité. » (Les théologiens de Westminster au XVIIe siècle ne se préoccupaient évidemment pas de langage inclusif.) (3) Qui peut faire des déclarations doctrinales ? L’Assemblée générale (AG) est la plus haute autorité décisionnelle dans le système de gouvernance ecclésiale de la PCC, et possède seule l’autorité de faire des déclarations doctrinales officielles. L’AG a un comité de la doctrine de l’Église auquel elle soumet les problèmes et questions qui peuvent survenir sur des questions doctrinales. Le comité de la doctrine de l’Église, après étude, délibérations et consultations avec l’Église, soumet ses recommandations à l’AG, mais c’est l’AG dans son ensemble qui prend la décision finale. (4) Quelle est la relation entre la doctrine et la révélation ? La tradition réformée soutient que la doctrine provient de la révélation. Le préambule à l’ordination présente la hiérarchie de la révélation : (1) Jésus Christ = la Parole vivante de Dieu, l’ultime révélation de Dieu ; (2) Les Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament = la Parole écrite de Dieu, qui porte témoignage au Christ, Parole Vivante ; et (3) Les normes subordonnées = la Confession de Westminster ; la Declaration Concerning Church and Nation, et Living Faith (Foi Vivante), toutes dérivées de (1) et (2) et reconnues comme autorisées par l’Assemblée Générale. Le préambule déclare aussi que la doctrine peut se développer et changer quand l’Esprit Saint apporte à la compréhension collective de l’Église des aspects de la révélation du Christ dont elle n’était pas consciente auparavant. Un exemple serait la conscience croissante de ce que signifie le baptême (« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » Ga 3,27-28) qui a Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 53 éventuellement conduit à la décision de l’AG en 1966 d’admettre les femmes au ministère ordonné et à la fonction d’ancien. Cette décision, incidemment, a généré une discussion sur la « liberté de conscience » et la « liberté d’action » au début des années 1980, alors que les ministres ordonnés masculins qui n’étaient pas d’accord avec la décision de l’AG se sont manifestement abstenus de participer aux services presbytériens d’ordination de femmes. L’AG a affirmé que ceux qui n’étaient pas d’accord avec la décision d’ordonner des femmes avaient la « liberté de conscience » de croire que l’AG avait erré, mais n’avaient pas la « liberté d’action » de refuser de participer à des services où des femmes étaient ordonnées. L’AG a stipulé qu’il y aurait un « délai de grâce » au cours duquel ceux qui ne pouvaient appuyer l’ordination des femmes devaient examiner leur conscience et décider si oui ou non ils pouvaient demeurer dans la PCC. À l’expiration du « délai de grâce », le refus de participer à des services d’ordination de femmes devenait sujet à la discipline de l’Église. conduit à la subordination de la Bible, avec ses éléments historiquement et culturellement conditionnés, à l’éternelle Parole Vivante manifestée dans la personne de Jésus Christ. Ce passage est évident dans Living Faith qui commence par quatre chapitres sur Dieu avant de parler de la Bible et dans cette affirmation remarquable : La Bible doit se comprendre à la lumière de la révélation de l’œuvre de Dieu dans le Christ. L’écriture de la Bible a été influencée par le langage, la pensée et le cadre de son époque. La Bible doit être lue dans son contexte historique. Nous interprétons l’Écriture en comparant les passages, en considérant les deux Testaments à la lumière l’un de l’autre et en écoutant les commentateurs d’hier et aujourd’hui. Confiants dans le Saint-Esprit, nous cherchons à savoir comment la parole de Dieu s’applique à notre époque. Un passage intéressant est survenu entre la Confession de Westminster du XVIIe siècle et le document de la fin du XXe siècle, Living Faith (Foi vivante) en ce qui a trait au point de départ fonctionnel de la révélation. La compréhension de la révélation, selon la tradition réformée, établit une distinction entre le Christ, Parole Vivante de Dieu connue par la Parole écrite de Dieu dans les Écritures et subordonne la seconde à la première. Cependant, les théologiens de Westminster ne se sont pas beaucoup préoccupés de cette subordination et se sont centrés sur les Écritures comme dépôt autorisé de la révélation et point de départ de la doctrine. Il n’est pas étonnant que la Confession de Westminster commence par le chapitre 1 sur « L’Écriture sainte », avant de passer au chapitre 2 sur « Dieu, la Sainte Trinité ». L’arrivée de la critique biblique a mis fortement en relief la distinction entre la Parole Vivante et la Parole écrite. Elle a Book of Forms, The Presbyterian Church in Canada, Toronto, 2009. Accessible sur http://www.presbyterian.ca/files/webfm/ourresour ces/officialdocs/2009BoF.pdf Gerrish, Brian, « Tradition in the Modern World: The Reformed Habit of Mind », non date, accessible sur http://reformedtheology.org/ SiteFiles/GerrishArticle.html; Internet, dernière consultation : 20 avril 2010. Living Faith: A Statement of Christian Belief, Kelowna, Colombie-Britannique, Wood Lake Books, 1984. Accessible sur http://www.presby terian.ca/files/webfm/ourfaith/officialdocuments/li vingfaith/livingfaith.pdf Westminster Confession of Faith. Accessible sur : http://www.presbyterian.ca/files/webfm/ourresour ces/officialdocs/Westminster_Confession.pdf En français : http://www.erq.qc.ca/francais/ westminster_fr.html Westminster Shorter Catechism. Accessible sur : http://www.presbyterian.ca/files/webfm/ourfaith/o fficialdocuments/catechism/WestminsterShorterC atechism.pdf Page 54 (Foi Vivante 5.4) Brève bibliographie: Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Le dogme et la doctrine des Églises chrétiennes réformées d’Amérique du Nord Dr. M. Elaine Botha M. Elaine Botha est professeur à la retraite de la North West University à Potchefstroom, Afrique du Sud, et du Redeemer University College, Ancaster, Ontario, Canada. Elle a enseigné la philosophie dans ces deux institutions et dans plusieurs universités et collèges internationaux. Elle a été vice-présidente, directrice de la recherche et du développement du personnel enseignant et directrice du Dooyeweerd Centre au Redeemer University College. En Afrique du Sud, elle a été activement engagée dans la lutte contre l’apartheid et a enseigné la philosophie à Potchefstroom pendant 25 ans. Elle a publié des ouvrages sur la philosophie de la science et la métaphore. I L’accent théologique réformé L’accent théologique réformé est plus grand que ses seules manifestations dans la famille des Églises chrétiennes réformées (CRC). Les Églises réformées se situent dans la tradition du protestantisme, et plus spécifiquement du calvinisme, qui a pour principe fondamental la doctrine de la souveraineté de Dieu et l’autorité des Écritures et « … le besoin d’une sainteté disciplinée dans une vie personnelle chrétienne et, finalement, sur le christianisme comme religion du Royaume » (De Moor, [2001] ; citation de CRC-Publications. A Sure Thing, 2001, 281. Cf. aussi Meeter, Henry H.1990: 16). Les chrétiens réformés confessent leur foi avec l’Église universelle dans les mots du symbole des Apôtres. La Réforme du XVIe siècle a redécouvert le message central de la Bible qu’on est sauvé par la grâce seule au moyen de la foi, selon la formule simple : Sola Scriptura, Sola fides, Sola gratia. De la Réforme sont venues quatre branches principales : Les anabaptistes, Les réformés, Les luthériens et les anglicans. La formulation théologique de la vision du monde des Églises chrétiennes réformées ne présente pas une image uniforme, mais des accentuations qui se recouvrent en partie. Dans la déclaration d’identité du CRC « What it means to be Reformed » (2006), on distingue trois approches à l’identité réformée qui se chevauchent : doctrinaliste, piétiste et transformationaliste. L’approche piétiste met l’accent sur la vie chrétienne et la relation personnelle à Dieu, et est partagée par des groupes importants à l’intérieur de la tradition réformée. La question, pour les piétistes, est : comment faisons-nous l’expérience de Dieu dans notre vie de tous les jours. L’approche doctrinaliste met l’accent sur l’adhésion aux doctrines, telles qu’enseignées dans les Écritures et reflétées dans les Confessions dans lesquelles les Églises croient. Elle se caractérise par un certain nombre de thèmes centraux : La vision réformée des Écritures La Bible est l’autorité inspirée et justifiée de la parole de Dieu sur la vie des croyants, appelés à être ses subordonnés et à obéir à Sa Parole. Sola Scriptura signifie que les Réformateurs prenaient leurs distances par rapport à l’Église catholique qui affirmait que l’Écriture, la Tradition et les enseignements de l’Église ont une égale autorité. Les chrétiens réformés affirment que Dieu se révèle aux humains par Ses Écritures qui sont un message saisissant du plan de salut de Dieu pour l’humanité. Le cœur de la Bible est la révélation rédemptrice (2 Tim 3,16-17 et 2 Pierre 1,20-21). Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 55 La création, la chute et la rédemption et la nouvelle création Cette confession est le moyen par lequel les chrétiens réformés essaient de comprendre le message biblique et son histoire. Elle propose aussi une lecture et une interprétation « historico-rédemptrices » de l’Écriture, associées à Augustin, à Calvin et aux théologiens réformés hollandais des XIXe et XXe siècles. Elle met l’accent sur le récit biblique progressif, ou drame, de la rédemption sur quatre étapes majeures : la création, la chute, la rédemption et la nouvelle création (Col. 1,15 -20). La seigneurie de Jésus Christ Cette confession suppose qu’il n’y a pas un centimètre carré du monde de Dieu où les chrétiens ne soient pas appelés à proclamer la seigneurie du Christ sur la création. Elle représente une rupture radicale avec les dichotomies « sacré/séculier » et « nature/grâce » qui se retrouvent dans plusieurs traditions. Tout ce qui est de la vie humaine et de sa réalité est entièrement « religieux », soit au service du Dieu Trine ou de quelque idole. Aucune dimension de la vie n’est plus sacrée qu’une autre. L’Église L’Église réformée met fortement l’accent sur la nécessité pour le croyant qui appartient au Corps du Christ, ou à la communauté de l’Église, de participer à l’Église locale appelée à proclamer l’Évangile aux nations (1 Pi 2,9). L’Église est une Église mondiale dans toute son histoire et sa diversité et s’exprime localement dans l’Église institutionnelle et les congrégations. La justice et la réconciliation ne sont pas seulement des choses qu’une Église peut faire, ce sont des choses qu’une Église doit faire, car elle est aussi appelée à un constant renouveau par une réforme continue. L’Église institutionnelle est aussi appelée à s’attaquer à une foule de problèmes d’ordre social et culturel, comme l’avortement, l’euthanasie, les questions raciales, la pauvreté, l’éducation, la politique, le mariage, la sexualité, la justice, la peine de mort, la paix et la guerre, etc. D’autre part, l’Église en tant que Corps du Christ est appelée à s’engager dans tous les aspects de la Page 56 société au moyen de divers cadres institutionnels tels que les écoles chrétiennes, les affaires, l’État, les organisations bénévoles, les syndicats, etc. La grâce La foi réformée met l’accent sur la condition radicalement pécheresse de l’humanité et sur le besoin de la grâce salvifique de Dieu. La grâce de Dieu est la faveur de Dieu envers ceux qui ne la méritent pas. Dans cette grâce, les œuvres du croyant ne jouent aucun rôle méritoire, elles ne sont que des expressions de gratitude pour le don de la grâce divine (Ep 2,8 -10). La grâce de Dieu en Jésus Christ est la racine de toute la vie humaine, y compris la vie du non-croyant qui existe par la grâce de Dieu. Une dimension importante de la grâce est la compréhension réformée de la grâce commune. Elle (Mt 5, 43 -48) empêche la société, corrompue par le péché, de se désintégrer complètement. On peut discerner dans le monde trois évidences distinctes de la grâce commune Dieu donne des dons naturels aussi bien aux croyants qu’aux incroyants. Dieu limite le péché dans tous les humains. Dieu permet aux incroyants d’accomplir des actes positifs pour le bien commun. La grâce commune rappelle au croyant que le conflit de ce temps (que le théologien hollandais Abraham Kuyper appelait antithèse) se livre entre deux puissances spirituelles qui traversent toute la réalité et la société et le cœur humain. L’alliance L’Ancien et le Nouveau Testament révèlent tous deux l’alliance de grâce de Dieu. Les sacrements du baptême et de la Cène du Seigneur sont des signes de la nouvelle alliance de Dieu avec Son peuple. Cela appelle Son peuple à l’engagement et à l’obéissance et se développe sur les promesses et engagements fidèles de Dieu qu’il renouvelle dans la proclamation de Sa parole. La troisième approche réformée est le transformationalisme. Cette approche incarne un profond désir de relier la seigneurie du Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Christ à tous les secteurs de la culture, de la société et du monde qui nous entoure. Elle doit beaucoup au travail du théologien et homme d’État hollandais Abraham Kuyper qui a dirigé le mouvement des « doleantie » (ceux qui pleurent) en Hollande en 1886. La philosophie et la théologie de Kuyper ont exercé une forte influence sur les chrétiens réformés d’Amérique du Nord. Les fruits du règne du Christ dans le monde et la venue de Son Royaume sont évidents dans les organisations chrétiennes : collèges et universités, organisations pour la justice publique et associations de travailleurs. Une des caractéristiques les plus importantes de l’Église chrétienne réformée en Amérique du Nord est sans doute l’accent sur l’instruction chrétienne. Dans l’ensemble, ces écoles et collèges sont financièrement indépendants et ne reçoivent aucune forme de subventions des gouvernements. Voici quelques caractéristiques importantes de l’approche transformationaliste : Une relation personnelle à Jésus Le Catéchisme d’Heidelberg, qui est l’un des trois documents confessionnels de l’Église chrétienne réformée, met un fort accent sur cette relation personnelle, comme il est évident dans la première question/réponse du Catéchisme d’Heidelberg : « Quelle est ton unique consolation dans la vie et dans la mort ? — C’est que, de corps et d’âme, tant dans la vie que dans la mort, j'appartiens, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur. » Il est caractéristique de l’accent réformé, qu’il va toujours plus loin que la seule relation personnelle. Le Saint Esprit Les chrétiens réformés ont une sincère appréciation de l’œuvre de la Trinité : Dieu le Père dans la création, le Fils dans la rédemption et le Saint Esprit dans la sanctification. L’œuvre de l’Esprit Saint est universelle. Elle englobe toutes les dimensions de la vie du croyant et de la vie de l’Église, du ministère de l’Église et de l’œuvre divine de rédemption. « L’Esprit Saint est au centre de la compréhension de la présence réelle du Christ dans les sacrements et de la prédication comme de rencontres avec Dieu remplies de l’Esprit » (Déclaration d’identité: 22). La reconnaissance Le Catéchisme d’Heidelberg enseigne que la prière est au centre de la vie de reconnaissance du croyant envers le Seigneur (Col. 3,15-17). Une de ses caractéristiques les plus importantes est que l’enseignement sur les Dix Commandements est placé dans la partie consacrée à la reconnaissance. Les chrétiens n’obéissent pas à Dieu afin de se débarrasser de la culpabilité ou de mériter le salut. Ils obéissent parce que Dieu a déjà supprimé leur culpabilité et leur a donné le don gratuit du salut. Toute obéissance, dans la vie chrétienne, doit finalement venir de la source profonde de la reconnaissance. La Parole et les sacrements Les pasteurs de la CRC sont ordonnés au ministère de la Parole et des sacrements. La prédication comme exégèse et interprétation de l’Écriture joue un rôle important dans l’Église. D’autre part, les sacrements sont reliés à une variété d’autres thèmes bibliques. La réception de l’Esprit Saint, la nouvelle naissance, la purification des péchés, la mort et la résurrection avec le Christ, etc., le renouveau spirituel, le pardon, l’espérance eschatologique, etc. La relation de la Parole de Dieu au monde est le point central de l’approche transformationaliste. II Déclarations doctrinales et confessions de foi. Deux séries de credos constituent le fondement de la doctrine réformée. La première série comprend les symboles œcuméniques qui ont été écrits bien avant que l’Église ne se divise en diverses branches et qui sont acceptés par la plupart des Églises chrétiennes. Les symboles œcuméniques sont : Le symbole des Apôtres Le symbole de Nicée, la réponse chrétienne à l’arianisme Le symbole d’Athanase, les plus claires définitions de la Trinité et de l’incarnation. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 57 La seconde série est composée des trois Confessions réformées qui sont des confessions de foi distinctement réformées, écrites à l’époque où les divisions entre protestants sont devenues permanentes. Elles appartiennent à la famille des credos réformés et presbytériens qui comprennent aussi les confessions de Westminster, gallicane et écossaise. Les confessions réformées comprennent : Le Catéchisme d’Heidelberg - 1563 – composé à Heidelberg à la demande de l’Électeur Frédéric III. La Confession de foi belge -1561. Claire déclaration de foi à l’époque de l’Inquisition espagnole Les Canons de Dordt. 1618-19. Jugement sur la controverse théologique avec les arminiens. Certaines nouvelles déclarations de foi et témoignages ont été ajoutés aux confessions de foi : A Contemporary Testimony. Our world belongs to God La Confession de Belhar – rédigée par l’Église réformée hollandaise d’Afrique du Sud et présentée au CRCNA La Confession d’Accra ou Alliance pour la justice économique et écologique. Quelques brèves notes d’introduction aux trois premiers credos devraient suffire. La Confession de foi belge Les plus anciennes normes doctrinales de l’Église chrétienne réformée sont la Confession de foi généralement connue comme la Confession de foi belge, d’après la désignation latine du XVIIe siècle « Confessio Belgica ». « Belgica » faisait référence à l’ensemble des Pays-Bas, le nord et le sud, qui sont aujourd’hui divisés entre les Pays-Bas et la Belgique. L’auteur principal de la confession était Guy de Brès, prédicateur des Églises réformées des Pays-Bas, mort martyr de la foi en l’année 1567. Le texte, non le contenu, a été révisé de nouveau au synode de Dordt, en 1618-1619, et adopté comme l’une des normes doctrinales auxquelles doivent souscrire toutes les personnes qui détiennent une fonction dans les Églises réformées. Page 58 Le Catéchisme d’Heidelberg : Le nom du Catéchisme d’Heidelberg vient de la ville où il a été compilé et imprimé pour la première fois. Afin de mettre un terme aux disputes religieuses dans ses domaines, Frédéric III a décidé de publier un catéchisme, ou confession de foi, et en a confié la rédaction à Zacharias Ursinus et Gaspard Olevianus qui avait été professeur à l’université d’Heidelberg, puis prédicateur de la cour. Ils utilisèrent les catéchismes existants, particulièrement ceux de Calvin et de Jean de Lasco. Ursinus en a toujours été considéré comme l’auteur principal et il a été, par la suite, le premier défenseur et interprète du Catéchisme. Le Catéchisme, dans sa forme actuelle, consiste en 129 questions et réponses, divisées en trois parties : De la misère de l’homme. De la délivrance de l’homme. De la reconnaissance (due à Dieu par l’homme). Les Canons de Dordt Les Canons de Dordt sont issus de la controverse arminienne dans les Églises réformées des Pays-Bas, au début du XVIIe siècle. Les arminiens étaient les disciples de Jacques Arminius, professeur de théologie de l’université de Leyde qui avait rédigé cinq articles de foi qui furent présentés au synode de Dordt (Dordrecht) en « remonstrance » contre les croyances de l’Église à cette époque. 1. Dieu élit ou réprouve selon la foi ou l’incroyance prévue. 2. Le Christ est mort pour tous les hommes et pour chaque homme, bien que seuls les croyants soient sauvés. 3. L’homme est si mauvais que la grâce divine est nécessaire pour la foi ou toute bonne action. 4. On peut résister à la grâce. 5. La question de savoir si tous ceux qui sont vraiment régénérés vont certainement persévérer dans la foi doit être étudiée davantage. Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Ces cinq points ont été rejetés par le synode qui répondit à la Remonstrance par les cinq points du calvinisme communément appelés TULIP. Ce sont : la corruption totale et absolue, l’élection inconditionnelle, le rachat limité, la grâce irrésistible et la persévérance des saints. La grâce salvifique de Dieu n’est pas universelle, mais particulière et donnée seulement à ceux que Dieu a choisis de toute éternité (Rm 8, 29-30) qui ne peuvent être perdus (Jean 10.27-28). Le salut est assuré dans la main de Dieu. S’il y a une doctrine qui imprègne les Canons, c’est bien la souveraineté de Dieu ainsi que sa corollaire, la fidélité de Dieu (Mouw, 2004:37). Les Canons soutiennent que, d’après les Écritures, Dieu est souverain dans le salut du pécheur et que la position arminienne contredit cette vérité (Petersen Henry, 1968). manipulations génétiques, du féminisme, de la futurologie, du fatalisme et de l’utopie, etc. Une addition plus récente aux déclarations doctrinales du CRCNA est la Confession de Belhar, originellement développée en Afrique du Sud en réponse au rôle de l’Église dans une société qui avait connu l’apartheid. Le synode 2009 de la CRC a présenté la Confession de Belhar à l’Église pour étude, déclarant que le synode partage avec l’Église tout entière la nature profonde de ce moment dans la vie de l’Église et que, par conséquent, il ne faut pas y pénétrer à la légère, mais avec crainte et tremblement, humblement confiants que l’Église restera fidèle à l’Évangile. Le synode projette de proposer au synode 2012 l’adoption de la Confession de Belhar comme quatrième confession de l’Église chrétienne réformée en Amérique du Nord. Bibliographie Les plus récents témoignages comprennent Our World Belongs to God: A Contemporary Testimony. Le mouvement qui a produit le Contemporary Testimony a débuté vers 1970. Il est né du fait que les credos traditionnels de la CRC ne semblaient pas parler clairement à une nouvelle génération de croyants vivant dans un monde sécularisé. En 1983, le synode de l’Église chrétienne réformée a approuvé le texte de Our World Belongs to God comme voix prophétique de l’Église pour répondre aux questions cruciales de notre temps. L’approbation finale est venue en 1986 et une version révisée a été acceptée en 2008. On l’a appelé « témoignage », plutôt que confession, pour le distinguer des confessions historiques du XVIe siècle et préserver leur place centrale. Il a été décidé d’aborder le « Témoignage contemporain » à partir d’une perspective unique : l’idée biblique du Royaume à venir avec pour thème du témoignage « Notre monde appartient à Dieu ». Le témoignage colle de près au récit de la Bible. Il traite, entre autres, de l’esprit de notre temps, de l’évolution, des droits humains, de la prière, de la conservation de la terre, de l’argent, du scientisme, de la technologie, des Christian Reformed Church. What it means to be Reformed. An Identity Statement. CRCpublications, 2006. CRC Ecumenical creeds and Reformed confessions. CRC Publications Grand Rapids. De Moor, Robert. 2001 Reformed. What it means. Why it matters. Grand Rapids. CRC Publications. Gootjes, Nicolas H. 2007. The Belgic Confessions. Its history and sources. Grand Rapids. Baker Academic. Meeter, Henry H. The Basic Ideas of Calvinism. 6e édition. 1990. Édition révisée par Paul Marshall. Grand Rapids, Baker Book House. Mouw, Richard J. Calvinism in the Las Vegas Airport. Making connections in today’s world. 2004 Grand Rapids, Zondervan. Our world belongs to God. A Contemporary Testimony. Document d’étude. 1987 et 2008 Grand Rapids, Michigan. Palmer Edwin H. The five points of Calvinism. Grand Rapids, Baker Book House Petersen Henry. 1968. The Canons of Dordt. A Study Guide. Grand Rapids. Baker Book house. Convention de la Poste-publications : 40036616 Œcuménisme, no 179-180, Automne/Hiver 2010 Page 59