1
5
10
15
20
25
30
35
« A la fin du mois d’août, les Allemands attaquèrent Stalingrad par air. Jamais
encore ils n’avaient de toute la guerre concentré autant de forces aériennes
contre nous : plus d’un millier d’avions survolèrent la ville. Ils se ruèrent sur les
maisons d’habitation, les superbes édifices du centre ville, les bibliothèques, les
hôpitaux, les écoles, les établissements d’enseignement supérieur. Une
immense lueur et des tourbillons de fumée montèrent au-dessus de Stalingrad
sur un espace de soixante kilomètres, le long de la rive de la Volga.
(…) Et dans ce brasier les usines continuèrent de travailler toute la nuit sous le
fracas des explosions et au milieu des flammes déchaînées (…). Le courage
tranquille des ouvriers, des ingénieurs, des chefs d’atelier était admirable. »
5 septembre 1942.
« Les Allemands escomptaient que les hommes ne pourraient supporter une
pareille tension et qu’il n’existe point de cœurs, de nerfs capables de résister à
cet enfer de feu, de métal sifflant, de terre ébranlée, d’atmosphère en folie. Ici
était réuni tout l’arsenal diabolique du militarisme allemand – chars lourds,
lance-flammes, mortiers à six canons, armadas d’avions de bombardements en
piqué munis de sirènes hurlantes, de bombes destructrices. (…) Ici était
concentrée toute l’artillerie allemande, depuis les canons semi-automatiques
antichars de petit calibre, jusqu’aux grosses pièces à longue portée. (…) Ici, il
faisait clair la nuit comme le jour à cause des incendies et des fusées
éclairantes ; il faisait sombre le jour comme la nuit à cause de la fumée qui
s’échappait des immeubles en flammes et des fusées fumigènes lancées par
les avions de camouflages allemands. (...)
Au vingtième jour environ, les Allemands entreprirent l’assaut décisif de l’usine.
Le monde n’avait pas encore vu de semblable préparation à l’attaque. Pendant
80 heures, l’aviation, l’artillerie et les mortiers lourds allemands donnèrent à
plein (…). Soudain, la préparation d’artillerie prit fin, et, dès cinq heures du
matin, ce fut l’attaque. (…)
Or il se produisit une chose surprenante : chaque tranchée, chaque abri,
chaque poste de feu, ainsi que les ruines fortifiées des maisons, devinrent des
citadelles (…).
Cette bataille sans exemple par son acharnement se poursuivit durant plusieurs
jours et plusieurs nuits de suite. On se battait pour chaque marche d’escalier,
pour une encoignure dans un étroit corridor, pour une machine, pour un
passage entre les rangées de tours, pour un tuyau de la canalisation de gaz.
Pas un homme de la division ne recula. » 20 novembre 1942.
« Oui, tout change. Et les Allemands (…) se terrent, cachés au milieu des
maisons en ruine. (…) ils sont obligés de subir leur sort ici, parmi les froides
ruines, dans les ténèbres, sans eau, en, rongeant de la viande de cheval (…).
Oui tout change, tout a changé à Stalingrad. » 9 décembre 1942.
Extraits de Vassili Grossmann, Stalingrad, choses vues, 1945.