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B.A.-BA (pré-publication)
Optimiser au gré du hasard
Le hasard a souvent été perçu comme un fléau que l’on ne pouvait
pas maîtriser. Cependant depuis quelques décennies, il est utilisé
pour réaliser des taches où curieusement il n’intervenait pas
auparavant. C’est le cas des problèmes de décision qui nécessitent
de rechercher une combinaison optimale de facteurs au regard d’un
critère de choix. Contrairement à toute intuition, on a découvert que
pour optimiser un tel critère, il n’est pas utile d’examiner toutes les
combinaisons des facteurs, mais qu’un examen aléatoire bien mené
suffit à trouver la combinaison optimale.
Bernard Chalmond
est professeur en Sciences de
l’Information à l’université
de Cergy-Pontoise et
chercheur à l’Ecole Normale
Supérieure de Cachan.
Pour reconnaître le
chiffre 4, on déforme
aléatoirement le dessin
d’un quatre jusqu’à
optimisation d’une
fonction d’adéquation
entre le dessin et l’image
Le souci d’optimisation est devenu un
maître mot à tous les niveaux de notre
société, jusqu’à en devenir une obsession en
certains lieux. Ainsi, cherche-t-on à optimiser
l’organisation du temps de travail, la
répartition des ressources, la qualité des
produits manufacturés, le rendement des
placements boursiers, l’efficacité des
médicaments, la puissance des armes….
Cette liste pourrait se poursuivre sur de
nombreuses colonnes. L’optimisation (en
terme de minimisation ou de maximisation)
est en fait un soucis ancien inhérent à
l’intelligence humaine et que chacun d’entre
nous pratique de façon naturelle. Il est
associé à la recherche du travail ou de l’outil
bien fait, et en ce sens il remonte à l’homo-
faber qui chercha de tout temps à améliorer
ses outils de pierre jusqu’à obtenir une forme
et une utilisation parfaites.
Traditionnellement les gens de métiers ont
pratiqué l’optimisation de façon intuitive par
tâtonnements, leur savoir-faire guidant les
améliorations successives apportées à la
conception de leur ouvrage. Mais en quoi,
l’optimisation moderne se distingue-t-elle de
cette pratique ancestrale ? Hé bien, tout
d’abord par la formalisation des problèmes.
Ainsi, la version moderne de la mise au point
de la meilleure hache de pierre consisterait à
se donner un critère de qualité, par exemple
la puissance de coupe qu’on exprimerait en
fonction d’un ensemble de facteurs influents
comme des paramètres de forme de la
hache et de dureté de la pierre. Il ne
resterait alors plus qu’à trouver la
configuration optimale des facteurs, c’est-à-
dire celle qui maximise la puissance de
coupe F(X) où X désigne l’ensemble des
facteurs.
Cette formalisation qui trouve ses origines
au XVIIIième siècle, est devenue pleinement
opérationnelle grâce à la puissance des
ordinateurs. En effet, jusqu’alors seules les
problèmes autorisant le calcul analytique de
la solution optimale pouvaient être
considérés comme c’est le cas de la
parabole F(X)=X2 dont le minimum est X=0.
Bien sûr, les problèmes rencontrés en
pratique conduisent en général à des
fonctions F d’une complexité
incommensurablement plus grande que
celle de la simple parabole et pour lesquels
la solution analytique n’est pas accessible.
Ces fonctions peuvent dépendre d’un très
grand nombre de facteurs, mais surtout
posséder des solutions optimales
« locales ». Pour comprendre ces solutions
particulières, risquons une analogie avec la
surface d’un paysage de montagne
représentée par la fonction d’altitude à deux
facteurs que sont les coordonnées
géographiques. La minimisation de la
fonction d’altitude, c’est-à-dire la recherche
de la vallée la plus profonde est rendue très
difficile de par l’existence de vallées
intermédiaires –les minima locaux de la
fonction– qui perturbent notre perception :
un randonneur égaré dans le brouillard ne
saura pas s’il a atteint la vallée la plus
profonde –le minimum « global » de la
fonction– ou s’il doit poursuivre sa route.
Face à ces difficultés, la pratique de
l'optimisation moderne est principalement
numérique et repose sur des algorithmes
itératifs. Le principe consiste à démarrer
l’algorithme avec une configuration
particulière de facteurs puis à modifier
progressivement les facteurs au fur et à
mesure des itérations jusqu'à obtention
d’une solution optimale. La question de fond
concerne la façon de modifier les facteurs.
Dans la seconde moitié du XXième siècle, la
recherche d’algorithmes efficaces a été un
objectif technologique de première
importance. En effet, de nombreuses
démarches scientifiques passent par
l’optimisation d’une fonction F(X) : fonction