1
Sauvegarde de la création: théologie, spiritualité et enjeux internationaux
Guillermo Kerber
1
Introduction
De plus en plus de phénomènes liés à l’environnement font la une des journaux, magazines
et sites web. Des scènes de catastrophes naturelles, des inondations, des sécheresses, des
ouragans qui font des milliers de victimes et détruisent cultures et villages occupent la télé
et l’internet.
La pollution de l’air et de leau est partout, aussi à Genève! nous sommes surpris de la
folie de la téo, de l’hiver trop froid et trop long, du printemps qui est seulement avec le
rhume des foins et les allergies mais pas avec le soleil et les températures douces. Nous ne
pouvons pas être surpris d’entendre parler de crise écologique.
En dautres termes, est-ce que tout cela, la préoccupation pour la nature, le climat, les
conséquences des catastrophes naturelles, la crise écologique, a quelque chose à voir avec
notre foi chrétienne, avec la théologie et la spiritualité, et avec les affaires internationales?
Ma présentation comportera quatre points : 1. Une théologie biblique ; 2. Une théologie
spirituelle; 3. Les enjeux internationaux ; 4. L’action des églises.
1. Une théologie biblique
La Bible nous enseigne, dès la première page, que Dieu créa l’univers. Les premiers chapitres
du livre de la Genèse nous montrent deux récits de la création. Dans le chapitre 2 on lit : «Le
Seigneur Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Éden pour cultiver le sol et le garder »
(Gén 2, 15). Cultiver et garder le jardin d’Éden, prendre soin de la création est en relation
avec la domination du premier récit de la création: «Dieu créa l'homme à son image, à
l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : Soyez
féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer,
les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » (Gén 1, 27-28).
C’est important de souligner l’appel à cultiver et garder la création car plusieurs auteurs ont
critiqué l'anthropocentrisme judéo-chrétien comme responsable de la destruction de la
planète
2
. Sauvegarder, prendre soin de la création nous offre un autre point de vue pour
approfondir la théologie de la création. En plus d’un Dieu à la fois transcendant et
immanent, (le ‘Deus interior intimo meo et superior summo meo’; de Saint Augustin
3
) nous
devons reconnaitre un Dieu « dans la création »
4
, un Dieu transparent dans l’Univers et la
nature. Comme disait le Père Teilhard de Chardin, « Le grand mystère du Christianisme, c’est
1
Conférence au Centre Catholique International de Genève, 06.05.2013. L’auteur est philosophe et théologien
uruguayen, responsable du programme de Sauvegarde de la Création et Justice Climatique au Conseil
Œcuménique des Eglises depuis 2006.
2
Un des plus célèbres est Lynn White Jr, Historical roots of our ecological crisis , Science, Mars 1967 (Volume
155, numéro 3767, dans lequel il accuse le judéo-christianisme de la crise écologique. Une réponse adéquate
au challenge de White est proposé par Jürgen Motlmann dans son Dieu dans la création Cerf, Paris 1988.
3
Saint Augustin, Confessions 3.6.11
4
Tel est le titre d’un livre de Jürgen Moltmann, Dieu dans la création.
2
la Transparence de Dieu dans l’Univers… »
5
. Cette transparence a donné lieu au concept
théologique du panenthéisme (tout-en-Dieu)
6
.
Les psaumes, dans la Bible, par exemple, chantent la beauté de la création comme
expression de la présence de Dieu. Mais la création aussi souffre et crie, en partie à cause de
l’action humaine. Comme l’indique le prophète Ésaïe « La terre a été profanée sous les pieds
de ses habitants, car ils ont transgressé les lois, ils ont tourné les préceptes, ils ont rompu
l'alliance perpétuelle. C'est pourquoi la malédiction dévore la terre, ceux qui l'habitent en
portent la peine. C'est pourquoi les habitants de la terre se consument, il n'en reste que très
peu » (Es 24, 5-6a) (Voir aussi Jer 14, 2-5).
Dans le Nouveau Testament, Jésus nous invite à contempler la beauté de la création.
« Observez les lys des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le
dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux ! » (Mt 6,
28-29). Et Saint Paul nous montre la dimension eschatologique de l’attente et la souffrance
de la création : « ... la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu, la
création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement.
(Romains 8, 19.22).
Comme plusieurs auteurs l’ont souligné, le cri de la terre fait écho du cri des pauvres, de la
veuve, l’orphelin, l’étranger, la triade de la Bible hébraïque qui représente les plus
vulnérables, les exclus de la société. Nous devrions écouter à la fois le cri de la terre et le cri
des pauvres.
2. Une théologie spirituelle
La vision intégrale de la création, d’une terre qui exulte mais aussi qui souffre, la beauté de
la création et sa destruction, bref, la perspective écologique ont inspiré les traditions
spirituelles chrétiennes. Il y a très clairement une association entre cette dimension et Saint
François d’Assise, nommé patron de l’écologie et la tradition franciscaine. Mais cette
dimension écologique est présente aussi dans d’autres voies contemplatives chrétiennes
7
comme dans la longue tradition monastique. C’est saint Jean Damascène (675-749),
probablement moine à Mar Saba, qui, déjà au 8ème siècle, nous rappelle que « La terre
entière est une icône vivante de la face de Dieu. Je ne cesserai de faire révérence à la
matière, au moyen de laquelle mon salut a été atteint »
8
.
Ces dernières années différents théologiens ont essayé de répertorier soit les vertus d’un
agir écologique : l’espérance, la foi, la charité, l'humilité, la tempérance, la prudence et le
5
Pierre Teilhard de Chardin, Le Milieu Divin, Du Seuil, Paris 1993, p. 162.
6
Le panenthéisme a été développar plusieurs auteurs, entre eux, Leonardo Boff en Ecologia: grito da terra,
grito dos pobres, Attica, São Paulo 1995, et les théologiennes écoféministes Rosemary Radford Ruether, Sally
McFague et Yvone Gebara.
7
Par exemple dans les comme dans les Exercices Spirituels de Saint Ignace, voir e.g. Trileigh Tucker, Ecology
and the spiritual exercises, The Way, 43/1 (January 2004), 7-18. Accessible au:
http://www.theway.org.uk/Tucker.pdf
8
Saint Jean Damascène, Traité sur les images saintes, 1. Cette révérence de la matière trouvera son expression
aussi dans l’œuvre du père Teilhard de Chardin particulièrement dans la Messe sur le monde de son Hymne à
l’Univers , Du Seuil, Paris 1961 .
3
courage, proposées par Celia Dean-Drummond
9
; soit les valeurs spirituelles pour la
communauté de la terre, selon l’expression de David Hallman : la gratitude, l’humilité, la
suffisance, la justice, l'amour, la paix, la foi et l’espérance.
10
Auxquelles j’ajouterai, depuis
l’expérience latino-américaine, la solidarité, la compassion, la joie et la résilience. J’aime
bien aussi l’expression de l’évêque Winston Halapua, « les vagues de l’étreinte de Dieu »
quand il parle de la spiritualité des gens d’Océanie.
11
Bible et spiritualité ont été à la base d’une théologie de la création qui a souligné quelques
aspects : la vision d’une création continue, creatio continua en plus de la creatio prima du
livre de la Genèse. La création est donc une actividivine permanente dans laquelle en plus
du Père et du Fils, l’Esprit Saint est mis en évidence comme un Esprit qui donne la vie, qui
apporte le salut, réconcilie, guérit et libère toute vie créée par Dieu. Comme lexprime le
Psaume: «Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre» (Psaume
104:30). Les êtres humains font partie de la création de Dieu et ont une place particulière
dans la création, car ils et elles ont été créés à l'image de Dieu et à sa ressemblance (Genèse
1: 27). Il y a, en plus, un lien étroit et indissoluble de l'homme à la terre. L'homme est
"terrien" (adam), créé à partir de la terre (adama). Enfin, le respect du sabbat, comme fête
de la création, ainsi que le souligne Jürgen Moltmann, exprime le respect pour toute la
création.
12
3. Les enjeux internationaux
Si la question de la sauvegarde, aussi appelée intégrité de la création, a des contenus
théologiques et spirituels comme j’ai essayé de montrer, il en va de même pour les
questions internationales.
L’environnement a été une préoccupation de la communauté internationale reflétée dans
les Sommets de la Terre, la série de conférences internationales qui a commencé en 1972
avec la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain (CNUEH) à Stockholm.
Cette conférence inspirera les discussions sur le développement durable du Club de Rome
dans les années 1970. En 1982 le deuxième Sommet de la Terre a eu lieu à Nairobi et en
1992, le troisième à Rio de Janeiro, Brésil. À Rio, la Conférence sur l’Environnement et le
Développement approuve trois conventions importantes : la Convention sur la diversité
biologique (CDB), la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD) et la Convention-
cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Une Déclaration sur la
gestion, la conservation et le développement durable des forêts a été aussi adoptée.
9
Selon sa présentation An Ethos for our time? Theological reflection on appropriate ethical concepts in the
light of the current global environmental crisis”, à la conférence Christian faith and the Earth : Respice and
Prospice, Université de Western Cape, Afrique du Sud, aout 2012. Voir aussi Celia Deane-Drummond, The
Ethics of Nature, Blackwell, Malden 2004.
10
David Hallman, Spiritual values for earth community, WCC, Genève 2012. Voir aussi Guillermo Kerber, Caring
for Creation and Striving for Climate Justice: Implications for mission and spirituality, dans International Review
of Mission, Vol 99-2, November 2010, p. 219-229.
11
Winston Halapua, Waves of God’s embrace. Sacred perspectives from the ocean, Canterbury Press, Norwich
2008.
12
Cf. The Place of Creation in Christian Spirituality: A Summary of the Discussion at the Consultation, in Lukas
Vischer ed., Spirituality, Creation and the Ecology of the Eucharist, Grand-Saconnex, John Knox Series 18, 2007,
pp. 123.
4
En outre la Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement propose 27
principes qui vont être repris dans les conventions mentionnées ci-dessus. Ces principes
nous permettent de reconnaitre la dimension éthique de la crise écologique.
Laissez-moi montrer l’importance de ces principes en prenant comme exemple la
Convention-cadre sur les Changements Climatiques.
L'article 3 de la CCNUCC, sous le titre « Principes », regroupe les principaux fondements de la
préoccupation et l’action internationales pour le climat. Le premier principe dit:
«Il incombe aux Parties (de la Convention) de préserver le système climatique dans l'intérêt
des générations présentes et futures, sur la base de l'équité et en fonction de leurs
responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient,
en conséquence, aux pays développés parties d'être à l'avant-garde de la lutte contre les
changements climatiques et leurs effets néfastes”
Dans cette énumération se trouvent rassemblés plusieurs éléments importants.
Premièrement, le principe de «responsabilités communes mais différenciées et des capacités
respectives» renvoie à l'engagement de tous pour lutter contre la composante anthropique
du changement climatique et ses effets dévastateurs. Les changements climatiques sont un
phénomène global et chacun et chacune est responsable de la vie dans ses innombrables
manifestations sur la planète Terre. Mais tout le monde n'est pas responsable de la même
manière. Les pays industrialisés ont une responsabilité historique pour leurs émissions. Les
sociétés de ces pays et les élites des pays en pauvres ont une responsabilité particulière car
ils ont un mode de vie qui épuise les ressources et va au-delà des possibilités de la terre.
Le principe met en évidence aussi la responsabilité envers les générations présentes et
futures. Les dommages à la Terre ont des implications non seulement pour nous mais pour
l'avenir. Même si aujourd'hui nous arrêtions complètement d'émettre des gaz à effet serre
(GES), les émissions cumulées auront une incidence sur les générations futures. La
sauvegarde de la création implique ainsi de surmonter un regard égoïste et à court terme et
assumer le devoir de léguer une planète avec des conditions de vie au moins similaires à
celles qui notre génération a reçues.
Enfin, le principe se réfère à la valeur de l'équité, qui devient essentiel, étant donné les
inégalités dans la responsabilité et l'impact en matière de changement climatique. C’est
cette inégalité qui appelle à reconnaitre la dimension de justice dans les changements
climatiques. La justice climatique a été, depuis quelques années, une préoccupation
soulevée par la société civile et les églises en particulier dans leur plaidoyer auprès des
Nations Unies. La vulnérabilité des communautés et des pays, comme l’a démontré le
Rapport du Groupe International d’Experts sur le Climat (GIEC), n’est pas la même pour
tous. C’est pour cette raison pour laquelle le deuxième principe de la Convention demande
de : «tenir pleinement compte des besoins spécifiques et de la situation spéciale des pays en
développement, notamment de ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets
néfastes des changements climatiques, ainsi que des Parties, notamment des pays en
développement, auxquelles la Convention imposerait une charge disproportionnée ou
anormale »
5
L’article de la Convention continuera avec trois autres principes en relation à des mesures de
précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques, le
droit au développement durable et la promotion d’un système économique international
porteur et ouvert.
Les principes sont clairs, très out trop clairs, même, mais malheureusement la communauté
internationale n’est pas arrivée à un accord juste, ambitieux et contraignant après
l’échéance de la première période d'engagement du Protocole de Kyoto. Dans les dernières
conférences de la Convention les résultats n’ont pas été à la hauteur des défis. Et au sommet
de Rio+20, on a vu comment la proposition d’une économie verte (green economy) a été
plutôt une greed economy (économie de la cupidité, avarice). Les préoccupations
économiques et financières des pays ont été plus importantes que les vies de milliers de
victimes et de la nature.
Les questions environnementales ont été aussi à l’ordre du jour des dernières sessions du
Conseil des Droits de l’Homme (CDH). Au cours des cinq dernières années, en plus des
nombreuses résolutions sur les changements climatiques et les droits de l’homme, la
création, l’année passée d’un Expert Indépendant sur l’environnement fait la liaison entre
les problèmes écologiques et les droits humains.
En mars 2008, le CDH a adopté sa première solution sur «Droits de l'homme et le
changement climatique" (Rés. 7/23). La résolution a reconnu la menace que le changement
climatique fait peser sur les droits humains. En mars 2009, la résolution 10/4 fait remarquer
que «les impacts liés aux changements climatiques ont une gamme de conséquences,
directes et indirectes, pour la jouissance effective des droits de l'homme » et reconnaît que
« les effets du changement climatique seront plus durs pour les segments de la population
qui sont déjà dans une situation vulnérable «
En Mars 2011, le CDH a adopté la résolution sur les "droits de l'homme et de
l'environnement» (16/11) et a demandé au Haut-Commissaire de procéder à une étude
analytique détaillée de la relation entre les droits de l'homme et l'environnement. Cette
étude a révélé que, même si beaucoup de progrès ont été réalisés dans la compréhension de
la relation entre les droits de l'homme et de l'environnement, plusieurs questions
importantes demeurent ouvertes. Ces questions en suspens comprennent la nécessité et le
contenu potentiel d'un droit à un environnement sain, le rôle et les fonctions des acteurs
privés en matière de droits de l'homme et de l'environnement, la portée extraterritoriale des
droits de l'homme et de l'environnement, et la manière d'opérationnaliser et de surveiller la
mise en œuvre des obligations internationales relatives aux droits humains liées à
l'environnement.
En mars 2012, le CDH a adopté par consensus une résolution (19/L.8 Rev.1) sur "les droits
humains et l'environnement». La résolution a décidé de nommer, pour une période de trois
ans, un «expert indépendant chargé d'examiner la question des obligations relatives aux
droits de l'homme se rapportant aux moyens de bénéficier d'un environnement sûr, propre,
sain et durable ». L’expert, M. John Knox, a présenté son premier rapport (A/HRC/22/43) en
mars 2013. Le rapport a eu notamment pour objet de présenter le mandat, d'énoncer
1 / 8 100%