qUn nouvel âge des inégalités
Le tournant du siècle laisse apparaître
un « nouvel âge des inégalités », comme
l’affirment Jean-Paul Fitoussi et Pierre
Rosanvallon dans l’ouvrage éponyme (paru
en 1996). Outre des inégalités liées à l’ori-
gine des revenus, se dessinent aujourd’hui
de nouvelles formes d’inégalités à l’inté-
rieur de catégories qui semblaient parta-
ger auparavant un destin commun : les
jeunes, les cadres, les ouvriers, les
femmes… Ces inégalités, que ces auteurs
qualifient de résiduelles, sont liées aux tra-
jectoires singulières des individus. Par
exemple, une insertion professionnelle
ratée (sortie du système éducatif
entre 1992 et 1994) a pu conduire un diplômé à accepter un emploi sous-qualifié, le
condamnant à monter petit à petit dans la hiérarchie professionnelle, alors qu’un jeune
diplômé sorti de l’école en 1998 ou 1999 a pu accéder directement au même emploi, peut-
être même avec un niveau de formation plus faible, compte tenu de l’évolution du marché
du travail. Ces inégalités d’un nouveau type font donc peser sur les individus une pression
beaucoup plus forte, puisqu’une erreur initiale se paie plus lourdement que naguère.
LES INÉGALITÉS DE PATRIMOINE
L’évolution des inégalités peut être interprétée comme le passage d’un modèle de régu-
lation qualifié de fordisme à un nouveau modèle, dit de croissance patrimoniale, qui repose
sur la prééminence de la finance sur l’économie.
qL’évolution des revenus du capital favorise sa concentration
L’évolution divergente des revenus du travail et du capital aboutit à une augmentation
des inégalités de patrimoine. En effet, la faible progression des salaires oblige les salariés à
renoncer à une partie de leur consommation s’ils souhaitent se construire un patrimoine par
l’épargne, alors que les rentiers voient leurs revenus progresser rapidement. De plus, les
transformations des systèmes financier et productif permettent des effets d’aubaine pour
les détenteurs de patrimoine élevé (privatisations) qui renforcent encore ces inégalités.
qLe résultat du passage à une croissance patrimoniale
Naguère, le travail ponctionnait la part la plus importante de la valeur ajoutée, ensuite
étaient servis les actionnaires, avec le solde de richesse créée, en recourant éventuelle-
ment à l’inflation pour rendre le partage tolérable. Aujourd’hui, l’inflation est proscrite, car
son retour raboterait les revenus du capital, et les actionnaires sont servis en premier.
Revient alors aux salariés un solde oscillant entre 60 % et 63 % de la valeur ajoutée, le
niveau précis dépendant de la capacité de ceux-ci à imposer un rapport de forces, en fonc-
tion de l’état du marché du travail.
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Le creusement des
inégalités de revenu à partir
des années 1980
À partir de 1982-1983, l’orientation de
la politique économique contribue au ren-
forcement des inégalités. En effet, l’ob-
jectif de lutte contre l’inflation entraîne
un ralentissement de la progression des
salaires (qui n’augmentent plus aussi
vite que les gains de productivité) et un
accroissement des taux d’intérêt dans le
but de ralentir la création de monnaie.
Ainsi les revenus salariaux stagnent,
alors que ceux du capital augmentent.