que, lassé des 4 millions, Franck Frégosi, au bout de quelques années a choisi le chiffre 53.
Par ailleurs, comment expliquer qu’il y ait cinq millions de musulmans et « six millions de
Maghrébins », téléspectateurs de BeurTV4 ?
Quelle est la définition du musulman sous-jacente à ce type d’ « estimation » ? Bien
qu’aucune explication ne soit jamais fournie sur ce que recouvre l’expression « cinq millions
de musulmans », on voit bien qu’elle repose sur une naturalisation du fait religieux. On naît
musulman et on meurt de même. Curieuse définition dans un pays où la liberté individuelle
est sacralisée et où tout semble permis, au nom des droits de l’homme, pourvu que ce soit
l’individu qui décide. Ces choix méthodologiques sont d’autant plus critiquables qu’ils
émanent de personnes qui, souvent, usent et abusent du reproche d’essentialisation ou
d’ethnicisation. Le Monde, notamment, qui n’hésite pas à jeter l’anathème sur d’autres alors
que lui-même « claironne », à longueur de colonnes, le message ministériel sur les cinq
millions de musulmans. Par exemple, Emmanuel Brenner commettrait le péché
d’ethnicisation lorsqu’il dénonce les attitudes, propos et actes antisémites de certains élèves
d’origine maghrébine dans nos écoles5. Pour Luc Bronner et Xavier Ternisien, l’auteur
prendrait le prétexte de « prêcher la bonne parole républicaine » pour ethniciser les conflits.
Ces deux auteurs ont même le front de faire, sous la garde républicaine de Michel Wieviorka,
la leçon à Emmanuel Brenner : « on assigne aux élèves concernés une identité de “ jeunes
maghrébins-musulmans ”, on les enferme dans une catégorie ethno-religieuse qui n’a plus rien
à voir avec la vision républicaine ».6
Avec leurs cinq millions de musulmans, Le Monde, et d’autres, adoptent une
conception islamique de la religion généralement peu soucieuse de liberté de conscience et du
droit à changer de religion. Il suffit, pour s’en convaincre, de reprendre les paroles de Tareq
Obrou, imam de Bordeaux qui a les faveurs du Monde7 et président de l’association des
imams de France. Dans un livre d’entretiens avec Leila Babès, il explique ce qu’il faut
entendre par – « Pas de contrainte en religion »- verset dont on nous rebat les oreilles pour
nous démontrer que l’islam respecte le choix individuel. D’après les circonstances dans
lesquelles ce verset a été révélé, il ne concernerait que la conversion à l’islam. Une fois qu’on
a adopté l’islam, on serait obligé de s’y tenir : « l’islam n’impose pas la foi et l’homme reste
libre de croire ou de ne pas croire. Mais une fois qu’on a adhéré à la foi musulmane, qu’on
accepte la Révélation et le dogme, il y a inévitablement des conséquences comportementales.
[…] Quitter sa religion est clairement interdit par le Coran. »8 En plus, d’après Tareq Obrou,
peu de choses suffisent pour se dire musulman : « le minimum de religiosité musulmane
requis est d’avoir une foi : une croyance même vague, sans être informé des détails et même
si on “ ne pratique rien ” de l’islam.[…] Tant qu’il a du bien dans son for intérieur, le
musulman est nécessairement pratiquant.»9 Ce n’est pas un hasard si la mention du droit à
changer de religion, dans la charte donnée à signer aux parties prenantes de la Consultation
mise en place par Jean-Pierre Chevénement en 1999 pour créer une instance représentative de
3 Franck Frégosi a justifié ce bond devant le HCI en 2000 d’une manière peu orthodoxe : « Ca fait longtemps
qu’on dit quatre ». Dans un rapport récent du FASILD sur la question, Fanck Frégosi, soudain saisi par le doute,
évaluait à “ 3 à 4 millions ” le nombre de musulmans. Cf. rapport du groupe de travail « Islam et intégration »,
FASILD, 2002.
4 Le Monde, 5 avril 2003
5 Les territoires perdus de la République, Emmanuel Brenner (dir), Mille et une nuits, 2002.
6 Le Monde, 12 avril
7 « Jours tranquilles à la mosquée de Bordeaux », 4 décembre 2002.
8 Ce que confirme Anne-Marie Delcambre, docteur d’Etat en droit et en civilisation islamique : « le “point de
contrainte en religion” ne les concerne pas ; il s’agit du respect des autres religions monothéistes. » L’islam des
interdits, Desclée de Brouwer, 2003.
9 Leila Babès, Tareq Obrou, Loi d’Allah, loi des hommes. Liberté, égalité et femmes en islam, Albin Michel,
2002.