Traiter le diabète de type 1 et les troubles alimentaires – nécessité d

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Un trouble alimentaire est défini comme
un trouble compulsif du comportement
alimentaire qui altère la santé physique
et mentale. L’un des plus fréquents est la
boulimie nerveuse, qui provoque une hy-
perphagie suivie de comportements visant
à compenser l’ingestion excessive de nour-
riture. Ceux-ci peuvent prendre la forme
de vomissements, de jeûne, d’un excès
d’activité physique ou de l’ingestion de
médicaments tels que des laxatifs. Des cas
de restriction d’insuline par intermittence
l’administration de doses d’insuline rédui-
tes ou la privation des doses nécessaires
dans le but de perdre du poids ont été
rapportés chez des personnes atteintes
de diabète de type 1. Bien que certains
médias utilisent le terme ‘diaboulimie’ pour
se référer à ce problème, il ne s’agit pas
d’un terme médical.
La restriction d’insuline est considérée
comme un symptôme d’élimination de ca-
lories spécifique aux personnes atteintes de
diabète de type 1. Ce comportement ne se
limite toutefois pas aux femmes et, de plus
en plus, aux hommes, qui répondent aux
Depuis la couverte des premiers cas dans les années
1980, létude du lien entre le diate de type 1 et les troubles
alimentaires a suscité un vif intét. Certains chercheurs
affirment que lattention portée aux portions alimentaires, à
la glycémie, au poids et à lexercice physique qui caractérise
habituellement le traitement du diabète de type 1 peut être
comparée à la conception stricte de lalimentation et de limage
du corps qui caractérise les personnes atteintes de troubles
alimentaires mais pas de diabète. Létude DCCT (
Diabetes
Complications and Control Trial
) a démontré que la gestion
intensive du diabète par l’insuline, en plus davoir des effets
positifs sur la prévention ou le retardement des complications
du diabète, était associée à une prise de poids. Il est possible
que les objectifs actuels du traitement du diabète augmentent
le risque de développer un trouble alimentaire. Certains essais
comparatifs cents suggèrent un risque accru de troubles
alimentaires chez les personnes atteintes de diabète de type 1 ;
les jeunes femmes atteintes de diabète sont en effet près de
deux fois et demi plus susceptibles de velopper un trouble
alimentaire que les femmes de la me tranche dâge non
atteintes de la condition.
Traiter le diabète de type 1
et les troubles alimentaires
nécessité dune approche
multidisciplinaire
Ann Goebel-Fabbri
Mars 2008 | Volume 53 | Numéro 1
critères officiels de diagnostic de troubles
alimentaires. Une étude a révélé que 31 %
des femmes atteintes de diabète avouaient
restreindre intentionnellement leurs doses
d’insuline ; les taux de restriction étaient
les plus élevés en fin d’adolescence et au
début de l’âge adulte.1
Des études ont démontré que la restriction
répétée d’insuline augmentait le risque de
développer des complications du diabète
invalidantes et potentiellement mortelles,
notamment l’acidocétose diabétique. Les
personnes qui adoptent ce comportement
ont des taux d’HbA
1c
plus élevés, sont plus
exposées aux infections, souffrent de crises
d’acidocétose diabétique plus fréquentes,
se rendent plus souvent à l’hôpital et affi-
chent des taux de complications et un risque
de mortalité plus élevés que les femmes qui
ne limitent pas leurs doses d’insuline.2,3,4
Les prestataires de soins qui n’ont pas
l’habitude de prendre en charge des per-
sonnes atteintes de troubles alimentaires
ont parfois du mal à comprendre pourquoi
une personne atteinte de diabète limite-
rait intentionnellement ses doses d’insuline
étant donné les risques médicaux extrêmes
associés à un tel comportement. C’est pour-
quoi il est important que les membres de
l’équipe de prise en charge du diabète
soient formés à reconnaître les signes d’un
trouble alimentaire.
Symptômes des troubles
alimentaires
La restriction d’insuline semble devenir
un problème de plus en plus sérieux chez
les adolescents les plus âgés lorsque les
parents supervisent moins l’administration
d’insuline et se poursuit au début de
l’âge adulte. Une fois que ce comporte-
ment s’installe, le problème de la restric-
tion fréquente et habituelle d’insuline peut
devenir particulièrement difficile à traiter.
La détection et l’intervention précoces sont
donc très importantes.
Bien que les personnes atteintes de troubles
alimentaires et de diabète de type 1 se dé-
battent généralement avec des symptômes
similaires à ceux des personnes atteintes de
troubles alimentaires mais pas de diabète,
elles affichent également des symptômes
spécifiquement liés au diabète. A ce titre,
les prestataires de soins qui traitent des
adolescents et des jeunes adultes atteints
de diabète doivent être attentifs aux pré-
occupations extrêmes relatives au poids et
au corps, à une activité physique excessive
(parfois accompagnée ou suivie de crises
d’hypoglycémie), aux régimes alimentaires
trop faibles en calories, à une hausse inex-
pliquée des taux d’HbA1c et aux problèmes
répétés d’acidocétose diabétique.
L’aide à apporter
Faciliter la communication
Les troubles alimentaires sont souvent bien
cachés. Les femmes atteintes de diabète
devraient être encouragées à aborder des
Les jeunes femmes atteintes
de diabète sont deux fois plus
susceptibles de développer un
trouble alimentaire que les femmes
non atteintes de la condition.
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Mars 2008 | Volume 53 | Numéro 1
sujets tels que leur niveau de satisfaction
par rapport à leur poids, leurs objectifs en
termes de poids et, si elles le souhaitent,
leur expérience par rapport au régime et
à l’hyperphagie.
Les prestataires de soins sont parfois ré-
ticents à aborder de tels sujets avec les
personnes qu’ils prennent en charge par
crainte de leur apprendre involontaire-
ment comment limiter leur dose d’insuline.
Le niveau de réalité de ce risque est in-
connu. Toutefois, étant donné la gravité
des conséquences médicales associées à
une restriction d’insuline répétée, ce risque
doit être pris au sérieux. Pour amorcer une
conversation franche sur le thème de la
restriction d’insuline, il est important d’uti-
liser des questions ouvertes qui favorisent
la compréhension clinique de la situation
de la personne concernée sans la former
de manière non intentionnelle à ce type
de comportement :
Quel est votre sentiment par rapport à
votre poids et à votre corps ?
Quel est votre poids idéal ?
Comment vivez-vous le programme nu-
tritionnel qui vous a été recommandé ?
Estimez-vous qu’il est facile ou difficile à
suivre ? Avez-vous parfois l’impression de
trop manger ou au contraire de manger
trop peu ?
Ces questions peuvent être suivies de ques-
tions plus spécifiques :
Combien d’injections quotidiennes vo-
tre médecin vous a-t-il recommandées ?
Généralement, combien de fois par jour
vous injectez-vous de l’insuline ?
Modifiez-vous votre dose d’insuline pour
une raison particulière ? Est-ce pour in-
fluencer votre poids (en augmentant ou en
réduisant le nombre d’unités injectées) ?
Une équipe multidisciplinaire
Face aux troubles alimentaires, la prise en
charge par une équipe multidisciplinaire
constitue le modèle de soins. Lorsqu’il s’agit
de traiter une personne atteinte de diabète
de type 1 et de troubles alimentaires, cette
équipe doit être composée d’un diabéto-
logue, d’un éducateur en diabète, d’un
nutritionniste spécialien troubles alimen-
taires et/ou en diabète, d’un professionnel
de la santé mentale chargé d’une thérapie
individuelle hebdomadaire et éventuelle-
ment d’un psychiatre pour l’évaluation et
le traitement psychopharmacologique. Pour
offrir le meilleur traitement possible, tous les
membres de l’équipe doivent communiquer
ouvertement entre eux. La personne atteinte
de diabète et les différents membres de
l’équipe doivent comprendre que cette
communication est essentielle à une prise
en charge appropriée.
Trouver un professionnel de la santé spé-
cialisé à la fois en diabète et en troubles
alimentaires est l’objectif idéal ; les pra-
ticiens possédant ces qualifications sont
cependant rares. Un professionnel de la
santé mentale spécialisé dans les troubles
alimentaires est essentiel. S’il n’a pas d’ex-
périence dans les comportements associés
au diabète, il doit être prêt à consulter
régulièrement les spécialistes en diabète
concernant le programme de traitement.
Objectifs de traitement réalistes
Les personnes atteintes de diabète et de
troubles alimentaires ont besoin d’un soutien
et d’un suivi médical plus importants que les
personnes atteintes uniquement de diabète.
Au début du traitement, une hospitalisa-
tion à caractère médical ou psychiatrique
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Dépression et/
ou anxiété
• Perte de
la libido
l’énergie
l’estime de soi
la concentration
Augmentation de
l’isolement social
l’irritabilité
Dégradation de
la surveillance
autonome du
diabète
Cycle négatif du diabète et des troubles alimentaires
Sentiments négatifs
par rapport à son
corps et à son poids
• Hyperglycémie
• Augmentation
de la culpabilité
de l’enfermement
de la peur
des sentiments d’impuissance
• Perte d’énergie
• Manque de sommeil
des sentiments d’impuissance
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est parfois nécessaire jusqu’à ce qu’elles
soient suffisamment stables d’un point de
vue médical pour suivre un traitement en
consultation externe. Une psychothérapie
hebdomadaire est vivement recomman-
dée. Des rendez-vous mensuels avec le
diabétologue ou l’éducateur en diabète
de l’équipe sont parfois nécessaires et des
rendez-vous mensuels avec le nutritionniste
sont également recommandés. Des analy-
ses en laboratoire (en particulier l’HbA1c et
les électrolytes) et un suivi du poids doivent
être réalisés lors de chaque visite et les
résultats doivent être communiqués aux
professionnels de la santé mentale.
Concernant la gestion du diabète, le trai-
tement doit commencer par des objectifs
modestes, faciles à atteindre et progressifs.
Au début du traitement, une gestion intensive
de la glycémie n’est pas un objectif appro-
prié. En fait, l’objectif initial du traitement
peut être simplement d’éviter toute nouvelle
crise d’acidocétose diabétique. L’objectif
principal doit être de garantir la sécurité
médicale de la personne atteinte de diabète.
Petit à petit, l’équipe peut augmenter les
doses d’insuline et l’apport alimentaire, en
permettant une plus grande flexibilité du
programme alimentaire et en instaurant des
habitudes alimentaires plus régulières et une
surveillance glycémique plus fréquente.
Les personnes traitées ont besoin d’être sou-
tenues pour anticiper les défis futurs. Par
exemple, le premier défi auquel la plupart
des personnes sont confrontées est la prise
de poids associée à la reprise du traitement
insulinique. Ces personnes doivent appren-
dre à distinguer les gonflements (œdèmes)
liés à l’insuline (donnant un sentiment d’être
gros, ballonnés et lourds) comme la rétention
d’eau temporaire, du développement de tissu
adipeux. Il peut également s’avérer utile de
souligner que le traitement de l’hypoglycé-
mie par la consommation d’aliments riches
en calories plutôt que l’ingestion d’hydra-
tes de carbone d’absorption rapide – peut
provoquer une suralimentation et le risque
d’une prise de poids. Pour réduire ce risque,
il est utile de les informer des portions ap-
propriées pour le traitement d’urgence de
l’hypoglycémie.
Certains prestataires de soins bien inten-
tionnés peuvent se sentir frustrés par des
objectifs de traitement aussi modestes et
lents à atteindre, en particulier parce qu’ils
ne correspondent pas aux directives clini-
ques actuelles. Pourtant, dans le traitement
de cette population à risque, il est essentiel
d’adopter une vision à long terme. Plus la
personne traitée aura le sentiment qu’elle
est capable de contrôler le rythme de son
traitement, plus elle sera susceptible de s’y
tenir et donc d’améliorer son état de santé
général et sa qualité de vie.
Conclusion
Il est particulièrement complexe et difficile
de traiter le cycle des sentiments négatifs
relatifs à son corps et à son poids, de la
glycémie régulièrement élevée, de la dé-
pression, de l’anxiété, de la honte et de la
mauvaise surveillance autonome du dia-
bète. Etant donné l’ampleur du problème
chez les jeunes femmes atteintes de diabète
en particulier et les risques médicaux graves
associés, de nouvelles recherches visant à
élaborer des traitements ciblés et efficaces
sont essentiels pour leur santé future.
Ann Goebel-Fabbri
Ann Goebel-Fabbri est psychologue
clinicienne auprès du
Joslin
Diabetes Center
et formatrice en
psychiatrie auprès de la
Harvard
Medical School
, Etats-Unis.
Le présent article est une adaptation
d’un article publié précédemment
dans
Practical Psychology for Diabetes
Clinicians
, 2
nd
Edition. American Diabetes
Association. Alexandria, 2002.
Références
1 Polonsky WH, Anderson BJ, Lohrer PA, et
al. Insulin omission in women with IDDM.
Diabetes Care 1994; 17: 1178-85.
2 Rydall AC, Rodin GM, Olmsted MP,
et al. Disordered eating behavior and
microvascular complications in young women
with insulin-dependent diabetes mellitus.
N Engl J Med 1997; 336: 1849-54.
3 Peveler RC, Bryden KS, Neil HA, et al.
The relationship of disordered eating
habits and attitudes to clinical outcomes in
young adult females with type 1 diabetes.
Diabetes Care 2005; 28: 84-8.
4 Goebel-Fabbri AE, Fikkan J, Franko DL,
Pearson K, Anderson BJ, Weinger K.
Insulin restriction and associated morbidity
and mortality in women with type 1
diabetes. Diabetes Care 2007 [E-pub
ahead of print 10.2337/dc07-2026].
Mars 2008 | Volume 53 | Numéro 1
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