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Savez-vous dire merci en donnant de vous-mêmes mais sans que personne ne vous y oblige ?
Sans que personne ne vous sollicite, ni ne vous y invite ? Savez-vous prendre l’initiative et donner, savez-
vous répandre du parfum, offrir de l’argent, vous rendre disponibles, mais sans culpabilité aucune puisque
vous êtes pardonnés et que vous pouvez faire de votre vie ce que vous voulez ?
Savez-vous honorer le Christ, par exemple, en vous joignant à d’autres personnes, en compagnie d’autres
êtres pardonnés comme vous qui chantent et pleurent de joie? Savez-vous être débordants de reconnaissance
comme déborde ce vase de parfum, pour exprimer la joie de vivre libre, sans qu’aucune instance de ce monde,
ni morale ni religieuse ni politique, n’aie prise sur vous ni ne vous contraigne ni ne vous juge ?
Savez-vous vivre aujourd’hui du pardon qui vous est offert et que nul ne pourra jamais vous reprendre ?
C’est tout cela que Simon entend soudain, dans sa propre maison, devant ses propres amis. Lui qui, comme
beaucoup, ne se sentait pas spécialement débiteur envers Dieu, lui qui le fréquentait régulièrement par la
prière, l’observance et les célébrations, et qui lui donnait de temps en temps des offrandes, le voici bousculé,
dérangé, interpellé par ce geste en excès.
Il avait le sentiment de n’avoir finalement que peu de choses à se faire pardonner, et du coup il réalise, face à
la générosité de cette femme, qu’il ne sait que très peu, lui le fidèle, dire merci, ni même comment dire merci
et à qui dire merci.
Il réalise que le pardon des péchés n’est pas seulement une expression verbale ou rituelle, mais une réalité
vivante et qui libère la parole et le geste. Et qui fait premièrement jaillir du cœur un cri de joie, un cri de
reconnaissance, comme le reprendra à son compte bien plus tard, par exemple, la belle déclaration de foi de
l’Eglise réformée de France dans sa toute première phrase, précisément : « l’Eglise éprouve avant toute chose,
le besoin de faire monter au Père des miséricordes, le cri de sa reconnaissance et de son adoration. ». Le
pardon a donc partie liée avec la joie !
Musique : Quelques notes joyeuses d’orgue.
Voilà donc ce qu’inspire à un lecteur comme moi ce récit de l’Evangile : une réflexion sur le pardon. Mais un
pardon compris non comme une chose très compliquée, très intellectualisée et difficile à expliquer, mais
comme ce qui provoque un cri de libération, comme le soulagement d’un poids trop lourd, comme la
délivrance, enfin, d’un corps et d’un esprit empêchés de s’exprimer librement, comme la possibilité offerte de
crier sa joie –même avec des larmes- et de dire merci. Et du coup, après l’accomplissement de ce geste et de
ce remerciement à Dieu, la possibilité de pouvoir pardonner à mon tour à mon frère ou à ma sœur, à mon
conjoint, à ma femme à mon mari. Et de créer aussi avec lui, avec elle, des relations vraiment renouvelées.
Etre pardonné, c’est par conséquent aussi entrer dans de nouvelles relations avec autrui. Non plus dans des
relations conditionnées par la peur du jugement, -en Christ, il n’y plus de jugement-, non plus dans des
relations faussées par la culpabilité qui ronge, -en Christ, aucune culpabilité n’a le dernier mot-, mais dans des
relations de confiance et de libre responsabilité. Maintenant va en paix, ta foi t’a sauvé(e).
Musique : Chant « Ta foi t’a sauvée ».
« Ta foi t’a sauvée. Va en paix ». Vous savez combien ces phrases résonnent très fort dans le cœur des
croyants. Ta foi t’a sauvée, c'est-à-dire que Dieu a œuvré pour toi, et qu’il t’a libéré. Et qu’il n’y a qu’à le
croire sur Parole. La foi est bien ici l’œuvre de Dieu dans la vie des croyants. Non pas une disposition
naturelle qu’il faudrait titiller ou réveiller à force de pratique religieuse, non pas une sorte de crédulité
originelle ou biologique qu’on pourrait analyser au scanner comme certains veulent s’en persuader, ou pire
encore une prédisposition naïve à admettre des choses invraisemblables comme beaucoup le pensent encore,
mais la foi est l’œuvre de Dieu qui agit et qui inaugure une histoire singulière chez ceux qu’il a choisis.
Le « ta foi t’a sauvé » est en effet suivi d’un « va en paix » qui signifie une invitation à une marche, à un
commencement, à une aventure dans le monde, comme celle d’Abraham qui jadis, le premier, se mit en
marche sur une seule parole de Dieu.
La femme de l’évangile a été mise en route un peu de la même façon que lui. D’abord elle a osé entrer dans
la maison où elle savait trouver le Christ, elle l’a touché et a vu qu’il acceptait de se laisser toucher par elle,
elle a perturbé un repas et provoqué un dialogue entre Jésus et Simon, au point que nous nous sommes un peu
identifiés à lui, et maintenant la voici appelée à sortir, à quitter la scène, et à assumer sa vie sous un jour
nouveau. Va en paix lui dit Jésus.
Au fond le pardon, selon l’évangile, c’est cela : c’est le don de la marche. C’est l’invitation décisive à partir, à
repartir d’un bon pied. C’est la possibilité du recommencement avec soi-même et avec les autres, sans peur et
sans reproche. C’est l’assurance que le passé ne sera plus jamais compté comme dette par quiconque, et qu’il
ne sera plus inscrit au passif de nos vies. C’est par conséquent l’acceptation qu’un autre que nous répare ce
qui est à réparer, qu’un autre que nous efface la dette que nous ne sommes pas en mesure de régler. C’est le