Quand nous disons «sociologie du corps» de quoi parlons-nous?
Derrière la facilité de l'expression et avant toute opération de mise en
place conceptuelle rigoureuse, qu'est-ce qui est en fait dénoté? Il semble
bien qu'une telle expression implique les divers traits suivants:
.a) qu'il existe un champ de phénomènes pouvant s'organiser autour
d'une entité appelée «corps», désignant chaque individu comme un exis-
tant, c'est-à-dire non seulement comme un vivant (ordre du biologique),
mais comme un être physique, occupant un certain espace, donnant à voir
une certaine apparence, manipulant des objets et entretenant des rapports
avec d'autres êtres semblables.
b) que ce champ de phénomènes constitue un champ social (pas unique-
ment social mais social néanmoins) et que par conséquent une sociologie
en est possible.
c) que ce champ social peut être saisi de façon pertinente à partir de cette
entité centrale (le corps) plutôt qu'à partir d'autres de ses dimensions.
d) que cette approche peut être non seulement pertinente mais qu'elle
peut avoir en outre un intérêt heuristique, c'est-à-dire qu'elle peut per-
mettre de mettre au jour, de dévoiler des phénomènes sociaux que
d'autres approches laisseraient dans l'ombre.
L'expression «sociologie du corps» postulant ces divers points, c'est
donc par rapport à eux que peut se mener notre investigation.
Or, immédiatement, des distincitons s'imposent. Prenons au hasard
les phénomènes suivants: la pornographie, le sport, les pratiques alimen-
taires, les modes vestimentaires, les stations ou postures propres à telles
ou telles activités ... Tout cela peut-il être appréhendé de la même manière
comme phénomènes relevant d'une sociologie du corps?
Soit la pornographie. Le phénomène a une dimension politique et
une dimension économique incontestable; mais le pouvoir, l'argent sont
associés là à une certaine représentation du corps, plus précisément à une
représentation qui se voulant la plus crue, la plus complètement transpa-
rente au regard, constitue une mise en scène déterminée de la pratique
sexuelle. Mise en scène qui est un phénomène social de part en part, impli-
quant ses codes, ses lieux, son public, et définissant ce que l'on pourrait
appeler une certaine politique du corps, c'est-à-dire l'imposition d'un
ordre. Ceci ne justifie-t-il pas une approche à partir du corps?
Mais nous sommes là à un certain niveau de phénomènes; celui où se
place par exemple
J.
Maisonneuve lorsqu'il évoque «le corporéisme
aujourd'hui»! ou
J.
Baudrillard lorsqu'il analyse l'économie politique du
1
J.
Maisonneuve, «Le corps et le corporéisme aujourd'hui» in Revue Française de
sociologie, 1976, n04.
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